Interviews de M. Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, à France 2, le 14 juin 1999 et à RTL le 22, sur la création du Rassemblement pour la France, sa position sur l'échiquier politique français, son refus d'une Europe fédérale, son opposition à l'intervention de l'Otan au Kosovo et sur la réforme de la justice supprimant les liens entre le Garde des Sceaux et le parquet.

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Média : Emission L'Invité de RTL - France 2 - RTL - Télévision

Texte intégral

France 2 : lundi 14 juin 1999

Q - C. Pasqua ratisse davantage vers l'électorat traditionnel gaulliste et vous-même, vers l'électorat plus traditionaliste de droite ?

- “Non, on est des responsables publics, on n'est pas des jardiniers : on ne ratisse rien. On ne cherche pas à agglutiner des gens. On parle le langage du coeur, des tripes. Partout où on est allé, on leur a dit : voilà, on aime la France ; on ne veut pas qu'elle disparaisse. Donc, à partir de là, il y a des gens de toutes opinions, et de toutes origines qui sont venus vers nous. C'est d'ailleurs assez étonnant. Ca nous donne une responsabilité énorme pour l'avenir puisque nous sommes, ce matin, la première force politique de la droite. C'est-à-dire que si la reconstruction doit se faire - et elle doit se faire - c'est autour de nous et à partir de nos initiatives qu'elle se refera.”

Q - Vous allez créer un mouvement qui s'appellera le RPF.

- “Le RPF c'est le titre de notre liste - « Rassemblement pour la France » - et nous souhaitons qu'il devienne l'emblème de la rénovation de la vie politique française.”

Q - Pour constituer ce mouvement, vous allez prendre contact avec les autres chefs de parti, vous allez contacter N. Sarkozy, F. Bayrou ?

- “Non, parce que ce mouvement s'adresse à tous les français par-delà les clivages partisans. On voit bien d'ailleurs que les clivages traditionnels sont complètement archaïques et que la question importante c'est la question de la France. Donc, nous allons constituer ce mouvement à partir de l'idée nationale, de l'idée française. Viendront ceux qui veulent venir, d'où qu'ils viennent ; ceux qui voudront adhérer à ce grand mouvement de rassemblement, mais cela n'est pas une question de manoeuvres d'appareil. Tout ça c'est fini, c'est derrière nous. Je le dis avec d'autant plus de force ce matin, que C. Pasqua et moi-même ne voulons pas polémiquer. Les questions de personne ne nous intéressent pas. Ce qui nous intéresse, c'est la question de principe de savoir si la France doit ou non disparaître. Et malgré le mensonge, malgré l'occultation de tout ce que nous avions à dire pendant cette campagne, notre message a été entendu et pour nous, c'est un grand encouragement.”

Q - Pour être bien clair, vous ne proposez pas de fusion avec le RPR ou des choses de cet ordre ?

- “On ne met pas de vin nouveau dans de vieilles outres. Deux choses sont apparues clairement au cours de cette campagne, hier soir surtout : le boycott d'une Europe lointaine, anonyme, glaciale - les gens qui n'ont pas voté, qui disent : votre Europe ne nous intéresse pas - ; la deuxième chose, c'est qu'à travers l'adhésion à notre élan, c'est le rejet d'un système de parti qui n'est plus au service de la France et des Français. Donc, ce ne sont plus des jeux d'appareil. Ce n'est pas par le bas, par une architecture de procédures que l'on va refonder l'opposition, c'est au contraire par le haut, en se mettant sur un point haut. Et ce point haut c'est l'idée française.”

Q - Est-ce que le parti du Président peut disparaître ?

- “Ceux qui ont essayé d'entraîner J. Chirac dans leur aventure ont été imprudents. J. Chirac a heureusement tenté d'être à l'écart du débat. Ca n'était pas une élection présidentielle, c'était une élection européenne. Cela étant, j'espère que le double message suivant sera entendu, y compris par J. Chirac : qu'est-ce qu'on attend du chef de l'Etat ? Une parole forte et donner la parole au peuple. Or, il n'a pas donné la parole au peuple et la cohabitaient aujourd'hui est ressentie par beaucoup d'électeurs comme émolliente, pour reprendre l'expression de P. Séguin.”


RTL: mardi 22 juin 1999

Q - Vous étiez président du MPF, vous voilà vice-président du RPF : un peu de nostalgie ?

- “Non, vous savez les hommes politiques en général sont perdus dans leur vanité. Et je pense que, quand il s'agit de l'essentiel, c'est-à-dire de défendre et de promouvoir l'idée nationale, l'idée française, il faut avoir un petit peu de modestie. Et c'est pour cela que je suis très heureux et très fier de faire cette équipe avec C. Pasqua. Nous avons gagné le 13 juin, il faut prolonger cette victoire et lui donner un sens.”

Q - Comment va se situer le RPF : est-ce que vous allez participer à la reconstruction de la droite ?

- “Nous allons non seulement participer à la reconstruction de la droite mais nous allons refonder l'opposition. Je voudrais vous dire ceci : depuis le départ du général de Gaulle, depuis l'arrivée de Giscard, la vie politique de ce qu'est aujourd'hui l'opposition s'est organisée à partir d'une idée centrale qui était peu à peu, progressivement, l'idée européenne. Et tout naturellement, d'ailleurs, la force centrale c'était l'UDF, c'était la force d'aimantation des idées. A tel point que le RPR s'est « UDFisé ». On a vu comment cela s'est terminé le 13 juin. Il nous semble, à C. Pasqua, à moi-même et à tous nos amis, qu'à partir du 13 juin les choses ont changé, que l'idée centrale ne sera pas l'idée européenne, ce sera : l'idée française. Nous ne serons pas la force exclusive de la reconstruction, mais nous serons la force centrale autour de laquelle nous espérons que le débat des idées s'organisera.”

Q - Lorsqu'E. Balladur appelle toute l'opposition à l'union et à participer à cette reconstruction de l'union, y compris le RPF, vous êtes prêt à répondre à cet appel ?

- “Tous les appels à l'union sont intéressants à la condition qu'on se mette sur un point haut et un point bas. Se mettre sur un point bas c'est lorsqu'on tente des rafistolages idéologiques ou des rafistolages de procédure et de structure. Se mettre sur un point haut, c'est se mettre sur un point où il y a une idée directrice. Et, cette idée directrice ne peut-être que l'idée nationale. Ce que nous souhaitons avec C. Pasqua, c'est sortir du renoncement et de la mollesse. Or, aujourd'hui l'opposition - on le voit bien tous les jours ; regardez sur l'affaire des 35 heures ! - c'est à la fois mollesse et le renoncement.”

Q - Est-ce que cette divergence sur l'Europe que vous avez avec d'autres partis de l'opposition empêche toute réconciliation, toute action commune avec eux ?

- “Je crois qu'il y a au moins un point commun à toute l'opposition - il devrait y avoir un point commun : c'est sortie du fédéralisme - parce que Europe-là nous épuise - et aussi sortir du socialisme. Pour nous les deux questions sont parfaitement liées. Cela dit, si vous me posez la question de savoir si, aux élections municipales, je vais laisser les socialistes gouverner les villes, je dis : « non. »”

Q - Donc vous allez participer aux élections ?

- “Nous participerons à toutes les échéances électorales parce que le RPF n'a pas été créé pour cueillir des marguerites.”

Q - Si vous participez aux municipales ce sera sous les couleurs du RPF ou sous les couleurs d'une union de l'opposition ?

- “Le Rassemblement pour la France a pour vocation d'être présent sur toutes les échéances électorales ; surtout, naturellement, quand il s'agit de la question de la souveraineté populaire, de la souveraineté nationale. Notre but à nous, notre premier but c'est naturellement d'être présents au moment des élections législatives. C'est ce pourquoi nous nous préparons.”

Q - Oui mais le prochain rendez-vous ce sont les municipales ? Ce sera un candidat RPF ou bien un candidat uni de l'opposition ? Les deux choses sont possibles ?

- “On verra le moment venu. Pour l'instant nous repartons avec C. Pasqua pour un tout de France pour donner leur feuille de route à tous nos animateurs, à tous nos militants, et pour les remercier du succès que nous avons tous connu ensemble.”

Q - Vous vous situez dans le groupe politique, la famille politique présidentielle de J. Chirac ?

- “Je pense que J. Chirac a entendu le message du 13 juin. Il l'a forcément entendu. L'aura-t-il écouté ? c'est son problème. Moi ce que j'attends de J. Chirac c'est une double rupture - qui pour l'instant, ne vient pas : une rupture avec le fédéralisme et une rupture avec le socialisme.”

Q - Vous souhaitez le rencontrer ?

- “Non, pourquoi voulez-vous que…”

Q - Il est Président de la République vous pourriez…

- “S'il nous invite, C. Pasqua est moi-même, à le rencontrer pourquoi pas ? Mais, ce n'est pas du tout la question. La politique ce n'est pas une question de tasse de thé ou de café, ou d'apéritif qu'on prend ensemble. La question est de savoir ce qu'on fait de la France. Or, depuis un certain nombre d'années, hélas on la passe par pertes et profits.”

Q - Au sujet du Kosovo, on voit toutes les horreurs perpétrées par les forces serbes ? Vous croyez que Milosevic peut ne pas être jugé ? Il ne faudrait pas aller le chercher à Belgrade ?

- “Ecoutez, moi, je suis un anticommuniste primaire, parce que les communistes secondaires ne sont jamais revenus. Moi, personnellement, je n'ai aucune sympathie pour Milosevic…”

Q - Il faut aller le chercher ou pas ?

- “C'est au peuple serbe, c'est à la Yougoslavie, c'est à la population yougoslave de dire ce qu'elle veut faire de Milosevic. Ce que je constate, aujourd'hui, c'est que l'Otan a provoqué un véritable désastre. L'UCK n'est pas désarmée…”

Q - Elle va l'être. Elle a signé un accord !

- “Non absolument pas, uniquement pour les armes lourdes. Tous les soldats français qui sont là-bas savent très bien que l'UCK contrôle politiquement et militairement le terrain. C'est un désastre parce que ce sont des terroristes, des extrémistes qui utilisent d'ailleurs l'argent de cela drogue. Ensuite, on voit qu'un exode succède à un autre exode, et que sur ce deuxième exode -l'exode serbe - personne ne dit rien. Ca c'est aussi un désastre, parce qu'il y a une épuration ethnique qui succède à une autre épuration ethnique. Et puis surtout, on a créé un redoutable précédent. Si, demain, les Russes décident d'intervenir dans un pays balte en disant : « on n'a pas besoin d'une autorisation des Nations unies, on fait comme vous les Américains, les Européens, » qu'est-ce qu'on dira ? Nous sommes aujourd'hui dans une situation… je crois qu'on aurait pu faire l'économie de cette guerre. La guerre c'est quelque chose de très très grave, de très sérieux. On est revenu à la case départ. On est revenu à Rambouillet. On pouvait éviter cette guerre.”

Q - Pendant des années, vous avez protesté contre l'intrusion de la politique dans le champ judiciaire ? Êtes-vous satisfait de la réforme présentée par E. Guigou qui veut rompre le lien entre le ministre de la Justice et le parquet ?

- “Pendant des années je me suis battu à propos de l'affaire Urba en constatant qu'il y avait un lien entre le Parti socialiste et la justice.”

Q - On pourrait parler d'autres affaires aussi ?

- “Exactement. C'est à ce moment-là que vous m'avez invité la première fois, c'est à ce moment-là que je me suis fait connaître. Quand j'entends un Garde des Sceaux qui dit : « on va couper le lien, définitivement, entre la justice et la politique », moi, je me réjouis comme tous les Français. Mais je m'interroge : au nom de quoi les juges vont-ils juger ? Au nom de qui ? Au nom du peuple ? Il ne faudrait pas qu'on aille de Charybde en Scylla, il ne faudrait qu'on ait des procureurs complètement indépendants qui cherchent à se payer des stars, et qui jugent au nom d'un corporatisme syndical politisé.”

Q - Vous allez voter la réforme ?

- “Je vais regarder les choses de près, je ne pense pas que je voterai la réforme parce que les garanties de cette indépendance ne me paraissent pas apportées par le Garde des Sceaux aujourd'hui. Je crois qu'on aura, hélas, une fausse indépendance et un système occulte qui continuera à relier les procureurs au Garde des Sceaux.”