Interview de M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, à TF1 le 9 novembre 1997 et à RTL, en extraits, le 16 novembre 1997, sur la situation des maîtres auxiliaires, la politique de l'éducation nationale notamment la fin de la cogestion avec les syndicats du secondaire, l'évaluation des enseignants et des élèves, les emplois-jeunes dans l'éducation, et l'évolution du PCF depuis le Congrès de Tours.

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Texte intégral

TF1 - Emission Public - dimanche 9 novembre 1997

Michel FIELD : Dans un instant, je reçois Claude Allègre, le ministre de l’éducation nationale et de la recherche. Nous évoquerons le plan contre la violence scolaire. Nous verrons si le « mammouth » est en passe d’être dégraissé, pour reprendre son expression désormais légendaire. Et nous évoquerons la recherche, la recherche scientifique avec Georges Charpak, le prix Nobel de physique.

Bonsoir à tous.

Ce soir, je reçois Claude Allègre, le ministre de l’éducation nationale et de la recherche, avec à ma gauche, Georges Charpak que je remercie d’être des nôtres, le prix Nobel de physique, puisqu’une partie de l’émission sera consacrée justement à la recherche. A la fois, à la politique que Claude Allègre veut mener dans le domaine de la recherche, et puis aussi aux initiatives d’initiation à la recherche et d’initiation à l’esprit scientifique, actions dans lesquelles Georges Charpak s’est illustré avec des enfants de l’école primaire, dans des zones difficiles. Et l’on parlera d’une association qui s’appelle « la main à a pâte », tout à l’heure.

Nous évoquerons évidemment l’actualité. Et cette actualité, on pourrait tout de suite commencer par la citer en ce qui concerne l’Algérie puisque, vous le savez, en ce moment même, sur l’esplanade du Trocadéro, commence une grande manifestation autour des Droits de l’Homme, en Algérie, qui va culminer demain.

« Un jour pour l’Algérie », c’est peu évidemment, mais c’est déjà beaucoup ! Puisqu’il y a un nombre considérable d’associations, de syndicats, de personnalités, d’artistes, d’intellectuels qui vont se réunir demain et manifester pour, d’abord, qu’une commission d’enquête internationale puisse dire ce qui se passe en Algérie.

Claude Allègre, cette journée sera marquée notamment, dans les collèges et les lycées, par des discussions autour des Droits de l’Homme. C’est une initiative qui est, à la fois, dérisoire par rapport à la gravité de la situation en Algérie et, en même temps, on peut se dire : « pourquoi si tard ? ».

Claude ALLÈGRE : Non, je crois que cela se produit parce qu’il y a cet événement, que nous allons faire une semaine citoyenne et que cela ouvre cette semaine citoyenne.

Tout ce qui touche l’Algérie, en ce qui me concerne, me bouleverse parce que j’ai commencé mon engagement politique, en tant qu’étudiant, pour la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, pour la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. C’est d’ailleurs à cette occasion que j’ai fait la connaissance de Lionel Jospin. Donc c’est un pays dans lequel j’ai travaillé, dans lequel j’ai beaucoup d’amis. Ce qui se passe est une horreur absolue. En même temps, c’est aussi l’illustration de ce que je crains parfois, c’est le retour du fondamentalisme. J’en ai parlé récemment dans un livre, et l’Algérie est cette illustration, c’est-à-dire qu’à partir du moment où il y a une perte de la connaissance, au sens de la connaissance scientifique, où on refuse un certain nombre de valeurs, eh bien, le fondamentalisme s’installe.

Quand on sait ce que la science en Occident doit à la science arabe, je crois qu’il n’y aurait pas de science en Occident s’il n’y avait pas eu la science arabe. C’est un autre symbole que celui que nous donnent les fondamentalistes en Algérie qui se conduisent comme des bouchers.

Michel FIELD : Ce livre que vous citez, c’est « Dieu face à la science ». C’est un livre paru chez Fayard. C’est votre dernier ouvrage paru.

On se retrouve après une page de publicité et nous rentrons dans le vif du débat sur l’école.

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Michel FIELD : Retour à « PUBLIC », en compagnie de Claude Allègre, le ministre de l’éducation nationale et Georges Charpak, prix Nobel de physique.

Georges Charpak, juste un mot : est-ce que c’est bien pour vous qui êtes un scientifique et un chercheur de voir un de vos pairs devenir ministre de l’éducation et de la recherche ? C’est quoi ? C’est rassurant ? C’est inquiétant ? C’est bouleversant ?

Georges CHARPAK : C’est rassurant, je trouve que c’est excellent. Parce que, d’abord, il est plus difficile de l’intimider qu’un ministre qui n’a aucune connaissance scientifique. Or, pour aborder les problèmes des réformes dans le domaine de la recherche scientifique et d’enseignement supérieur, il y a intérêt à ne pas être quelqu’un qui se laisse intimider. Parce que, simplement, c’est plein de gens très compétents, mais ce sont aussi des bastions qui n’aiment pas beaucoup bouger. Or, nous vivons dans un monde dans lequel il faut bouger assez vite et dans lequel des statuts qui ont 15 ans peuvent être antédiluviens.

Alors, je suis content qu’il y ait un ministre qui soit un scientifique, un scientifique reconnu. Cela dit, cela ne lui permet pas de faire des erreurs considérables. Quelques erreurs, par ci, par là, ça va !

Michel FIELD : Il y en a déjà eu par ci, par là ?

Georges CHARPAK : Non, il crée quelques inquiétudes.

Michel FIELD : Oui, j’ai cru aussi !...

Georges CHARPAK : J’ai sondé les cœurs avant de venir ici, chez des mandarins, chez des jeunes loups, et j’ai trouvé deux choses : parfois quelques craintes, mais aussi l’espoir que des réformes sérieuses vont être entreprises. Parce qu’ils vivent dans le monde de la recherche et ils savent qu’il y a choses qui doivent changer, même s’il y a des choses qui sont réconfortantes : un prix Nobel de physique qui vient d’arriver, Ariane 5 qui vient de partir, 100 Airbus qui sont vendus en Amérique. Nous allons enfin avoir autant de prix Nobel, un petit peu moins quand même que les Suisses, pour les 20 dernières années. Donc, il ne faut pas crier « cocorico », on devrait avoir plus.

Michel FIELD : On reviendra sur la recherche tout à l’heure. On va commencer par parler de l’école et de votre ministère. Vous avez un ministère qui a bénéficié d’une des plus fortes progressions budgétaires pour 1998. Il y a un certain nombre de choses qui ont été faites, notamment en ce qui concerne le statut des maîtres auxiliaires : 28 000 ont été réaffectés à la rentrée. En même temps, par exemple, cette question des maîtres auxiliaires, elle continue à être une épine un petit peu dans votre pied. Il y a une grève de la faim qui se poursuit à Toulouse, il y a des manifestations de collés reçus, etc. Est-ce quelque chose qui vous inquiète ? Est-ce que cela fait partie de vos priorités ou pas ?

Claude ALLÈGRE : D’abord, je voudrais dire que les maîtres auxiliaires, quand nous sommes arrivés, j’ai pris la décision de les réemployer, les 25 000, sur mon budget. Ce n’est pas un budget supplémentaire que nous avons obtenu. Pourquoi ? Parce que ces maîtres auxiliaires avaient été pas bien traités. Mon prédécesseur prévoyait d’en licencier 10 000. Ce ne serait pas une grève de la faim qu’il y aurait !

Deuxièmement, marginalement, il peut y avoir un problème, mais j’ai pris l’engagement de les réemployer. Mais je n’ai pas jugé, parce que cela aurait été injuste de la titulariser alors que d’autres passent des concours et que c’est la loi de l’éducation nationale.

Donc, ce que j’ai dit, c’est qu’ils étaient réemployés et puis qu’on allait mettre sur pied une série de concours pour qu’ils rentrent et qu’ils soient intégrés normalement, ceux qui en sont capables. Ceux qui n’en sont pas capables, c’est une autre situation.

Certains, une toute petite minorité – sur 25 000, quelques dizaines – manifestent pour qu’on intègre tout le monde sans concours…

Michel FIELD : … il n’en est pas question de votre point de vue ?

Claude ALLÈGRE : Mon attitude est toujours la même : générosité et rigueur. Il faut être généreux, généreux surtout avec les jeunes, généreux avec ceux qui ont fait des efforts, mais rigueur parce qu’il n’y a pas de société qui se construise sans rigueur. Donc, s’ils font la grève de la faim, c’est dommage !

MICHEL FIELD : Cela veut dire quoi concrètement, côté générosité et côté rigueur ?

M. ALLÈGRE : Générosité, je reprends tous les maîtres auxiliaires, je les réemploie. Mais rigueur, ils passent des concours pour rentrer dans l’éducation nationale et pour être titulaires comme tout le monde. Parce que, sinon, les élèves qui se fatiguent à passer le CAPES, etc. il suffirait qu’ils fassent une grève de la faim pour que je donne le CAPES !

On va donner les diplômes dans les pochettes surprises ! Non, ce n’est pas mon style.

Autant je plaide pour la diversité, pour des concours qui soient beaucoup plus professionnels que ceux qui ont été mis sur pied, pour la diversification des talents et leur reconnaissance, autant ceci passe par la reconnaissance du talent et la reconnaissance d’une qualité. Cela ne passe pas une déstructuration de l’éducation nationale. Je m’excuse !

Michel FIELD : Mais non, vous n’avez pas à vous excuser ! Vous vous en expliquerez avec eux, en tout cas.

Je faisais référence tout à l’heure à votre formule légendaire du dégraissage …

Claude ALLÈGRE : Non, mais vous avez parlé de « reçus collés » tout à l’heure …

Michel FIELD : Oui.

Claude ALLÈGRE : … ce ne sont pas des reçus collés, ce sont des gens qui sont sur une liste complémentaire dans un concours de recrutement. Il y en a tous les ans.

Michel FIELD : Oui, mais ceux-là sont inquiets de ne pas avoir de poste, et ils sont d’autant plus inquiets qu’il y a les emplois-jeunes d’un côté, ils se demandent si…

Claude ALLÈGRE : … non… non…

Michel FIELD : … si, si je vous assure qu’ils sont inquiets.

Claude ALLÈGRE : Je vous arrête ! Ce sont des gens sur une liste complémentaire. Ils veulent considérer qu’être sur une liste complémentaire, c’est comme si on était reçus. Alors, à ce moment-là, il n’y a plus de concours et de liste complémentaire. Donc, là, ce ne sont pas des « reçus collés ». Par ailleurs, au fur et à mesure des besoins, s’il y a des besoins dans ces disciplines-là, ils seront utilisés. Il n’y a aucune ambiguïté.

Je vous le répète encore une fois : il faut un minimum de rigueur sinon on ne structura pas cet ensemble qui est assez déstructuré.

Michel FIELD : Regrettez-vous les propos un petit peu violents que vous avez eus à la rentrée scolaire, sur l’absentéisme des enseignants, etc. qui a suscité une volée de bois vert et puis une sorte de sentiment d’agression chez un certain nombre de profs ?

Claude ALLÈGRE : J’ai eu d’abord des propos qui étaient des propos dans un cadre privé, qui se sont trouvés…

Michel FIELD : … il y avait la télé, c’est cela qui est dommage !

Claude ALLÈGRE : Oui, mais ces propos étaient des propos directs au cours d’une visite d’école.

Le fond de la question est vrai et la preuve en est, c’est que nous travaillons sur l’hypothèse zéro défaut, et je crois l’obtenir, c’est-à-dire qu’il n’y aura pas d’élèves sans professeur. Évidemment, cela prend un peu de temps pour ajuster cela. Et il y a encore des petites choses qui ne marchent pas bien … Mais ceci est mon idée de base.

Ceci étant, comme je l’ai dit et répété, mais c’est très difficile de faire passer cela : dans l’éducation nationale, un pour cent de défaut, c’est-à-dire un pour cent de professeurs qui ne font pas très bien leur travail, cela touche 15 000 élèves. Donc, moi, je suis obligé de faire zéro défaut.

Quand je critique les écarts, cela ne concerne pas la majorité des enseignants, l’immense majorité qui fait très bien son travail et qui n’a pas à prendre ces reproches. D’ailleurs, un bon nombre ne les prenne pas pour eux.

Quand on racontait autrefois telle et telle chose sur les professeurs d’université, jamais je n’ai pris cela pour moi parce que je ne me sentais pas visé par un certain nombre de critiques.

Michel FIELD : Remarquez que vous avez peut-être eu tort parce que j’ai lu, l’autre jour, dans Sud-Ouest, une lettre d’une de vos anciennes élèves qui disait qu’à propos de l’absentéisme et tout, quand vous étiez à Paris VI, elle était en 3e cycle avec vous …

Claude ALLÈGRE : … Paris VII.

Michel FIELD : Paris VI, en 70-71.

Claude ALLÈGRE : Je n’ai jamais été à Paris VI.

Michel FIELD : En tout cas, c’est ce qui était marqué dans « Sud-Ouest », c’est donc une coquille.

Claude ALLÈGRE : Une erreur.

Michel FIELD : Donc, elle disait que vous manquiez souvent, que vous étiez souvent en retard, qu’il y avait des coups de fil des États-Unis qui interrompaient vos cours et que ce n’était pas un très bon souvenir qu’elle avait.

Claude ALLÈGRE : Cela me paraît assez marginal !

Michel FIELD : Vous êtes pour le développement des nouvelles technologies à l’école et notamment d’Internet. Vous ne savez peut-être pas ce que vous risquez à ce qu’Internet se développe parce qu’il a des sites, notamment des syndicats enseignants. Et sur Internet, on parle beaucoup de vous. C’est un sujet de Jérôme Paoli. Regardez et vous réagirez.

REPORTAGE

Michel FIELD : Cela vous donne toujours envie de développer Internet dans les écoles ?

Claude ALLÈGRE : La démocratie, c’est ça ! Si les gens n’ont pas le droit de critiquer le ministre, alors on n’est plus dans ce régime. Et les enseignants ont raison, s’ils ne sont pas contents sur telles choses, etc. de le dire. Moi, je trouve cela très bien ! C’est cela la démocratie. Le ministre a à prendre des responsabilités. Parfois, ce sont des responsabilités qui ne sont pas plaisantes. Parfois, il est obligé de dire des choses. Je demande aux enseignants d’être imaginatifs, inventifs, réactifs.

Vous ne croyez pas que, quand je lis un article qui dit : « Claude Allègre, je ne suis pas d’accord avec lui », etc. je saute au plafond ! Mais les gens ont le droit.

Michel FIELD : Dans votre livre que vous avez publié il y a trois ans, qui s’appelle « l’âge des savoirs », il y a un certain nombre d’analyses extrêmement dures, sèches sur le syndicalisme enseignant, sur la responsabilité du CNES dans ce que vous appelez « son corporatisme » et l’enlisement de l’enseignement secondaire. Est-ce que ces propos-là tenus sur les syndicats enseignants n’hypothèquent pas …

Claude ALLÈGRE : … Pa sur « les », sur « ce » syndicat enseignant.

Michel FIELD : Mais qui était jusqu’à maintenant un des partenaires privilégiés de vos prédécesseurs, rue de Grenelle ?

Georges Charpak, vous voulez intervenir ?

Georges CHARPAK : Le fait que le ministre se sente libre de critiquer des syndicats me paraît être quelque chose de positif. Cela ne veut pas dire qu’il a forcément raison, mais je pense que la liberté qu’il se donne d’exprimer son avis, c’est plutôt de bon augure.

Michel FIELD : Mais vous savez que nous sommes aussi dans un système à l’éducation nationale où il y a une sorte de co-gestion entre le ministère et les syndicats.

Claude ALLÈGRE : Non, il n’y a plus.

Michel FIELD : Ah ! il n’y a plus !

Claude ALLÈGRE : Non, il n’y a plus.

M. CHARPAX : On le jugera sur des actes.

Claude ALLÈGRE : Non, il n’y a plus.

Michel FIELD : Mais vous étiez d’accord que cette situation existait ?

Claude ALLÈGRE : Mais oui ! et c’est pour cela que j’ai écrit ce que vous dites.

Michel FIELD : Quand j’étais prof, c’était par le syndicat qu’on passait pour savoir sa mutation avant que l’administration nous en informe.

Claude ALLÈGRE : L’enseignement secondaire, alors que la qualité individuelle des enseignants n’est pas en cause, est probablement le système d’enseignement qui est le plus en panne dans ce pays, alors qu’il est celui qui dépense le plus. C’est le seul chapitre où nous dépensons à peu près 30 fois plus que les autres pays industrialisés.

Michel FIELD : Cela tient à quoi, à votre avis, ce blocage-là ?

Claude ALLÈGRE : Je vais y venir ! Je pense que si vous admettez que ce système a été co-géré, le syndicat que vous mentionnez à une responsabilité, au moins la moitié puisque c’était co-géré. Effectivement – je vais vous dire –, autant, quand je vous des syndicats du primaire, j’entends des tas de suggestions pédagogiques intéressantes, innovantes, ils accompagnent des expériences comme « la main à la pâte », autant, l’enseignement secondaire, à chaque fois que je les vois, c’est « plus de postes, augmentation des salaires », point.

Je pense que, là, il y a un véritable problème. Mais cela fait partie d’un problème spécifique. Je pense que la qualité individuelle des enseignants n’est pas niable, mais ils sont isolés, ils sont seuls. Ils ne travaillent pas assez en équipe et je pense qu’il va falloir essayer de trouver un moyen pour qu’ils travaillent en équipe. Ils ne se sentent pas assez solidaires de leur établissement et ils ne sont pas assez présent dans leur établissement hors de la classe. Et ils sont beaucoup trop centrés sur l’enseignement de leur spécialité.

Michel FIELD : Oui, j’allais vous dire : « n’est-ce pas lié au recrutement par discipline ? »

Claude ALLÈGRE : Absolument, de leur spécialité.

Michel FIELD : Allez-vous remettre en cause cela ?

Claude ALLÈGRE : Je pense que le recrutement par discipline est une chose indispensable. Il faut connaître quelque chose pour l’enseigner, il n’y a aucun doute là-dessus. Mais je crois qu’il y a besoin de sortir les enseignants de leur isolement.

Je vais vous dire une chose : « J’enseigne dans le supérieur et, dans le supérieur, on travaille en équipe d’une manière perpétuelle ». L’idée qu’on et un seul individu tout seul, détenteur…, cela n’existe pas. On travaille en équipe. Georges Charpak a travaillé en équipe, moi aussi. Or, là je vois un isolement, et je pense qu’ils en souffrent ! Je crois qu’il faut essayer de casser cet isolement pour faire vivre une véritable communauté.

Ces jours derniers, j’ai parlé d’instruction civique et de morale à l’école, il y a eu un article, dans un journal, d’un grand sociologue qui disait : « Mais il faut que l’école soit un exemple. Elle ne pourra pas enseigner la morale si elle n’est pas un exemple ». Je crois qu’il a raison. Je crois qu’il faut qu’il y ait une citoyenneté de l’école des deux côtés. Il faut que les professeurs arrivent à l’heure si on demande aux élèves d’arriver à l’heure. Si les élèves sont notés d’une certaine manière, que les professeurs soient notés. Il faut que, lorsqu’on parle à un professeur, on lui parle avec respect, mais il faut que, lorsque l’on parle à un élève, on lui parle avec respect également. Il faut que les conseils-citoyens d’élèves soient vivants à l’intérieur des lycées. Il faut qu’il y ait une démocratie vivante et une morale à l’intérieur du lycée.

Michel FIELD : Il y a du boulot ! Vous le savez ?

Claude ALLÈGRE : Mais oui, je sais qu’il y a du travail. C’est pour cela que je m’y emploie actuellement. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas entreprendre cela. Et je pense qu’à l’intérieur d’un établissement, il faut que renaissent une solidarité et une joie de travailler ensemble, de faire des choses ensembles, d’expérimenter, d’innover, en équipe.

Vous savez, on n’a rien inventé en matière de pédagogie depuis 5 000 ans. Depuis qu’il y avait l’école des scribes à Sumer, il y avait, d’un côté, les mathématiques et, de l’autre côté ; la littérature, et il y avait le grand prêtre, au sommet de la Ziggourat, qui faisait des prêches et puis, en bas, il y avait ceux qui écoutaient. Moi, je crois que tout cela est fini. Le travail se fait en équipe. Le travail se fait par un dialogue. Et les nouvelles technologies vont permettre cela.

Ce qu’il y a d’extraordinaire sur Internet, c’est qu’il y a un dialogue …

Michel FIELD : … Est-ce que cela veut dire aussi plus de moyens pour les enseignants, pour les établissements ?

Claude ALLÈGRE : Non, mais attendez…

Michel FIELD : … excusez-moi, je vous ramène à quelque chose d’assez prosaïque …

Georges CHARPAK : … dans le cadre des moyens qui existent, on peut faire de la bonne pédagogie et de la mauvaise pédagogie. Si on rencontre des obstacles quand on fait de la bonne pédagogie, il faut parler des moyens à ce moment-là. Exactement comme actuellement, il y a des bons professeurs et des moins bons professeurs, et on peut améliorer beaucoup l’enseignement actuel dans le cadre des moyens. Cela dit, cela n’empêche pas de se battre.

Claude ALLÈGRE : Bien sûr !

Michel FIELD : Partagez-vous ce jugement de Claude Allègre que c’est dans secondaire que les blocages et les archaïsmes sont les plus forts ? Vous qui avez pas mal fréquenté le primaire avec, justement, « la main à la pâte » et ces tentatives d’initier les enfants très jeunes à la démarche scientifique, vous avez trouvé un terreau favorable chez les instituteurs et les institutrices du primaire ?

Georges CHARPAK : D’abord, je trouve les instituteurs et institutrices du primaire formidable.

Claude ALLÈGRE : Moi aussi.

Georges CHARPAK : J’ai découvert, là une richesse étonnante.

Claude ALLÈGRE : Moi aussi.

Michel FIELD : Moi aussi puisque je les ai formés pendant 12 ans à un moment donné de ma vie.

Claude ALLÈGRE : Alors, on est d’accord.

Georges CHARPAK : Quand je regarde la façon dont nous formons nos élites, quand je regarde la composition sociale de nos grandes écoles et de toutes les écoles qui forment des dirigeants, on s’aperçoit qu’on puisse dans 10 % du peuple français.

Claude ALLÈGRE : Absolument !

Georges CHARPAK : Un peu plus, dans 10 millions d’habitants, nous sommes 60 millions. Ce vivier de 10 millions, ce n’est pas suffisant. Et si on veut que les autres accèdent au savoir, à la citoyenneté, il faut changer l’éducation. Il faut que le handicap qu’ils ont de ne pas avoir des parents qui sont des cadres supérieurs ou des enseignants, il faut que cet handicap soit éliminé. Et, pour cela, il faut commencer à l’école élémentaire.

Nous avons la chance d’avoir des écoles maternelles superbes …

Claude ALLÈGRE : Absolument !

Georges CHARPAK : … donc, à 5-6 ans, cela s’écroule parce qu’on rentre dans un enseignement primaire qui n’est pas à la hauteur. La méthode que nous sommes en train de lancer, « la main à la pâte », est ambitieuse. Elle veut que les enfants fassent des sciences depuis l’âge de 6 ans jusqu’à 12 ans, mais fassent des sciences non pas comme des gens qui vont simplement au musée pour s’amuser, c’est une méthode extrêmement élaborée dans laquelle, par petits groupes de 4, ils apprennent à travailler en équipe, ils apprennent à faire des hypothèses, ils apprennent à raisonner …

Michel FIELD : … donc, toute la démarche expérimentale.

Georges CHARPAK : Et plus que cela, ils apprennent à lire et à écrire. Ils apprennent les nouveaux mots. Toutes les 10 minutes ou 15 minutes, ils s’arrêtent et ils décrivent ce qu’ils ont fait. Ils le dessinent. Et quand vous aurez eu, pendant 5 ou 6 années, des enfants qui seront passés par cette formation, vous serez étonné à quel point ils seront différents de ceux qui rentrent en apnée, pour certains d’entre eux, dans l’enseignement et qui ressortent, cinq-six ans après, sans avoir rien appris.

Michel FIELD : Mais vous disiez récemment que cela concernait un millier d’enseignants et qu’il en restait 300 000 à convaincre.

Georges CHARPAK : 349 000. Justement, c’est là qu’Internet peut jouer un rôle comme outil.

Claude ALLÈGRE : Je voudrais rebondir sur cette expérience qui est une expérience que j’admire beaucoup et à laquelle je suis en train de donner encore plus de moyens qu’elle n’a eus. Je dois dire que c’est mon prédécesseur qui l’a initiée. Quand vous m’entendez tant critiquer mon prédécesseur, je lui rends hommage quand il a fait cette expérience.

Mais en quoi consiste cette expérience ? C’est précisément l’opposé de la méthode habituelle. Au lieu de faire quelque chose, en même temps, par une circulaire, pour tout le monde, on expérimente et, ensuite, on étend. C’est la tâche qui s’étend par la qualité. Et cela est quelque chose de nouveau. Alors, on va l’étendre.

D’ailleurs, dans ce que fait l’équipe de Georges Charpak, il y a des choses qui marchent et il y a des choses qui marchent un peu moins bien, donc ils ajustent au fur et à mesure. Ils ajustent et ils améliorent.

Deuxième chose, et on en vient au point fondamental. J’ai dit, cette semaine, à propos de la violence : « Je crois qu’il faut transformer cette violence en une énergie positive ». Eh bien, cette expérience le montre. Il a des résultats merveilleux à Vaulx-en-Velin.

Moi, je crois que la créativité de ce pays est dans les banlieues. Quand je dis : « Il faut rétablir les règles républicaines », oui, parce qu’il faut un certain nombre de repères, mais je veux aller chercher cette énergie dans les banlieues parce que je sais que c’est là que sont les futurs entrepreneurs, là sont les futurs chercheurs, là sont les futurs innovants. C’est un projet fou en apparence. C’est très difficile, mais je crois qu’il est là. Il est là pourquoi ? Parce que je vois que, là, se créent des nouveaux langages. Or, quand on crée un nouveau langage, cela veut dire qu’il y a un dynamisme. Toute l’histoire nous l’apprend. Il se crée des nouvelles musiques. Il se crée des nouvelles initiatives. Les stars, Michael Jordan, il vient d’où ? Il vient des banlieues. Les stars du basket-ball viennent des banlieues. C’est là où se trouvent les ressources d’entrepreneurs.

Michel FIELD : On reviendra sur le plan contre la violence scolaire tout à l’heure, mais finissez …

Claude ALLÈGRE : … en dehors de la violence, c’est simplement cette approche qui consiste à dire : « il y a l’égalité républicaine ». L’égalité républicaine, c’est une école ouverte pour tous, avec certain nombre de moyens, mais il y a, en même temps, l’innovation. L’innovation, cela ne peut pas être le rouleau compresseur, c’est l’opposé. C’est l’imagination donnée aux gens du terrain qui ont fait des choses. Ce que je suis en train d’essayer de faire, c’est l’inverse de ce qui a été fait depuis un certain nombre d’années qui est de dire : « Il faut que tout soit pareil, une circulaire, etc. », non, je ne le crois pas !

En ce qui concerne les emplois-jeunes – vous avez vu, cela a surpris beaucoup de monde – on met les emplois-jeunes, on ne fait pas de réglementation, on dit : « on va expérimenter ». Et puis on en tirera des leçons, et puis après on réglementera parce qu’il faut faire un règlement à un moment ou à un autre. Cela, évidemment, surprend !

Michel FIELD : Les emplois-jeunes font peur aux enseignants. Ils font un peu peur. Ils se demandent si…

Claude ALLÈGRE : … J’ai été à Marseille l’autre jour, j’ai trouvé des enseignants formidables accueillant des emplois-jeunes. Et puis, il me revient des choses amusantes des écoles dans lesquelles les gamins rentrent et disent : « Ah ! il y a des grand, maintenant, pour nous aider. Eh bien, ils nous aident … ».

Michel FIELD : Ils vont être titularisées, ces emplois-jeunes, à la fin de leur …

Claude ALLÈGRE : … ils ne seront pas titularisés …

Michel FIELD : Ce n’est pas très clair suivant ce que l’on entend des paroles ministérielles ou, alors, on écoute mal ? Ou vous ne vous exprimez pas …

Claude ALLÈGRE : … En ce qui concerne les emplois-jeunes de l’éducation nationale, ce seront des emplois-jeunes qui seront à chaque fois renouvelés par des jeunes. À partir du mois de janvier, ces jeunes vont recevoir une formation continue, non pas pour être emploi jeune, mais pour faire autre chose. Ils partiront ailleurs. Certains deviendront enseignants, d’autres deviendront animateurs sportifs, d’autres deviendront animateurs culturels, d’autres passeront une licence pour devenir ingénieurs. Je n’en sais. On met une formation continue. Mais il y aura toujours ce volant de jeunes. Car la qualité essentielle, pour moi, c’est qu’ils soient jeunes, c’est-à-dire qu’ils soient, comme vous venez de le dire, un intermédiaire entre l’élève et le maître, et que la facilité et leur jeunesse permettent ce dialogue qui est si difficile avec les jeunes pour les adultes.

Michel FIELD : Georges Charpak.

Georges CHARPAK : Nous utilisons aussi des jeunes, soit ceux d’emplois-jeunes, soit venant de grandes écoles, qui aident les instituteurs, et cela se fait très bien. Le fait que ce sont des jeunes, c’est effectivement une qualité. Si vous les titularisez, dans 30 ans …

Claude ALLÈGRE : … ils ne pourront pas faire ce boulot-là.

Michel FIELD : On avait bien compris. On se retrouve après la page de PUB, parce que, Claude Allègre, vous avez droit à votre portrait. Un portrait un petit peu potache mais ce sera après la PUB.

PUB

Michel FIELD : Retour à PUBLIC, avec Claude Allègre, le ministre de l’éducation nationale et de la recherche. Georges Charpak, prix Nobel de physique. Et puis le moment tant attendu est arrivé, Laurent à fait un portrait un peu potache du ministre de l’éducation. Regardons-le.

PORTRAIT

Michel FIELD : Une réaction à ce portrait, Claude Allègre ?

Claude ALLÈGRE : Encore une fois, l’information est libre dans ce pays. Vous faites un portrait. C’est la manière dont vous le ressentez. Je n’ai pas de jugement à avoir sur le portrait. Je suis un homme public et, par conséquent, je suis mis en pâture pour les journalistes, le public, mes concitoyens, et donc je regarde les choses.

Michel FIELD : Et ça vous plaît, cela ? Cette situation-là ?

Claude ALLÈGRE : Eh bien, cela me plaît ?... Non, je ne me pose même pas cette question. Je suis là. Simplement, si je ne voulais pas être là, je n’y serais pas, donc je n’ai pas à me plaindre.

Michel FIELD : Est-ce vrai que vous espériez un ministère, un grand ministère regroupant la recherche, l’industrie et les universités ?

Claude ALLÈGRE : Mais, attendez ! Déjà, vous en avez oublié : j’ai la technologie que vous avez oublié, la recherche et l’éducation nationale. Non, je n’espérais pas.

Michel FIELD : Dites vraiment ? Parce que, là, on voit que ce n’est pas une vraie réponse.

Georges CHARPAK : Qu’est-ce qui manque ?

Michel FIELD : L’industrie.

Claude ALLÈGRE : Non, l’industrie est à moitié dans le ministère. La moitié de l’industrie est dans ce ministère, l’autre moitié est chez Strauss-Kahn.

Michel FIELD : Mais vous alliez dire quand même ?

Claude ALLÈGRE : J’allais dire que mon propre engouement était de pouvoir me concentrer plus sur l’enseignement supérieur, la recherche et la technologie.

À partir du moment où il y avait un gouvernement resserré, où, en plus, Lionel Jospin avait l’idée – Georges Charpak en est l’illustration – qu’il fallait lier la recherche très vite à l’enseignement de base – on a pris tout le scolaire avec Ségolène Royal qui m’aide dans cet immense chantier –, c’est une idée importante.

Lionel Jospin n’a pas été tout seul à l’avoir, parce que Prodi a eu la même idée en ce qui concerne l’Italie et le Canada a eu la même idée. Et les Allemands regrettent que l’enseignement supérieur dépende des Landers parce qu’ils voudraient faire la même chose.

Je crois que le XXIe siècle, c’est cela : c’est injecter sans arrêt les nouvelles découvertes, le nouvel état d’esprit scientifique, très tôt dans l’enseignement, sans empiler …

Georges CHARPAK : …. Sans empiler, c’est fondamental.

Claude ALLÈGRE : Sans empiler, en élaguant à chaque foi.

Michel FIELD : Est-ce que cela veut dire que vous allez, par exemple, aboutir à une réforme en profondeur …

Claude ALLÈGRE : … Oui.

Michel FIELD : … des programmes …

Claude ALLÈGRE : … Oui.

Michel FIELD : … et, justement, des coupages disciplinaires …

Claude ALLÈGRE : … Oui.

Michel FIELD : … que l’on évoquait tout à l’heure ?

Claude ALLÈGRE : … Oui.

Michel FIELD : Quand ?

Claude ALLÈGRE : Je vais vous annoncer quelque chose : nous lançons un grand colloque national sur les lycées, qui est le point clé à mon avis, qui travaillera à la fois sur le plan disciplinaire et sur le plan régional, puis national pour essayer de voir … parce que c’est le point clé, là. C’est le point qui est la charnière en l’enseignement supérieur et puis l’enseignement obligatoire jusqu’à 16 ans. On l’oublie toujours : l’enseignement est obligatoire jusqu’à 16 ans, donc il faut concevoir les programmes, primaire, collèges, ensemble.

Et puis il y a l’université dans laquelle plus de 50 % vont. Le lycée est la transition et du coup, il faut donner au lycée à la fois une vocation et voir comment organiser cette transition.

Michel FIELD : Ce colloque va se tenir quand ? Et c’est quoi les modalités d’organisation ?

Claude ALLÈGRE : Il va commencer très rapidement, dans 15 jours. Il va durer 2 mois, 3 mois, peut-être plus. Et au bout de cette démarche, nous aurons une réforme concernant les lycées, concernant les programmes, concernant la manière d’organiser le lycée.

Michel FIELD : Est-ce que cela va aboutir à une réforme des recrutements et des procédures de recrutements des concours nationaux, disciplinaires, etc. ?

Georges CHARPAK : C’est évident.

Michel FIELD : C’est le ministre bis, là, qui vient de répondre à la place du ministre de l’éducation nationale. Georges Charpak.

Georges CHARPAK : L’enseignement scientifique dans les lycées doit être complètement revu. L’enseignement scientifique dans les grandes écoles doit être complètement revu. Il y a une dizaine de jours, j’ai vu un reportage pitoyable : on montrait que les élèves de mathématiques spéciales au lycée Henri IV faisaient appel à des boîtes à bac pour se préparer mieux pour le concours. C’est effroyable ! C’est un gâchis effroyable parce qu’en réalité ils n’appartiennent pas à la science. On leur bourre le crâne. Ce sont des années perdues, des années qui devraient être des années créatives pour eux. Ils se préparent au concours. Il faut balayer tout cela. Et ils ne se parlent pas entre eux, évidemment, parce que l’on ne va pas donner des tuyaux au copain qui, lui, n’a pas pu se payer la boîte à bac. Tandis que les petits enfants de « La main à la pâte » ont appris à collaborer entre eux et à discuter entre eux. Alors, c’est très différent.

Pour le plus jeune âge, nous nous servons de la science comme un moyen de développer le raisonnement. C’est quelque chose qui a, culturellement, des ambitions plus vastes que d’apprendre la science. Mais au lycée et pour la préparation aux grandes écoles ou à l’université, il faut apprendre la science. Et apprendre la science, cela ne peut pas s’apprendre, si on ne fait de l’expérimentation et si l’on ne change pas, également probablement, la façon dont est enseignée actuellement la physique, la biologie. Tout est à revoir. C’est un immense chantier. C’est le principal chantier qui nous attend.

Michel FIELD : Cela aboutira aussi à heurter des intérêts acquis ou des avantages acquis, par exemple des grands corps ou par exemple des grandes institutions scientifiques ? Est-ce que cela va aboutir à des réformes structurelles du CNRS, de l’INSERM ? Est-ce que cela va aboutir à relativiser le rôle des grands corps, genre des mines, l’X, etc., dans ce système-là ? C’est un grand chantier, vous m’avez dit ?

Claude ALLÈGRE : Notre but, en s’attaquant à une discussion sur le lycée, n’est pas de réformer la France en entier, c’est de donner les bases pour que ce pays se mette à l’heure du XXIe siècle. Chaque chose en son temps.

Est-ce que chaque fois que l’on réforme on touche, on dérange ? Et, donc, il y a des gens qui sont pour, il y a des gens qui sont contre.

Je crois que la survie de notre pays est à ce prix.

Michel FIELD : Mais le problème, c’est que si vous touchez, vous le savez bien, les enseignants – pour revenir à eux –, c’est un petit peu aussi la base électorale du parti Socialiste. Toucher les avantages acquis de sa propre base électorale, cela s’appelle suicidaire en politique ?

Claude ALLÈGRE : Mais, attendez, qui vous parle de changer ? Je pense que ces enseignants ne sont pas heureux dans la situation actuelle. Je pense qu’ils sont compétents et pas heureux. Je pense que si nous changeons les choses dans le bon sens, je pense qu’ils seront tout autant compétents et ils seront heureux. Et personnellement, je ne pense pas que l’on peut faire un très bon travail, si l’on n’est pas heureux.

Georges CHARPAK : C’est important aussi. On va les rendre heureux.

Claude ALLÈGRE : Et, donc, le but est de les rendre heureux.

Michel FIELD : Je sais que de pouvoir dire « on va les rendre heureux », cela « fout les chocottes » à tout le monde !

Georges CHARPAK : Pourquoi ?

Michel FIELD : Parce que le bonheur n’est pas affaire du pouvoir politique.

Claude ALLÈGRE : Mais, nous, on va les rendre heureux …

Michel FIELD : Dans leur travail.

Claude ALLÈGRE : … – ils vont participer à ce grand colloque – … à fabriquer autre chose qui soit moins cloisonné, qui soit moins isolé, qui soit en groupe et qui permettre en même temps …

Michel FIELD : Mais, Claude Allègre, vous savez bien qu’à chaque fois qu’il s’est agi, par exemple, d’enlever une heure de l’enseignement de l’histoire ou de la philosophie, l’inspection générale de cette discipline s’est levée, a bloqué toute réforme ?

Mais « ne parlez pas de cela », si, on parle de cela, justement ! Parce que c’est extrêmement angélique et, en même temps, où est le bras séculier de tout cela ?

Claude ALLÈGRE : Michel Field, mais parce que vous pensez en ces termes et, nous, nous ne pensons pas en ces termes.

Georges Charpak ou moi-même, on pourrait vous dire que dans notre vie scientifique, on a changé les choses, et la première fois que l’on a proposé ce que l’on voulait faire, on a commencé à nous dire que quelqu’un d’autre l’avait fait, que cela n’avait pas d’intérêt, que c’était idiot, que cela ne marcherait jamais. Et on l’a fait… et puis c’est peut-être pour cela …

Michel FIELD : … « que vous ne faisiez pas votre métier, et tout » … ce sont des choses que l’on entend aussi dans le « bunker » ?

Claude ALLÈGRE : Non, non. Personne ne dire cela.

Georges CHARPAK : Non, non. Mais quand on innove, j’ai toujours rencontré ces choses-là. Même aujourd’hui je rencontre des gens, je leur propose quelque chose, ils disent : « Cela n’a pas d’intérêt ». Toujours.

Claude ALLÈGRE : Ce n’est pas là que se situe le problème. Je pense qu’il faut aller vers un changement qui est indispensable. Cela ne veut pas dire pour autant, par exemple, qu’il faut négliger l’enseignement du français, je trouve qu’il n’est pas assez important, en ce qui me concerne. Je trouve que l’importance du français a décru. Alors, vous voyez, je suis un scientifique et je vous dis cela. Il a décru et il a décru dangereusement. Il est la base de l’enseignement. Mais cela veut dire remettre les choses dans leur proportion. Arrêter de penser que chaque fois qu’il y a une nouvelle découverte, il faut empiler et ne rien retirer. Il faut choisir sur un certain nombre d’enseignements. Et, bien sûr, il y aura des discussions. Et, bien sûr, il y aura des débats sur ce problème. Mais, justement, l’idée, c’est de les mener, de manière à arriver à quelque chose de meilleur.

Alors, vous me dites : « On n’a pas réformé ». Je suis obligé de vous dire que, quand j’étais conseiller de Lionel Jospin, nous avons entrepris un certain nombre de choses dans l’enseignement supérieur, le plan « Université 2 000 », un certain nombre de réformes qui sont aujourd’hui dans la réalité des universités. Donc, je sais tenir compte de ce problème. Mais ma conviction profonde est que les enseignants de base, dans l’enseignement secondaire, comme dans le primaire d’ailleurs, sont dans leur grande majorité tout à fait remarquables. Le système n’est pas bon et ce n’est pas bien organisé.

Michel FIELD : Matériellement, concrètement, vous le transformez comment à court terme ce système ? Par un changement de la notation, de l’évaluation des enseignants, un changement de l’inspection, un changement des rapports …

Claude ALLÈGRE : Je peux vous répondre sur la notation…

Michel FIELD : Mais j’aimerais bien !

Claude ALLÈGRE : Je peux vous répondre sur la notation. Premièrement, c’est cela que j’essaie de vous faire comprendre, je ne suis pas un magicien qui a une recette …

Michel FIELD : Non, parce que je pense que vous tenez un discours extrêmement séduisant, mais dont on ne voit pas tellement comment il va rentrer dans les faits ?

Claude ALLÈGRE : Toute ma vie a montré que je faisais toujours passer tout dans les faits.

Michel FIELD : Ah bon !

Claude ALLÈGRE : Oui, je suis quelqu’un d’extrêmement concret. Je suis un expérimentateur. Vous savez, j’ai réformé l’institut de physique du globe, j’ai réformé …

Michel FIELD : … Oui, mais, là, c’est l’éducation nationale, c’est une autre paire de manches qu’un labo, quand même ?

Claude ALLÈGRE : … Vous ne pouvez pas m’accuser de faire des discours… Non, non, je ne parlais pas de cela. Je ne suis pas présomptueux sur ce que l’on réussira à faire ou pas. J’ai conscience des difficultés. Je dis simplement que vous ne pouvez pas m’accuser de faire des discours qui ne seront pas concrets, c’est tout ce que je voulais dire. C’est le seul sujet sur lequel je protestais.

Comment je vais faire ?

Michel FIELD : Oui, bonne question.

Claude ALLÈGRE : On va d’abord débattre. Premier point, on va débattre. On va débattre, et je vais vous dire une chose : les plus grands noms de la science française vont participer à ce débat, et je vous dirai presque : parce que je suis ministre de l’éducation nationale. Ce qui ne s’est pas passé dans le passé. Et nous allons avoir un débat entre les enseignants, les gens qui ont fait la connaissance. Parce que la connaissance ne tombe pas du ciel, elle ne tombe pas d’Amérique. Elle est faite aussi en Europe, en France par des chercheurs …

Michel FIELD : Georges Charpak, j’ai cru comprendre que vous en seriez, donc ?

Claude ALLÈGRE : Bien sûr, Georges Charpak en sera et d’autres en seront.

Georges CHARPAK : Et, donc, là-dessus, c’est un grand débat national. Et puis nous prendrons le temps qu’il faudra pour parler, pour convaincre, pour faire avancer.

Vous me parlez de la notation, eh bien je pense que la notation des élèves et des enseignants n’est pas bien faite, des deux côtés. Mais il faut, l’un et l’autre, qu’ils soient notés. Les deux choses sont vraies.

Je prends un exemple : un élève qui démarre, cours préparatoire, il ne faut pas faire de notation comparative. On traumatise des gens pour toute leur vie. Il faut, au contraire, faire une notation individuelle : regarder s’il progresse ou s’il ne progresse pas, qu’il s’auto-évalue. Et il ne faut commencer la notation comparative qu’après un certain nombre d’années, parce que l’on sait que les cerveaux, se développent à des vitesses différentes et qu’il y a des enfants qui sont en regard à 6 ans et qui se développent rapidement. Si on les a traumatisés, jamais ils rattraperont.

Deuxièmement, lorsqu’on donne une opinion sur un élève, je suis pour la notation vectorielle. Qu’est-ce que cela veut dire « vectorielle » ? Cela veut dire que ce n’est pas un chiffre, c’est par rapport à un certain nombre de qualités que l’on décline : cet élève peut être imaginatif, brouillon, l’un n’est pas exclusif de l’autre, cela veut dire qu’il faut faire un effort pour qu’il structure ce « truc » ; dynamique, paresseux… on, cela ne va pas ensemble…, dynamique, etc. Donc, je pense qu’il faut faire cela.

En ce qui concerne les enseignants, eh bien il en est de même : une note sèche pour noter un enseignant, ce n’est pas bon. Et une note administrative… un enseignant, vous savez qu’aujourd’hui quand vous regardez les notes des enseignants, la première note qui est mise par un inspecteur vous suit toute la vie. Est-ce normal ? Est-ce normal qu’une inspection faite par une personne détermine toute la carrière d’un enseignant ? Non. Il faut donc que les premières notes, par exemples, soient cachées au deuxième. Il faut que ce ne soit pas une seule personne qui note, mais que ce soit une équipe qui évalue les enseignants.

Faut-il les évaluer avec des notes plutôt qu’avec des observations ? Voilà une discussion. Mais il faut qu’ils soient évalués. Pourquoi ? Parce qu’il y a des gens extraordinaires et que ces gens doivent être récompensés.

Il y a des gens qui sont dans les banlieues, qui ont une imagination extraordinaire, qui réussissent à reprendre des gamins en perdition, qui en font des gens formidables, pourquoi ne seraient-ils pas récompensés ? Pourquoi on serait le seul endroit dans ce pays…

Michel FIELD : Ils seront récompensés comment ? Par une mutation qui leur permet de quitter la banlieue en question ?

Claude ALLÈGRE : Non, dans leur carrière, dans leur mode d’avancement. Il faut que la qualité, que l’imagination soient récompensées.

Si l’on disait : « Les élèves, maintenant, on va les noter à l’ancienneté », on dirait : qu’est-ce que c’est ? C’est de la folie ! C’est ce que l’on fait avec les enseignants.

Comment une institution qui prétend être le cœur de l’intelligence peut-elle être basée là-dessus, sous le prétexte que c’est difficile ? Mais, oui, c’est difficile de noter les enseignants ! Mais oui, c’est difficile de noter les élèves !

Vous savez, dans mon métier de professeur, la chose qui m’a été la plus difficile, c’est chaque fois que l’on a à noter un élève, à décider s’il peut poursuivre ou pas, parce que je ne suis jamais sûr que je ne me trompe pas, que je ne dis pas : « celui-là, il ne fait pas de recherche » et peut-être est-ce le meilleur chercheur qu’on a éliminé ?

C’est très difficile d’évaluer les gens, et pourtant on le fait sans arrêt. Et pourtant on le fait plus ou moins bien. Car, je suis sûr que, dans ce pays, on perd – Georges Charpak le disait – plus de la moitié de talents formidables par une structure rigide. Ma volonté est de ne perdre personne.

Michel FIELD : On est très en retard, mais je vais quand même lancer l’Édito de PUBLIC pour vous faire réagir aux deux, trois faits saillants de l’actualité que nous avons retenus.

ÉDITO :

IRAK – La tension monte

VIOLENCE À L’ÉCOLE – Plan d’urgence

MONTAND – La polémique

ROUTIERS – L’accord amer

Michel FIELD : Claude Allègre, c’est un succès politique du Gouvernement que d’avoir finalement, même indirectement, mis fin plus rapidement que le gouvernement précédent au conflit des routiers ?

Claude ALLÈGRE : D’une part, plus rapidement, mais d’autre part, je crois, dans des conditions qui correspondent à un progrès social pour les routiers. Ce qui est important, ce n’est pas seulement la technique d’avoir mis fin. Il a mis fin avec une volonté de restructurer cette profession et de faire respecter le droit. Donc, c’est un succès de Jean-Claude Gayssot et de Lionel Jospin, incontestablement.

Michel FIELD : Quand le Premier ministre dit qu’il s’engage à ce que les décisions prises par cet accord rentrent dans les faits. Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?

Claude ALLÈGRE : Je connais le Premier ministre, c’est un engagement.

Cette profession qui est une profession extrêmement importante et, en même temps qui s’est développée à une allure fantastique avec la déréglementation récente, n’obéit pas à la réglementation du travail habituel. Je crois qu’elle va petit à petit rentrer dans le lot commun. Des gens travaillent des horaires déments, avec des salaires qui sont ridicules. Moi, je les comprends ces gens ! C’est complètement anormal.

J’insiste bien : non seulement le conflit a été réglé rapidement mais il a été réglé en progrès. Il a été réglé avec une perspective. Il a été réglé avec des engagements, mais une perspective de structuration de la profession.

Michel FIELD : L’image du ministre des transports allant partager un casse-croûte avec des grévistes, c’est une chose qui a choqué une partie de l’opinion ?

Si vous ne le savez pas, je vous l’apprends. Vous avez l’air étonné ?

Claude ALLÈGRE : Oui, je suis étonné …

Michel FIELD : Oui, je vous apprends que cela a choqué une partie de l’opinion.

Claude ALLÈGRE : Peut-être n’est-elle pas habituée à ce qu’est la démocratie et l’écoute, le contact direct.

Moi, je trouve que c’est formidable, un ministre qui va avec les gens et qui parle avec les gens. Oui, je suis étonné que cela puisse choquer !

Michel FIELD : Parce qu’un certain nombre de gens, de leaders de l’opposition, par exemple, disaient que …

Claude ALLÈGRE : Oui, mais écoutez …

Michel FIELD : Cela fait une partie de l’opinion publique, je vous le rappelle quand même aussi !

Claude ALLÈGRE : Quand vous entendez Debré, comme vous venez de le montrer, après la manière dont le conflit a été traité l’année dernière, c’est pitoyable. Donc, je dois dire que les leçons de l’opposition dans ce domaine, c’est une plaisanterie, tout de même !

Michel FIELD : Vous gouvernez bien mieux qu’eux ? C’est cela que vous venez de nous dire ? Vous avez plus de chance ou vous gouvernez mieux ?

Claude ALLÈGRE : Encore une fois, vous ne me transformerez pas en commentateur politique. Je suis un acteur politique. C’est à vous de dire si nous gouvernons mieux ou pas.

Michel FIELD : Vous pouvez attendre longtemps pour que je vous dise cela !

Claude ALLÈGRE : Je suis, après le conflit des routiers, la manière dont cela s’est passé, fier d’appartenir à ce gouvernement.

Michel FIELD : On évoquait à l’instant la polémique autour d’Yves Montand, ce sera en une minute, une minute trente : c’est vrai que cela soulève, au-delà du fait divers, une question absolument fondamentale qui résonne finalement sur toutes les nouvelles questions de bio-éthique liées qui développement des sciences et des techniques.

Claude ALLÈGRE : Oui, mais la science n’a pas le monopole et même le droit à l’éthique. L’éthique, tout le monde doit participer à cela. La science donne des moyens. Et je trouve que la réaction de Jean-Pierre Changeux, qui est le président du Comité national d’éthique, un lieu où l’on débat, est très bonne sur ce sujet.

La loi française dit que tout prélèvement doit être accepté. Par conséquent, aller prélever sur un mort n’est pas conforme à cette tradition. D’un autre côté, on peut comprendre qu’un enfant ait envie de savoir qui est son père. C’est vrai, cela aussi. Et, donc, il y a là un espace sur lequel des discussions doivent avoir lieu. Et c’est vrai que la biologie moléculaire permet maintenant ces signatures.

On pourrait déplacer le problème : actuellement, dans la loi française, il faut une acceptation. Est-ce que, dans le cas d’un criminel, on va demander son acceptation ? C’est un vrai problème. C’est une vraie question.

Michel FIELD : En tout cas votre réaction est beaucoup plus mesurée que celle de votre collègue, Bernard Kouchner ?

Claude ALLÈGRE : Je pense que le problème mérite un débat et mérite une discussion approfondie. Même si, comme toute le monde, je suis un peu choqué par le fait de déterrer un mort et d’aller faire des prélèvements sur un cadavre lors qu’il l’avait refusé de son vivant. C’est vrai, cela aussi.

Michel FIELD : Georges Charpak, merci.

Claude Allège, merci d’avoir été notre invité.

Je vous rappelle l’annonce du ministre de l’éducation nationale : l’ouverture d’un grand chantier de réformes dans les lycées, sans dates complètement précises mais elles viendront. Que la discussion s’ouvre !

Claude ALLÈGRE : Voilà !

Michel FIELD : Vous avez rendez-vous, vous en avez de la chance, avec Claire Chazal dans un instant pour le journal de 20 heures.

À la semaine prochaine.

 

Grand Jury RTL – Le Monde - dimanche 16 novembre 1997

Passages importants

* Communisme et socialisme

Je ne sais pas si le moment est venu de surmonter le congrès de Tours et la scission de 1920. Le communisme a été à la fois un immense espoir pour des millions d’hommes et a conduit à des choses absolument terribles, avec des millions de victimes. Je ne voudrais pas faire d’analogie simple ni simpliste, mais la Révolution française a été aussi un grand espoir avant d’être suivie par la terreur et la boucherie napoléonienne.

Je crois qu’il faut distinguer, dans les moments où il y a des soubresauts de l’histoire, entre l’idéologie qui les sous-tend et les errements. Il n’est pas bien de confondre ce qu’a été le communisme et ce qu’a été le nazisme. Le nazisme avait une idéologie épouvantable dès le début et a conduit jusqu’à sa fin à des actes terribles. Le communisme, c’est un immense espoir, une lutte contre une dictature (…) et qui, peu à peu, à cause de l’idéologie des certitudes – c’est cela qui est mortel, c’est-à-dire le fait de penser que l’on a tout le temps raison et de vouloir imposer cette certitude –, a glissé vers un certain nombre d’errements. (…) Donc, les socialistes ne se placent pas dans cette tradition. (…)

Robert Hue veut garder un certain nombre des idéaux du communisme – l’idée d’un progrès social, l’égalité des gens – et, en même temps, il voit bien quelles ont été les terribles déviations. (…)

C’est vrai qu’il y a une proximité sociologique entre les communismes et les socialistes, mais il y a toujours eu entre les deux cette césure tenant au fait que nous étions autant attachés à la démocratie qu’à la défense des pauvres. (…)

Question : Ne serait-il pas temps de revenir à une famille de la gauche unie ?

Réponse : Est-ce le moment d’une refusion, d’une grande gauche ? Je n’en sais rien. L’histoire nous le dira (…). Peut-être qu’il y a place pour une gauche unie, mais je ne sais pas si le moment est venu. Il y a encore une différence de sensibilité, une distanciation par rapport à l’expérience soviétique, une appréhension des problèmes qui n’est pas la même.

Cela dit, je suis un peu choqué de voir des militants communistes qui, contrairement à moi, se sont engagés et qui maintenant sont les plus virulents dans la dénonciation du communiste auquel ils ont cru à une époque, comme on croit à une religion. (…) Si je m’étais trompé lourdement, je ferais un peu moins de bruit et je serais un peu plus modeste.

* La droite, le communiste et le Front national

(…) Je crois que derrière la question qui a été posée à l’Assemblée nationale et la manière dont elle a été exploitée (…), il y a des visées politiciennes. On veut faire l’analogie entre le parti communiste et l’extrême droite. C’est absolument infâme. Les communistes dans ce pays n’ont jamais été du mauvais côté. (…) Moi, je suis très vigilant car je crains que, ici ou là, au moment des régionales, (…) l’UDF ne soit tentée de passer des alliances avec le Front national. Je ne voudrais pas que ce genre de déclarations préfigure ce genre de choses. Certains peuvent être tentés, voyant qu’ils risquent de perdre leur fauteuil de président de région, de se tourner vers le Front national en faisant une espèce d’amalgame. Cette intervention à l’Assemblée nationale m’a semblé très déplacée. (…) Je crois vraiment que c’était une intervention politicienne.

« Il faut aider les enseignants »

(…) Dans ce chantier de l’éducation nationale, il y a beaucoup de choses à remettre en ordre en même temps. On ne peut pas les remettre en ordre séparément. Beaucoup de choses sont en désordre. J’ai parlé de différents dysfonctionnements : ils sont peut-être à la marge mais, néanmoins, ils déstructurent le fonctionnement. (…) Tous les problèmes sont liés. (…)

Je crois que l’éducation nationale est dans une situation de délabrement. La structure du ministère, la manière dont marche l’éducation nationale n’a pas été suffisamment resserrée. (…) Dans le secondaire, 400 000 fonctionnaires sont gérés depuis Paris, ce qui entraîne des dysfonctionnements énormes. (…)

* Pour une déconcentration de l’éducation nationale

Je veux que l’on arrive à faire fonctionner cette maison. (…) On a voté des lois de décentralisation car tout le monde demandait que tout ne se décide pas depuis Paris. Eh bien, je veux faire la même chose pour que tout le monde soit satisfait. Les premiers bénéficiaires de ces mesures seront les enseignants en mettant en œuvre une nouvelle manière de les affecter : pour la première fois, ils seront reçus individuellement dans chaque rectorat (…) ; ils participeront aux discussions d’affectation ; ils auront la possibilité de saisir une commission de recours. Bref, ils seront écoutés comme dans toute grande entreprise où l’on gère du capital humain. (…)

De même, je m’engage aujourd’hui à ce que désormais aucun agrégé ne soit affecté dans un collège contre sa volonté ou enseigne une discipline qui ne soit pas sienne. (…)

Question : Peut-on flatter l’opinion contre les enseignants ?
Réponse : (…) Je répète – mais il semble que la pédagogie ne soit pas suffisante – que 1 % de mauvais fonctionnement touche 150 000 élèves. Ce que je dénonce, c’est quelque chose de marginal mais qui a des conséquences importantes. (…)

Et je répète encore une fois que la grande majorité des enseignants fait très bien son travail dans un système qui n’est pas très bon. (…)

Enfin, je rappelle qu’un seul syndicat est attaché à la mutation nationale. (…)

L’enseignement est le plus beau métier du monde. C’était le métier de mon père et de ma mère. C’est mon métier, celui de mon frère, celui de ma fille. Comment voudriez-vous que je ne sois pas proche des enseignants ?

Il faut aider les enseignants car on ne les a pas suffisamment aidés. Pour notre part, nous avons revalorisé leur métier (…) du point de vue matériel. Toutefois, leur mode de travail n’a pas été amélioré. (…) Il faut leur donner l’occasion de travailler en équipe, de recevoir les formations qui leur conviennent et de développer leur imagination. (…)

Ce ne sont pas les enseignants qui sont en cause mais l’ensemble de l’appareil de l’éducation nationale. (…) Moi, je veux redonner aux enseignants de base leur liberté d’innovation.

Question : N’allez-vous pas décentraliser entièrement le ministère de l’éducation nationale ?

Réponse : Je prépare une véritable déconcentration de l’éducation nationale, et pas seulement au niveau des mutations. D’un point de vue général, je veux que les gens deviennent plus proches de leur métier, les enseignants plus proches des parents et l’administration plus proche des gens. (…) La déconcentration, cela veut dire plus d’autonomie pour les enseignants, plus de projets d’établissements. Je crois aux projets d’établissements, au travail en équipe, à une plus grande autonomie des établissements, à moins de réglementations tatillonnes, à plus d’initiatives. (…)

L’éducation nationale est très centralisée mais pas démocratique du tout. Les enseignants n’ont pas voix au chapitre sur la manière dont on gère un lycée. (…) Je veux qu’il y ait plus de démocratie. Je veux que les lycéens participant à une certaine partie de la vie des lycées (…) et ne soient plus traités comme des potaches.

* « L’enseignement se réforme par le haut »

(…) L’enseignement se réforme par le haut et c’est une erreur de penser qu’il se réforme par le bas. L’enseignement supérieur est en ordre de marche au niveau de ses structures, mais ses performances ne sont pas bonnes parce que les élèves qui arrivent dans le premier cycle de l’enseignement supérieur ne connaissent pas un certain nombre de mécanisme fondamentaux dans la mesure où ils ne les ont pas acquis au lycée. (…) Il faut donc redéfinir le lycée. Ce qui s’enseigne actuellement au lycée n’est pas ce qui est nécessaire pour former un bachelier à la fin du vingtième siècle.

* « Les programmes sont déments »

(…) Au fur et à mesure que les connaissances ont augmenté, on les a rajoutées aux programmes. Si bien que les programmes sont devenus très gros et que, finalement, les savoirs fondamentaux se sont dilués. Ces programmes sont trop gros et des exercices fondamentaux comme l’expression orale (…) ou écrite sont mal maîtrisées. De même les bases élémentaires du calcul sont mal maîtrisées. Si un certain nombre de mécanismes fondamentaux sont mal maîtrisés, c’est parce que les programmes sont déments. (…) Le point crucial est de savoir ce qu’il faut enseigner aujourd’hui.

* « L’éducation nationale n’est pas un monde clos réservé aux enseignants »

L’éducation nationale n’est pas un monde clos réservé aux enseignants. C’est notre bien à tous. Tout le monde doit participer aux discussions sur l’éducation, même si le rôle des enseignants est irremplaçable, bien sûr.

* Claude Allègre et les syndicats

(…) J’ai d’excellents rapports avec M. Blondel, Mme Notat, M. Viannet, M. Vilebenoît, la FEN, le SGEN, etc. (…) Dans certains secteurs, au fin du temps, les syndicats se sont mis à cogérer l’éducation nationale. Je ne crois pas que ce soit sain. Les syndicats doivent rester dans leur rôle. (…) C’est de défendre le personnel, de veiller à ce que l’intérêt de celui-ci soit préservé, ce n’est pas de rédiger des circulaires à la place du ministre. (…)

* L’enseignement dans les zones difficiles

(…) On laisse aller dans les zones les plus difficiles les débutants, et on ne les récompense pas. (…) Ces enseignants sont un peu au-dessus de ceux qui ont des lycées faciles. (…) Donne un avantage à ceux qui travaillent dans ces zones, c’est leur permettre d’avoir moins d’élèves par classe – ce que nous faisons –, d’avoir plus d’années sabbatiques – c’est ce que nous allons faire –, c’est leur donner des emplois-jeunes pour les aider, ce que nous faisons. Cela, c’est changer leur vie. Ce n’est pas une prime, d’ailleurs relativement faible, qui la changera ! (…) Améliorer leurs conditions de travail, c’est aussi le plan contre la violence et la discrimination positive. Et cela, personne ne l’avait fait. (…) Ce n’est pas du quantitatif, c’est une qualitatif. (…)

* Le congé-formation

(…) Pour partir en congé-formation, il faut s’assurer qu’il y a un remplaçant. (…) Les enseignants auront le plus possible leur formation le mercredi après-midi. (…) Les dix-huit heures qu’ils font en présence d’élèves, on pourrait imaginer qu’elles soient organisées un peu autrement. Il y a une marge de négociation. (…)

Jamais, il n’y aura une circulaire, une loi ou une décision que je n’ai pas discutée de manière paritaire. (…)

* Les maîtres auxiliaires

On devait licencier 10 000 maîtres auxiliaires. J’ai pensé que ce n’était pas correct sur le plan humain. Par conséquent, nous leur avons redonné du travail. (…) On a organisé un concours qui est basé sur les capacités professionnelles avec deux entretiens. (…) Ceux qui seront reçus seront intégrés. (…) Je souhaite que tous les maîtres auxiliaires soient capables d’entrer dans la fonction publique. (…) Mais je ne ferai pas de choses démagogiques. (…)

* Les emplois-jeunes

(…) Ces jeunes vont partir au fur et à mesure, ils ne vont pas être là pendant cinq ans. (…) Ils suivront une formation continue. Certains seront animateurs sportifs, d’autres animateurs culturels. (…) Certains seront enseignants, mais dans le cadre normal. (…) Les emplois-jeunes dans l’enseignement primaire, ou dans les collèges pour le plan « violence », correspondent à un plan pédagogique : l’aménagement des rythmes de l’enfant. (…) Il ne faut pas concevoir cela comme un nouveau corps. Par définition, ce sera un mouvement. (…)

* La morale civique

Nous allons demander qu’il y ait de la morale civique en seconde dans les cours de français, d’histoire et également d’éducation physique et nous allons demander en terminale qu’on y insiste dans le cours de philosophie –  mais je crois que c’est déjà fait la plupart du temps – et qu’on parle de l’éthique dans le cours de sciences naturelles. (…) Dans la réforme des IUFM, il y aura un concours, avec la morale civique.

* Le statut social de l’étudiant

Je ne sais pas ce que je ferai et je vous le dis très franchement. (…) Bien sûr, il y a un problème d’argent : une allocation d’études pour tous les étudiants coûterait 60 milliards. (…) Je souhaite qu’il y ait sur ce problème du revenu étudiant un débat au Parlement. (…) Ce n’est pas moi qui déciderai. Le dossier est prêt. Il y a une discussion avec le ministère des finances. Nous serons à même de proposer au Gouvernement et au Parlement un certain nombre d’alternatives, et puis il y aura une discussion. (…)

* Les régionales

J’ai des principes et je les applique. Quand j’ai été nommé ministre, j’ai démissionné du conseil régional. Lors des dernières élections, j’ai été tête de liste et j’ai annoncé que je ne serai pas candidat la fois suivante. Je suis contre le cumul et pour la limitation des mandats dans le temps. (…)