Interviews de M. Philippe Séguin, président du RPR, dans "Le Monde" et à Europe 1 le 10 décembre 1997 et à RTL le 19 décembre 1997, sur la rénovation du RPR, la cohabitation, les relations entre le gouvernement et le parlement, et la politique gouvernementale.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Emission la politique de la France dans le monde - Europe 1 - Le Monde - RTL

Texte intégral

Date : 10 décembre 1997
Source : Le Monde

Le Monde : Quel bilan faites-vous de l’action du gouvernement de Lionel Jospin six mois après sa mise en place ?

Philippe Séguin : C’est aux Français de faire ce bilan. Ils en auront l’occasion lors des prochaines élections cantonales et régionales. Ce rendez-vous doit en effet leur permettre de formuler un triple jugement : sur l’action du nouveau Gouvernement ; sur le travail accompli par les institutions régionales ; et, enfin, sur les efforts consentis par l’opposition pour tirer la leçon de son échec aux dernières élections législatives.

Cela étant, j’ai le sentiment que l’opinion à l’égard du Gouvernement est marquée par un contraste : d’une part, on sent poindre une réticence de plus en plus perceptible à l’encontre de certains projets, comme les 35 heures, la nationalité ou l’immigration ; d’autre part, on relève un attentisme, qui reste bienveillant, pour ce qui concerne la méthode de gouvernement.

Le Monde : Trouvez-vous que la plupart des projets du Gouvernement soient mal accueillis par l’opinion ?

Philippe Séguin : Pas forcément, mais c’est parce que les enjeux des débats sont parfois hermétiques, jusqu’au jour où le pays peut en percevoir les conséquences concrètes. Il en va ainsi du débat budgétaire : par définition, ce n’est qu’en 1998 que les Français en mesureront les effets. Pour autant, certaines des critiques de l’opposition, sur le sort réservé aux entreprises ou aux familles, ne sont pas passées inaperçues. Notre message a été entendu.

Dans le cas de la réforme des 35 heures, c’est encore plus net : le jugement des Français est pour le moins mitigé, eu égard à l’objectif fixé. Il ne faut pas oublier, en effet que le but initial de ce projet était de créer des emplois. Or, on commence à entendre des propos officiels, visant à justifier cette réforme, mais qui n’ont plus qu’un très lointain rapport avec les création d’emplois. Je me réfère en particulier à ce que dit Mme Aubry : pour elle, désormais, la réforme doit être une formidable incitation à des gains de productivité. Or, que je sache, les gains de productivité n’ont pas précisément pour effet de stimuler l’emploi…

Je comprends donc bien la réaction des Français. Quand on leur dit que la baisse de la durée du travail est une tendance historique, ils accueillent le propos avec une relative sympathie. Mais quand on leur dit que c’est une solution miracle pour créer des emplois, ils sont pour le moins sceptiques. Quant à moi, je me pose la question : loin d’être créatrice d’emplois, la réforme des 35 heures ne va-t-elle pas être destructrice d’emplois ? En tout cas, à les en croire, elle décourage déjà certains investisseurs potentiels.

Le Monde : Vous semblez être moins opposé à cette réforme que dubitatif sur ses effets…

Philippe Séguin : Pas du tout ! J’y suis opposé. Parce qu’elle est dangereuse et parce que, de surcroît, la méthode autoritaire et uniforme retenue par le Gouvernement risque de compromettre durablement le dialogue social.

Le Monde : Le patronat a eu des mots très durs à l’encontre du projet du Gouvernement. Pensez-vous qu’il est sorti de son rôle ou que cela peut apporter de l’eau au moulin de l’opposition ?

Philippe Séguin : Chacun fait son métier : d’un côté, les responsables politiques, de l’autre, les responsables syndicaux ou professionnels. La ligne de partage des compétences entre les uns et les autres est de moins en moins étanche. Je ne vois pas pourquoi certains domaines seraient exclusivement réservés aux partenaires sociaux et interdits aux politiques ; de la même façon, j’admets que les partenaires sociaux puissent s’immiscer dans des domaines qui sont, de prime abord, de la responsabilité des politiques.

Le Monde : Dans le passé, vous avez dit souvent, vous-même, que la clé de l’emploi se trouvait dans les secteurs non marchands. Vous ne pouvez donc pas complètement condamner les emplois-jeunes créés par le Gouvernement…

Philippe Séguin : Pourquoi ai-je souvent parlé du secteur non marchand ? C’était précisément pour le distinguer du secteur privé, mais aussi du secteur public. Or, les emplois-jeunes du Gouvernement relèvent très clairement du secteur public. Ce sont de vrais-faux emplois publics qui deviendront de vrais emplois publics. J’ai d’ailleurs l’intuition qu’après un accueil évidemment favorable, on commence à percevoir, dans l’opinion, une certaine désillusion : parce que, pour des raisons budgétaires évidentes, la mise en œuvre ‘est que très progressive, parce qu’il y a plus de candidats refoulés que de candidat admis, parce que, aussi, on commence à comprendre…

Le Monde : Lors de la campagne de l’élection présidentielle, en 1995, puis lors des législatives, en 1997, Lionel Jospin a fait entendre une petite musique économique qui avait certaines similitudes avec vos propres priorités. Y avez-vous été sensible ?

Philippe Séguin : Je vous concède qu’il y avait dans cette campagne électorale quelques accents d’autant plus mélodieux qu’ils nous avaient été largement empruntés. Tout le problème est que c’est sur ces points précis qu’entre la musique électorale et ce que fit aujourd’hui le Gouvernement, il y a les plus fortes discordances.

Le Monde : Le Gouvernement avait pourtant dit qu’il mettrait en œuvre une politique de relance de la demande. Or, il a majoré le SMIC et quadruplé l’allocation de rentrée scolaire…

Philippe Séguin : Soit… Mais il a taxé l’épargne populaire, il s’en est pris aux familles et aux classes moyennes… Ceci compense cela.

Le Monde : Il avait dit qu’il procéderait à un rééquilibrage entre la fiscalité du capital et la fiscalité du travail. Or, c’est bien dans ce sens que va la montée en puissance annoncée de la CSG…

Philippe Séguin : Soit encore… Mais une politique ne peut se juger que globalement, et une mesure prise, isolément, selon le contexte dans lequel elle intervient, peut-être soit positive, soit négative. Or, dans le cas présent, à la lumière des décisions fâcheuses que j’ai déjà évoquées, chacun voit bien dans quel contexte agit le Gouvernement. Tout ce qu’il fait procède d’une approche erronée du rôle de l’entreprise. Je crois, malheureusement, que ce gouvernement est plus dogmatique que pragmatique.

Le Monde : Sur quoi vous appuyez-vous pour faire ce constat ?

Philippe Séguin : Pour ma part, je vois une grande différence entre le mitterrandisme, tel qu’on l’a connu de 1982 à 1995, et les premiers pas du gouvernement actuel. Prenez l’exemple des relations avec les communistes : François Mitterrand traitait avec eux, mais seulement pour des raisons tactiques. Dans le cas de M. Jospin, on sent bien que la relation n’est pas purement tactique ; c’est une relation de parenté. On sent bien que M. Jospin aimerait, un jour, refaire à l’envers le congrès de Tours. Ce qui était totalement étranger à l’esprit de François Mitterrand.

Le Monde : Mais vous avez reproché au socialisme de la période Mitterrand d’avoir ouvert les vannes de l’ultralibéralisme. À vous entendre, les socialistes sont condamnés soit à l’opportunisme, soit au dogmatisme…

Philippe Séguin : Je ne vous le fais pas dire !

Le Monde : Dans le cas de la construction européenne, donnez-vous au moins crédit au Gouvernement de faire ce qu’il avait annoncé ?

Philippe Séguin : Pourquoi le ferais-je ?

Le Monde : Parce que si, comme c’est probable, l’Italie fait partie du premier groupe de pays participant à la monnaie unique, c’est que certaines des conditions posées par le Parti socialiste ont été entendues…

Philippe Séguin : Cela ne fait jamais qu’une demi-condition…

Le Monde : Pourquoi ? Voulez-vous suggérer que le Gouvernement a oublié en chemin les autres conditions ? Il se bat, pourtant, pour l’instauration d’un gouvernement économique, faisant contrepoids à l’autorité de la Banque centrale européenne…

Philippe Séguin : Quel gouvernement économique ? Vous faites allusion au petit groupe de travail qui serait censé préparer les délibérations des conseils des ministres de l’économie et des finances ? Non, soyons sérieux… M. Jospin avait mis quatre conditions au passage à la monnaie unique. Or je ne vois pas que ces conditions aient été satisfaites. J’ai même le sentiment que M. Jospin souhaiterait les faire oublier.

Le Monde : Reconnaissez-vous au gouvernement le mérite d’avoir obtenu que le pacte de stabilité soit contrebalancé par un autre volet, en faveur de l’emploi, entériné lors du sommet de Luxembourg ?

Philippe Séguin : Pour ce qui me concerne, je n’ai toujours pas compris ce qu’on est allé faire au sommet de Luxembourg. L’emploi, dans le contexte actuel, est de compétences nationale. Donc, nous sommes allés parler, entre Européens, de ce qui est de compétence nationale. Si je comprends bien, chacun est allé dire à l’autre quelle est sa solution. L’un a dit : « Moi, je fais les 35 heures ». L’autre a répondu : « Moi, je fais du temps partiel »…

Je vrai fond de l’affaire, justement, c’est l’indifférence structurelle, institutionnelle de l’Europe à l’emploi. Pour que la critique tombe, il ne suffit pas de se réunir pour mesurer les conséquences malheureuses de cette situation chez les uns et chez les autres. Il faudrait se demander comment faire en sorte que l’Europe intègre l’emploi dans ses priorités. Il faudrait, en particulier, que l’emploi figure parmi les objectifs assignés à la gestion de l’euro et que, face à la Banque centrale européenne, commence à exister un interlocuteur politique. Or, dans ces deux domaines, on n’a pas avancé d’un centimètre. Tant que ces deux conditions n’auront pas été réunies, il en ira des sommets européens comme des colloques ou des séminaires : ils n’auront pas plus de portée.

Le Monde : Comment avez-vous accueilli la candidature de Jean-Claude Trichet à la président de la Banque centrale européenne, défendue conjointement par l’Élysée et Matignon ?

Philippe Séguin : Lorsque les Européens ont choisi Francfort pour siège de la banque, ils ont implicitement décidé que son président serait un non-Allemand et, à l’époque, j’avais cru comprendre que ce non-Allemand serait français. Cela dit, était-ce tactiquement la meilleure façon de procéder ? Je pense que le président de la République et le Premier ministre disposent d’éléments d’appréciation dont je suis moi-même privé.

Le monde : Considérez-vous, comme Charles Pasqua, que la nouvelle étape de la construction européenne, ouverte par le traité d’Amsterdam, doit être soumise à un référendum ?

Philippe Séguin : Qu’il soit bien clair qu’il ne peut s’agir de mettre en cause le traité de Maastricht : la parole de la France a été engagée, et elle l’est d’autant plus que les Français se sont exprimés. Je trouve d’ailleurs, à ce propos, un indice de la dégradation de l’esprit public dans le fait que formuler cette évidence me vaille des critiques répétées depuis cinq ans. Dites que le résultat d’un référendum doit être respecté, et on vous rétorque que vous vous être renié !... Quant à ce qui s’est passé à Amsterdam, nul n’en paraît très satisfait ni très fier, quitte à ce que ce soit souvent pour des raisons souvent contradictoires. Mais quand des gens qui professent des opinions divergentes se retrouvent sur la même critique d’Amsterdam, c’est probablement parce qu’on a éludé certains problèmes de fond, qu’une fois de plus, on ne souhaite pas traiter. Alors, qu’un débat soit souhaitable et nécessaire sur les perspectives politiques de l’Europe, c’est évident. Il est vrai que ce choix fondamental n’a jamais été vraiment formulé.

Ce que je crois, c’est que le Conseil constitutionnel aura du mal à ne pas considérer qu’il y a lieu à une réforme de la Constitution. Poser la question, c’est d’ailleurs le reconnaître un peu plu qu’implicitement. Dès lors, c’est au président de la République qu’il reviendra de dire s’il estime que le référendum est ou non opportun.

Le Monde : Quelle est votre préférence ?

Philippe Séguin : Encore une fois, c’est au président de la République de décider. D’autant qu’il y aura peut-être d’autres éléments à prendre en considération. Est-ce que, dès lors que nous irons vers une réforme constitutionnelle, il ne sera question que de se mettre en conformité, si j’ose dire, avec le traité d’Amsterdam ? Ou bien est-ce qu’on profitera de l’occasion pour charger la barque d’autres dispositions constitutionnelles ? Car, à ma connaissance, il y en a un certain nombre en stock : je pense notamment à la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, au cumul des mandats, aux quotas, au futur statut de la Nouvelle-Calédonie.

Évidemment, plus on rajoute, plus la nature du débat change. Ce qui fait qu’il est difficile de se prononcer pour l’instant.

Pour autant, je voudrais dire ceci : sur l’Europe, il est hors de question de se cantonner à des combats d’arrière-garde ; c’est sur son avenir que nous devons peser, pour qu’il ressemble à ce que nous souhaitons.

Le Monde : La cohabitation s’accompagne d’une sorte de bicéphalisme, sur la scène internationale, qui est considéré comme nuisible pour le crédit de la France. Quelle analyse en faites-vous et quelles conclusions en tirez-vous ?

Philippe Séguin : La cohabitation est un régime détestable. Tout le monde en est conscient, les protagonistes d’une cohabitation, les tous premiers. D’autant qu’on se retrouve, aujourd’hui, dans un contexte radicalement différent des expériences précédentes : ce n’est plus une période de transition, dans l’attente d’une élection présidentielle qui permettra, d’une façon ou d’une autre, de remettre les pendules à l’heure. Cette fois, on est dans un système qu’on pourrait qualifier de « droit commune », dont le terme sera des élections législatives et non l’élection présidentielle ; on est dans une configuration qui peut durer cinq ans et qui, circonstance aggravante, découle d’un acte de dissolution qui a donné un résultat différent de celui qui était souhaité par l’autorité qui l’a accompli.

Or, j’ai le sentiment que le Premier ministre, progressivement cherche à tirer parti de l’originalité de cette situation pour fixer un mode de relation avec le président différent de celui des cohabitations précédentes ; à son avantage, cela va sans dire.

Au cours des six derniers mois, il y a d’abord eu affranchissement de la règle ancienne de l’unité de parole à l’extérieur. Ensuite, et alors que jusqu’ici on laissait aux partis le soin de dénoncer les manquements aux règles de la cohabitation, il y a eu ce rappel des dispositions constitutionnelles par le Premier ministre, au mois de juillet, en plein conseil des ministres. Puis, cette intervention de M. Jospin au congrès socialiste de Brest dans laquelle – au-delà de l’ironie ou de l’arrogance du propos –, il me semble que se développe une sorte de théorie consulaire, la théorie des « deux têtes » de l’exécutif.

C’est évidemment une évolution inacceptable. S’il devait y en avoir de nouvelles illustrations, nous ne manquerions pas de nous exprimer fortement. Nous répéterions que 1997 n’a pas effacé 1995, et que, dans l’esprit de nos institutions, le Premier ministre reste le Premier ministre du président de la République.

Le Monde : Êtes-vous prêt à tirer de cette situation des conséquences institutionnelles ?

Philippe Séguin : Le débat est ouvert. Personnellement, je ne crois pas qu’il y ait de voie moyenne entre nos institutions actuelles et un régime présidentiel. Dès qu’on retient le principe même d’élection simultanées, on entre dans une logique de régime à l’américaine. Alors y sommes-nous prêts ? Pour ce qui me concerne, je préférerais une bonne application du système actuel.

Trop souvent, l’opinion publique semble se satisfaire de la cohabitation, que certains confondent avec l’union nationale. Or, la cohabitation, c’est tout le contraire : c’est la désunion nationale ! Pour limiter des dégâts, il n’est pas d’autre voie, à mes yeux, que de veiller jalousement au respect des prérogatives du président de la République, telles qu’elles ont toujours été entendues jusqu’à présent.

Le Monde : Est-ce à dire que ces prérogatives ne sont pas suffisamment défendues actuellement ?

Philippe Séguin : Je répète que je vois, dans certaines initiatives du Premier ministre, la tentative de tester, pour le moins, les défenses de son interlocuteur.

Le Monde : Quelle conception avez-vous du rôle de l’exécutif pour les nominations de hauts fonctionnaires ou de responsables d’entreprises publiques ?

Philippe Séguin : Je suis contre la théorie du partage. Je crois qu’il faut qu’il y ait un accord entre les deux acteurs de la cohabitation. En conséquence, je ne trouve que légitimité dans le refus de signature du président de la République. Ce dernier étant lui-même tenu d’obtenir le contreseing du Premier ministre pour un certain nombre de textes, je ne vois pas pourquoi sa signature serait forcément automatique.

Le Monde : Et concernant le commissariat général du plan, quel est votre sentiment ?

Philippe Séguin : En ce qui concerne le plan, je me serais bien gardé d’intervenir si je ne m’y étais pas senti autorisé par des prises de position nombreuses et diverses, émanant, pour les première d’entre elles, de l’intérieur même de la majorité « plurielle ». On est bien, dans le cas d’espèce, au-delà d’un problème de cohabitation. Il faut savoir si l’on continue à faire du plan un lieu de dialogue, un lieu de confrontations, un lieu de liberté ; ou si l’on en fait une officine chargée d’être le relais de ce qui est dicté par ailleurs. So l’on change le titulaire actuel, dans le contexte actuel et pour les raisons actuelles, autant supprimer le commissariat du plan !

Le Monde : L’opposition et, singulièrement, le RPR ont-ils trouvé un point d’équilibre avec le président de la République ?

Philippe Séguin : Il n’y a jamais eu de déséquilibre… Le chef de l’État est le président de tous les Français – y compris le président de M. Jospin, j’y insiste – et il est, d’autre part, la référence de l’opposition, en particulier celle de notre rassemblement.

Le Monde : Est-ce que cela signifie que les positions que le président de la République adopte sur tel ou tel sujet engagent l’opposition ?

Philippe Séguin : Pas toujours. Lorsque, par exemple, il s’exprime sur le plan extérieur au terme d’un compromis forcé avec le Premier ministre, dès lors qu’il s’agit de matières supposées partagées, son propos n’entraîne pas nécessairement l’adhésion de l’opposition. D’ailleurs lui-même appose sa signature sur des lois, sur d’autres textes encore dont il ne partage pas forcément l’inspiration. En revanche, lorsqu’il a l’occasion de s’exprimer, de faire valoir son point de vue, j’ai rarement trouvé matière à des différences marquées.

Le Monde : La droite semble toujours sous le coup du traumatisme qu’elle a subi en juin…

Philippe Séguin : On a gagné les élections législatives, on a gagné l’élection présidentielle, il y a une dissolution qui est faite pour confirmer ces deux victoires, et voilà les socialistes revenus au pouvoir, et le pays placé dans les circonstances constitutionnelles que j’évoquais. Il y a de quoi être traumatisé !

Cela dit, je crois me souvenir qu’en 1993, la gauche n’était pas dans un état très différent. Ce n’est qu’à partir de l’élection présidentielle de 1995 qu’elle a entrepris sa recomposition. Il lui a fallu deux ans pour se relever ! Pour nous cela fait six mois. Mais je comprends que le temps puisse vous paraître long…

Le Monde : Le traumatisme n’est-il dû, à vos yeux, qu’à l’échec du 1er juin ?

Philippe Séguin : La défaite est forcément le résultat de ce qui l’a précédée. Il serait trop simple de croire qu’elle n’est liée qu’à une décision que certains estiment inopportune, à une campagne qui n’aurait pas été bonne, à un moment qui aurait été mal choisi. Elle est liée plus profondément à des événements précédents, dont nous n’avons probablement pas si gérer toutes les implications. Je pense, en particulier, à notre division de 1995. Cette fracture n’a pas été, semble-t-il, suffisamment été réduite. On n’a pas mesuré non plus la volatilité de l’esprit public, liée aux insatisfactions, aux inquiétudes, aux incompréhensions nées de la mondialisation et de son insuffisante explication.

C’est pourquoi nous nous sommes donné pour objectif de nous réconcilier, de nous parler de nouveau les uns les autres, de nous rénover, étant précisé que tout cela était la condition de notre ouverture vers l’extérieur. Notre projet était insuffisamment crédible, nous avions laissé s’organiser des chapelles, qui s’ignoraient et qui n’arrivaient plus à dégager un projet global. Donc, nous avons un très gros travail de rassemblement et de réflexion à accomplir ensemble.

Le Monde : La voie choisie vous paraît-elle toujours être la bonne ?

Philippe Séguin : J’en suis persuadé. Le problème n’est pas un problème d’union. La division de l’opposition ou la guerre des chefs ne me paraissent pas avoir joué un rôle décisif. Aujourd’hui moins que jamais. Je n’ai jamais eu un mot contre François Léotard, François Bayrou ou Alain Madelin. Pour autant, et pour parler avec eux, effectivement il est souhaitable que nous sachions d’abord ce que nous sommes.

Le Monde : Vous parlez au passé de votre absence de projet. Cela veut-il dire que, désormais, vous approchez du terme de votre entreprise de rénovation ?

Philippe Séguin : La réunion de notre conseil national, samedi 13 décembre, sera la première démonstration de notre rénovation. Nous donnerons un compte-rendu du débat qui a eu lieu entre les adhérents du RPR, à la faveur 1500 assemblées générales qui se sont tenus, nous dirons les grandes lignes qui s’en dégagées, aussi bien en termes de projet que d’organisation interne. Nous ferons part des premiers résultats de notre travail de préparation des élections régionales et cantonales. Nous ferons connaître nos têtes de listes pour les élections régionales.

Nous présentons un document de synthèse qui repartira dans les circonscriptions, et les militants auront ainsi à se prononcer à nouveau.

Nous réunirons en janvier un dernier conseil national, avant les assises du rassemblement au cours desquelles nous adopterons une nouvelle organisation, et nous nous déterminerons sur notre projet.

Le Monde : Vous estimez, à ce jour, qu’une synthèse est possible entre les différentes sensibilités du RPR ?

Philippe Séguin : Selon toute vraisemblance, nous déclinerons notre projet en quatre textes distincts. Le premier portera sur les raisons d’être de notre rassemblement, sur sa vocation. Nous avons une démarche différente d’un parti politique, qui a un corps de doctrine, et ne réalise le compromis nécessaire qu’au niveau du Gouvernement, dans l’action. Nous, nous souhaitons que la synthèse soit faite de façon préalable.

Un deuxième texte, bref, simple traitera des valeurs auxquelles nous croyons : la nation, le travail, la liberté, l’égalité des chances, la solidarité, la famille, la responsabilité…

Le troisième texte dira quelle est notre vision de la France dans le monde d’aujourd’hui. L’originalité sera de partir d’emblée, sans autre précaution de style, de la mondialisation. On a peur de cette mondialisation et, du coup, on ne sait pas comment la maîtriser, ni comment en tirer parti. Comment faire en sorte qu’elle soit une chance et non un risque ? Est-ce qu’il est possible de concilier efficacité et solidarité ? Quelle France voulons-nous ? En quoi l’Europe peut-elle être un moyen de démultiplier l’effort de nos entreprises et de nous apporter des garanties en termes de solidarité ? Que doit-il rester à la France ? Voilà quelques-unes des questions qui se posent pour l’avenir et auxquelles nous essayons de répondre.

Enfin, le quatrième texte traitera de l’éthique de l’élu, pour répondre, là aussi, à une demande forte de nos adhérents et militants.

Le Monde : Votre démarche fait penser à celle que le Parti socialiste avait engagé de 1995 à 1997…

Philippe Séguin : Peut-être, mais à une réserve près : cette démarche n’a pas pour objectif d’organiser mon sacre. Contrairement à ce qui se dit parfois, le RPR n’est pas à mon service. C’est moi qui suis au sein. Nous n’avons pas à porter au pouvoir notre leader, notre « chef de structure » ; l’homme qui est notre référence occupe déjà la magistrature suprême.

Compte tenu du calendrier qui a été le leur, les socialistes ont fait leur ressaisissement sur un choix de candidat. Nous, nous avons entrepris une rénovation de fond.

Le Monde : Vous n’êtes pas vraiment servis par le calendrier. Les élections régionales vont arriver très vite.

Philippe Séguin : Tant pis, on s’en accommodera. Nous irons aux élections régionales avec beaucoup de détermination. Ce que nous souhaitons surtout, c’est que les Français voient bien, à l’occasion de ce rendez-vous, que nous sommes effectivement en rénovation. On le leur montrera par le discours, comme par l’effort de renouvellement, de rajeunissement et de féminisation auquel nous procéderons.

Le Monde : En raison du scrutin à la proportionnelle, ces élections facilitent la vie au Front national, et l’on voit apparaître un débat, au sein de la droite, entre ceux qui refusent toute compromission et ceux qui seraient tentés par un dialogue avec l’extrême droite…

Philippe Séguin : Il n’y a strictement aucun débat. Nous allons à ces élections sous nos propres couleurs. Il est clair qu’il n’y aura aucune alliance au moment de l’élection, et il n’y aura ensuite aucun accord de gestion, ni avec les uns ni avec les autres. Pas de « front républicain », mais un comportement républicain.

Le Monde : Vous partagez donc la ligne définie par Édouard Balladur, selon laquelle il ne sera pas candidat à la présidence du conseil régional d’Île-de-France si les listes RPR-UDF ne disposent pas d’une majorité absolue ou relative ?

Philippe Séguin : C’est la ligne du RPR ; c’est la ligne que j’incarne, parce que je suis le patron du RPR.

Le Monde : Cela veut bien dire que la coalition RPR-UDF n’aura de candidat que si elle est en situation de majorité absolue ou relative ?

Philippe Séguin : Dans ce cas, ce sont les électeurs qui en auraient décidé ainsi. Mais si cela devait malheureusement arriver, les socialistes ne devraient s’en prendre qu’à eux-mêmes. Car enfin la manipulation est d’une grossièreté invraisemblable ! Je vais vous la détailler. Premier temps, vous créez l’ambiance avec un texte sur l’immigration et, au cas où cela ne suffirait pas, un texte sur le code de la nationalité et un zeste de droit d’asile. On agite le tout et on attend.

Puis le premier ministre lui-même donne un coup de sifflet pour lancer l’opération. Et, pour ce faire, il choisit d’aller devant le conseil représentatif des institutions juives de France, où il dénonce les liens prétendus que nous aurions avec l’extrême droite. Je veux croire qu’il n’a pas mesuré les implications du choix d’un tel lieu pour lancer de telles charges.

Troisièmement, tout le monde s’engouffre, sur le thème du « trouble de la droite »… Et puis, quatrièmement, le comparse, le camarade de jeu, le bénéficiaire désigné de tout cela, celui dont le délégué général dut que leur objectif est de marginaliser le RPR et l’UDF, M. Le Pen, autrement dit, ne prend même pas la peine de l’originalité pour aire sa provocation nécessaire. La boucle est bouclée ! Mais cela commence à bien faire

« Les socialistes ont fait leur ressaisissement sur un choix de candidat. Nous, nous avons entrepris une réforme de fond »

Le Monde : Est-ce qu’on ne peut pas vous opposer que vos amis, sur la nationalité comme sur l’immigration, n’ont pas su éviter le piège que vous dénoncez ?

Philippe Séguin : C’est effectivement un piège. La majorité et le gouvernement de M. Jospin n’ont pas eu d’autre objectif, avec ces textes, que de tendre un piège, au-delà de l’opposition, à l’opinion publique. Parce qu’il était absolument inutile de procéder à une énième modification du droit de l’immigration, et absolument inutile de rétablir un droit du sol qui n’avait jamais été mis en cause.

Le simple fait d’organiser un débat là-dessus, c’est déjà un mauvais coup porté à la France, et au immigrés.

Le Monde : Jugez-vous opportune l’intervention récente du chef de l’État, soulignant les responsabilités françaises dans la persécution des juifs sous l’Occupation et justifiant la tenue du procès Papon ?

Philippe Séguin : Ce qui me choque, d’abord, c’est qu’on ait pu prétendre que je mettais en cause la tenue du procès Papon. J’ai en effet écrit très précisément le contraire. J’ai dit qu’il y avait un homme, qui devait répondre de ses actes, et que ce procès d’un homme ne devait pas devenir celui de la France. Il est bon que l’on rappelle les responsabilités françaises. C’est un terme auquel j’adhère sans réserve. Il est bon que le président de la République ait rappelé que les Français ont une dette morale vis-à-vis de leurs compatriotes juifs et des autres victimes des persécutions. Et je me réjouis qu’il ait dit, aussi, qu’il n’est pas question d’autoflagellation. : c’est exactement ce que j’ai dit moi-même.

Le Monde : N’avez-vous pas parfois le sentiment que la France a plus de peine que d’autres pays à se dépêtrer de son passé ?

Philippe Séguin : Ce passé n’est pas si lointain. Il est normal qu’il soit encore controversé. D’ailleurs, il en existe plusieurs lectures. Moi, quand je pense au début du XVe siècle, j’en retiens… la même chose que vous, j’imagine…

Le Monde : … Jeanne d’Arc et Charles VII…

Philippe Séguin : Exactement ! Et pas les Bourguignons, alors que Jeanne d’Arc et Charles VII étaient isolés au milieu d’un océan de Bourguignons « collaborateurs ». Mais ce qu’on retient, ce qu’on doit retenir, c’est le fil français.


Date : mercredi 10 décembre 1997
Source : Europe 1

Europe 1 : Le Conseil des ministres va approuver, ce matin, le projet de loi controversé…

Philippe Séguin : Il sera bien le seul à l’approuver, le projet de loi en question.

Europe 1 : Mais vous avez noté que Lionel Jospin y croit malgré les diatribes, votre scepticisme : en combien de temps, à votre avis, saurez-vous s’il crée ou s’il détruit des emplois ?

Philippe Séguin : On le sait déjà au sein même du Gouvernement puisqu’il y a même des ministres qui le disent et qui se font réprimander par Mme Aubry. En vérité, il s’agit là d’un engagement fort dont le Gouvernement essaye de se dépêtrer. Au demeurant, on semble avoir oublié, au Gouvernement, pourquoi on faisait les 35 heures. Les 35 heures, c’était fait, si j’ai bien compris, pour créer des emplois. Il n’y a plus personne pour le prétendre ! Et lorsque Mme Aubry rencontre les patrons, lorsqu’elle s’exprime devant l’Assemblée nationale, qu’est-ce qu’elle dit ? « Les chefs d’entreprise ne doivent pas s’inquiéter, ils pourront faire des heures supplémentaires et, d’autre part, ils pourront récupérer cela par des gains de productivité. » Alors moi, les gains de productivité, cela est bien joli, mais je ne sache pas que cela crée directement beaucoup d’emplois.

Europe 1 : C’est-à-dire que vous, depuis le début, vous n’y croyez pas et que vous n’y croyez pas davantage aujourd’hui ?

Philippe Séguin : Écoutez, personne n’y croit vraiment. Alors il faut sortir de cette affaire. Le Gouvernement est engagé, il cherche à s’en sortir. Moi, ce que je crois pressentir, c’est qu’au lieu d’avoir les 35 heures payées 39, on va avoir un système de 39 heures payées 40, 41, 42 ou 43 heures. Voilà à quoi on va aboutir : c’est-à-dire un renchérissement des coûts salariaux et un affaiblissement de la compétitivité des entreprises. Donc, j’ai la conviction, pour ma part, que non seulement cela ne créera pas d’emplois, mais que cela en détruira. Et encore heureux si cela ne détruit pas en plus des entreprises !

Europe 1 : C’est-à-dire que si l’opposition revient un jour majoritaire et s’il n’est pas trop tard, qu’est-ce qu’elle fait de la loi à ce moment-là ?

Philippe Séguin : On verra dans quel état sera ce texte parce que vous avez compris que c’est un processus extrêmement tortueux : dans un premier temps, on pose le principe, on fait des expérimentations avec certains, pas les autres, après on regarde. Que sais-je ?

Europe 1 : Mais au-delà du refus, est-ce que vous avez, vous, une alternative concrète et sérieuse pour réduire le chômage ?

Philippe Séguin : La première des alternatives, c’est de libérer les synergies et de permettre à nos entreprises de se développer et d’être compétitives. Que voulez-vous ! Nous sommes dans un monde qui est caractérisé par un phénomène qu’on appelle la mondialisation, l’ouverture des frontières, l’explosion technologique. Ce n’est pas en conduisant des combats d’arrière-garde qu’on s’adaptera à ce monde-là.

Europe 1 : C’est-à-dire qu’il faut être plus libéral ?

Philippe Séguin : Ne prenons pas des mots qui, tout de suite, créent des clivages.

Europe 1 : Il faut plus de liberté ?

Philippe Séguin : Il faut des libertés effectivement. C’est ce qui se passe dans toute l’Europe. On l’a bien vu au sommet du Luxembourg où nos solutions socialistes étaient considérées avec beaucoup d’étonnement et de commisération par nos partenaires.

Europe 1 : Est-ce que vous souhaitez que le président de la République marque, dans une heure, une heure et demie, ses distances ou sa désapprobation à l’égard de la première loi sur les 35 heures ?

Philippe Séguin : Je crois qu’il a déjà fait comprendre quelles étaient ses réticences devant ces perspectives. Il s’est déjà exprimé à ce sujet. Je pense qu’il parlera à nouveau, n’en déplaise à M. Jospin puisque je crois me souvenir qu’après les déclarations du président de la République le 14 juillet M. Jospin avait dit que le président de la République avait le droit de s’exprimer en tant qu’homme politique mais pas en tant que président.

Europe 1 : Alors au journal Le Monde, vous avez condamné la cohabitation.

Philippe Séguin : Je n’ai pas condamné la cohabitation, j’ai dit ce que tout le monde pense.

Europe 1 : Non, vous avez remarqué que deux tiers des Français l’apprécient d’après un sondage, qui sort aujourd’hui, BVA-Paris Match.

Philippe Séguin : J’ai dit ce que tout le monde pense, c’est-à-dire que cela n’est pas un bon régime. Si c’était un bon régime, d’abord, il y aurait des propositions de loi constitutionnelles pour rendre obligatoire la cohabitation et il n’y aurait pas toute cette agitation chez les uns et chez les autres pour une réforme constitutionnelle visant précisément à l’empêcher. Pourquoi les Français...

Europe 1 : Je crois qu’ils pensent que c’est l’union nationale alors que vous, vous pensez que c’est la baisse de l’union nationale.

Philippe Séguin : Certains d’entre eux croient que c’est l’union nationale et d’autres, par ailleurs, ne croient plus à la capacité de la politique de peser sur le cours des choses et, du coup, ils se satisfont d’un régime dont ils savent pertinemment qu’il organise la neutralisation de chacun des partenaires.

Europe 1 : Vous avez dit : « l’exécutif n’a pas deux têtes. » C’est un peu logique. Donc il y en a une de trop.

Philippe Séguin : Je vous remercie de m’en donner acte parce que ce n’est pas exactement la théorie de M. Jospin. Moi, ce que j’ai voulu dire en parlant de la cohabitation, c’est que ce n’est pas un système satisfaisant. Jusqu’à présent, c’était un système transitoire. Aujourd’hui, ce n’est pas un système transitoire, c’est un système de droit commun, puisque, théoriquement, celle-ci pourrait durer cinq ans. Alors, je prends acte de cette situation et je dis qu’il faut être d’autant plus attentif à respecter l’esprit et la lettre de la Constitution. Or notre Constitution n’organise pas un régime consulaire. Or j’ai eu le sentiment – notamment en l’entendant au congrès de Brest – qu’au-delà de la mauvaise plaisanterie qu’il a cru pouvoir faire, M. Jospin a cherché à chercher à développer une théorie des deux têtes de l’exécutif, d’un bicéphalisme, de deux consuls, en quelque sorte, à la romaine, mis l’un et l’autre sur le même pied. C’est une thèse, une orientation que je récuse formellement. C’est ce que j’ai voulu dire.

Europe 1 : Aujourd’hui, la fonction présidentielle, est-ce qu’elle vous semble s ‘affaiblir en ce moment ?

Philippe Séguin : Ce que je veux dire, c’est que le souhait visible du Premier ministre serait d’affaiblir la fonction présidentielle et, nous, notre première tâche en tant qu’opposition, et en particulier au Rassemblement, c’est de défendre les institutions et de défendre l’institution présidentielle.

Europe 1 : Je ne veux pas vous énerver ou vous choquer mais beaucoup de gens estiment que, en fait, vous vous en prenez à Chirac.

Philippe Séguin : Cela est un rideau de fumée organisé par quelques seconds couteaux du PS. Je ne suis d’ailleurs pas très flatté qu’on m’ait envoyé ceux-là.

Europe 1 : La dissolution, c’est quand même Jacques Chirac qui l’a décidé et d’autre part c’est lui qui accepte de cohabiter. Est-ce qu’il a une autre solution ?

Philippe Séguin : Ce sont les institutions. Ce n’est pas parce qu’une situation est inévitable que c’est une bonne situation. Allez voir à l’étranger ce qu’on pense de cette situation et du fait que la France ne parle pas toujours d’une même voix.

Europe 1 : Pour en finir avec ce système qui est détestable, qu’est-ce qu’il y a comme choix ?

Philippe Séguin : C’était la deuxième raison de mon intervention sur ce point, c’est que je dis à ceux qui pensent qu’on peut en sortir par une réforme constitutionnelle : attention, parce que le choix est simple, si vous voulez organiser la simultanéité des élections présidentielles et des élections législatives, d’une façon ou d’une autre, vous entrez dans un régime à l’américaine. Sommes-nous prêts à un régime à l’américaine ? Je ne pense pas. Alors dans l’immédiat, il faut prendre son mal en patience et d’autre part, il faut recréer, pour demain, les conditions d’une saine application des institutions actuelles.

Europe 1 : Cela ne veut pas dire que le président de la République devrait dissoudre dès qu’il le pourra, en juin ?

Philippe Séguin : Cela, c’est une décision qui n’appartient qu’à lui.

Europe 1 : Est-ce que cela veut dire qu’il doit démissionner et se représenter, par exemple ?

Philippe Séguin : C’est une décision qui n’appartient qu’à lui.

Europe 1 : À quoi sert de dénoncer la cohabitation si on ne donne pas les chemins de la sortie ?

Philippe Séguin : Si je ne respectais pas les institutions, vous seriez le premier à me mettre en contradiction avec moi-même et d’autre part, moi, j’ai dit cela de manière incidente, dans un développement qui était consacré pour l’essentiel à une critique des initiatives socialistes et dont les socialistes, gênés par mes critiques, ont cherché à tirer des phrases de leur contexte.

Europe 1 : Bruno Mégret a dit, ici même, à la place que vous occupez, la tactique du FN à l’égard du RPR et de l’UDF.

Philippe Séguin : Cela ne m’a pas échappé.

Europe 1 : C’est la carotte et le bâton : vous avez entendu cela ? Vous répétez quelquefois qu’il ne faut pas diaboliser le FN. Depuis, ils se sont mis à rêver que vous pourriez parler et ouvrir des accords.

Philippe Séguin : Enfin, écoutez, qui s’agit-il de ne pas diaboliser ? Les électeurs du FN, parce que les électeurs du FN, par définition, nous souhaitons que demain ils votent pour nous, parce que je ne connais pas d’autre moyen de réduire le FN que de faire évoluer le vote de leurs électeurs. Je lis dans des hebdomadaires très huppés que c’est très mal de penser cela. Mais moi, à part l’interdiction aux gens d’aller voter, je ne vois pas d’autre solution.

Europe 1 : Donc ni alliance, ni accord, rien ?

Philippe Séguin : Comment voudriez-vous que l’on fasse une alliance avec des gens dont l’objectif avéré est de nous éliminer de la vie politique ? Parce que M. Mégret, au-delà de cette boutade, si j’ose dire, qu’est-ce qu’il a vous dit ? Il vous a dit que son objectif était de nous marginaliser, son objectif était de nous éliminer de la vie politique. Ce qui est exactement l’objectif du Parti socialiste. Le PS et le FN ont partie liée, ils ont exactement les mêmes buts. D’ailleurs, M. Le Pen et M. Mégret ne s’en cachent pas. Et M. Jospin, dans son droit à l’inventaire, fait au moins une exception : il reprend bien volontiers la stratégie qui était celle de M. Mitterrand, faire monter le Front national pour affaiblir l’opposition. Dans ces conditions, aux prochaines élections par exemple régionales, aux prochaines élections cantonales, nous défendrons nos positions, nos couleurs contre les socialistes et contre le FN.

Europe 1 : Il y aura une attitude commune RPR-UDF ?

Philippe Séguin : Écoutez, moi, je parle pour le Rassemblement et nous discuterons avec l’UDF le moment venu.

Europe 1 : Quel délai vous vous donnez pour réussir, si vous réussissez.

Philippe Séguin : Notre effort de rénovation connaitra son point culminant les 30 et 31 janvier prochains avec nos assises nationales. Nous aurons un nouveau projet, nous aurons une nouvelle organisation et nous serons en ordre de bataille pour les élections régionales et cantonales, et croyez-moi, ni les socialistes ni le Front national ne seront déçus.

Europe 1 : Au service de Chirac ?

Philippe Séguin : Mais cela va de soi. Il est notre référence, il est celui qui a créé notre mouvement et il est celui que nous soutenons.

 

Date : vendredi 19 décembre 1997
Source : RTL

RTL : Treize jours de débats à l’Assemblée nationale sur l’immigration, querelles à l’Assemblée nationale et au Sénat sur une proposition de référendum concernant la nationalité, que cherche l’opposition ? À bloquer le Gouvernement par tous les moyens, y compris des moyens de procédure ?

Philippe Séguin : Écoutez, le Gouvernement récolte ce qu’il a semé. Ce gouvernement se comporte avec le Parlement comme un soudard avec une fille d’auberge.

RTL : Quand même, vous n’avez rien d’une fille d’auberge. Pardonnez-moi, mais… !

Philippe Séguin : Mais le Gouvernement a tout d’un soudard dans le cas de l’espèce. Enfin écoutez, soyons sérieux : sur les sept derniers textes, six sont affectés de la procédure d’urgence, c’est-à-dire une lecture dans chaque Assemblée. On nie le bicamérisme, il faut comprendre le Sénat ; il existe un Sénat, il existe deux chambres, c’est comme ça, ce sont les institutions. Décidément, M. Jospin n’aime pas nos institutions, il n’aime pas les appliquer. Il y a deux chambres, pourquoi ? Parce qu’on a souhaité qu’une France ne légifère pas contre l’autre. Or, c’est exactement ce qui est en train de se passer. On a souhaité que les deux chambres dialoguent Or, il n’y a plus de dialogue entre les deux chambres, de même qu’il n’y a plus de véritable dialogue entre le Gouvernement, la majorité d’une part, l’opposition d’autre part.

RTL : Treize jours, tout de même, on ne peut pas dire qu’on vous ait empêché de vous exprimer ?!

Philippe Séguin : Quand vous voulez passer en force, quand vous voulez aller vite, quand vous considérez que tout ce qui est parlementaire n’est que rites inutiles, forcément, ça met plus de temps. Et la majorité n’est pas mieux traitée. La majorité est aussi condamnée à se taire. Il fut un temps où l’on pouvait dire que les députés socialistes devaient se contenter d’être en séance pour lever le bras, maintenant ça n’est même plus le cas parce qu’on ne vote plus. On ne vote plus en séance. Alors, il ne faut pas s’étonner…

RTL : Le Gouvernement n’a pas fait appel au 49.3 ?

Philippe Séguin : ... Il ne faut pas s’étonner, comme l’a relevé M. Chevènement, que les députés socialistes ou bien ne viennent plus à l’Assemblée, ce qui permet à l’opposition de remporter des succès dans l’hémicycle, ou bien, lorsqu’ils sont à l’Assemblée, passent leur temps à la buvette.

RTL : Est-ce que, sur le fond, vous étiez pour le référendum sur la nationalité ?

Philippe Séguin : En tout état de cause, lorsque le Sénat, lorsque la deuxième chambre du pays fait une telle proposition, on n’a pas le droit de la traiter comme on l’a traitée hier. Convocation précipitée de la commission des lois, examen rapide pour en finir en l’espace de quelques dizaines de minutes, tout ça n’est pas du tout convenable. Il y a un Parlement, les droits de ce Parlement doivent être respectés. Vous savez, la différence entre la démocratie et la non-démocratie, c’est l’existence d’un Parlement, et plus précisément d’un Parlement libre, c’est-à-dire d’un Parlement où il y a une opposition. Et c’est de la manière dont est traitée une opposition dans un Parlement que l’on juge la qualité d’une démocratie.

RTL : À vous entendre, on a l’impression qu’on est presque entré en dictature ?

Philippe Séguin : Je ne dis pas qu’on est entré en dictature, je dis qu’il faut arrêter une dérive qui est tout à fait préoccupante. Regardez aussi la façon dont sont organisés les travaux de l’Assemblée nationale. On est en train de violer l’esprit de la réforme constitutionnelle de 1995. L’Assemblée siège sans désemparer, elle y passe des nuits, comment voulez-vous d’abord que les ministres ne soient pas fatigués ? Comment voulez-vous qu’il n’y ait pas des dérapages lorsqu’on passe des heures et des heures, nuit et jour, à légiférer, dans des conditions qui sont absolument innommables ? Ça n’est pas du tout comme ça que le Parlement doit fonctionner. Et il faut revenir à une saine appréciation des choses et une bonne application de la réforme constitutionnelle de 1995 et un bon respect des droits du Parlement, un bon respect des droits de l’opposition. Et ensuite, les choses iront très bien.

RTL : Est-ce que vous considérez tout de même que c’était mieux lorsque le Gouvernement précédent faisait voter ou même ne faisait plus du tout voter l’Assemblée en recourant au 49.3 ?

Philippe Séguin : C’était incontestablement beaucoup mieux parce que je n’aurais jamais accepté, comme président de l’Assemblée nationale, que le Gouvernement traite l’Assemblée nationale et le Sénat comme il les traite aujourd’hui. Ça, je puis vous le dire, je ne l’aurais jamais accepté. Je ne l’ai d’ailleurs jamais accepté.

RTL : Mais enfin, avec le 49.3, les députés n’avaient plus voix au chapitre ?

Philippe Séguin : Mais enfin, le 49.3 n’a été utilisé que de manière rarissime. Et vous croyez que c’est une bonne façon de légiférer ? Regardez toutes les bêtises qu’a pu sortir M. Chevènement pendant ce débat. C’est normal, il est épuisé. Il faut s’organiser différemment, il faut arrêter de travailler jusqu’à 5 heures du matin. Enfin, tout cela est absolument irréel.

RTL : Vous semblez un peu dopé en ce moment, est-ce que vous ressentez une sorte de fin d’état de grâce du gouvernement Jospin ?

Philippe Séguin : Dopé ?! Non mais enfin, écoutez, je rêve là. J’ai entendu également sur votre antenne que l’opposition reprenait ses esprits. Mais on n’a jamais perdu nos esprits ! Nous faisons une remontée en puissance progressive, comme je l’ai toujours dit. Ce n’est pas huit jours après notre défaite électorale que nous allions reprendre le pouvoir ! Il fallait que nous fassions un retour…

RTL : Mais ça va moins bien pour le Gouvernement maintenant, à votre avis ?

Philippe Séguin : Il fallait que nous fassions un retour sur nous-mêmes, que nous nous réorganisions, c’est en bonne voie et puis, progressivement, le dialogue démocratique reprend. Et le Gouvernement dévoile ses batteries, démontre son dogmatisme, présente ses propositions et les Français, je crois, sont de plus en plus nombreux – c’est là le fait essentiel, en vérité – à considérer que ces orientations ne sont pas bonnes. Il y a actuellement, disons, encore une différence entre l’image que conservent ce gouvernement et le Premier ministre, et d’autre part l’accueil qui est réservé aux initiatives qu’il prend.

RTL : Vous reprochez régulièrement aux socialistes de promouvoir le Front national pour piéger la droite mais vous, en prolongeant les débats sur l’immigration, est-ce que vous n’êtes pas en train d’amener le Front national sur un tapis rouge jusqu’aux régionales ?

Philippe Séguin : Mais enfin, écoutez, il y a au moins quelque chose dans l’héritage de M. Mitterrand sur lequel M. Jospin n’a pas fait jouer le droit d’inventaire, c’est bien la façon d’utiliser le Front national ! Ne me dites pas qu’il y avait urgence dans ce pays – dans la situation où il est, avec le nombre de chômeurs qu’il a – qu’il y avait urgence en particulier à réformer le droit de la nationalité ou à réformer le droit de l’immigration. Il n’y avait strictement aucune nécessité…

RTL : Et en faisant durer le plaisir ?

Philippe Séguin : Mais ce n’est pas nous qui faisons durer le plaisir, c’est cette organisation absurde, et le fait que nous sommes condamnés, en raison de la procédure d’urgence, il faut bien le comprendre, à une seule lecture dans chaque Assemblée. Il n’y a plus cette navette normale qui est prévue par nos institutions. L’urgence, normalement, ne doit être que l’exception, aujourd’hui elle devient la règle. Bien sûr qu’il y a une volonté délibérée de faire monter le Front national, parce que c’est la seule manière, pour le Parti socialiste qui est minoritaire dans ce pays, d’exercer le gouvernement.

RTL : Vous êtes un opposant affirmé…

Philippe Séguin : Je suis heureux que vous l’ayez compris !

RTL : On vient de l’entendre. Vous allez, au cours des assises du RPR du 31 janvier prochain…

Philippe Séguin : 31 janvier et 1er février.

RTL : Vous allez changer de nom, le Rassemblement pour la République va devenir le Rassemblement, mais s’il n’est plus pour la République, c’est pour rassembler qui et pourquoi ?

Philippe Séguin : Attendez, attendez, je ne sais pas où vous êtes allé chercher ça. Nous sommes un mouvement démocratique, plus démocratique que jamais. Rien n’a encore été décidé.

RTL : Ah bon, le changement de nom n’est pas acquis ?

Philippe Séguin : Rien n’a encore été décidé. Cela étant, si nous changeons de nom, si nos militants, nos adhérents décident de changer de nom, il ne faut pas reprendre la propagande socialiste. Est-ce que, lorsque le Parti socialiste a cessé de s’appeler Section française de l’internationale ouvrière, il a tracé un trait sur les affaires étrangères ou il a négligé les ouvriers ? Et M. Chevènement, qui est si prolixe à cet égard, pourquoi n’a-t-il pas mis la République dans le nom de la secte qu’il a constituée, le Mouvement des Citoyens, si je ne m’abuse ?

RTL : Vous êtes en forme ce matin. Dominique Strauss-Kahn vous a repris de volée, dans un article dans Le Monde, sur la cohabitation… ?

Philippe Séguin : Si ça, c’est une reprise de volée, il a mis le ballon à côté !

RTL : Il vous a dit : « dites donc, M. Séguin, le Premier ministre n’est pas responsable devant le président de la République mais devant l’Assemblée nationale ?

Philippe Séguin : Eh bien écoutez, je renvoie M. Jospin à la Constitution, le président de la République est élu au suffrage universel. Et comment est nommé le Premier ministre ? Le Premier ministre est nommé par le président de la République. Vous voyez qu’il y a une différence de nature…

RTL : En tenant compte du suffrage universel.

Philippe Séguin : Il y a une différence de nature qui montre qu’il y a de la hiérarchie dans nos institutions. La seule chose que nous demandons en matière de pratique de la cohabitation, c’est que les socialistes s’en tiennent à la répartition des compétences, des prérogatives de l’exercice des responsabilités qui était celle qui a prévalu sous les deux cohabitations précédentes. Ni plus ni moins.

RTL : Dominique Strauss-Kahn vous traite de conservateur bougon, vous n’êtes pas conservateur ?

Philippe Séguin : Je ne suis ni conservateur ni bougon ! Et je ne suis absolument pas turlupiné, pour reprendre son expression favorite ! Enfin, soyons sérieux, où est le conservatisme sinon chez les socialistes qui, face à la mondialisation, ne veulent pas que la France bouge. Il est là le conservatisme !

RTL : Et bougon, jamais ?