Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, à France 2 le 26 août 1999, sur la réduction du temps de travail, la politique fiscale du Gouvernement et la réforme des retraites.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Q - C'est la rentrée politique et sociale. Les dissensions dans la gauche plurielle, ces derniers jours, ça vous fait réagir ? Vous êtes plutôt indifférent ? Ça vous fait sourire ?

- « Ça me fait sourire si ça n'avait qu'une importante relative. Or ça a une importance assez grande car, derrière tout ça, se posent de véritables problèmes. L'avenir du nucléaire en France c'est un véritable problème, ce ne sont pas simplement des rapports entre partis politiques et influence de ceux-ci. C'est : est-ce que la France persiste dans le progrès et la modernité ou est-ce qu'on arrête les choses ? C'est un vrai débat. Je regarde ça avec attention. Je me rappelle qu'avant on extrayait la houille et que ça a donné quelques difficultés et des conséquences notamment du côté des mineurs qui souffraient de maladies incurables. Je pense aussi que l'indépendance de la France c'est aussi sa capacité énergétique. Mais je ne voudrais pas anticiper sur le débat si celui-ci doit avoir lieu. »

Q - Autres débats de cette rentrée au calendrier social très chargé : les 35 heures, la Sécu, les retraites. Les 35 heures, ça va être le grand débat de cette rentrée, notamment avec la seconde loi sur les 35 heures. Vous êtes pour ou contre ?

- « Moi, je suis pour les 35 heures. Je rappelle même qu'en 95, c'est mon organisation qui a demandé la réduction de la durée du travail. Mais qui aurait souhaité la négocier avec le patronat au niveau du CNPF ? C'est M. Gandois qui venait d'être nommé président qui, à l'époque, m'a dit : « On ne peut pas discuter de ce problème, je n'ai pas de mandat des fédérations professionnelles. » Il s'est trouvé qu'il y a eu dissolution et que ce qui était une revendication est devenu en quelque sorte un engagement électoral, une promesse. Je me félicite que Monsieur Jospin ait tenu promesse et que la loi sur la durée légale ait été publiée. Maintenant je fais un constat : les syndicats ont été en position de subsidiarité, nous n'avons pas été maîtres du jeu, la revendication nous l'avons en quelque sorte perdue. Et quand je discute avec les salariés, les trois-quarts du temps maintenant, ils en ont peur. C'est quand même quelque chose de catastrophique quand objectivement on voit que ce qui devait être la satisfaction d'une revendication se transforme et que les salariés disent : « Eh, tes 35 heures ça va avoir comme conséquence de mettre en cause les pauses, de nous faire travailler le samedi, voire le dimanche, etc., l'annualisation, la flexibilité, toute une série de choses ! » Je crois qu'il y a eu là un concours de circonstances, et une volonté militante du Gouvernement qui n'a peut-être pas été appréciée à sa juste valeur. Là, je fais de la diplomatie. »

Q - Et les effets sur l'emploi vous y croyez ?

- « Les effets sur l'emploi je suis beaucoup plus nuancé, parce que j'ai entendu – ça fait même mal au coeur d'être obligé de rappeler ça ! – j'ai entendu, lors des engagements électoraux, dire qu'il y aurait 450 000, 600 000, 700 000, parfois certains disaient 800 000 emplois ainsi créés ! 39 heures devenant 35 ça fait 10 % en moins, 14 millions du secteur privé, ça voulait dire, pourquoi pas 1,4 million créations d'emplois ? Tout ça c'est des rêves d'énarques, c'est de l'idéologie ! La réalité est tout autre, d'ailleurs il y a une donnée objective : c'est que l'évolution des nouvelles technologies est telle, elle est suffisamment rapide, pour justement faire des gains de productivité sans qu'il y ait à embaucher. Alors je n'oppose pas complètement le système, les deux données du problème, sauf qu'il y a un équilibre. Et ceux qui disaient que ça allait créer moult emplois ont rendu un mauvais service en donnant des espoirs à ceux qui demandent un emploi. Et puis la vérité c'est que nous verrons dans le temps. Je ne suis d'ailleurs pas sûr que ça ait un effet aussi important que ça. Mais je crois que c'est plus la croissance qui continue à créer quelques emplois même si, bien entendu, c'est insatisfaisant par rapport aux 2,8 millions chômeurs. Le ministre des Affaires sociales peut dire : « Nous avons créé 100 000 emplois, c'est quand même insatisfaisant par rapport aux 2,8 millions. »

Q - Les fruits de la croissance ont permis de récolter 62 milliards de recettes fiscales supplémentaires. On en fait quoi ?

- « Ecoutez, j'ai déjà prononcé ma revendication. Il semble, quand on regarde les rentrées fiscales, qu'avec notamment la TVA, les rentrées n'ont pas été aussi heureuses qu'on le souhaitait. C'est donc clair : il y a un problème de consommation, il faut redonner un coup de main à la consommation. Est-ce que c'est en baissant la TVA ? Est-ce que c'est en facilitant la négociation en matière salariale ? Je crois qu'il faudra d'ailleurs en matière salariale nous donner un petit peu de respiration parce que justement la deuxième loi sur les 35 heures va bloquer le Smic pendant pratiquement cinq ans, ce qui est relativement grave dans la mesure où le Smic devient maintenant le salaire de référence. Vous savez que j'ai dénoncé à différentes reprises que le champ d'application, le nombre de smicards s'accroît. Et comme le Smic devient l'élément de référence, ça voudrait dire que nous irions vers le salaire d'État. Là, le patronat a une grande responsabilité à prendre. Et puis je voudrais rappeler quand même – parce que j'entends déjà les commentaires – en l'an 2000, nous allons commencer, la taxe professionnelle va être levée. Les patrons réclamaient la levée de la taxe professionnelle en disant : « C'est un frein à l'emploi. » Eh bien ils vont avoir, là, la possibilité de montrer que leurs thèses avaient été fondées et j'espère qu'ils vont embaucher. »

Q - Sur les retraites, on a l'impression que, finalement, on se voile un petit peu la face et qu'on a du mal à mettre tout sur le tapis, entre les syndicats, le Gouvernement, et les patrons ?

- « Entre les syndicats, le Gouvernement et les patrons, on a dit beaucoup de Charpin. Notamment, et ça c'est malheureux, la seule conclusion qu'on a retenue mais qu'il a valorisée, c'était de changer un des paramètres de l'ouverture de la retraite : 42,5 ans. Bon, c'est le tollé ! On est tous contre. C'est d'ailleurs tellement contradictoire avec les problèmes d'emploi et avec ce que nous essayons de faire avec l'Arpe, les départs en préretraite, etc. ! Au passage, je signale que les négociations vont commencer pour l'Unedic et que nous allons essayer de maintenir voire d'améliorer le système existant, y compris l'Arpe.

Mais on regarde bien les choses, nous connaissons quand même le dossier ! Ce dont je suis de plus en plus persuadé, c'est que l'utilisation et la revendication des fonds de pension et des retraites par capitalisation, ça n'est pas du tout pour résoudre le problème des retraites, c'est un problème économique ; c'est tout autre chose, c'est l'épargne populaire, c'est autre chose ; c'est les investisseurs étrangers ; c'est un débat économique ! Par contre, en ce qui concerne les problèmes des retraites proprement dit et surtout la situation des retraités, il faut bien que nous comprenions que si la population vieillit, il faut réaffecter plus d'argent aux vieux. On ne va quand même pas transformer le fait de vivre mieux et plus longtemps – ce qui est quand même l'objectif de tout le monde : moi je ne vis que pour ça, tout le monde devrait vivre que pour ça –, non pas comme une contrainte mais comme une satisfaction. Donc il faudra bien réaffecter un peu plus d'argent. Et nous le pourrons ! Une petite référence pour terminer : le produit intérieur brut, la richesse que nous produisons, varie de 2 % tous les ans. Le gros problème des retraites c'est en 2015, ça veut dire que le PIB sera plus fort de plus de 30 %. C'est plus de 2 500 milliards de recettes supplémentaires en 2015. Ce qui veut dire que ça devrait quand même pouvoir, en affectant une partie, satisfaire la situation des retraités qui est, même en ce moment, pas tout à fait bonne. »