Interview de M. Charles Pasqua, président du RPF, dans "Le Journal du dimanche" du 25 juillet 1999, sur le traité d'Amsterdam, l'élection de Nicole Fontaine à la présidence du Parlement européen, la durée du mandat présidentiel (septennat non renouvelable) et sur les conséquences de la gestion du dossier Corse par Matignon.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Le Journal du Dimanche

Texte intégral

Q - Quelles impressions vous laissent ce premier voyage en Euroland ?

Manifestement, les nouveaux locaux présentent des déficiences. A Bruxelles, le parlement est surdimensionné. A Strasbourg, il est sous-dimensionné : il y a tellement de monde qu'on ne peut pas se déplacer. En-dehors de l'hémicycle ou de son bureau, il n'y a aucun endroit où se poser. C'est aussi une tour de Babel. Avec quinze nationalités différentes et les traductions simultanées, on a l'impression d'assister en permanence à un film mal synchronisé.

Q - Et vos impressions politiques ?
 
Comme président du groupe « Union pour l'Europe des nations », je participe à la conférence des présidents qui met le travail en musique. C'est la même chose qu'au Sénat ou à l'Assemblée nationale ; il y a les gens sérieux et ceux qui interviennent à tort et à travers ; la partie fastidieuse des attributions de postes, les marchandages, etc. Le tout, à l'aide du « système Hondt », c'est-à-dire de l'application de la proportionnelle à la plus forte moyenne ! Là, les nationalités n'ont plus tellement d'importance !

Q - C'est une découverte pour vous ?

Un peu. Et les nationalités sont réparties dans tous les groupes, ce qui rend les choses plus difficiles à cerner.

Q - N'avez vous pas été déchiré, mardi, entre votre objectif affiché, la défense des intérêts de la France, et le vote pour la Française Nicole Fontaine, qui est fédéraliste ?

Ce « déchirement » nous a été épargné. Nous nous sommes abstenus au premier tour, et elle a été élue d'emblée. Je ne sais pas ce que nous aurions fait aux autres tours. Dans mon groupe, les Portugais étaient dans une situation pire : ils m'avaient expliqué que jamais ils n'émettraient de vote contre un Portugais. Mario Suarez était socialiste et fédéraliste… Eux aussi se sont abstenus.

Q - Vous réjouissez-vous quand même de l'élection de Nicole Fontaine ?

Non, par particulièrement, mais tout le monde dit qu'elle a été une bonne vice-présidente et sera une bonne présidente, alors…

Q - Face à la grosse machine « européiste » censée tout broyer, pensez-vous pouvoir influencer la construction européenne ?

La grosse machine voudrait en effet tout écraser, mais elle ne le peut pas. Et ça, c'est une bonne surprise. Jeudi, par exemple, il y a eu le premier vote politique. Théoriquement, le PPE (démocrate chrétien) et leurs associés libéraux ont la majorité relative. Le PPE a voulu présenter une résolution pour soutenir ce qui avait été fait en juin, au sommet de Cologne, un sommet que présidait, je le souligne, le chancelier Schröder, socialiste allemand. Nous pensions que des concessions inadmissibles avaient été alors consenties aux Américains pour les futures négociations sur l'organisation internationale du commerce. Que s'est-il passé ? Le PC, le PS, les Verts et nous-mêmes avons réussi à créer, à la surprise générale, une majorité pour repousser cette résolution du PPE soi-disant majoritaire. Une vraie salade russe ! Plutôt amusant. Les jeux ne sont pas faits d'avance. Si on effectue les bons choix au bon moment, oui, nous pourrons freiner les évolutions néfastes.

Q - Ce parlement vous plaît beaucoup, vous paraissez très content…

N'exagérons rien ! Mais tout est beaucoup plus ouvert qu'on le dit. Rien ne paraît impossible. D'autant que tout le monde est décidé à exercer pleinement le contrôle sur la commission de Bruxelles, le nouveau pouvoir de codécision conféré par le traité d'Amsterdam. Le parlement sera très exigeant. C'est bien.

Q - Ce traité n'était donc pas si mauvais !

Nous verrons bien si nous pouvons en limiter les nuisances. Notre pouvoir de persuasion – lié au sérieux, à la compétence, je dirais au « professionnalisme »  – peut se révéler efficace. Si la palabre devait l'emporter, nous remettrions en cause la nécessité de notre présence là-bas.

Q - Quels sont les vrais clivages « là-bas » ?

Certains essaient de susciter des votes droite-gauche, mais ils n'y arrivent pas. Ce clivage n'est pas déterminant. Comme en France, il est même totalement dépassé.

Q - Maintenez-vous que le RPF n'est pas à droite ?

La seule question qui vaille aujourd'hui est la suivante : le système économique mondialisé est-il compatible avec la République, avec la souveraineté nationale ? A la rentrée, à Lens, le RPF organise un grand forum sur le sujet.

Q - Et si la réponse est négative ?

Les Français se détermineront lors des échéances électorales. En démocratie, il faut débattre. Moi, je ne vois pas de différence entre la politique actuelle et celle des gouvernements précédents, entre une politique de droite et une politique de gauche. Il y a ceux qui pensent qu'il faut accepter le développement économique à tout prix, la pression des marchés, et il y a ceux qui pensent qu'il y a toujours une place pour la volonté, celle des individus et celle des Etats.

Q - Allez-vous exploiter à la rentrée la pièce de Robert Hossein sur de Gaulle, « celui qui dit non » ?

Certes, elle tombe bien mais, précisément, ce n'est pas la peine d'en rajouter. Les « Amis de Jacques Chirac » ont, eux, réservé une soirée. C'est bien, cela peut leur donner des idées.

Q - Dans le débat quinquennat-septennat, que dites-vous ?

J'ai dit ma préférence pour le septennat non renouvelable. Mais si je le répétais aujourd'hui, on croirait que je pense que Chirac ne doit pas se représenter. Or ce n'est pas le problème. Ce qui est sûr, c'est qu'il y aura un candidat de notre courant à la prochaine présidentielle. Si Chirac voulait l'incarner, il aurait du chemin à faire, mais je crois que nous n'aurons pas de difficulté à trouver en notre sein un bon candidat.

Q - Où partez-vous en vacances ?

J'hésite entre la Provence, les montagnes suisses, bonnes pour ma santé, et la Corse où je retrouve mes vieux amis ainsi que la mer. Mais je n'irai pas « Chez Francis » grossir la foule des badauds.

Q - Jospin a-t-il bien géré le dossier corse ?

Non. Mais Matignon suivait déjà directement ce dossier sous Alain Juppé, qui en avait déchargé le ministre de l'Intérieur, Jean-Louis Debré. C'est une erreur monumentale que de faire suivre ces affaires par des membres de cabinets ministériels. C'est à ce niveau qu'il faut rechercher les dérapages.