Texte intégral
France Inter : Pourquoi cet acharnement à vouloir conclure un accord à l'amiable, alors que syndicats et patronat – certains sans trop le dire – vous auraient volontiers refilé le mistigri ?
M. Giraud : Quand les temps sont durs, il est préférable de chercher à partager les responsabilités. Quand il s'agit des chômeurs, de leur indemnisation, la solidarité doit se manifester là plus qu’ailleurs. Quand on est attaché à une démocratie sociale, on est attaché à l'exercice du partenariat. L'assurance chômage est un régime paritaire. Il était souhaitable que le gouvernement s'attache à préserver ce régime.
France Inter : Est-ce que cela pourra durer ?
M. Giraud : C'est tout l'enjeu de cette négociation. Je n'ai pas voulu d'une négociation à bon compte pour essayer de gagner un peu de temps. C'est ce qui nous a conduit à chercher une solution étalée dans le temps – 10 ans pour faire en sorte que sur cette période, on rembourse les dettes 40 milliards – et on assure l'équilibre du régime. C'est la raison pour laquelle nous avons choisi 10 ans et envisagé un complément de ressources de 30 milliards de francs par an pendant 10 ans.
France Inter : Sur quoi la part de l'État sera-t-elle prélevée ?
M. Giraud : Il ne s'agit pas de le savoir. Pour le moment, il n'y a pas d'impôt ou de taxe affectée. Elle sera prélevée sur le budget de l'État. Si j'ai tenu à dire d'entrée de jeu que l'État était prêt, au nom de la solidarité, à faire le tiers de l'effort, c'est pour encourager les autres partenaires sociaux à faire les deux autres tiers. Le point d'arrivée, chaque partenaire le reconnaît, c'est une point d'équilibre : chacun a fait un tiers du chemin.
France Inter : On note une augmentation de la cotisation salariée de 0,35 % pour quelles catégories ?
M. Giraud : L'ensemble des salariés. Les entreprises prendront à leur compte 0,55 %. Au total, on a 0,9 %. Pour les salariés, cet effort représente 6 milliards de francs auxquels s'ajoutent les 4,5 milliards d'économies sur le régime.
France Inter : Qui va trinquer ?
M. Giraud : L'ensemble des salariés, et l'ensemble des entreprises, pour ce qui est des entreprises.
France Inter : Les chômeurs voient leurs indemnités écornées.
M. Giraud : Oui, mais peu. C'était la volonté de tous les partenaires.
France Inter : Vous avez choisi de ne pas réduire la durée d'indemnisation, mais l'indemnisation à taux plein sera moins longue. Est-ce parce que vous pensez qu'actuellement les indemnités chômage pratiquées n'incitent pas à rechercher du travail ?
M. Giraud : Nous avons un système d'assurance-chômage plutôt favorable par rapport à ce qu'on trouve dans les pays voisins. C'était facile d'avoir un régime confortable quand il y avait peu de chômeurs. Cela devient beaucoup plus difficile quand le nombre d'actifs commence à diminuer et que celui des chômeurs commence à augmenter. Quoi qu'il en soit, il était bon que chacun fasse un effort. En ce qui concerne l'assurance-chômage, sans remettre en cause les dispositions courageusement prises par les partenaires en juillet 1992, il était nécessaire que l'on procède à un ajustement.
France Inter : N'est-ce pas s'attaquer aux acquis sociaux ?
M. Giraud : Non. Sur 30 milliards par an, la part assurée par les prestations est de 4,5 milliards. C'est la petite part.
France Inter : On a l'impression que vous retirez de l'autre main aux entreprises ce que vous leur aviez accordé en les allégeant des allocations familiales.
M. Giraud : Les mesures prises par le gouvernement sont de nature à alléger le coût du travail par la budgétisation des allocations familiales, par la relance de certains secteurs. La budgétisation des allocations familiales est la première étape d'un processus d'allégement étalé dans le temps : les cotisations d'allocations familiales représentent 150 milliards à la charge des entreprises. Nous venons de décider d'une première tranche de 10 milliards. Les tranches vont se succéder. Au bout du compte, ce sont 5,4 % des charges des entreprises qui se trouveront soustraites du coût global du travail. Pour le moment, l'État s'engage dans un processus qui devrait favoriser le retour à une meilleure fortune des entreprises. Aujourd'hui, il y a un effort de solidarité consenti par les entreprises. C'est dans l'ordre des choses. Il faut savoir conjuguer le souci de la liberté, de la croissance et de la solidarité.
France Inter : R. Monory a formulé un certain nombre de propositions et de critiques.
M. Giraud : Le débat politique est un débat de propositions et de critiques. À partir du moment où les taux de croissance sont faibles, voire négatifs, on ne peut pas imaginer des taux de croissance autres que des taux réduits. Ils ne permettront pas de créer de l'emploi à la hauteur de la demande. Dès lors, il faut faire preuve d'imagination et de solidarité. Cela pose le problème des emplois de service, trop rapidement supprimés…
France Inter : Les petits boulots ?
M. Giraud : Je n'en parle jamais. Un emploi de service, c'est un vrai métier. Si dans le projet de loi quinquennal en cours d'élaboration, je veille à conjuguer trois volets : le volet création d'emplois, le volet organisation du travail et le volet formation professionnelle, c'est parce qu'il faut réhabiliter le métier et trouver de nouvelles poches de métiers. Pour ce faire, il faut que la formation en alternance et l'apprentissage retrouvent toute leur noblesse.
France Inter : Le Nouvel Obs a interrogé une trentaine de députés pour classer les ministres. Vous êtes bon dernier. Ce jugement corrobore-t-il la rumeur selon laquelle vous préférez la présidence de région au ministère ?
M. Giraud : Je n'attache pas une grande importance à ce type de sondages. C'est peut-être l'effet second du fait que l'emploi est la préoccupation majeure et le sujet d'impatience. Quand il y a un formidable sujet d'impatience unique, il est un peu normal que celui qui assume la responsabilité affichée de ministre de l'Emploi soit l'objet de l'impatience de ses propres amis.
France Inter : Et la rumeur dont je vous ai parlé ?
M. Giraud : Mon choix a été fait. E. Balladur m'a convié à participer à son gouvernement. J'en éprouve honneur et fierté. Pour autant, je suis président du conseil régional, je le reste et j'assume la fonction.