Interviews de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, dans "Le Progrès" le 23 juillet 1999, "Le Monde" et " Ouest-France" le 24, sur les nouveaux contrats de plan Etat -régions, la progression du budget consacré au chemin de fer et la notion de développement durable.

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Intervenant(s) : 

Média : Emission la politique de la France dans le monde - La Tribune Le Progrès - Le Monde - Le Progrès - Ouest France

Texte intégral

Le Progrès - Vendredi 23 juillet 1999

Q - 105 milliards, ce n'est pas assez, critique les présidents de Région…

« C'est jamais assez ! Mais on peut le comparer aux contrats du passé : une annonce ronflante, qui se révèle pour l'essentiel une émission de fausse monnaie… Moi je souhaite des contrats de plan de vérité, de respect des partenaires. Nous présenterons demain une première enveloppe de 95 milliards, qui garantit à chacune des régions au moins la reconduction de ce qu'elle avait par le passé. »

Q - Autres critiques : vous oubliez les routes…

« On a très longtemps considéré que la construction de routes tenait lieu de stratégie de développement. Aujourd'hui, on se rend compte qu'un projet d'infrastructures doit être mise en perspective, dans le cadre d'une stratégie globale, pour ne réaliser que les infrastructures utiles. »

Q - Les élus locaux ne sont-ils pas les mieux placés pour juger de l'utilité ?

« Je n'en suis pas sûre, car je n'ai jamais connu d'élu local me disant que telle route était inutile : c'est tellement plus commode de réclamer des routes que de monter un vrai projet de développement. Il faut noter également l'effort très significatif en faveur du rail, avec par exemple la mise au gabarit « B + » de la ligne Strasbourg-Lyon ou la modernisation de la ligne Dijon-Modane. »

Q - Vous ne craignez pas que certaines régions refusent leur signature ?

« On n'en est pas encore là ! Contrairement au passé, il y a dans ce contrat de plan une marge réelle de négociation. Dès la première enveloppe présentée vendredi, et plus encore dans la deuxième, sorte de « poire pour la soif régionale » qui permettra de financer des projets plus particuliers des régions. L'ensemble des projets seront évalués en fonction de leur contribution à la création d'emplois, à la solidarité sociale et territoriale, et au développement durable. Si nous n'arrivons pas à nous mettre d'accord, chacun assumera ses responsabilités. Mais qui se risquerait à des gestes politiciens serait sévèrement jugé par les citoyens. »

Q - Et avec les présidents de régions Bourgogne, Languedoc-Roussillon et Picardie ?

« Je n'ai pas et je n'entends pas avoir de relations avec ces présidents. Par contre, je n'entends pas punir les populations qui n'ont pas fait le choix d'avoir des présidents élus grâce au Front national. Les préfets auront des consignes de vigilance sur la nature des projets, et nous nous comporterons de manière républicaine. »

Q - Comment justifier que des régions réputées riches, comme l'Île-de-France ou Rhône-Alpes, bénéficie d'un rattrapage financier ?

« La solidarité ne doit pas jouer qu'au niveau de l'État, les budgets des régions, des départements et des communes doivent aussi être soucieux de redistribution des richesses. Mais je constate qu'il existe de grandes disparités à l'intérieur des régions que vous citez, il est normal que l'État assume sa part et aide les régions à réduire ces disparités. »

Q - Vous êtes en faveur de la décentralisation, mais le Président peut mettre le Gouvernement en défaut de volonté sur ce point…

« Ne comptez pas sur moi pour agresser le président de la République. Je veux simplement rappeler que la décentralisation a été voulue par la Gauche et combattue par la Droite, et je considère comme une victoire culturelle que personne ne la conteste plus aujourd'hui. Il faut maintenant clarifier les rôles et les compétences, et démocratiser les institutions. »

Q - Quel sera le sort de nos régions dans ses contrats ?

« Rhône-Alpes bénéficiera d'un premier rattrapage dans la première enveloppe, tandis que la Franche-Comté, la Bourgogne et l'Auvergne enregistrent pour l'essentiel d'une reconduction de leurs crédits. Au-delà, la Franche-Comté et la Bourgogne bénéficient d'une attention exceptionnelle, non parce que je suis franc-comtoise, mais parce qu'elles ont vécu très longtemps sous la menace du canal Rhin-Rhône, qui n'a guère nourri de projets de développement. À côté et en plus du contrat de plan est donc mis en place le projet de territoire Saône-Rhin, qui prévoit par exemple plus de 400 millions de francs pour le seul volet des transports. »


Le Monde : 24 juillet 1999

Q - « Qu'est-ce qui différencie ce contrat de plan État-Régions des trois précédents ?

– Contrairement à ce qui s'est fait dans le passé, nous avons souhaité que ce plan soit signé à l'issue d'une réelle procédure de concertation. Dès juillet 1998, nous avons indiqué les lignes de force de ces contrats : priorité à l'emploi, la solidarité sociale et au développement durable. Il s'agit de lire chaque projet à l'aune de ces trois éléments, indicateurs de leur qualité. C'est un vrai changement de tonalité.

Q - Ce concept de développement durable exige de passer un projet à travers une longue liste de critères de précaution. Ne courez-vous pas le risque d'inventer une usine à gaz ?

– La circulaire que j'ai adressée aux préfets constitue une invitation à réfléchir qualitativement à l'utilité d'un projet, de se poser la question de l'adéquation entre les besoins identifiés sur le terrain et l'offre de services de l'équipement envisagé. Pour prendre un exemple, on ne propose pas le même projet routier selon qu'il s'agit de desservir un fond de vallée isolée ou le transit international des poids-lourds. Le développement durable, c'est simplement choisir le meilleur rapport coût-bénéfice.

Cette manière de raisonner est née de l'insatisfaction quant à la médiocre évaluation des résultats des trois premières générations de contrats. On était capable de connaître le montant de consommation des crédits, mais incapable de dire si la belle route réalisée avait effectivement permis de greffer du développement, d'installer des entreprises, de fixer des populations, d'alléger d'autres axes.

Nous travaillons dans un contexte économique et budgétaire qui reste contraint. Comment arbitrer entre les projets si ce n'est sur la base d'éléments objectifs : satisfaction des besoins de la population, maîtrise des fonds publics, maîtrise de l'impact environnemental ?

Q – Dans la répartition globale des enveloppes, les routes restent le premier budget, avec plus de 20 milliards de francs. Certes il y a une baisse sensible. Si le chemin de fer progresse, l'enveloppe ne se monte qu'à 3,5 milliards. En masse, le renversement de tendance que vous prônez reste encore symbolique.

– D'abord, je le répète, je ne suis pas anti route. Mais je constate que, très souvent, l'unanimité locale se fait autour de projets routiers qui tiennent lieu de projet de développement du territoire. La route, doit, de mon point de vue, être perçue comme un des éléments de développement.

Le rééquilibrage entre rail et route est certes modeste. Mais les choix passés d'équiper des itinéraires par tranches nous condamnent à terminer certains aménagements. Quant à l'enveloppe pour le rail, elle n'intègre pas des grands équipements, comme les TGV ou la modernisation de la ligne Paris-Orléans-Toulouse. Aussi, quelques mois après la tragédie du tunnel du Mont-Blanc, la décision de moderniser la desserte ferroviaire entre Dijon et Modane me paraît être un choix concret, par un discours d'intention.

Q – Le dernier recensement a confirmé que 80 % de la population vit dans des zones urbaines et péri-urbaines. Peut-on envisager l'aménagement du territoire de la même manière avec cette réalité ?

– On oscille toujours entre deux attitudes. La première consiste à dire qu'une partie de la population vit encore dans des zones rurales en voie de désertification et que, pour enrayer ce phénomène, il faut prendre des mesures de discrimination positive. L'autre attitude considère qu'il faut intervenir dans les zones de dynamisme naturel pour résorber les conséquences délétères du « mal-développement », notamment dans les quartiers lésés.

Pour moi, la crise des quartiers et la crise des cantons ruraux sont les deux facettes d'un même problème : l'inégalité phénoménale dans la répartition des richesses entre les territoires et entre les classes sociales. L'action publique doit être tendue vers la reconstitution de la solidarité, quel que soit le territoire.

Q – L'histoire des contrats de plan montre que l'État ne respecte jamais ses promesses. Pourquoi en irait-il différemment avec ce contrat de plan ?

– Deux raisons expliquent la non-consommation des crédits. La première, c'est que, effectivement, l'État n'a pas tenu ses engagements. On l'a vu précédemment sur les routes ou la construction des maisons de retraite. Mais il y a aussi des cas où les régions ou les départements n'ont pas pu réaliser des projets parce qu'ils n'étaient pas prêts ou pas adaptés à la situation.

Je ne veux pas qu'on émette de la fausse monnaie. Faire des promesses, tous les gouvernements en ont fait et peuvent en faire. Mais un jour, il faut solder l'addition. C'est ce qui est arrivé au gouvernement d'Alain Juppé.

Q – Vous insistez sur la nécessité d'un dialogue entre l'État et les régions pour construire des contrats solides. Quelle attitude allez-vous adopter face aux trois conseils régionaux gérés par une alliance entre la droite et le FN ?

– Ces discussions seront réduites à leur plus simple expression. Le préfet de région fera strictement son travail pour ne pas pénaliser la population. Dans ces trois régions, comme ailleurs, nous jugerons en fonction de l'intérêt collectif des projets. Si nous constatons qu'un projet est marqué d'une volonté de stigmatisation ou d'exclusion d'une partie de la population, nous ne signerons pas.

Q – L'aménagement du territoire, tel qu'il a été géré depuis trente ans par la Datar, a-t-il un avenir ?

– Un aménagement du territoire dans un pays décentralisé exige une présence forte sur le terrain. À mon avis, il relèvera plus des outils mis en place par les conseils régionaux et de la bonne coopération entre leurs présidents et les préfets. »


Ouest-France – 24 juillet 1999

Q - En quoi le CIADT d'Arles marque-t-il un changement dans la politique d'aménagement du territoire ?

– Le premier enjeu du CIADT est de répartir les enveloppes affectées aux contrats de plan État-Régions. Pour la première fois nous avons décidé de calquer notre planification nationale sur le calendrier européen (2000-2006), ce qui garantit une synergie des efforts. Par ailleurs, et c'est aussi un changement, nous ne souhaitons pas imposer aux régions les volontés de l'État sans avoir procédé à de vrais échanges avec elles. Les contrats de plan ne comportent donc pas de « noyau dur ». Autre différence avec le passé, nous sélectionnons les projets en fonction de leur capacité à créer ou à fixer des emplois, à restaurer des solidarités, et au vu de leur compatibilité avec le développement durable.

Q - Sept régions, dont les Pays de la Loire, vont recevoir une aide accrue de l'État. Quels ont été vos critères de choix ?

– Les présidents de Région vont se répartir 95 milliards dans une première enveloppe, ce qui veut dire qu'il n'y aura de baisse nulle part et qu'il s'agit donc pour l'essentiel d'une reconduction. Mais certaines régions ont été moins bien traitées que d'autres dans le passé. La différence pouvait aller du simple au triple par habitant. Exemple : le Limousin recevait 2400 francs par habitant, quand les Pays de la Loire n'en recevaient que 947 francs. Nous avons donc effectué un rattrapage au profit des régions les plus mal dotées : les Pays de la Loire passent ainsi de 3 milliards à 3,55 milliards dans la première enveloppe.

Q - Dans les contrats de plan, les crédits alloués à la route sont en diminution, alors que ceux dévolus au ferroviaire vont être multipliés…

– …Oui, par 5 ! Mais on part de très bas : 500 millions de francs par an. Même fortement accru, c'est un montant qui restera nettement inférieur à celui consacré à la route.

Q - Les trois présidents de région de l'Ouest atlantique (Bretagne, Pays de la Loire, Poitou-Charentes) revendiquent une plus grande autonomie de gestion par rapport à la Datar : qu'en pensez-vous ?

– Je soutiens fermement leur demande d'une clarification des circuits financiers, d'une simplification de la gestion, d'un allégement des procédures trop bureaucratiques actuellement en vigueur, pour ce qui concerne en particulier les fonds européens. D'ailleurs le Premier ministre insiste sur la nécessaire décentralisation des procédures de gestion.

Q - À la demande de Bruxelles, le Gouvernement va limiter les bénéficiaires de la prime à l'aménagement du territoire (PAT). L'Ouest, qui pourtant doit faire face à diverses formes de reconversion, semble particulièrement touché…

– Nous sommes confrontés à une réduction drastique des populations couvertes par la prime à l'aménagement du territoire, et nous devons répartir de façon équitable le fardeau de cette baisse. Mais le Grand-Ouest, globalement, s'en tire bien.

Q - Toujours sur injonction de Bruxelles, le Gouvernement a dû aussi revoir sa carte des aides régionales : où est la subsidiarité dans tout cela ?

– Bruxelles ne s'intéresse à la prime à l'aménagement du territoire qu'au titre de la politique de la concurrence. La PAT est une aide nationale, mais tous les pays n'en ont pas. Bruxelles nous tient donc le discours suivant : on accepte l'idée que vous ayez, vous Français, des dispositifs aidant les entreprises à s'installer, mais on veut que le phénomène soit contenu et réservé aux territoires en réelle difficulté. On nous impose donc des critères qui permettent de vérifier que les territoires retenus sont bien ceux qui connaissent les plus grandes difficultés.

Q - La ruralité est non seulement une réalité mais même une valeur électorale en hausse. Le Gouvernement souhaite-t-il accompagner ce mouvement ?

– Je me permets de vous faire remarquer que presque tous les élus viennent de circonscriptions rurales ou semi-rurales et par conséquent s'en préoccupent. On m'a fait le reproche de ne m'intéresser qu'aux zones urbaines parce que j'ai eu l'audace de mettre un article sur les agglomérations dans la loi sur l'aménagement et le développement durable du territoire, votée il y a quelques semaines. Dans le précédent texte, celui de Pasqua, le mot ville n'apparaissait même pas, il ne parlait que des zones rurales. J'aimerais bien qu'on change de discours sur la ruralité. Bien sûr qu'il existe des zones rurales en grande difficulté, mais évitons de généraliser. Le discours défensif et misérabiliste sur la ruralité tient de la caricature. Il existe heureusement, et de plus en plus, des zones rurales extrêmement dynamiques et créatives. Tenons à leur sujet un discours positif. Moi, comme beaucoup de Français, je suis une… urbaine !