Texte intégral
Q - Comment appréciez-vous la baisse du chômage en juillet ?
- « Elle est peu significative car c'est au mois de septembre que les jeunes vont entrer sur le marché du travail. Je suis réservé sur la plupart des chiffres du chômage en raison de la mise à jour des fichiers demandée à l'ANPE et qui sort des statistiques un certain nombre de chômeurs. »
Q - Voyez-vous, dans les mouvements de restructuration qui affectent le monde industriel et financier, une perte de contrôle du pouvoir politique et des salariés ?
- « On s'aperçoit que les salariés, lorsqu'ils se font entendre, sont en mesure d'infléchir les stratégies. Il est probable que la mobilisation de l'intersyndicale de la Société Générale a joué un rôle dans la décision des autorités bancaires. Cela étant dit, il est vrai que toutes ces opérations sont dictées par un seul souci, celui de créer de la valeur pour l'actionnaire, et les intérêts des consommateurs et des salariés sont tout à fait secondaires. Ceux-ci sont laissés totalement en dehors de ces affaires. C'est d'autant moins acceptable que ces phénomènes de concentration commencent à devenir dangereux. On a tout juste dénationalisé et l'on s'empresse de recréer des quasi-monopoles privés. J'aimerais qu'on m'explique en quoi un monopole privé serait moins nuisible qu'un monopole public. Quel sera le poids des producteurs agricoles face à un grand ensemble Carrefour Promodès ? »
Q - Comment reconquérir ce pouvoir ?
- « L'une des formules est de permettre aux salariés d'être plus présents dans le management des entreprises. Il faut relancer la notion d'actionnariat, de participation, d'intéressement. »
Q - Le PS le souhaite ; n'est-ce pas aussi une manière d'aller vers des fonds de pension à la française ?
- « Pas de mélange des genres ! Il y a, d'une part, une logique d'appropriation des entreprises, d'autre part l'équilibre des régimes de retraite. On ne réglera pas les deux avec un même outil. Il serait illusoire de croire que des fonds de pension à la française seraient d'une quelconque utilité face aux regroupements industrielles, car je ne vois pas en quoi ils se comporteraient de façon moins traumatisante que les fonds de pension américains »
Q - Êtes-vous satisfait des annonces fiscales du Gouvernement : baisse de la TVA travaux en 2000, de l'impôt sur le revenu en 2001 ?
- « C'est ça, demain on rase gratis ! L'impôt sur le revenu est concentré uniquement sur les catégories moyennes, donc sur l'encadrement, et cela devient totalement insupportable. La priorité absolue, c'est de le baisser. Tout le reste n'est que de la poudre aux yeux. La France est le seul pays où la moitié de la population ne paie pas l'impôt sur le revenu, et l'on parle maintenant d'alléger la CSG sur les bas revenus. Pour une fois que l'on avait un prélèvement très large ! Nous entrons beaucoup trop dans une société d'assistance, où l'on déresponsabilise les citoyens. Je pense, par exemple, qu'il aurait fallu, pour la couverture maladie universelle, exiger une contribution, modique mais symbolique, des bénéficiaires. C'eût été un geste fort pour leur dire : vous n'êtes pas des assistés. A force, on dénoue les liens sociaux et civiques. Le citoyen. c'est celui qui participe à la vie du pays, donc qui paie l'impôt. »
Q - La seconde loi sur les 35 heures ouvre la possibilité de fixer à 217 jours la durée annuelle de travail des cadres. Vous demandez 200 jours. Un terrain d'entente est-il possible ?
- « L'application mathématique des 35 heures conduirait à retenir 203-205 jours, mais nous sommes ouverts à la discussion. Nous n'avons jamais pensé obtenir 203-205 jours. Nous demandons un compromis à 210 jours. Ce serait acceptable. En revanche, nous ne transigerons pas sur le fait que l'on profite du calcul de la durée du travail en nombre de jours sur l'année, pour exclure les cadres des dispositions limitant l'amplitude maximale des horaires sur la journée ou sur la semaine. Cette exclusion ne figurait pas dans la première version du projet de seconde loi. Il y a eu, là, une manipulation intolérable. Je ne sais pas si nous la devons à Martine Aubry ou aux pressions du Medef. »
Q - Est-ce que vous ne voulez pas le beurre et l'argent du beurre ?
- « On ne peut pas, à la fois, demander aux cadres de ne pas s'appliquer les 35 heures stricto sensu - à la différence de tous les autres salariés -, exiger d'eux qu'ils travaillent plus en moins de temps, et laisser leur rémunération progresser moins vite que le plafond de la Sécurité sociale. Peu d'embauches, autant de travail et plus de stress : il y a, malheureusement, de fortes chances que les 35 heures se terminent mal pour les cadres. »
Q - La modification des règles de représentativité, qui imposent une majorité et encouragent la pratique du référendum dans l'entreprise, est-elle une menace pour la CFE-CGC ?
- « C'est une menace pour la politique contractuelle. Je ne sais pas ce qu'il va en rester. Un accord, c'est forcément du donnant-donnant, ce qui suppose que les organisations syndicales prennent leurs responsabilités. C'est tout le pouvoir syndical qui est mis en cause par ces possibilités de référendum. Quant à la clause majoritaire, c'est un coup de pouce à la CGT mais, à mon avis, Martine Aubry se trompe si elle espère, ainsi, l'amener à signer massivement des accords. Si le Gouvernement veut remettre en cause la représentativité syndicale, débattons-en, mais pas au détour d'une loi sur la réduction du temps de travail. »
Q - Comme la CFDT et la CFTC, vous reprochez au Gouvernement de négliger les corps intermédiaires ?
- « Totalement. Il y a une dérive grave du poids de l'État dans les relations sociales de notre pays. C'est d'ailleurs conforme à la méthode des ministres de ce Gouvernement, Lionel Jospin mis à part : on ne répond pas aux sollicitations des organisations syndicales et on les convoque quand on a besoin de faire un peu de cinéma... Les partenaires sociaux n'ont jamais été aussi maltraités. »
Q - Les organismes paritaires devront-ils financer les allégements de charges liés aux 35 heures, comme le veut Martine Aubry ?
Le Gouvernement assure que ce sera compensé, à terme, par le bénéfice des emplois créés par les 35 heures. On nous a déjà fait le coup. C'est une spoliation des organismes paritaires, en particulier de l'Unedic, qui est un régime privé. Et c'est une violation de la loi de 1994, qui interdit de faire supporter à la sécurité sociale le coût des exonérations de cotisations. Au surplus, les régimes sociaux sont suffisamment déficitaires pour ne pas en rajouter. »
Q - Ne craignez-vous pas que ce soit la « goutte d'eau » qui précipite le départ du Medef des organismes paritaires ?
- « Depuis le temps que le Medef agite cette menace, je crains de moins en moins son départ. Même s'il ne faut pas se faire d'illusion sur le pouvoir réel des partenaires sociaux dans la protection sociale, la politique de la chaise vide ne sert il rien. Car si nous n'y siégions plus, nous ne serions même pas en position de nous plaindre. »
Q - Quelles ressources faut-il affecter, selon vous, au fonds de réserves pour les retraites ?
- « Pour qu'il serve à quelque chose, il faudrait arriver, rapidement, à plus de 500 milliards de francs, ce qui est sans commune mesure avec les sommes que l'on entend aujourd'hui. Il faudrait y affecter les recettes de privatisation, et, éventuellement, le produit d'une surcotisation temporaire, dont l'avantage serait d'amoindrir le choc financier d'ici à quelques années. J'ai aussi proposé d'y transférer les réserves de changes de la Banque de France, rendues inutiles depuis la création de la Banque centrale européenne. »
Q - De combien devrait être cette surcotisation ?
- « Il faudrait faire 0,5 point, partagé entre employeurs et salariés, pendant dix ans. Je souhaite, par ailleurs, que les partenaires sociaux soient représentés dans ce fonds, et pas seulement par quelques postes au conseil de surveillance, ce qui n'est qu'une plaisanterie. Si ce fonds est géré exclusivement par l'État, on ne peut qu'avoir les pires inquiétudes. »