Article de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, et de M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, dans "Le Monde" du 4 août 1999, sur la situation du secteur des industries textiles, notamment après les crises asiatiques et russes, les marchés d'exportation et le bas coût de la main d'oeuvre suite aux dévaluations, en réponse à un article paru dans "Le Monde" du 31 juillet 1999 sur ce sujet.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Nous ne pouvons laisser sans réponse l'article paru dans Le Monde du 31 juillet sur la situation du secteur des industries textiles, parce que la situation des industries textiles est trop importante pour notre pays pour être utilisée comme prétexte à des batailles idéologiques. Tous deux élus de grandes régions textiles, nous connaissons suffisamment ces industries pour croire à leur avenir, malgré les mutations de leur environnement économique.

Chacun sait que, depuis l'automne 1998, ces secteurs connaissent une situation difficile. Ils sont soumis depuis longtemps à des évolutions structurelles telles que la montée en puissance de la distribution organisée ou la baisse progressive des protections douanières, dans le cadre fixé de longue date par les accords commerciaux internationaux. Mais l'effet de ces tendances lourdes est encore accentué depuis l'an dernier par l'impact des crises asiatique et russe, qui, en fermant des marchés d'exportation et en dopant des producteurs à bas coût de main-d'oeuvre par l'effet des dévaluations, ont déprimé les prix et fragilisé tous les producteurs européens.

Dans ce contexte exigeant, beaucoup d'entreprises innovent, investissent et connaissent des succès remarquables, notamment à l'exportation. Nombreuses sont celles qui ont su trouver une stratégie pertinente, notamment à travers le renouveau de la création ou à travers de nouveaux marchés, techniquement plus avancés et à haute valeur ajoutée ! Nous devons continuer à les aider dans cet indispensable effort d'amélioration permanente, en respectant nos engagements européens mieux que ne l'ont fait nos prédécesseurs.

Ce n'est plus en effet avec des dispositifs sectoriels que nous aiderons les entreprises à lutter. L'époque des « plans textiles » a vécu avec le plan dit Borotra, adopté en 1996 par le Gouvernement de M. Juppé et condamné dès le départ par la Commission de Bruxelles, qui avait prévenu le Gouvernement français de son illégalité à plusieurs reprises et avant même le vote de la loi.

Dès notre arrivée, en juin 1997, quelques semaines après la condamnation du plan par la Commission, nous avons l'un et l'autre négocié au plus serré, lors de nombreuses réunions avec le commissaire Karel Van Miert, pour obtenir des conditions de remboursement qui épargnent l'essentiel des entreprises et permettent de ne pas remettre en cause la survie des plus fragiles.

Ainsi, grâce à une diminution du montant à rembourser par la prise en compte de l'effet de la fiscalité ainsi que d'une franchise de 100 000 euros, moins d'une entreprise sur cinq ayant bénéficié du plan aura à rembourser, et celles de moins de 80 salariés seront exonérées. Les autres pourront étaler leur remboursement jusqu'en 2003. Nous ne pouvions guère obtenir plus, comme l'a montré le compromis trouvé à peu près au même moment par le gouvernement belge avec la Commission sur un dossier comparable, et qui n'est pas plus favorable.

Mais l'Europe a aussi un rôle à jouer dans la gestion de nos accords commerciaux internationaux. Quand ceux-ci ne sont pas respectés par un pays sur un produit, l'Union doit prendre des mesures de sauvegarde : nous avons soutenu plusieurs demandes des industriels en ce sens à Bruxelles, et l'une d'elles a déjà fait l'objet de mesures concrètes avec la limitation des flux de filés de coton d'Asie centrale vers l'Europe. Nous resterons très vigilants sur ce terrain, car il ne serait pas acceptable que les règles de la concurrence mondiale ne s'appliquent pas de la même manière à tous.

Au-delà de ces mesures dictées par l'urgence, nous travaillons à l'amélioration de l'environnement général des entreprises en accordant la priorité aux entreprises de main-d'oeuvre, car ce sont elles qui contribuent le plus à l'emploi.

L'évolution de l'économie de notre pays depuis deux ans est globalement satisfaisante. La relance de la croissance - principalement par la consommation des ménages, après la stagnation du milieu des années 90 -, le reflux amorcé du chômage et le retour de la confiance qu'il entraîne constituent autant de facteurs positifs. La mise en place de l'euro, en supprimant les dévaluations compétitives intra-européennes, apporte aux entreprises une plus grande lisibilité sur le marché européen et renforce leurs atouts sur les marchés mondiaux.

Le Gouvernement a décidé la suppression progressive de la part salariale de la taxe professionnelle, une réforme attendue depuis longtemps par les entreprises et qui profitera prioritairement aux industries de main-d'oeuvre. Surtout, sans augmenter les prélèvements sur les entreprises ni sur les ménages, nous procéderons, dans le cadre du passage aux 35 heures, à un allégement massif des charges sociales qui pèsent sur l'emploi des moins qualifiés : 110 milliards de francs au total, dont 40 milliards de baisses de charges liées à la réduction du temps de travail et 25 milliards d'allègements nouveaux supplémentaires sur les bas salaires. Cela représente par exemple, pour des salaires inférieurs à 9 600 francs, une baisse du coût du travail de plus de 5 % après la prise en compte du coût de la réduction de la durée du travail.

En dépit des discours d'appareils et des proclamations hâtives, la réduction du temps de travail est en train de réussir avec les entreprises, par les entreprises. Sur le terrain, celles-ci ont compris qu'elles ne pourraient pas se développer harmonieusement si leur environnement social se dégrade, avec un coût économique et social sans cesse plus élevé. Les chefs d'entreprise ont compris aussi que la négociation sur le temps de travail leur permettait, par le dialogue avec leurs salariés, de mieux adapter leurs organisations à la concurrence et aux besoins des clients, tout en sauvegardant leur compétitivité.

En un an, déjà près de 12 000 accords ont été signés, avec un effet de plus de 100 000 emplois : le textile, l'habillement et la chaussure figurent au premier rang des secteurs concernés, avec près de 500 accords couvrant 45 000 salariés et un effet positif de plus de 3 200 emplois. Contrairement aux idées reçues, ces accords sont plus souvent offensifs que défensifs, c'est-à-dire que non seulement la réduction du temps de travail permet en l'espèce d'éviter des licenciements, mais qu'elle crée en de plus grandes proportions encore des emplois nouveaux dans ces secteurs.

Enfin, quand les difficultés sont là et que les restructurations sont inévitables, l'État les accompagne dans ces secteurs au maximum de ses possibilités par la mobilisation des dispositifs de chômage partiel ou des mesures du Fonds national de l'emploi. Nous l'avons dit, la situation des secteurs du textile, de l'habillement et de la chaussure est difficile. Mais salariés et entrepreneurs de ces secteurs y montrent leur capacité à s'adapter aux nouvelles donnes.

Nous continuerons, pour notre part, à les soutenir sur leurs projets chaque fois qu'il est possible, dans le respect de nos engagements européens. Nous battre pour eux, c'est nous battre pour 280 000 emplois dans de nombreuses régions françaises.

En cette matière, la polémique ne sera en tout cas jamais notre approche, et nous continuerons à travailler en ce sens avec tous les acteurs de bonne volonté.