Texte intégral
R.P.P. - Madame la Ministre, quel est, selon vous, l'effet du développement du numérique sur le droit d'auteur ?
Catherine Trautmann – Les réseaux numériques et le multimédia, compris comme des dispositifs de communication au public, se traduisent par une multiplication des oeuvres diffusées et des auteurs. L'internet, notamment, superpose à l'interconnexion des réseaux techniques, la mise en réseau des contenus et des hommes. Je veux insister sur cette première dimension parce que, bien sûr, le développement de la présence des oeuvres sur le réseau, leur utilisation accrue doit profiter aux titulaires de droits en particulier aux créateurs.
Cela nous impose une très grande rigueur, car il ne servirait à rien de connaître, grâce aux réseaux, une diffusion accrue des oeuvres si les moyens techniques et juridiques d'assurer la juste rémunération des ayants droit n'étaient pas disponibles.
Aujourd'hui l'un des sujets majeurs de réflexion est celui de la copie numérique des oeuvres.
En effet, le numérique, parce qu'il permet une reproduction des oeuvres quasiment parfaite, modifie considérablement le cadre technique de diffusion des oeuvres.
Vous savez que sur ce point je me suis prononcée, et c'est la position de la France au plan communautaire en faveur d'un droit exclusif d'autoriser la copie privée dès lors que les moyens techniques permettant de contrôler l'utilisation des oeuvres seront disponibles.
R.P.P. – Justement, que pensez-vous de l'image répandue d'un droit d'auteur qui serait inadapté à l'internet ?
Catherine Trautmann – Cette question a été posée pour le droit d'auteur mais aussi pour le droit en général. Je la crois Largement artificielle.
Comme le Conseil d'Etat l'a montré dans son rapport sur le droit de l'internet et des réseaux numériques, il faut, en général, adapter notre droit sans créer un droit spécifique ex nihilo du multimédia et des réseaux. Le Conseil d'État a rappelé que deux points restaient obscurs ou discutables : la question de la détermination de la loi applicable et celle de la responsabilité des différents opérateurs. Le travail est en cours sur ces questions dans le cadre adapté, c'est-à-dire international et communautaire.
Pour le reste notre droit est parfaitement adaptable au contexte technologique évolutif que nous connaissons. Plus largement je crois que nous devons non seulement garantir, consolider et élargir nos principes juridiques fondamentaux, comme la liberté d'expression, le respect de la vie privée, la protection des mineurs, mais aussi favoriser le développement de la société de l'information.
Nous nous plaçons exactement dans cette double perspective en ce qui concerne les droits d'auteur. D'une part, nous poursuivons notre politique de protection active des droits de la création. D'autre part, nous nous efforçons de favoriser le développement de l'internet par la mise en place d'une économie des contenus qui soit satisfaisante pour toutes les parties.
R.P.P. – Mais compte tenu de la mondialisation, quelle peut être l'intervention de l'État dans ce domaine ?
Catherine Trautmann – C'est une question mais je souligne à cet égard que nos partenaires reconnaissent le rôle de référence du droit d'auteur français.
La France fait partie des quelques pays qui comptent dans les différents processus d'harmonisation internationale du droit d'auteur. Si nos positions étaient exagérément éloignées de celles de nos partenaires, je doute fort que ce puisse être le cas. Bien au contraire, c'est la qualité intrinsèque de notre droit et sa force d'adaptation qui favorisent notre influence dans les processus d'harmonisation.
Nous disposons donc d'une expérience solide en matière d'harmonisation, dans le cadre européen, comme au niveau mondial, avec l'O.M.P.I.
La nécessité de faire respecter la propriété littéraire et artistique et de l'adapter au contexte du numérique est aujourd'hui largement reconnus, aussi bien par les Américains que par les Européens. Je note que la Finlande a décidé de faire de ce dossier un des chantiers prioritaires de la présidence européenne.
Mais nous ne pouvons pas nous contenter d'une influence strictement juridique. Notre droit d'auteur doit être compétitif, favoriser la production et la diffusion des contenus nationaux, notamment dans le domaine culturel. Le rôle de l'État, ici, est à la fois de garantir la stabilité juridique, et de faciliter une bonne gestion économique des droits.
R.P.P. – Précisément, sur ce point : on présente couramment le droit d'auteur comme un obstacle au développement du numérique. Quels sont alors les projets d'adaptation en cours ?
Catherine Trautmann – On présente en effet, fréquemment, ce que j'appellerais le droit des contenus, en particulier le droit de la communication au public, et le droit d'auteur, comme des obstacles au développement de la société de l'information, dans la perspective de la “convergence”.
Je ne partage pas cette vision des choses qui me semble un peu orientée. Je vous ai dit tout à l'heure comment je crois possible de dépasser cette opposition stérile.
En termes de méthode je rappelle de plus que l'État n'est pas le gestionnaire du droit d'auteur. Le développement des industries du numérique s'accompagne d'une explosion de la négociation des droits. L'activité de ce secteur ne se conçoit pas sans une gestion dynamique du contrat, du risque juridique, que l'État doit faciliter. C'est pourquoi j'ai indiqué à plusieurs reprises que la méthode de l'État serait celle de la concertation, de la négociation, et non pas d'une intervention réglementaire à priori et systématique.
Quant aux adaptations, j'ai déjà dit plusieurs fois que je souhaite donc une réflexion approfondie sur la notion d'oeuvre collective, sur le statut des créateurs salariés, et, plus généralement, sur les conditions de dévolution des droits dans le cadre du contrat de travail.
Sur tous ces points, une concertation systématique sera menée dans le cadre du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, qui sera créé à l'automne prochain, et auquel je demanderai de considérer ce dossier comme une priorité.
Sur le plan international, la France participe activement au projet de directive européenne relative aux droits d'auteur et droits voisins dans la société de l'information.
Cette direction adoptée, nous aurons donc à transposer en droit interne des dispositions importantes qui visent notamment les droits exclusifs sur les services à la demande, les exceptions au droit de reproduction en matière de copie technique, ou bien encore le régime de la copie privée numérique.
Comme vous le voyez, l'adaptation du droit d'auteur au numérique se fait de manière active.