Texte intégral
Europe 1 : Vous avez sans doute entendu Valéry Giscard d’Estaing, avec Bernard de la Villardière, tout à l’heure, à 7 h 40. Pour lui, le projet de loi Guigou sur le code de la nationalité va dans la mauvaise direction. Mais si ce texte est durci par des amendements dans le débat à l’Assemblée nationale, Monsieur Giscard d’Estaing souhaite un référendum. Qu’est-ce que vous en pensez ?
François Bayrou : Monsieur Giscard d’Estaing a raison sur le texte. C’est un texte dangereux parce qu’il abandonne, il supprime la manifestation de volonté qui permettait aux jeunes voulant entrer dans la nationalité française de dire – au moins de dire –, qu’ils voulaient devenir Français.
Europe 1 : Mais vous voulez dire, le texte tel qu’il est ou tel qu’il serait s’il était durci ?
François Bayrou : Non, le but du texte comme il est aujourd’hui, comme nous allons l’examiner, il n’a qu’un seul but – le reste est secondaire ou second –, qui est de supprimer la manifestation de volonté des jeunes qui veulent devenir Français. Il y a quatre ans, en 1995, nous avions fait adopter un texte après une longue réflexion, vous vous en souvenez, de la commission Monsieur Long qui regroupait des gens de gauche, de droite, de toutes sensibilités et de toutes spécialités dans la société française. Et ils avaient dit ensemble : pour que le sentiment national soit plus fort, de la part des jeunes qui sont fils d’étrangers et entrent dans la nationalité française, il faut au moins leur demander de manifester leur volonté de devenir Français.
Europe 1 : Mais 1993 marquait une rupture avec 1889, 1927, 1945, 1973, donc la législation qui était en vigueur sous Monsieur Giscard d’Estaing ?
François Bayrou : Parce qu’autrefois, on considérait qu’une société comme la société française avait beaucoup de moyens de creuser pour faire renforcer l’esprit national. J’en prends un : il existait le service militaire. C’était un devoir que les jeunes devaient remplir ; quand ils avaient accepté de mettre plusieurs années – en 1889, c’était trois ans le service militaire – de leur vie au service de la France, on pouvait considérer qu’ils avaient fait leur devoir d’entrée dans la nationalité française. Aujourd’hui, on demande seulement qu’ils disent qu’ils veulent devenir Français. Et même ça, on le supprime. Alors vraiment, la nationalité française…
Europe 1 : Mais est-ce que vous pouvez me dire combien de jeunes Français chaque année cela concerne ?
François Bayrou : Attendez, je vais vous le dire dans une minute. La nationalité française, ça serait la seule chose aujourd’hui dans notre société qu’il ne faudrait même pas demander pour l’obtenir et, me semble-t-il, c’est une faute à l’égard des Français, de ceux qui forment la France aujourd’hui eux-mêmes.
Europe 1 : Ça en concerne combien ?
François Bayrou : 25 000 à peu près.
Europe 1 : Maximum de 25 000 jeunes par an ?
François Bayrou : Il y a 25 000 jeunes par an qui sont susceptibles de devenir Français parce qu’ils sont nés en France, ce qui au passage signifie que le fameux droit du sol, qui est la tradition française, n’avait jamais été abandonné ; on assortissait seulement le droit du sol de cette manifestation de volonté qui prouvait que ces jeunes tenaient à la France. On va revenir dans la situation dont on avait voulu sortir et dont il fallait sortir, que l’on pouvait devenir Français sans le vouloir et sans le savoir.
Europe 1 : On comprend la force symbolique que cela a, mais aller jusqu’à un référendum, est-ce que ce n’est pas une opération politique ?
François Bayrou : On n’y est pas et le référendum, ça n’est pas de notre décision à nous…
Europe 1 : Mais est-ce que vous ne poussez pas le président de la République à une nouvelle expérimentation hasardeuse et dangereuse, y compris pour vous ?
François Bayrou : Ce référendum-là n’aurait naturellement de sens que si l’on considérait que le peuple français était saisi d’un changement profond de sa législation. Encore une fois, c’est au peuple qu’il appartient de dire comment la Nation doit se former.
Europe 1 : Mais en attendant, il appartient à ceux qui représentent la Nation, qui sont à l’Assemblée nationale et qui vont en débattre dès cet après-midi d’attaquer ce problème. Alors vous, vous refusez d’ores-et-déjà le projet Guigou. Vous allez présenter une exception d’irrecevabilité cet après-midi, c’est-à-dire pourquoi il n’est pas recevable ?
François Bayrou : Pourquoi il n’est pas recevable, parce qu’il me semble qu’il porte atteinte à un certain nombre de principes fondamentaux et de notre Constitution, de notre République, qui font que nous prenons la nationalité au sérieux et c’était le but de la réforme précédente. On avait une bonne loi ; Patrick Weil, qui a été chargé d’un rapport par le Gouvernement sur ce sujet pour préparer les modifications, dit dans le rapport que cette loi nouvelle fonctionnait bien. Alors pourquoi la change-t-on, pourquoi la change-t-on sous cette forme et pourquoi la change-t-on en urgence ?
Europe 1 : Mais ça veut dire que c’est une opération politicienne entre le Gouvernement actuel et sa majorité plurielle. Est-ce que la France est menacée aujourd’hui par une invasion de hordes barbares si on vote cette loi ? Expliquez-nous ça.
François Bayrou : Non, ce qui va se passer, c’est que nous allons voter cette semaine une loi sur la nationalité qui libéralise, qui rend plus facile, on n’a même pas à le demander, l’accès à la nationalité française. Et la semaine prochaine, nous allons voter une loi sur l’immigration qui rend plus facile l’entrée sur le territoire français. Et la réaction de l’une de ces lois sur l’autre loi, le cocktail que présentent ces deux lois est un cocktail extrêmement dangereux parce que naturellement, on va expliquer qu’il y a une prime à l’immigration clandestine et que cette prime, c’est l’accès à la nationalité des enfants et, d’une certaine manière, on va encourager l’immigration clandestine.
Europe 1 : Vous n’avez pas l’impression que les socialistes sont plus sécuritaires que vous ne l’étiez et plus répressifs à l’égard des clandestins ? Par exemple, sur les sans-papiers, Jean-Pierre Chevènement n’a pas, semble-t-il, envie que les 150 000 sans-papiers que vous lui avez laissés, qu’il a trouvé quand il est arrivé, soient tous régularisés : il y aura une sélection au cas par cas.
François Bayrou : Je ne confonds pas les mots et les actes. Ce qui relève des mots relève en effet d’une rhétorique martiale ; les actes, pour l’instant, ne suivent pas, au contraire : ce qu’on voit, c’est une libéralisation plus grande, une ouverture plus grande, une facilité plus grande à l’immigration et, d’une certaine manière, on traite mal la nationalité française en en faisant quelque chose comme un distributeur automatique.
Europe 1 : L’unique député Front national Jean-Marie Le Chevallier déposera 130 amendements. « C’est un test », a dit Jean-Marie Le Pen hier, « ceux qui les voteront seront sauvés du grand marasme des régionales. » Est-ce que votre groupe va les voter ou va en voter au moins un ?
François Bayrou : Je n’ai pas l’habitude – et mon groupe non plus – de définir des positions par rapport à ce que tel ou tel, et surtout extrémiste, dit.
Europe 1 : On peut dire également que l’inspirateur du débat actuel sur l’immigration et la nationalité n’a même plus besoin de se faire entendre et qu’il est déjà dans toutes les têtes : c’est Le Pen, non ?
François Bayrou : Vous vous trompez complètement. L’inspirateur du débat actuel sur la nationalité, c’est la commission Monsieur Long à la fin des années 80. Elle a réuni toutes les sensibilités françaises, des philosophes, des sociologues…
Europe 1 : Je m’en souviens, et les Français s’en souviennent !
François Bayrou : Non. Ne caricaturons pas les choses. C’est une très importante décision qui va être prise, symbolique de ce que nous voulons faire de la Nation française : ou bien c’est un distributeur automatique, une appartenance automatique ; ou bien c’est une communauté de citoyens conscients. Nous sommes pour une communauté consciente, pour qu’on choisisse d’y entrer et qu’on le dise comme une décision solennelle.
Europe 1 : Pourquoi, quand le président de la République pour telle ou telle raison est un peu secoué, quand les esprits sont un peu chauffés, comme pendant ce week-end, l’UDF ne prend-elle jamais la défense du président de la République ?
François Bayrou : Nous l’avons prise explicitement, et je la prends encore à votre micro : je considère qu’il n’est pas bien d’attaquer le président de la République. J’ai toujours pensé que la cohabitation n’était pas un bon régime pour la France…
Europe 1 : Surtout quand un socialiste est à Matignon !
François Bayrou : Ah non : j’étais contre la cohabitation aussi avant, si vous vous en souvenez.
Europe 1 : Vous avez été ministre sous la cohabitation.
François Bayrou : Je pense que c’est un mauvais système parce que les deux têtes de l’exécutif sont un peu en embuscade l’une contre l’autre. Ce système, pour autant, impose le respect réciproque et la volonté réciproque de travailler ensemble. Je suis pour qu’on respecte le président de la République et qu’on ne le laisse pas attaquer.
Europe 1 : Ça va durer cinq ans comme ça ?
François Bayrou : On verra.