Texte intégral
Évoquant la catastrophe des Shetland, Brice Lalonde voit rouge, qu'il parle de la pression internationale des sociétés pétrolières ou du manque de préparation de la France à une situation de crise. Quelle fut sa première réaction à l'annonce de l'accident ?
La rage de l'état pur. Comment l'Europe peut-elle exiger de plus en plus de civisme de ses habitants et organiser un tel laxisme ! En France, et ailleurs, personne n'est vraiment en charge de la mer.
Le journal du Dimanche : Et quand vous étiez au gouvernement ?
Brice Lalonde : J'étais contraint de mener une bataille aussi stupide que permanente avec l'administration du ministère de la Mer. Jamais je n'étais consulté et quand je partais sur les lieux d'une marée, je le faisais quasiment clandestinement, oubliant de prévenir de gouvernement. Au ministre de l'Environnement, on demande de nettoyer la plage, de réchauffer les pingouins et de ne pas e mêler des choses sérieuses. J'ai dû me battre pied à pied.
Le journal du Dimanche : Et au niveau international ?
Brice Lalonde : L'Organisation maritime internationale est d'une lourdeur incroyable. Elle fonctionne mal parce que les conventions qu'elle prépare ne peuvent entrer en vigueur que lorsque les pays qui les ratifient représentent au moins 50 % du trafic maritime. Ce qui revient à mettre l'avenir de la mer entre les mains des nations concentrant… les pavillons de complaisance.
Le journal du Dimanche : Mais il y a quand même des contrôles ?
Brice Lalonde : En mer, c'est d'abord la loi des pirates qui règne, pas celle des politiques qui ont tendance à abdiquer toute volonté. Alors, les compagnies pétrolières usent leurs bateaux jusqu'à la corde, jusqu'au naufrage. Ceux qui naviguent sous pavillon de complaisance fonctionnent le plus souvent avec des équipages, comme celui du Braer, qui ne possèdent aucune langue commune à tout le monde. C'est la dernière forme d'exploitation du tiers monde : confier des responsabilités énormes à des gens qui ne sont pas qualifiés.
Le journal du Dimanche : Reconnaissez que ce n'est pas le cas en France…
Brice Lalonde : Pas directement. Mais plusieurs compagnies affrètent indirectement des navires battant pavillon de complaisance. La France est même en train d'inventer une immatriculation de bateaux dans les îles Kerguelen… Ici comme ailleurs, on résiste aux mesures de protection.
Un système d'alarme automatique
Le journal du Dimanche : La Bretagne n'est-elle pas bien protégée ?
Brice Lalonde : Oui. Ce rail et la surveillance maritime au large de Brest, c'est une réussite. Mais on laisse mourir à petit feu le CEDRE, l'organisme chargé d'organiser la lutte contre les marées noires, et les préfets maritimes sont en général parfaitement incompétents dans ce domaine. Cela ne les intéresse pas. À chaque fois que j'ai demandé des rapports, l'administration de la Mer a été incapable de me les fournir. Quand on pense que l'on stocke encore partout des dispersants lors que tous les scientifiques expliquent que ces produits sont encore plus nocifs que le pétrole ! En plus, il faudrait un service de garde-côtes ne dépendant pas de l'armée, ayant pour seule mission la surveillance d des infractions maritimes, comme aux États-Unis. Que le gouvernement français réponde enfin à la question que j'avais posée quand j'étais ministre : comment luttera-t-on contre une marée noire, quelle est la doctrine officielle ?
Le journal du Dimanche : On ne va quand même pas surveiller les navires de force ?
Brice Lalonde : Si, ce serait facile. Les bateaux d e course du Globe Challenge, on sait à tout moment où ils sont, et cela ne coûte pas une fortune. Pourquoi ne pas en faire autant avec tous les pétroliers et transporteurs de matières dangereuses ? Avec alarme automatique quand ils s'approchent trop près d'une côte.
Le journal du Dimanche : Mais la France peut-elle agir seule ?
Brice Lalonde : Pourquoi pas ? Dans certains domaines, il faut prendre des initiatives, entraîner les autres, prendre des mesure s à deux ou à trois.
Le journal du Dimanche : Au risque de créer des difficultés économiques ?
Brice Lalonde : Que l'on cesse de dire que l'écologie s'oppose à l'économie ! Si on agit, si on contraint les pétroliers à changer plus rapidement leurs bateaux, cela donnera du travail aux chantiers navals. Que les Français sachent que les compagnies pétrolières ne sont pas dans le besoin, qu'elles peuvent payer largement ce qui leur est demandé. On ne va quand même pas pleurer sur leur compte.