Texte intégral
Le Figaro Magazine : Comment va la France ?
René Monory : Notre pays est sur la mauvaise pente. Les vieilles recettes continuent d'être à la mode. Elles produiront les mêmes désastres : montée du chômage à cause du poids de la fiscalité et des dépenses publiques, absence d'investissements. Le monde aborde un extraordinaire virage et c'est le moment que nous choisissons pour rétrograder. Les nouvelles technologies, le développement de nouveaux continents, l'accélération des échanges, tout cela profite à tout le monde et la croissance mondiale est forte. Or nous restons à l'écart parce que nous refusons de prendre la mesure de ces transformations. Quel gâchis, alors que nous avons tant d'atours pour réussir notre entrée dans le troisième millénaire !
Le Figaro Magazine : L'opposition semble en panne d'identité, en crise. Comment peut-elle retrouver tonus et crédibilité ? En faisant clairement le choix libéral ?
René Monory : Évidemment. Mais n'en faisons pas un débat théorique. Le monde entier fonctionne désormais selon le principe de liberté. C'est l'époque de la victoire de l'initiative individuelle et de l'esprit d'entreprise. Si nous voulons créer des emplois, il faut en tirer toutes les conséquences. Il faut remettre en marche la machine à créer de la richesse plutôt que de passer son temps à s'interroger sur la répartition d'un gâteau qui ne grossit pas. Ici aussi, il n'y aura pas d'exception française.
Le Figaro Magazine : Tous vos amis ne font pas la même analyse dans l'opposition. Quelles mesures concrètes pourraient les convaincre ?
René Monory : Il s'agit seulement de regarder ailleurs ce qui marche et ce qui ne marche pas. C'est en baissant les impôts qu'on relancera l'économie. Pour que chacun, je pense notamment aux jeunes, ait envie de se lancer dans les activités nouvelles. La politique française manque de lucidité. Il faut du courage parfois pour regarder vers l'avenir quand le présent est difficile. C'est ce qui manque aujourd'hui à l'opposition. Il nous faut favoriser ceux qui créent de la richesse et tout le monde en profilera. Ceux qui créent de la richesse ce sont les entrepreneurs, petits et grands, individuels ou pas, jeunes ou plus âgés. Ce sont aussi les épargnants qui sont disposés à investir pour peu qu'on ne passe pas notre temps à alourdir la fiscalité qui s'applique à eux. Je suis désolé de voir qu'en France tant de compétences et d'enthousiasme sont neutralisés par le chômage, lui-même suscité par une société bloquée par l'excès de réglementation et de contraintes.
Le Figaro Magazine : Jusqu'où faut-il désétatiser le système français ?
René Monory : Actuellement, 10 millions de Français reçoivent leurs rémunérations de l'État : 5,32 millions de fonctionnaires et 4,2 millions de retraités*. Un quart de la population active est assurée de la garantie de l'emploi et du versement d'une retraite ultérieure. Et nous continuons à créer des emplois publics : 1,6 million depuis 1973. Dans le même temps, nous avons perdu 600 000 emplois privés. Pourtant, nos principaux partenaires ont fait exactement le contraire. L'Allemagne a supprimé 250 000 emplois publics entre 1990 et 1995, la Grande-Bretagne les a diminués de 25 % et les Pays-Bas de 0,4 % par an depuis 1987.
Le Figaro Magazine : Y a-t-il trop de fonctionnaires ?
René Monory : Oui, il y a trop d'emplois publics en France. Un inspecteur des Finances, M. Choussat, a écrit qu'il y en avait 500 000 de trop. Il dispose d'éléments que nous n'avons pas, mais il doit savoir ce qu'il dit... et son ministre doit connaître la vérité. Ce qui me choque, c'est que nous continuons à faire comme si de rien n'était. La politique actuelle du gouvernement est suicidaire. Il continue à augmenter les dépenses de fonctionnement (+ 3,15 % dans le budget 1998) et rogne systématiquement sur ses dépenses d’investissement (- 0.5 %) qui sont pourtant créatrices d'emplois. En fait, nous mangeons notre blé en herbe. Nous augmentons les postes dans la fonction publique alors qu'il faudrait les diminuer. En 1998 la masse salariale augmentera de 3,3 %. Dans le même temps, nous refusons aux fonctionnaires les moyens de travailler. Les dépenses d'équipement et les moyens de travailler. Les dépenses d'équipement et les moyens de fonctionnement de l'administration diminuent régulièrement (- 0,6 % en 1998) alors qu’il faudrait que nos fonctionnaires se déplacent, à l'étranger, au plus près du terrain aussi, pour être plus efficaces. Je ne comprends pas cette politique de gribouille.
Le Figaro Magazine : Et les rémunérations ?
René Monory : Je sais une chose, la vraie fracture sociale de notre pays, elle est entre le public et le privé. Contrairement aux idées reçues, c'est dans le public qu'on est le mieux payé. Le rapport Choussat prétend que pour les catégories les moins payées, les écarts de rémunérations entre le public et le privé vont de 6 % à 24 % en faveur du public. Le rapport du député Vila (PC), pour le budget 1998, montre clairement que le pouvoir d'achat de la fonction publique augmente toujours plus que dans le privé. En 1998, ce sera 3,1 % pour le public et 2,3 % pour le privé ! La garantie de l'emploi va donc de pair avec une meilleure rémunération.
Le Figaro Magazine : Que préconisez-vous ?
René Monory : Qu'on gère mieux l'État pour pouvoir enfin baisser les impôts. Il y a d'énormes économies à faire. Cela le rendra plus efficace. Certaines des obligations de l'État sont mal remplies et nécessitent davantage de moyens. D'autres ne sont plus utiles. Je fais davantage confiance à ceux qui sont sur le terrain, collectivités territoriales, associations, services publics de proximité, entreprises privées délégués, pour gérer efficacement.
Je souhaite qu'on décide enfin de baisser les impôts pour relancer la machine économique et que cela détermine ensuite les économies à faire. Aujourd'hui, on fait exactement l'inverse. On pose le problème à l'envers : combien nous faut-il pour « boucler » le budget ? Et on augmente toujours les impôts pour y parvenir. Depuis 1995, c'est près de 150 milliards de prélèvements supplémentaires qui auront pesé sur le contribuable français. Tant qu'il en sera ainsi, l'économie vivotera et le chômage augmentera.
Le Figaro Magazine : Quels impôts baisser ?
René Monory : Tous peuvent et doivent l'être. À commencer par l'impôt sur le revenu et sur l'épargne, toute l'épargne. Il faut lui permettre de s'investir. Les épargnants doivent y avoir intérêt, sinon le capital des entreprises françaises passera peu à peu en des mains étrangères.
Le Figaro Magazine : Quel rôle va jouer le Sénat ?
René Monory : Pour le budget, le Sénat s'apprête à dénoncer tout cela. Il faut du courage quand l'ambiance politique est à la facilité et aux idées reçues. Mais les sénateurs, qui sont d'abord des élus de proximité, savent qu'on ne peut pas continuer ainsi. La France a des atouts considérables pour relever les défis de l'avenir. Nos concitoyens doivent savoir que leur qualité de vie, à laquelle nous sommes tous attachés, est gravement menacée. À persévérer dans l'erreur, nous nous préparons des potions amères, alors qu'un peu de courage permettrait à la France de libérer tout le génie des Français pour s'investir dans la nouvelle société, les nouvelles technologies et les nouveaux métiers, seuls créateurs d'emplois durables, ceux que nous voulons pour nos enfants. Les socialistes font une politique économique socialiste. On sait qu'elle ne marche pat et les réveils seront difficile. L'opposition doit se réveiller et relever le gant de la liberté et de l'entreprise. Le Sénat va tout faire pour l'y aider car, sinon, la France s'endormira ! Le Sénat jouera tout son rôle dans les institutions, que cela plaise ou non. Ses pouvoirs ont été accrus par le général de Gaulle pour contrebalancer les excès éventuels de l'Assemblée, en ce qui concerne, par exemple, les cumuls ou les régimes électoraux. Personne ne pourra nous empêcher de faire notre travail
(*NDLR) En fait, comme soulignait Alain Lamassoure alors ministre du Budget, dans une interview au Figaro en mai 1996 : « La France compte 13 millions de personnes dont la rémunération dépend de l’impôt : tous les fonctionnaires, les retraités de la fonction publique, les pensionnés anciens combattants, les salariés d’associations financées par des subventions, et les personnes bénéficiant d'aides à remploi, qui sont tous en pratique financés par les 13 millions de salariés du secteur privé et les 2.5 millions d’entrepreneurs individuels.