Interview de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale et du mouvement Idées-Action, à France 2 le 5 octobre 1999, sur son opposition à la mise en oeuvre de la deuxième loi sur la réduction du temps de travail.

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Média : Emission Les Quatre Vérités - France 2 - Télévision

Texte intégral

Q - Au deuxième jour de cette semaine marquée par les 35 heures, quel est votre sentiment après les premières manifestations d'hier ?

- « Je ne vois aucun grand pays moderne où il puisse y avoir un tel divorce entre les entreprises et le Gouvernement. C'est le signe d'un archaïsme extraordinaire. Partout, même les socialistes en Europe, T. Blair, G. Schröder, prennent soin quand même d'écouter les entreprises parce que c'est elles qui tirent la croissance et l'emploi. »

Q - Il y a aussi des signes de lutte des classes...

- « La manifestation de la CGT reste ce qu'elle est. Ça n'est pas nouveau. Ce qui l'est, c'est de voir le Premier secrétaire du Parti socialiste, M. Hollande, aller saluer la manifestation qui est plus ou moins destinée au contrôle par le Gouvernement, à durcir le texte du Gouvernement... comprenne qui pourra. Je ne comprends pas vraiment ces signes d'archaïsme de la société française. Dans aucun autre pays au monde en ce moment on ne discute d'une loi autoritaire sur le partage du temps de travail parce que dans aucun pays au monde on pense que le partage du travail crée des emplois. On sait partout ailleurs que pour créer des emplois, il faut les inventer, les découvrir, les multiplier, mettre plus de liberté et un peu moins de pression fiscale. Ailleurs dans le monde, on a retrouvé le plein-emploi. C'est vrai autour de nous. C'est vrai du Danemark, d'une partie de l'Autriche, de l'Italie du Nord, de l'Angleterre, outre Atlantique bien sûr. On peut retrouver le plein-emploi. M. Jospin a raison de ce point de vue-là de le dire, mais il a tort de penser que ce sera avec les 35 heures. Au contraire, on s'en éloigne. »

Q - La manifestation des chefs d'entreprise hier n'a-t-elle pas des accents populistes, de rassemblement, que n'ont plus les partis de droite traditionnel ?

- « C'est la défense d'une communauté d'entrepreneurs qui se sent agressée par une loi archaïque. C'est d'autant plus scandaleux que l'on avait dit à l'occasion d'une première loi qui était mauvaise : "Appliquez cette loi, discutez !" Les chefs d'entreprise se sont résignés à tenter d'appliquer cette loi même si elle était mauvaise, ils ont conclu des accords dans plus de 100 branches, et voilà que le Gouvernement dit finalement que ces accords ne lui plaisent pas. »

Q - Le Gouvernement allègue quand même 15 000 accords et 122 000 créations d'emplois ou bien préservation d'emplois.

- « C'est de la blague pure et simple ! Les entreprises qui prévoient de créer des emplois, par exemple une chaîne de grandes surfaces qui a prévu d'ouvrir des magasins, font passer ces créations d'emplois au bénéfice des 35 heures pour toucher des subventions. Quand vous pensez qu'au bout du compte avec cette nouvelle loi de Mme Aubry, on va donner plus de 100 milliards, 105 à 110 milliards d'argent d'impôts pour aller payer cette facture des 35 heures ! N'y a-t-il pas mieux à faire de cet argent que d'aller subventionner ainsi massivement les entreprises pour appliquer les 35 heures ! Et par là même on rackette les organismes sociaux. On pourrait encore développer. Tenez, on va faire un impôt sur la pollution : l'écotaxe. C'est-à-dire que s'il n'y a pas suffisamment de pollution, il n'y aura plus assez d'argent pour payer les 35 heures. Décidément, il faut être socialiste pour inventer quelque chose de semblable ! »

Q - Vous êtes donc très énervé à l'ouverture du débat parlementaire qui va commencer cet après-midi ?

- « Je ne sais pas si le mot est exact, mais sûrement un peu découragé de voir cet archaïsme de la société française. Regardez autour de vous. Regardez les toutes petites entreprises, qui sont les moteurs de la création d'emplois. Comment vont-elles pouvoir appliquer les 35 heures ? C'est impensable ! Regardez les grandes entreprises, celles des nouvelles technologies. Pensez-vous qu'on y compte son temps de travail et qu'on va pouvoir appliquer les 35 heures ? Mais dans aucun pays au monde dans ces nouvelles technologies on applique les 35 heures ! Et quant aux cadres qui travaillent à partir de leur portable, va-t-on devoir mettre une boîte· noire sur ces outils de communication pour vérifier qu'ils ne travaillent pas plus de 35 heures, qu'ils n'emportent pas ces portables en week-end ? C'est profondément ridicule et archaïque. »

Q - Vous n'êtes pour aucune limitation, aucun allégement pour le travail des cadres qui ont des journées peut-être de plus en plus longues, et ce à cause du téléphone portable, de l'ordinateur… ?

- « Mais le travail du cadre aujourd'hui ne peut pas être conforme dans une durée hebdomadaire ? Il faut donc négocier pour essayer de trouver des journées compensatrices par exemple. Mais encore une fois, ces nouveaux métiers ne peuvent pas être enfermés dans une durée hebdomadaire. C'est une vision profondément archaïque, du  temps de la grande industrie manufacturière, avec des hommes et des femmes rangés à la chaîne qui faisaient un travail pénible. Il y a de cela 20 ans, 30 ans révolus, mais ça ne correspond pas au nouveau monde. »

Q - La réussite du Medef ne donne-t-elle pas un coup de main au gouvernement Jospin dans la mesure où cela peut inciter la gauche à se ressouder pour défendre ce projet des 35 heures ?

- « Si vraiment, à moins de cent jours du nouveau siècle, on en est encore aux vieux oripeaux de la vieille lutte des classes, alors pauvre France ! »

Q - Vous vous présentez à l'Assemblée avec une bataille d'amendements. Pas d'obstruction parce qu'il y aura une procédure d'urgence. Quel espoir pour ce débat ?

- « Essayer de faire ressortir tous les effets néfastes, essayer d'empêcher que l'on aggrave encore ce texte, et puis surtout dire clairement à celles et ceux qui doutent des 35 heures, et notamment à la masse des toutes petites entreprises pour lesquelles elles sont vraiment inapplicables que s'il y a alternance en 2002, on se défera de ce texte. Cela veut dire tout simplement que l'on dira - seule solution moderne - que seuls doivent primer les accords dans les entreprises et dans les professions. C'est ainsi que l'on fait progresser un pays : par le dialogue social et la confiance dans les partenaires sociaux. »

Q - Le RPR et l'UDF sont-ils en état d'aller vers cette alternance, d'aller dans d'autres sens ?

- « Dans ce sens là, oui. Mais ce qu'il faut dire aussi, c'est qu'il faudra arrêter de subventionner massivement les entreprises, ce qu'on fera, pour donner une franchise de baisse des charges sur l'ensemble des salaires de toutes les entreprises. Voilà ce qui sera moderne. Voilà un engagement que doit prendre l'opposition. Comptez sur les libéraux ! »