Débat entre Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication et porte-parole du gouvernement, MM. Jean-Claude Izzo et Armand Gatti et Mmes Claire Lasne et Catherine Breillat, artistes, dans "Le Monde de l'éducation" de décembre 1997, sur le rôle et l'engagement des artistes dans la société.

Prononcé le 1er décembre 1997

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Média : Le Monde de l'éducation

Texte intégral

Jean-Claude Izzo : J’ai le sentiment que depuis Malraux il n’y a plus de ministère de la culture, et donc de ministre de la culture, porteur d’utopie culturelle. Lorsqu’on pose la question de la place de la culture dans le monde moderne, la réponse est toujours comptable. Ceux qui écrivent ou font du cinéma n’ont d’autre réflexion que celle qu’ils peuvent avoir entre eux. Comment est-il possible d’être à la fois ministre de la culture et porte-parole du gouvernement ?

Catherine Trautmann : Mon rôle n’est pas d’être le ministre des artistes, ni de leur assigner une place. C’est à eux de se déterminer. Pour ma part. je parlerais moins d’utopie que d’engagement. Le mien consiste à travailler pour que la culture soit le socle commun où les arts tiennent une place essentielle, à la fois désirée et motrice, dans notre société. Les gens sont fatigués qu’on s’adresse à eux par rapport à leurs impôts, leurs revenus du travail, pour organiser la solidarité. On est aujourd’hui dans une phase de questionnement intense — qui n’est pas propre à notre pays, mais qui est chez nous redoublée par l’actualité – sur l’investissement humain qui ne relève pas de la simple vie quotidienne.

Le ministre ne doit pas apporter son utopie, mais il peut s’engager afin de créer les conditions de la liberté des créateurs et aussi celle des gens susceptibles de rencontrer ces créateurs. C’est à la fois ambitieux et modeste, car ce n’est pas nous qui portons la force de la création culturelle. Si nous sommes seulement gestionnaires, nous passons à côté de l’enjeu de ce qui est de l’ordre du projet et de la constante remise en question. Les débats concernant les films sur la violence, la place des intellectuels ou l’art contemporain montrent bien qu’il ne peut y avoir possibilité de créer sans liberté et prise de risque. Être ministre de la culture et porte-parole n’est pas simple. Je n’ai pas revendiqué cette dernière fonction. Je l’assume. Ce qu’on peut attendre du porte-parole est peut-être de porter ce qui est au-delà des mesures et des lois, à savoir leur sens. Car je ne suis pas juste une répétitrice de l’action gouvernementale. L’idée de relative liberté et de libre expression qu’on se fait du ministre de la culture est contradictoire avec la perception du rôle de porte-parole. J’en ai conscience, j’opère aussi une distinction.

Catherine Breillat : Les artistes ont besoin d’être soutenus. Ce n’est pas fédérateur, un artiste. Mais il est fondamental qu’il existe parce que les gens finiront par entendre ce quelque chose qu’ils refusent d’entendre et qui les dérange. On est dans un monde de communication extrême où il faut avoir un rendu immédiat des choses comme dans la politique, ce qui ne donne pas place à l’espoir. C’est pourquoi je n’ai pas d’engagement politique.

Catherine Trautmann : Aujourd’hui peut-être peut-on penser que, si on gagne davantage de temps pour soi, si on a mois de richesse à partager, ce qui suppose d’accepter une redistribution des moyens, l’enjeu est ailleurs. On parle tout le temps de « sens ». Or ce mot finit par ne plus en avoir. Nous ne cherchons pas du sens mais des éblouissements, des découvertes. Dans la culture et les arts, il y a une part de travail, laquelle représente une forme d’engagement de l’artiste dans sa création, ce qui n’est pas toujours bien compris. Il y a aussi cette part d’aléas qui fait qu’on découvre ou non. Dans la réflexion et l’engagement des artistes sur des questions de fond, sur ce qui nous fonde depuis les Lumières et les droits de l’homme – que ce soient les pétitions en faveur de l’Algérie ou de la Bosnie –, deux aspects prédominent : l’exigence de liberté et l’exigence humaine, au sens des droits de l’homme te de la femme. Il me semble qu’il existe deux formes d’engagement, celle qui peut être apparente et exprimée, comme le débat concernant la loi sur l’immigration, et l’autre, qui réside dans la démarche du créateur, son art et sa mise en risque.

Armand Gatti : La première fois que je suis venu dans ce ministère, c’était à l’invitation d’André Malraux. Une de mes pièces, « La Passion du général Franco », était interdite. Malraux me dit : « Nous sommes les deux seuls à appeler la guerre d’Espagne « espoir ». » Nous nous étions parfaitement compris. Par la suite, j’ai totalement adhéré à son discours. Il m’a demandé un jour ce que je voulais faire. J’ai répondu « une cathédrale », même si cela ressemble plus au théâtre qu’a l’architecture. La fonction de l’artiste dans la société s’apparente au rôle des paradoxes dans les sciences, c’est-à-dire à la remise en question. Il ne faut surtout pas aller dans le sens des gens. Ce qui fait la majorité est mauvais. C’est la démission. Dès qu’on entend des bravos, c’est foutu. Sans l’idée de paradoxes, les mathématiques seraient restées figées au temps de Grecs. On s’en tiendrait encore à la physique classique. Les religions sont des poids morts car elles n’ont pas de paradoxes. Seules les hérésies viennent parfois les sauver et les rende vivantes.

Catherine Trautmann : J’ai travaillé sur les hérétiques au cours de mes études de théologie. Pour comprendre les textes qui ont été combattus et condamnés par les Pères de l’Église et qui sont abondamment cités dans leur littérature, la recherche s’effectue à partir de la parole autorisée. Celle-ci se définit entièrement par rapport à celle que l’on condamne. Le paradoxe, c’est la vie. Une société est surtout traversée de tension. Celle qui tombe à plat, c’est l’exclusion-inclusion. Elle ne peut pas marcher, elle ne comporte rien de positif puisque nous sommes tous la même société. Elle est juste l’expression d’une frontière. J’essaie en tant que politique de trouver où sont les points de tension, voire de mettre en tension. Je l’ai fait au cours de mon expérience de maire. Je tenterai encore de le faire pour qu’il y ait débat et confrontation, mais cette tâche prend du temps. Aujourd’hui, on a de plus en plus de mal à mettre une société en mouvement.

Jean-Claude Izzo : Le point de tension diffère selon qu’on est ministre de la culture ou ministre de l’intérieur.

Catherine Breillat : Je ne vote pas. Je n’aime pas les procédures électorales. Tout passe par la démagogie, l’émotionnel. Plus rien n’est fondé sur l’écrit, sur la pensée. Parlons de ce que coûte le cinéma. Avant, le financement passait par des producteurs fous qui allaient chercher de l’argent on ne sait où, peut-être au casino. Aujourd’hui, il repose sur des commissions, ce qui implique des consensus majoritaires, donc un robinet d’eau tiède. Comment voulez-vous qu’une hérésie passe la rampe ? Certes la commission d’avances sur recettes en soutient quelques-unes. Mais à la télévision, à 20h30, la France n’a pas le droit d’être adulte. C’est hallucinant ! Lorsqu’un film est interdit aux moins de dix-huit ans – cela m’est arrivé –, on subit l’opprobre, alors que le droit de vote est interdit aux mineurs. Nous avons fondamentalement le droit d’avoir une société adulte, un art adulte qui n’encoure pas le mépris sous prétexte qu’il ne fédère pas le plus grand nombre. Les gens restent donc sur un mode enfantin de pensée. L’art et le cinéma deviennent un divertissement. Or les mots ne sont pas innocents. Que veut dire « distraire » ? Prendre deux heures de notre temps. Or je n’ai pas envie qu’on prenne des heures de mon temps. J’ai envie qu’on m’intéresse, qu’on m’emporte.

Catherine Trautmann : La question est celle du financement. Il faut se garder d’établir des critères qui conduiraient à une sorte d’art officiel. Mais il faut aussi pouvoir apporter les moyens. Je suis amenée soutenir des démarches de recherche et de création qui ne peuvent pas rencontrer le plus grand nombre mais qui sont essentielles. Dans le cinéma, le débat sur les modes de financement est souvent. Un peu trop d’ailleurs, critique par rapport aux films qui sont aujourd’hui créés. Reste que, si nous avons un cinéma vivant en France, c’est grâce à un système de financement qu’on nous envie dans d’autres pays, où il n’existe pratiquement plus. Si on veut pouvoir garder une force de création dans notre pays, l’État ne peut pas se désengager.

Claire Lasne : Dans la place que vous occupez, vous êtes dans un rapport au pouvoir dont vous ne pouvez pas sortir, dont vous être prisonnière comme chacun est prisonnier de sa fonction. Dans le même temps, vous êtes en face d’artistes – par exemple dans le milieu théâtral que je connais le mieux –, dont beaucoup réclament de vous une fidélité à des engagements. Ils estiment que vous ne les tenez pas. Ces artistes, je les représente un peu à ce débat. J’aimerais vous entendre parler de votre engagement. Car vous m’avez dit au dernier Festival d’Avignon que vous n’étiez pas là pour toujours. Pour moi, avoir conscience que ce temps brûlant où l’on est ministre de la culture, que cette chance de faire quelque chose pour les autres seront court, est le début de l’engagement. J’ai eu aussi le sentiment que vous aviez fortement désiré cette place, que ce n’était pas un hasard mais une nécessité intérieure.

Comment pouvez-vous protéger cette chose essentielle très précieuse, très rare parmi les gens du pouvoir – ce pouvoir qui me fait horreur ? Comment trouver l’endroit de cette liberté, cette personnalisation de votre travail ? Armand Gatti m’a fait penser à cette phrase d’Henri Michaux : « Ce qu’on te reproche, cultive-le c’est toi ». Peu de gens sont dans ce paradoxe, dans ce petit entêtement à faire vivre ce en quoi ils ont cru, enfant. Peut-être me suis-je trompée, vous ai-je mal écoutée et regardée. Mais j’ai cette sensation. C’est pourquoi, lorsque j’entends dans le monde du théâtre cette espèce de colère contre vous et le gouvernement, je me dis qu’il vous faut répondre avec cette petite chose-là.

Catherine Trautmann : Je suis arrivée en politique par hasard mais aussi par conviction. J’en avais ras-le-bol que les femmes soient traitées comme elles l’étaient dans la société. Si on ne s’en mêlait pas les unes et les autres, il ne fallait pas se plaindre. Donc je me suis engagée. L’intérêt est d’aller là où c’est difficile, où on retrouve ce paradoxe, c’est-à-dire dans les lieux de pouvoir dont les femmes sont les plus écartées même si elles le sont un peu moins, à l’image d’autres secteurs professionnels où leur présence a progressé. J’ai découvert dans l’exercice du politique, surtout en situation de responsabilités, que la marge de liberté est la plus difficile à préserver. L’intérêt est aussi là. La culture est pour moi fondamentale, car elle n’a pas de statut dans la pensée politique qu’elle remet en question. La conscience profonde du temps court dans lequel on est nécessite de s’investir totalement et en même temps de garder cette liberté permettant d’éviter les pressions, les normes et un certain regard conventionnel. Elle rejoint ma conviction que notre démocratie devient de plus en plus fragile, instable.

Ce qui est pour moi le plus précieux, ce qui n’a pas de prix, est mis en danger. Mon engagement est à la fois politique et personnel. Une jeune fille me disait qu’en allant au théâtre elle voulait voir ce qu’elle vivait, non ce qu’elle vivait dans son quartier, mais ce qu’elle est. L’important était que cette jeune femme ait conscience que le théâtre lui permet de ne pas être prise en compte pour sa situation sociale, de son adresse, son origine, son âge, mais pour elle-même. Ce que certains ne supportent pas quand ils décident d’attaquer la liberté de créer.

Jean-Claude Izzo : Les moyens de la création sont un vrai problème mais ils nous séparent les uns des autres. Les millions que coûte un film permettraient à un écrivain de vivre et d’écrire pendant des années. Il y a donc un décalage énorme ? C’est pourquoi je voulais éviter d’entrée l’aspect comptable de la culture. Le plus important est ce qu’on peut faire bouger par notre création dans notre société. Ensuite, chacun trouve les moyens de survivre. Armand Gatti vit depuis des années avec sa valise. Malgré les difficultés, il nous donne des spectacles qui sont des illuminations. Et il est toujours là. Parlons plutôt des points de vue des cinéastes sur la société, de leurs interrogations sur les politiques. J’ai besoin de savoir quelle est l’utopie du ministre et du gouvernement. Car j’ai une utopie et je ne peux discuter avec quelqu’un qui n’en a pas. Créons nos tensions à partir de nos rêves.

Catherine Breillat : Les artistes ont besoin de porter des utopies, ce qui n’est pas le problème des politiques. Une grande partie des cinéastes ont un engagement politique. Mais tous ont un engagement citoyen sur l’éthique et la dignité humaine. Vous vous trouvez donc en butte à des artistes qui ont décidé soudainement de ne plus être politiques mais citoyens. De là ces textes que nous avons écrits très soigneusement. Nous avons fait attention à ne jamais demander l’abrogation de la loi Debré, ce qui serait une vocifération politique. Nous avons exigé qu’une éthique soit respectée, même si cela revient certainement au même. Nous n’avons pas voulu nous poser en force politique. Notre première pétition a fédéré tout le monde, y compris de gens qui ont des idées diverses sur la question de l’immigration, mais qui, sur la délation, ont une position commune. La deuxième pétition est du même ordre. Après avoir décidé d’examiner les dossiers des sans-papiers, qu’on soit surpris par leur nombre et que leur traitement prenne du temps, je peux le comprendre. Mais, pendant ce temps-là, ces gens doivent avoir un statut provisoire. Une fois qu’on a statué, il est normal aussi qu’ils aient un temps pour se retourner, pour choisir par exemple de redevenir clandestins Il est mal d’avoir des clandestins. Mais ce sont des personnes qu’on a en face de soi.

Vous avez demandé qu’on ouvre les archives pour le procès Papon, il est sidérant que des archives soient encore fermées. Ce sont des conspirations de silence. Pourquoi dit-on qu’on ne sait pas qui tue en Algérie ? Là, on ne se presse pas de dénoncer les crimes contre l’humanité. Or il y a des publications en Angleterre où les bourreaux se désignent d’eux-mêmes. Le FIS a massacré tous les intellectuels. Et il ne serait pas accusés de crimes contre l’humanité ? Ce seraient des gens convenables ? C’est comme Pol Pot. J’ai honte que la conférence se soit tenue à Paris. Il s’agit peut-être de réalité politique. Mais, idéologiquement, c’est honteux. Jamais on n’a eu l’idée de mettre Hitler à une table de négociations.

Catherine Trautmann : Concernant les lois sur la nationalité et l’immigration, pour que des gens aient des droits de séjour et qu’on puisse protéger des droits, il faut organiser et les réglementer. Si l’on veut sortir de ce procès spontané visant toute les personnes immigrées résidant sur notre territoire, il est nécessaire de passer à une autre étape. L’incompréhension porte plutôt, vous l’avez rappelé sur le fait que des gens déposent des dossiers et risquent de se trouver en irrégularité et d’être reconduits dans leur pays d’origine. La loi désignera des situations différentes et permettra de régler comme la circulaire le fait aujourd’hui, des cas plus concret pour répondre aux situations réelles et vécues. La circulaire pointe aussi des situations qui ne sont pas régularisables. L’abrogation ne se résout pas le problème du fond ? On arrivera à un texte très différent sur la plupart des pivots fondamentaux par rapport au droit du sol, droit d’asile, l’accès à la nationalité. On peut être d’accord ou non.

Des aspects m’ont aussi fait beaucoup réfléchir. Mais on passe d’une époque de répression visible, d’un principe de sécurité à une situation qui doit être légiférée normalement ? Il y a au moins dans cette démarche, une mise en œuvre qui combine à la fois ce qui est de l’ordre de la justice et du droit, par exemple, de défense et de recours, et ce qui est de l’ordre de l’organisation des conditions de séjour.

Jean-Claude Izzo : Je demande à un gouvernement un projet de société. Dans une campagne électorale, des hommes politiques défendre des symboles qui par la suite, quand ils sont au pouvoir, ne sont plus défendu. Quand on tergiverse sur les sans-papiers, que les simples mots « lois Pasqua-Debré » continuent d’exister dans ce gouvernement, c’est insupportable ? on est dans la politique et plus dans un projet de société. Quand le ministre de l’intérieur nous fait comprendre qu’on est si bêtes que même des ministres africains sont plus intelligents que nous et peuvent comprendre le problème, on voit le décalage entre culture et pouvoir politique.

Claire Lasne : Il y a une sorte de mensonge global en ce qui concerne le théâtre sur le service public, qui est devenu un notion vide et trompeuse. Quand vous affirmer que vous n’êtes pas ministre des artistes, je comprends peut-être par-là que vous êtes ministre des gens. Ce serait alors révolutionnaire. Vous dites que vous vous préoccupez de la liberté de création. Il y a quelque chose à inventer pour cette espèce de laboratoire de liberté que doit être l’art, semblable à la recherche en mathématiques selon Armand Gatti. Il doit être considéré dans un aller-retour vers les gens qui paient l’impôt pour que les théâtres existent. Cet aller-retour entre le culturel et le social a disparu. Je ne sais pas si j’aurais aimé les spectacles de Vilar, mais une chose est sûre, le rapport au public est présent dans chacun de ses mots et les gens étaient là à chaque fois qu’il ouvrait la bouche. C’est ce qui survient aussi avec d’autres résistants de la culture, tel Armand Gatti. Je voudrais que vous aidiez les artistes à se réveiller là-dessus et que vous alliez vous-même vers les gens pour leur dire : « C’est un droit que vous avez, réclamez-le, réclamez de pouvoir entrer dans les théâtres. Que ceux-ci arrêtent de ressembler à des annexes de la préfecture de théâtre ! »

Catherine Trautmann : Ce que dit Claire rejoint ce qui a été pour moi un engagement dans la cité, c’est-à-dire une communauté de vie dans laquelle j’ai pu expérimenter la défense d’un projet contre une majorité, contre des oppositions multiples et fortement exprimées. Une société a besoin de désir. La liberté qu’on peut exercer et conquérir restera toujours le moteur de la démocratie. Ce qui pose cette question dans le monde d’aujourd’hui, c’est la possibilité d’accéder à autre chose que son simple cadre d’environnement et d’aller plus loin. Si j’ai pu souhaiter être à la place où je suis, c’est que je cherche désespérément à mettre en mouvement cette société. Si elle est immobile, elle ne fait que subir et cela est épouvantable. La culture bouleverse les choses, introduit un changement, ce dont certains ne veulent pas du tout. Je ne pense pas qu’on s’en sortirait mieux en ayant chacun une utopie, mais en venant tous sur ce qui fait problème et débat. C’est le cas du service public. Si on a souhaité réfléchir sur une charte du service public, c’est pour ouvrir ce champs-là. Il est pervers de penser…

Claire Lasne : Le mot « charte » est terrifiant. C’est poser d’autres règles qui seront vides à nouveau.

Catherine Trautmann : Le mot « charte est peut-être peu judicieux. Il signifie juste que des règles sont actives dès lors qu’elles sont investies communément. Ce n’est pas une utopie sociale de penser que de plus en plus de gens puissent porter l’art en bagage personnel et comprendre ce que cela peut signifier pour eux. Ce n’est pas définir forcément des objectifs quantitatifs mais poser la question du public. Cette question-miroir renvoie au sens de ce que l’on fait. C’est au théâtre que ce questionnement est exprimé avec le plus de vigueur et de contestation. Profitons-en. Que la ministre soit la destinataire de critiques ou de reproches indique non seulement une opposition mais aussi une attente. Tout dépendra de ce qu’on met dans les mots, de ce qu’on veut faire ensemble Certains m’ont dit qu’ils attendaient une grande politique du théâtre. Je veux bien. Mais ceux qui sont investis dans ce domaine peuvent aussi formuler et apporter leur part. Je vérifie toujours que je reste dans mon rôle, car la politique est toujours tentée d’agir à la place des autres. La plus belle réussite en politique est lorsqu’on a laissé entendre ce que d’autres peuvent faire. Il faut être des suscitateurs et parfois aller à la bataille pour des faits mais aussi pour des idées. Je ne peux exercer ce ministère sans ce fil conducteur, les idées que je défends.

Armand Gatti : Pour moi, le théâtre n’est jamais la fabrication d’un produit, ce qui élimine trois choses : le tiroir-caisse, les acteurs et les spectateurs. Que reste-il ? L’essentiel, l’aventure du langage.