Texte intégral
P. Lapousterle : Après le récent incident de cohabitation, est-ce que vous ne craignez pas une guéguerre entre le Président de la République et le Premier ministre ?
E. Guigou : Non. De part et d’autre, on dit que l’incident est clos, on ne va pas en faire un feuilleton. Le Président de la République a critiqué la politique économique du Gouvernement, à l’étranger de surcroît, ce qui n’est pas des choses à faire, et le Premier ministre a répondu. Voilà.
P. Lapousterle : J. Delors, duquel vous avez été assez proche, pense que la cohabitation ne durera pas les cinq ans prévus. C’est votre avis aussi ?
E. Guigou : Moi je crois qu’on ne peut pas spéculer. Souvenez-vous, on disait au mois de juin : il n’y a pas d’état de grâce pour L. Jospin, et il s’est fabriqué un état de grâce.
P. Lapousterle : Donc tout est possible. Vous avez lu le sondage RMC-La Provence-Le Figaro publié hier dans la région PACA dont vous êtes l’élue. Ce sont des résultats assez durs puisque 79 % des personnes sondées considèrent que la corruption existe dans la vie politique régionale et pire, 86 % pensent que cette même corruption est générale en France chez tous les responsables politiques. Qu’en pense l’élue socialiste de cette région et en plus le ministre de la justice ?
E. Guigou : D’abord en tant qu’élue de cette région, je constate qu’il n’y a pas que cette région…
P. Lapousterle : Est-ce une consolation ?
E. Guigou : Non. C’est important car on a tendance à stigmatiser la région Provence. Mais je suis profondément désolée de voir que l’on pense que la corruption est si généralisée chez les responsables politiques. Je pense que par rapport à un état d’esprit, à une croyance de ce gendre, il faut que nous nous interrogions, nous les responsables politiques, sur le fonctionnement de nos systèmes politiques, sur le fonctionnement de nos systèmes politiques. C’est la raison pour laquelle, parce qu’il y a ce soupçon, il existe de la corruption. Mais elle est marginale. C’est parce qu’il y a ce soupçon de corruption généralisée qu’il faut faire en sorte que l’on ne puisse pas justement penser que la justice, par exemple, ne poursuit pas la corruption. C’est la raison pour laquelle nous faisons cette réforme. Pour dire : nous ne donnons plus d’instruction particulière aux procureurs pour qu’il ne puisse plus exister ce soupçon de connivence et même plus entre les responsables politiques et le fondamental. La deuxième chose, c’est que crois qu’il faut réfléchir sur les ravages du clientélisme. Je crois qu’il faut que nous nous disions – c’est vrai en PACA, c’est vrai dans d’autres régions françaises – : nous ne pouvons plus, nous les responsables politiques, fonctionner avec le clientélisme. En PACA, la politique de la région jusqu’à récemment, encore maintenant, c’est le saupoudrage. On saupoudre des subventions, on n’a pas une politique avec des grands choix clairs.
P. Lapousterle : Tout changera si vous êtes élus ?
E. Guigou : Nous, ce que nous voulons faire, c’est dire : nous avons un projet pour cette région, un projet clair avec des vrais choix sur l’emploi, sur l’aménagement du territoire et l’environnement, sur la sécurité. Nous l’articulerons avec la politique du Gouvernement naturellement, et puis nous axerons le budget, les politiques sur ces grands choix. Voilà ce que nous allons faire. Je crois qu’il faut en réalité faire aussi dans nos régions ce que L. Jospin a fait au niveau national. Les politiques sont là pour présenter des choix au pays, pour s’y tenir et quelles que soient les difficultés ensuite, pour les mettre en œuvre. Et pour dire au pays et à l’opinion publique : voilà sur quoi vous nous avez élus et voilà ce que nous allons faire. Ils sont là pour rendre des comptes et naturellement pour faire en sorte que tout soit transparent. Moi, en tant que ministre de la justice, les réformes que je fais, toutes les réformes, c’est pour rendre le système transparent afin que chacun sache ce qui se passe et chacun puisse déterminer les responsabilités.
P. Lapousterle : Si le FN était en tête aux élections régionales en PACA ?
E. Guigou : Mais il faut se sortir cette idée absurde de la tête que le FN peut prendre la présidence de la région PACA. Même s’il est en tête, il n’aura pas la présidence de la région, car la seule façon pour lui d’avoir la présidence de la région PACA, c’est de débaucher des voix de la droite, étant donné qu’il n’y aura pas une voix de gauche et pas un élu de gauche qui ira vers le FN mais du côté de la droite, c’est moins sûr. Bien sûr, J.-C. Gaudin, F. Léotard disent : nous ne pactiserons pas avec le FN. Et moi je les crois, eux. Mais je ne suis pas sûre que tous les élus ou tous ceux qui sont susceptibles d’être élus sur des listes RPR et UDF tiennent le même raisonnement. Et c’est ça qu’il faut clarifier pendant cette campagne.
P. Lapousterle : C’est fait pour le moment ?
E. Guigou : Pour l’instant, ce n’est pas fait.
P. Lapousterle : Demain, vous allez attaquer une difficile semaine, vous serez devant les députés pour défendre la loi sur la nationalité du Gouvernement. Dans votre majorité, on a quand même vu les Verts défiler samedi contre ce projet de loi. Vous ne pensez pas qu’il y aura des problèmes avec certains communistes, les Verts, certains socialistes aussi ? Est-ce que n’est pas un problème pour vous que votre majorité ne soit pas entièrement derrière vous ?
E. Guigou : C’est normal que sur un sujet aussi grave que la nationalité, c’est l’idée qu’on se fait de la nation et c’est l’idée qu’on se fait de l’intégration…
P. Lapousterle : Mais est-ce qu’il fallait y aller en urgence pour ça ?
E. Guigou : Je crois en tout cas qu’il était très important, s’agissant d’un engagement que nous avons pris dans la campagne électorale, le calendrier parlementaire étant très encombré, de ne pas trop traîner dans le courant de l’année 1998. Donc là, la procédure d’urgence est destinée à faire en sorte qu’au tout début de l’année prochaine, nous en ayons terminé avec le vote de la loi sur la nationalité que je défends et de la loi sur l’immigration que J.-P. Chevènement va défendre devant le Parlement. Donc je crois que c’est un sujet grave. Parce que, c’est vrai que tout dépend de l’idée que l’on se fait de la nation. Moi je crois que la nation française résulte en effet de la volonté qu’on a de s’intégrer dedans. À partir du moment où un jeune est né chez nous, a été élevé dans nos écoles, parle notre langue et que notre langue, j’estime qu’il a le droit de devenir Français à sa majorité et qu’il a même le droit de demander la nationalité française avant, à partir de l’âge de 16 ans, à partir de l’âge de 13 ans propose le groupe socialiste…
P. Lapousterle : Vous accepterez ça ?
E. Guigou : J’accepterai. Et je crois que le gros défaut de la loi de 1993, de la loi Méhaignerie de 1993, c’est qu’en disant : il faut que le jeune demande, sinon il n’a pas la nationalité française, ça a laissé des tas de jeunes au bord de la route, des jeunes qui n’étaient pas informés, des jeunes qui croyaient être français et qui n’ont pas fait cette démarche. Vous imaginez un jeune qui ne connaît que le français, qui ne connaît que nos écoles, qui est né chez nous, qui n’a aucun avenir ailleurs, et on vient lui dire un jour à 25 ans quand il demande un papier d’identité : parce que vous n’avez pas fait la démarche entre 18 et 21 ans, vous n’êtes pas français.
P. Lapousterle : Ce n’est pas indigne de demander à un jeune de demander à être français ?
E. Guigou : Mais c’est pour ça que nous intégrons dans notre projet de loi la manifestation de la volonté du jeune et que nous ne laissons pas la possibilité aux parents de demander la nationalité pour l’enfant. C’est pour ça qu’une partie de la gauche, une petite partie, toute petite partie, voudrait qu’on revienne à ce système où les parents demandent la nationalité pour leur enfant d’ailleurs à la naissance. C’est un système qui existait dans la loi de 1973. Une loi votée sous le septennat de G. Pompidou, défendue par P. Mazeaud. Ce n’était pas une loi de gauche. Mais nous avons décidé que nous ne revenons pas là-dessus parce que nous privilégions la volonté de l’enfant, conformément à la convention européenne des droits de l’enfant. C’est la volonté de l’enfant qui doit s’affirmer. À partir de 13 ans, à partir de 16 ans, c’est indispensable parce que l’enfant peut rentrer dans des systèmes d’apprentissage, il peut avoir besoin d’avoir un certificat de nationalité pour rentrer dans des écoles. Baisser à 13 ans, le Gouvernement accepte parce que c’est l’âge auquel dans notre droit, un enfant peut choisir si ses parents divorcent d’habiter avec l’un ou l’autre, c’est l’âge à partir duquel aussi, si un enfant a commis un acte très grave, il peut aller en prison. Donc, on estime qu’il a une certaine légitimité. J’ajoute qu’à partir du moment où on a baissé la majorité de 21 ans à 18 ans, baisser la possibilité de demander pour un enfant de 16 ans à 13 ans, en effet, ça ne me paraît pas choquant.
P. Lapousterle : L’opposition déposera 300 ou 400 amendements et fera une pétition nationale. Ça vous gêne ?
E. Guigou : La pétition nationale n’influera pas sur les travaux du Parlement. C’est là que doit se situer la discussion. Et j’aurais trouvé sur un sujet comme cela, beaucoup plus digne de mener la discussion essentiellement au Parlement. Pourquoi ? Parce que cette pétition nationale, j’estime qu’en réalité, elle poursuit d’autres objectifs. Elle est faite, me semble-t-il, pour mêler les voix du RPR, je ne sais pas si l’UDF s’y associera d’ailleurs, avec celles du FN. Et je trouve ça dangereux.