Texte intégral
Q - Vous avez demandé un rendez-vous à L. Jospin. On se dit que vous n'êtes pas seulement européen et que vous allez continuer à labourer le sol politique français ?
- « Les questions européennes ne s'arrêtent pas en France avec l'élection du 13 juin. Il est évident que nous devons continuer à développer l'Europe et je crois que la France peut jouer un rôle important dans cette évolution européenne. C'est pour cela que je veux m'entretenir avec L. Jospin. »
Q - Il va vous voir, mais pas tout seul, avec D. Voynet qui va vous tenir la main.
- « C'est très bien. D'abord, comme vous savez qu'on y va à deux, vous en savez déjà plus que moi. »
Q - Il y a tout de même ceux qui disent : c'est bien les Verts, ils ont obtenu un bon score, mais c'était à la proportionnelle. En fait, au scrutin majoritaire dans les circonscriptions, quand il s'agit de l'Assemblée nationale, ça ne fait pas beaucoup de députés !
- « Au scrutin majoritaire, s'il n'y a pas une alliance de la gauche plurielle, ça ne fait pas beaucoup de députés, ni pour le PS, ni pour les Verts, ni pour le PC. Vous savez très bien qu'aujourd'hui, au scrutin majoritaire, il faut faire des listes unitaires pour gagner une majorité. L'important, c'est de comprendre que l'électorat Verts, dans le potentiel d'une troisième gauche en ce moment, est tel qu'il faudra faire une alliance bien équilibrée entre les communistes, les socialistes et les Verts. »
Q - Vous êtes en train de dire à L. Jospin : pour gagner la présidentielle, il faudra compter sur nous et nos électeurs ?
- « C'est évident. Vous savez que les électeurs Verts sont des gens qui se mobilisent quand ils se sentent concernés par un projet politique. Je suis persuadé que Lionel Jospin sait que s'il veut gagner les présidentielles, il doit pouvoir aussi mobiliser le potentiel de cette troisième gauche qui s'est exprimée d'une certaine manière aux élections européennes. »
Q - En 1989 déjà, les Verts avec A. Waechter, avaient fait plus de 10 %. Pourquoi ce serait plus durable, cette fois-ci ?
- « Deux choses : d'abord, le score de Waechter dans une situation politique totalement différente, c'était après la réélection de F. :Mitterrand d'un côté, mais quand même, il y avait un désarroi dans la gauche. C'était plus une défaite de Chirac qu'une victoire de Mitterrand, et je crois qu'aujourd'hui, nous sommes un vote de proposition. C'est un contenu, une volonté, une évolution politique de la gauche plurielle qui s'est exprimée dimanche dernier, et donc, il y a plus de consistance. Deuxièmement, les Verts sont aujourd'hui au Gouvernement, ils sont un mouvement politique qui exprime quelque chose, qui a une toute autre consistance que le ni-ni de l'époque de Waechter qui était un rassemblement des déçus de beaucoup de choses. »
Q - Mais alors précisément, le fait que D. Voynet soit au Gouvernement : est-ce qu'elle n'est pas ficelée ? Est-ce que ça ne vous empêche pas de pousser les feux autant que vous le voudriez ?
- « Non, non ! Je crois que ce qu'il faut bien comprendre, c'est le problème des Verts qui sont au Gouvernement partout. Les Verts au gouvernement doivent être un parti de Gouvernement et en même temps, un parti d'idées dans la société. C'est ça la double stratégie nécessaire pour les Verts : c'est d'être à la pointe du débat d'idées, de proposition à l'intérieur de la société, parce qu'on ne change pas le monde uniquement par le gouvernement. Il faut que la société bouge, que la société se mobilise, que la société avance, sur la réduction du temps de travail, sur la réorganisation du travail, sur les problèmes de l'environnement et de la protection de l'environnement. Voilà la stratégie que doivent développer les Verts. »
Q - Sur quoi, précisément, attendez-vous que la France donne l'exemple en Europe ?
- « Je crois que la France doit poser, en Europe, le problème après la dioxine, d'une réorganisation de l'agriculture européenne. »
Q - Alors, vous avez entendu M. Glavany, hier, le ministre français de l'Agriculture, proposer un abandon progressif des farines animales. Or il y a quand même des intérêts économiques énormes qui sont en jeu.
- « Si l'on décide d'abandonner les farines animales, c'est bien. Maintenant, il y a une stratégie à mettre sur pied. Nous sommes pour le faire le plus rapidement possible et il faut faire des négociations là-dessus. Mais il faut bien comprendre que le gouvernement français n'a une chance que s'il joue avec le Parlement européen. Il faut prendre des initiatives conjointes. La même chose, maintenant, sur un moratoire pour les organismes génétiquement modifiés. Les aliments manipulés génétiquement, tout cela il faut l'arrêter. Le principe de précaution doit reprendre, refaire surface parce qu'après l'amiante, après la « vache folle », après le poulet à la dioxine, il faut faire attention à ce que l'on fait. Deuxièmement, après la catastrophe du Tunnel du Mont-Blanc, il faut bien faire un grand progrès européen pour faire passer les transports marchandises, le fret, de la route sur le rail. Et là encore, il faut un grand projet européen. Vous voyez, il y a beaucoup de choses à faire. Et puis dernièrement, il faut discuter de choses très précises : les réformes institutionnelles, la démocratisation de l'Europe. Il faut réformer le Parlement, toutes les institutions européennes pour qu'enfin les citoyens européens comprennent le fonctionnement de l'Europe et qu'ils puissent s'impliquer dans la construction européenne. »
Q - Il y a aussi les Balkans. On est train de découvrir au Kosovo les premiers charniers. Croyez-vous qu'il faudrait aller chercher Milosevic jusqu'à Belgrade pour le traduire en justice ?
- « Il faut des interventions au niveau de la société civile serbe, il faut aider la société civile serbe à se mobiliser pour qu'il y ait vraiment une révolution démocratique en Serbie. C'est cette révolution démocratique en Serbie qui livrera Milosevic au Tribunal pénal international. »
Q - Vous voyez bien que les peurs sont contradictoires. Maintenant, ce sont les Serbes qui s'en vont parce qu'ils ont peur des représailles des Kosovars. Vraiment, on peut imaginer la cohabitation ?
- « Est-ce qu'on pouvait imaginer la cohabitation des Juifs et des Allemands en 1945 ? Non, c'était inimaginable. C'est un processus difficile. C'est pour cela qu'aujourd'hui la Kfor doit être très claire et doit protéger aussi bien les Kosovars que les populations serbes au Kosovo. »
Q - C'est le rôle de l'Europe, ça ?
- « Vous savez, l'Europe sort des cendres comparables aux cendres que nous avons aujourd'hui au Kosovo, dans les Balkans. Est-ce que l'Europe était imaginable en 1945 ? Est-ce qu'en 1945, vous imaginiez qu'il n'y aurait plus de frontières entre l'Allemagne et la France ? Qu'il n'y aurait plus de soldats à la frontière entre l'Allemagne et la France ? Non. Alors, vous voyez que l'on peut se sortir des drames les plus horribles si l'on met en avant un principe de construction qui – pour la construction européenne – a été la corresponsabilité. Il faut que les peuples des Balkans développent le principe de la corresponsabilité pour leur évolution économique, écologique et démocratique. »
Q - Tout à l'heure, dans l'énumération, vous avez oublié le nucléaire. C'était un oubli volontaire ?
- « Non, involontaire. Le débat sur le nucléaire est nécessaire en France. »
Q - L. Jospin vous a dit : « Moi, le nucléaire, c'est indispensable. »
- « Qu'il dise ce qu'il veut. Le problème du débat nucléaire dans la société, c'est que le nucléaire est trop cher. Par exemple aujourd'hui, les Français avaient planifié un nouveau réacteur nucléaire avec les Allemands. Les Allemands ne le construiront pas. La France ne pourra pas seule développer de nouveaux réacteurs nucléaires. Donc, vous voyez qu'aujourd'hui le nucléaire est bloqué parce qu'il est trop cher, parce que ça ne fonctionne pas comme on le dit, parce qu'on ne sait pas traiter les déchets. On accumule les déchets nucléaires, on accumule notre incapacité à arriver à une solution des déchets. Je crois que la diversification est nécessaire. Faisons les choses en temps en France, diversifions, réduisons l'influence du nucléaire et après, vous verrez qu'il y aura une issue de sortie du nucléaire en France comme ça existe dans d'autres pays, en Angleterre… Plus personne ne voit d'avenir du nucléaire, sauf la France et le Japon. »