Interview de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, et de M. Jean Saint-Josse, tête de liste de Chasse pêche nature et tradition à l'élection européenne, à TF1 le 16 mai 1999, sur la campagne du PCF pour l'élection européenne par le PCF, la montée des revendications nationalistes en Corse et sur le conflit au Kosovo.

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Média : Emission Public - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Michel FIELD
Bonsoir à toutes, bonsoir à tous. Eh bien non, tous les gens des médias ne sont pas à Cannes ou à Monte-Carlo pour le Grand Prix ; il a en a qui travaillent à Paris et qui essaient de vous faire suivre avec le maximum d'équité possible la campagne pour les élections européennes. Equité donc : deux invités aujourd'hui ; dans un moment, ce sera Robert HUE, le secrétaire national du Parti Communiste français. Et l'émission commence avec vous, Jean SAINT-JOSSE, merci d'être avec nous. Vous êtes évidemment moins connu du grand public mais il faut dire que vous êtes fondateur et tête de liste de Chasse, Pêche, Nature et Tradition. C'est une liste qui prête un peu à sourire comme ça quand on en parle et qui en fait a réalisé un certain nombre de performances en terme de score, notamment aux dernières régionales, 32 élus dans 17 régions. Vous aviez, je crois, 29 sortants sur 13 régions. Donc, il y a eu aux régionales une vraie progression. Vous êtes maire de Coarraze, un petit village entre Pau et Lourdes…

Jean SAINT-JOSSE
Le plus beau village du monde, bien entendu.

Michel FIELD
Sans doute, et conseiller régional d'Aquitaine. J'ai envie de vous demander, pour les gens qui connaissent peu cette liste ou qui ont l'impression que c'est le lobby des chasseurs, déguisé, quel est l'intérêt pour vous de participer à un débat comme celui des Européennes. Qu'est-ce que c'est que votre programme ?

Jean SAINT-JOSSE
Tout d'abord, le mouvement est né en 89 en réaction… donc mouvement réactif par rapport à des directives européennes très contraignantes en particulier pour la chasse. Alors c'était un mouvement corporatiste au départ. On n'a pas su très bien expliquer parce que c'était un petit peu l'illustration d'une directive contraignante mais qui pouvait être une directive dans d'autres domaines que la chasse. Et on n'a pas su expliquer. Alors donc on nous a vus un petit peu comme le mouvement des chasseurs. Et puis le langage a évolué, le discours a évolué puisque vous l'avez dit très justement, nous avons 32 conseillers régionaux et nous avons appris à partager avec les autres, à réfléchir, à évoluer et effectivement à trouver nos marques sur un programme puisque nous allons aux élections européennes avec un slogan qui s'appelle « L'Europe des différences » ce qui veut dire qu'on ne traite pas que des problèmes de chasse comme on a bien voulu le dire dès le départ.

Michel FIELD
Alors c'est vrai que, moi j'ai lu vos textes, j'ai lu vos déclarations et que la chasse y tient un petit rôle finalement dans ces déclarations ; vous réfléchissez plus sur des problèmes qui sont en fait des problèmes qui concernent tout le monde, c'est-à-dire la désertification des campagnes, l'émergence finalement d'une misère citadine et la volonté de rééquilibrer tout ça avec les impasses de l'aménagement du territoire. Mais quel type de solutions vous prenez ?

Jean SAINT-JOSSE
On a quelques axes. Quand on parle de l'Europe des différences, si je devais prendre deux mots pour résumer ce qu'on veut dire, je dirais par rapport à une émission de télévision d'un de vos confrères « Des racines et des hommes ». Si je devais prendre un symbole, je prendrais un arbre, un bel arbre ; on a de beaux arbres dans nos forêts. Cet arbre, il a des racines fortes, différentes, et qui prennent bien la terre. C'est indispensable, des repères ; un peuple sans racines est un peuple qui se meurt. Donc des racines fortes, qui prennent un tronc, ce tronc commun où passe la sève, eh bien c'est aussi la politique commune et qui amène à des branches qui sont différentes, des grandes, des petites, des tordues, des basses et des hautes et ce sont les identités. Et c'est l'addition de ces identités, cette addition qui a fait la France en couleurs et qui fera demain j'espère l'Europe en couleurs. Et c'est ce que nous défendons en disant : l'aménagement du territoire fait aussi partie de cette notion de différence parce que dans l'aménagement du territoire, les différences s'ajoutent. Je crois que quelqu'un disait que la diversité est un cadeau du monde, quelqu'un de plus célèbre que moi bien entendu ; je crois que c'est un beau cadeau à condition qu'on l'exploite à sa juste valeur.

Michel FIELD
Ce n'est pas une liste passéiste ?

Jean SAINT-JOSSE
Non, pas du tout, je ne vois pas pourquoi elle serait passéiste. Quand on parle d'aménagement du territoire et qu'on part du constat qui consiste à dire : la loi d'aménagement du territoire est en train de mettre 80 % des gens sur 20 % du territoire, c'est-à-dire qu'on entasse les gens dans des villes, qu'on fait des ghettos, promiscuité, insécurité, chômage, pas de convivialité, pas de communication. Mais a contrario, on multiplie les problèmes dans l'espace puisqu'on vit dans les campagnes. Mais quelle est la femme demain qui voudra aller vivre dans une petite commune où il n'y a plus d'école, où il n'y a pas de halte-garderie, où il n'y a plus de crèche ! On est en train de créer deux catégories de citoyens et c'est contre cela qu'on se bat. D'ailleurs si on ajoute à cet aménagement du territoire ce qu'on est en train d'étudier aujourd'hui dans les régions, à savoir le schéma de développement des espaces communautaires, c'est de la même veine. On est en train d'industrialiser davantage les régions qui sont déjà industrialisées, par exemple la Ruhr va devenir plus industrielle ; et par contre les Pyrénées vont devenir avec plus de protection ; ça veut dire aussi que sans nous le dire, on est en train de créer la supranationalité. Nous ne la voulons pas parce que si on est en train de créer un espace communautaire sans frontières, sans que le peuple français ait été informé de la chose, il y a quelque chose qui ne va pas.

Michel FIELD
Mais alors avec qui vous allez vous allier si vous avez des députés européens, parce que une chose est de se battre sur ses propres couleurs et sur son propre programme, si vous avez des députés européens, il faudra bien passer des alliances. Par exemple, là, jusqu'à maintenant vos conseillers régionaux en France, dans les débats politiques, de quel côté ça penche ? Avec qui vous faites plutôt alliance au moment des votes par exemple ?

Jean SAINT-JOSSE
Ce n'est pas un problème de côté. Je crois que si en France, on faisait autrement, on aurait moins de problèmes ; c'est un problème de projet. On peut trouver un projet excellent par une équipe et on peut trouver aussi un autre projet excellent par une autre. Je crois que si on faisait moins cet amalgame de couleur politique et si on se mettait tous à travailler, peut-être que les problèmes de chômage seraient réglés, je n'en sais rien, ou du moins on essaierait d'avoir des solutions. Je crois qu'on est en train de se battre… Je suis persuadé que si à la télévision, on mettait dix hommes politiques aujourd'hui, sans mettre le nom et l'étiquette politique, vous mettez un échantillon de la population française, je suis presque persuadé qu'ils ne vont pas pouvoir les découvrir au niveau des partis politiques.

Michel FIELD
C'est une bonne idée d'émission là que vous nous soumettez… je n'avais pas pensé à ça.

Jean SAINT-JOSSE
Ca serait intéressant. Non, mais ce que je veux dire, c'est que dans les régions, on a un certain nombre de missions… d'abord on gère un espace et nous nous sentons bien dans la gestion de l'espace. Quand par exemple en Aquitaine, on nous dit : on va aider les entreprises de plus de dix emplois, nous on répond : on ne vote pas ça, on vote si c'est l'aide à partir du premier emploi parce qu'à partir du premier emploi, c'est 460.000 entreprises de petit format et qui sont bien entendu réparties sur l'espace. Donc des petits commerçants, des petits artisans qui ont besoin d'aide ; il faut garder la vie dans les campagnes. Et si on ne garde pas la vie, on ne va pas s'en sortir. C'est pour ça qu'on est candidat. On n'a pas la prétention de bouleverser tout. Si on avait des solutions pour tout, ou on serait président de la République ou Premier ministre, ça se saurait ! Ce n'est pas ça. Je crois qu'on veut apporter… On a des convictions, peut-être beaucoup de passion aussi et on veut les faire passer. Moi, je suis maire d'une petite commune, je vois les problèmes tous les jours. Je crois que les élus nationaux ont parfois perdu cette idée de proximité. C'est en étant maire d'une petite commune… tous les jours, on se rend compte des difficultés des gens, de la détresse des gens et c'est là où on intervient parce que c'est la cellule de base de la société, la commune.

Michel FIELD
Alors que le discours que vous tenez, c'est plutôt un discours humaniste, assez généreux ; et en même temps les seuls incidents marquants qu'il y a eu depuis le début de cette campagne électorale, on les doit à des groupes de chasseurs : Noël MAMERE s'est fait agresser jeudi soir une fois de plus ; Daniel COHN-BENDIT l'avait été ; Dominique VOYNET a été prise à partie dans des termes vraiment machistes, sexistes et indignes par des chasseurs en colère, est-ce que vous…

Jean SAINT-JOSSE
Je vous arrête…

Michel FIELD
Est-ce que vous êtes solidaires de ces manifestations-là ?

Jean SAINT-JOSSE
Pas du tout. Ce ne sont pas des chasseurs déjà… Non, non, les chasseurs n'y sont pour rien dans ces affaires-là. Ce que je veux dire…

Michel FIELD
Ce n'est pas dans une manifestation de chasseurs que Dominique VOYNET a été traitée de tous les noms ? Je crois que si.

Jean SAINT-JOSSE
Traitée, je ne sais pas, je n'y étais pas…

Michel FIELD
Si, si, je crois que si.

Jean SAINT-JOSSE
Vous savez, quand on a 200.000 personnes qui sont dans la rue, il peut y avoir aussi quelques maladresses. Moi je condamne toute violence y compris dans les autres pays ; la violence qui consiste à voir le ministre des Affaires étrangères allemand se faire molester par ses propres adhérents ; je condamne toute forme de violence.

Michel FIELD
Donc vous désapprouvez par exemple l'agression dont a été l'objet Noël MAMERE jeudi soir ?

Jean SAINT-JOSSE
Je désapprouve toute agression mais je ne veux pas être responsable non plus de tout cela. Il y a 39 millions d'électeurs en France. Sur ces 39 millions d'électeurs, il y a 1,5 million de chasseurs qui votent, mais qui sont disponibles pour tous les partis politiques candidats à ces élections, il faut bien le comprendre. Moi je ne peux pas être responsable de ceux-là, des 1,5 million ; il y a bien des dérapages. Bon, regardez… d'ailleurs le gouvernement est incapable de gérer des préfets et des colonels de gendarmerie, alors qu'ils sont cent. On ne va pas me demander à moi de gérer 1,5 million de chasseurs !

Michel FIELD
En tout cas, votre responsabilité politique n'est pas engagée par ça.

Jean SAINT-JOSSE
Elle n'est pas engagée mais je répète, la violence effectivement, il faut la battre en brèche. Mais vous savez, il ne faut pas non plus provoquer les gens, parce que je remarque que ce sont toujours les mêmes qui sont agressés. Robert HUE n'a pas été agressé, moi non plus, le Premier ministre non plus etc. Je remarque que ce sont toujours les deux ou trois mêmes ; alors il ne faut pas non plus qu'il y ait un esprit de provocation… Et puis il faut relativiser les choses. Je vais vous dire quelque chose : je viens d'avoir un coup de téléphone de chez moi tout à l'heure parce que notre équipe de Coarraze est en demi-finale du championnat de France de rugby de deuxième division, je félicite d'ailleurs les joueurs, les dirigeants… Ils ont eu un caractère extraordinaire. Il y a un jeune qui est mort hier soir d'un accident de voiture. Le capitaine de l'équipe junior de rugby et je compatis à la peine de tout le club bien entendu. Vous savez, quand vous avez des problèmes comme ça… je sais que les oeufs sur monsieur MAMERE sont importants, c'est grave, mais je peux vous dire que quand vous avez des peines comme celle-là, je crois que l'émotion aujourd'hui et mon problème, dépassent largement ces petits incidents.

Michel FIELD
Jean SAINT-JOSSE, merci, je rappelle que vous êtes tête de liste de Chasse, Pêche, Nature et Tradition…

Jean SAINT-JOSSE
Meeting à Paris à la Mutualité le 25 mai…

Michel FIELD
Ne vous trompez pas de date.

Jean SAINT-JOSSE
Non, le 25 mai.

Michel FIELD
Merci à vous. Une page de publicité et on retrouve Robert HUE, le secrétaire national du Parti communiste français pour la suite de l'émission.

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Michel FIELD
Retour sur le plateau de « Public » avec un changement d'invité. Robert HUE, bonsoir. Le secrétaire national du Parti communiste français est là pour à la fois nous parler de l'actualité. On va quand même aborder cette actualité… au nom du Parti communiste, j'ai envie de vous demander un certain nombre de choses notamment sur ce qui se passe en Yougoslavie, en Israël, la situation en Russie, la Corse également ; et puis on parlera également de cette liste atypique que vous dirigez, liste à parité, on en avait parlé la dernière fois que vous étiez venu, à la fois parité hommes-femmes, parité communistes-non communistes. Commençons juste par une première question là-dessus. Vous avez commencé à faire campagne depuis quelques semaines. Cette liste atypique, est-ce qu'elle donne les résultats que vous espériez ou est-ce que le peu qui reste de l'identité du Parti Communiste continue à s'y diluer ?

Robert HUE
Ecoutez, cette liste surprend beaucoup…

Michel FIELD
Même les communistes…

Robert HUE
L'électorat se retrouve parfaitement dans cette liste qui est une grande richesse. C'est une liste qui à la fois effectivement comprend des communistes – 50 % - comprend aussi des personnalités… et d'ailleurs j'avoue qu'au fur et à mesure que nous travaillons ensemble, ces personnalités féministes, antiracistes, je ne les connaissais pas bien avant que nous nous rencontrions. Nous nous étions rencontrés dans des initiatives, manifestations, conférences, mais là je découvre vraiment une formidable richesse. Je crois vraiment que l'avenir de la politique passe par des rapports ainsi faits entre une force politique comme le Parti communiste et des représentants de ce mouvement social, de la société civile, de la jeunesse. Enfin vraiment je crois que ça décape beaucoup ; les rencontres sont importantes, il y a un débat franc, direct. Tout ça se passe bien. Je crois que c'est vraiment une façon nouvelle de faire de la politique. Alors je ne dis pas que nous ne cherchons pas un peu… mais en tous les cas, je crois que c'est le chemin à prendre aujourd'hui si on a envie de réconcilier la société, les citoyens français avec la politique.

Michel FIELD
Ca peut préfigurer ce que deviendrait le Parti Communiste français dans les années qui viennent ?

Robert HUE
Non, je ne crois pas ; il faut des partis politiques. Je crois que la démocratie…

Michel FIELD
Oui, mais s'ils ne se présentent plus en tant que tels aux élections…

Robert HUE
Ils se présentent en tant que tels sauf qu'il y a à la fois la démarche communiste, d'identité communiste qui participe du choix qu'a fait le Parti Communiste… c'est un choix qu'il a fait cette situation inédite d'une double parité. Donc je crois qu'aujourd'hui, c'est une démarche, ça montre un chemin de rapprochement entre des forces progressistes, des forces antilibérales, des forces qui ont envie d'apporter du neuf en France et en Europe. Et puis il y a les partis politiques. Le Parti Communiste français a sa raison d'être comme parti politique. Je crois que l'essentiel… Il me semble que sa modernisation au Parti Communiste, passe comme peut-être pour d'autres mais moi je m'occupe du Parti Communiste, passe par ce rapport nouveau à la société et je crois que voyez-vous, ce qui est en train de se faire actuellement ne participe pas d'un Parti Communiste qui serait moins identifiable, quelque peu affadi par cette démarche, mais au contraire il se tonifie ; je suis frappé par la dynamique, du caractère tonique de cette campagne parce que précisément nous ne sommes pas seuls à vouloir avoir une vérité sur tout, à vouloir dire « c'est notre programme et rien d'autre ». Là, c'est une liste de partage. C'est une liste riche parce qu'on partage ; on partage des volontés fortes, antilibérales, progressistes, une volonté féministe farouche parce qu'il y a dans cette liste… vous me direz : la double parité hommes-femmes, elle existait déjà en 94, ce qui est nouveau, c'est que c'est une liste véritablement du féminisme ; il y a dans cette liste des femmes qui sont des militantes du féminisme, Geneviève FRAISSE (phon), Sylvie JEAN, d'autres encore. Il y a donc des femmes qui sont là pour passer le discours sur l'égalité des sexes et faire valoir en Europe parce qu'elles vont être élues demain, des idées complètement neuves dans ce domaine, c'est formidable !

Michel FIELD
Vous partagez tant que vous partagez même toutes les opinions possibles à propos des grands dossiers et notamment de la guerre du Kosovo. Est-ce que ce n'est pas gênant d'être à la tête d'une liste dont, entre le numéro un et le numéro deux, il n'y a pas la même appréciation sur les frappes de l'OTAN, sur la guerre du Kosovo ?

Robert HUE
Mais Michel FIELD, cette liste, puisqu'elle n'est pas une liste communiste, il faut accepter l'idée qu'il y a dans cette liste des sensibilités… ou alors on bluffe les gens, on dit : là on met tel ou tel représentant, et puis après… on instrumentalise en clair. Ce n'est pas du tout le cas. A partir de ce moment-là, il faut accepter la diversité qu'il y a dans la société. Vous savez comme moi que sur la guerre au Kosovo, le problème de la guerre et de paix, des problèmes très douloureux, la position qui est la mienne est très nette : d'emblée, j'ai dit mon désaccord avec les bombardements. Mais en même temps, on voit bien que dans la société, les choses ne sont pas aussi simples ; il y a la complexité de la situation et nous trouvons…

Michel FIELD
Oui, mais à un moment il faut trancher. Vous ne pouvez pas espérer que ceux qui sont contre les frappes, vont voter pour votre liste parce que vous êtes le numéro un et ceux qui sont plutôt pour, voteraient, parce que la numéro deux est d'accord avec…

Robert HUE
Toutes les listes progressistes, démocratiques…

Michel FIELD
Ca fait du monde…

Robert HUE
Mais il y aura du monde derrière la liste « Bouge l'Europe », mais toutes les listes aujourd'hui sont partagées par des différences sur le Kosovo. Ecoutez, je ne vais pas… je vais parler du Parti Socialiste. La liste qui est composée du Parti Socialiste, des Radicaux et du Mouvement des Citoyens : qui un seul instant peut penser que les amis de François HOLLANDE pensent la même chose que les amis de Jean-Pierre CHEVENEMENT sur cette question-là ? Tout le monde sait que ce n'est pas comme ça. Moi je préfère la transparence en la matière, je préfère qu'on dise les choses ; je n'aime pas les unanimités comme ça, les unités de façade… Les Français ont besoin de transparence. Les Français savent que dans leur propre famille, il y a débat là-dessus. Les rédactions, Michel FIELD sont traversées par ce débat. Donc il est normal qu'il y ait ce débat. Ca ne signifie pas qu'il n'y a pas une position qui nous est commune. Il y a la même condamnation forte et sans appel de MILOSEVIC et de sa responsabilité totale dans la situation que nous connaissons. Il y a une volonté farouche des membres de cette liste de trouver la solution de la paix le plus vite possible. Et je crois que ça, c'est des objectifs forts. D'ailleurs, dans le gouvernement, on voit aussi ce genre de débat avoir lieu. Chacun sait qu'à la demande du Premier ministre, il a même eu lieu dans le cadre du conseil des ministres.

Michel FIELD
Quelle mesure immédiate alors là le secrétaire national du PCF préconise au moment où on en est aux derniers incidents, à la dernière bavure si on peut dire : le bombardement du village de Korisa, bon l'OTAN prétend qu'il y aurait peut-être eu utilisation des civils comme bouclier humain, il y a une certaine confusion là-dessus. En France, le débat a été je dirais relancé par l'intervention du philosophe Régis DEBRAY. Comment vous vous situez par rapport et à ce débat et aux mesures urgentes qu'il faudrait prendre d'après vous ?

Robert HUE
Ecoutez, dès le début de la guerre, dès les premières heures en tant que dirigeant du Parti Communiste, j'ai pris position contre les bombardements.

Michel FIELD
Ca n'étonnait pas beaucoup, c'était un peu attendu.

Robert HUE
Oui, bien sûr pour le Parti Communiste, ça pouvait être attendu, mais en même temps, il y avait débat ; il y a des gens qui ne pensent pas ça, y compris au Parti Communiste. Donc il reste que ça n'a pas été simple de dire qu'on était contre les bombardements, c'était dans nos racines, notre façon de faire, mais en même temps je savais qu'il y avait un danger qui nous guettait, c'était qu'on nous mette dans un schéma ancien du côté des anciens blocs, il y avait les Russes qu'on sollicitait d'un côté, donc les communistes allaient se mettre d'un côté. Et ça a été un vrai débat. Je ne suis pas sûr que ça n'ait pas pesé un peu. Je crois que nous avons eu le courage de dire : il  ne faut pas engager les bombardements, vous allez voir, ça ne se réglera pas en quelques jours. Nous disions ça dès le début, je l'ai dit à l'Assemblée nationale. Force est de constater 53 jours après que les bombardements continuent et j'en viens à votre question, ils sont très douloureux, ils n'ont pas conduit le dictateur MILOSEVIC à la table des négociations pour le moment, donc ce n'est pas si simple. Et je crois que de ce point de vue, les bombardements pèsent terriblement. Je crois qu'il faut aujourd'hui, je vais venir à la solution qui me semble la meilleure, mais je voudrais dire quand même : ces bombardements, ils frappent avec de plus en plus de bavures, d'erreurs, et on dit même qu'aujourd'hui, il y a plus de civils tués par ces bombardements que de militaires. Il me semble qu'il faut bien voir que quand on bombarde un pays comme ça, quand on tape sur les ponts, sur les écoles, on peut discuter du nombre etc, mais il reste qu'il y a des gens qui meurent, des civils, des enfants et MILOSEVIC, lui, il n'est pas touché par ces bombardements. Il faut donc à mon avis bien voir les conséquences. Il y a même une évolution importante, regardez… Je voyais que monsieur d'ALEMA ce matin avait pris une position en disant : mais qu'est-ce que c'est que ces bombes qui sont larguées, parce qu'elles n'ont pas été utilisées sur la Yougoslavie, larguées dans l'Adriatique, avec les conséquences que l'on sait ! On parle de l'utilisation de bombes et je crois que c'est vérifié d'ailleurs, à uranium appauvri. On a des bombes à fragmentation qui sont… quand elles n'explosent pas, elles tombent au sol, elles sont grosses comme ça, eh bien ensuite elles pètent quand les enfants y touchent. C'est la même chose que les bombes antipersonnel. Donc il y a des choses qui ne vont pas. Moi je pense qu'aujourd'hui, il ne faut rien céder à MILOSEVIC, c'est clair ; mais la meilleure façon de le faire reculer, de le contraindre, c'est d'engager les négociations le plus vite possible et je pense qu'il faut le mettre au pied du mur et le contraindre là maintenant par un arrêt des bombardements, je pense qu'il faut une trêve. D'ailleurs je ne suis pas le seul à demander cette trêve, elle est demandée par beaucoup d'autorités à travers le monde : le président italien, Oskar LAFONTAINE, les autorités religieuses catholiques et orthodoxes ; même je crois CLINTON a évoqué l'idée d'une trêve. Bon, il me semble qu'il faut arrêter les bombardements et que s'engagent simultanément naturellement les conditions du G8 et de l'ONU sur lesquelles je suis tout à fait d'accord.

Michel FIELD
Vous allez faire pression sur le Premier ministre pour que cette attitude soit celle de la France ?

Robert HUE
Pression n'est pas le mot mais en tous les cas, dire que c'est le souhait d'une partie de sa majorité, oui, ça s'est déjà passé d'ailleurs. Vous savez que quand il s'est agi d'imaginer une opération terrestre, j'ai dit mon sentiment fort y compris au Premier ministre et je suis très heureux d'ailleurs que cette hypothèse n'ai pas été retenue. De la même façon aujourd'hui je pense que la France s'honorerait – et la France a un devoir particulier en la matière, c'est elle qui a fait Rambouillet – elle s'honorerait à mon avis de prendre l'initiative d'une résolution du Conseil de sécurité. Alors j'ai bien vu qu'il y avait des rapprochements avec les Russes – le président Chirac a entrepris des conversations – il faut aller très vite. Et là je crois que l'arrêt des bombardements est une chose importante. Alors vous m'avez parlé de Régis DEBRAY, je voudrais dire un mot parce que toute l'actualité là parle de son article dans LE MONDE…

Michel FIELD
Ca a fait notamment la une de L'HUMANITE HEBDO.

Robert HUE
Oui, il est vrai que l'article de Régis DEBRAY dans LE MONDE a bousculé beaucoup de choses. Il prend à contre-pied des idées majoritairement exprimées. Je crois que sur cette question, il faut bien voir qu'il faut laisser parler, il faut laisser le débat. Je suis assez choqué… dès qu'il a fait ce papier, il y a une multiplication des articles partout, un véritable acharnement. Il faut, à mon avis, ne pas bâillonner le débat. Moi je pense que Régis DEBRAY est un homme, un intellectuel honnête. En même temps, il y a – j'ai dit ce que je pensais de MILOSEVIC, je ne sais pas s'il pense la même chose, il faudrait le lui demander – mais en tous les cas, ce qui est clair, c'est qu'il ne faut pas enfermer ce débat, fermer ce débat. Il me semble que…vous parliez tout à l'heure de ce qui vient de se passer là, notamment dans une partie de la Yougoslavie où des civils ont été tués. Regardez la façon dont on peut prendre l'information : il y a d'un côté l'OTAN qui dit « nous n'avons pas fait d'erreur, nous avons tapé sur objectif militaire ; en gros les Serbes avaient mis là des gens en bouclier humain, ils ont été tués avec les conséquences qu'on connaît, plus de cinquante morts ». Je lisais ce matin… l'agence Reuter américaine, son correspondant sur place dit : les gens ont décidé de quitter le bois où ils étaient pour aller hors du bois mais pas dans le village, c'est là qu'ils ont été frappés. Moi je ne tranche pas mais je vois bien qu'il peut y avoir en période de guerre, des informations qui sont pour le moins à vérifier. C'est ce qu'a dit Régis DEBRAY. Je ne dis pas qu'il a la vérité sur tout, mais en tous les cas, je crois qu'il faut laisser aux intellectuels…

Michel FIELD
Vous êtes heureux que ce débat s'ouvre chez les intellectuels français.

Robert HUE
Oui, je pense que ce débat doit s'ouvrir, d'ailleurs je ne suis pas le seul à le demander, y compris dans les rangs de la majorité. Il me semble que c'est important qu'il y ait ce débat. Je ne dis pas qu'il faut aujourd'hui dire : untel a raison par rapport à tel autre. Ce qui compte, c'est de ne pas bâillonner la démocratie, il faut que le débat s'exprime. Et surtout attention à la dogmatisation de la pensée. Attention, dès qu'il y a un intellectuel qui se met à dire des choses différentes, je ne sais pas… j'ai mon opinion, je respecte celle des autres, on peut considérer qu'il a tort, mais en tous les cas, on ne s'acharne pas à dire : voilà il faut que le débat s'arrête, c'est un traître, etc. Non, ça c'est absolument inqualifiable et ce n'est pas la démocratie. Voilà mon état d'esprit dans ce domaine.

Michel FIELD
Vous évoquiez le rôle diplomatique que peut tenir la Russie sur l'affaire du Kosovo. Un mot de ce qui se passe en Russie et la manière dont le processus de destitution de Boris ELTSINE à la Douma a fait long feu ; c'est interprété comme un vif camouflet pour le Parti Communiste russe.

Robert HUE
Probablement. Je crois que la situation en Russie est très instable ; elle l'est depuis quelques années. Il y a beaucoup de débats autour de la façon dont les réformes doivent s'engager. PRIMAKOV qui a été limogé, était quelqu'un qui semblait quand même quelque peu résister à la tendance forte du FMI ; il reste que nous avons une situation très instable avec une mafia qui se développe, autant de choses qui sont absolument dramatiques. Bon, les communistes russes ont décidé d'une procédure de destitution de Boris ELTSINE. Ils n'ont pas eu la majorité, ça c'est leur problème. Je suis très réservé sur y compris leur façon de faire en matière parce que je pense que s'ils imaginent un seul instant qu'il pouvait y avoir une passerelle avec les nationalistes, je le condamne totalement. Et donc si on essaie un seul instant de me demander mon opinion sur la Russie parce qu'il y a eu telle position du Parti Communiste russe, c'est vraiment… je ne dis pas que c'est vous qui faites ça…

Michel FIELD
C'est rétro, c'est ça ? C'est trop rétro.

Robert HUE
Je n'ai pas du tout d'avis à avoir sur cette question… Il n'y a pas de lien, il n'y a plus d'internationale et c'est très bien comme ça. En tous les cas, ce que fait le Parti Communiste français, nous en décidons ici. Ce que d'autres font – et je peux avoir un jugement très sévère y compris sur ce qu'ils font – eh bien ils le font, ils prennent leurs responsabilités.

Michel FIELD
Sur l'affaire du Kosovo, qu'est-ce que l'Europe, qu'est-ce que la conception que vous avez de l'Europe, si elle était plus avancée, aurait permis de faire différemment que la situation qu'on a connue ?

Robert HUE
Je pense… je ne voudrais pas tomber dans un anti-américanisme primaire, mais je pense qu'incontestablement il y a un échec de l'Europe parce qu'il y a une domination très forte des Etats-Unis, dans les décisions, dans la façon dont est menée la guerre. Je pense que d'ailleurs ce n'est pas très efficace incontestablement, c'est le moins qu'on puisse dire. Je ne vais pas dans le détail des choses mais je pense qu'aujourd'hui, l'Europe doit être complètement indépendante, pacifiquement indépendante, elle doit être une puissance pacifique mais qui en même temps doit avoir les moyens de régler ses propres crises sans faire appel aux Etats-Unis.

Michel FIELD
Une force armée européenne ?

Robert HUE
Non… Je crois que ça pose en tous les cas les problèmes d'une coordination des défenses au niveau européen, de défense et de sécurité, ça, ça me semble incontestable. On ne peut pas rester sous la domination, sous l'hégémonisme américain. Ce n'est pas sain, ni pour les Européens, ni pour les Américains parce que ce n'est pas isolé. Vous me parlez du militaire, parce qu'on est en plein Kosovo, il y a donc une volonté des Américains d'affirmer un concept militaire, une certaine domination, il y a même un petit peu de mépris par rapport à l'Europe en la matière. Mais je vois la même chose au plan culturel, avec la volonté d'imposer… bon, ils ont reculé, avec l'AMI, d'imposer leurs choix au plan culturel…

Michel FIELD
Du Kosovo au festival de Cannes, c'est un peu ça que je sens dans votre propos.

Robert HUE
Puisqu'on va à Cannes, passons par la plaine, passons par les agricultures. Aujourd'hui, les Américains veulent, ces dernières heures, imposer l'exportation de leur viande à l'Europe. Ils veulent nous refiler du boeuf aux hormones. Tout le monde dit que c'est mauvais, eux veulent le donner à l'Europe. Je dis non ! On ne peut pas accepter… Et on va pénaliser l'Europe dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce parce qu'on ne veut pas, nous, de viande aux hormones. On a des bons boeufs en France, on a de la bonne viande, en Europe aussi, pourquoi… Je ne blague pas, c'est quelque chose de très sérieux. Il y a donc une sorte de domination tous azimuts que souhaitent les Américains et je dis ce n'est pas bon pour eux, ce n'est pas bon pour nous. Le peuple américain est un peuple vraiment qui a beaucoup de richesses, qui est noble, qui a beaucoup d'idées. Moi je suis allé, pour la première fois, aux Etats-Unis, il y a quelque temps, un peu plus d'un an, j'ai été frappé du dynamisme de ces Etats-Unis, mais en même temps, je n'accepte pas qu'ils participent de cette hégémonie sur la France, sur l'Europe. Les Français peuvent le comprendre, ce n'est pas du tout une sorte de réaction anti-américaine, c'est beaucoup plus compliqué que ça.

Michel FIELD
Mais cette coordination par exemple militaire que vous appelez de vos voeux, elle prendrait quelle forme institutionnelle ?

Robert HUE
Je pense qu'on ne doit pas abandonner notre défense nationale parce que ça fait partie d'un certain nombre d'atouts que nous avons. Nous ne devons pas l'abandonner. Par contre, dans le cadre d'une structuration des forces et de la sécurité en Europe, y compris d'une régionalisation du concept de sécurité du type d'une organisation régionale de l'ONU, on peut avoir une force mise en commun avec une coordination, des défenses et de la sécurité, ça me semble tout à fait possible et même souhaitable parce qu'en même temps que je pense que ça ne met pas en cause la souveraineté d'un pays puisque je parle de coordination, je ne suis pas pour une armée européenne ; je pense que ça, ça participerait d'une démarche supranationale que je conteste ; on perdrait là une partie de notre identité et de notre souveraineté et j'y tiens, je pense qu'on y tient. Mais il y a la possibilité de mettre au service d'une coordination, notre conception de la défense. Vous savez, les travailleurs de l'Etat qui travaillent dans l'armement, que j'ai rencontrés encore il y a peu de temps, savent qu'on a plein de choses à faire pour participer d'une conception de la défense tout à fait nouvelle et je pense qu'en Europe, nous pouvons coordonner nos forces.

Michel FIELD
Robert HUE, on se retrouve après une interruption publicitaire pour continuer à évoquer l'actualité avec le prisme de cette campagne des élections européennes. A tout de suite.

- PAUSE PUBLICITAIRE

Michel FIELD
Retour sur le plateau de « Public ». Robert HUE, le secrétaire national du Parti Communiste français est mon invité. Une dernière question d'actualité avant d'en revenir à cette liste européenne et aux remous qu'elle peut susciter au sein du Parti Communiste français, la Corse. Le Parti Communiste a une tradition plutôt jacobine. Je voulais avoir votre sentiment sur la manifestation d'hier d'unité des courants nationalistes, alors entre 2.000 et 20.000 personnes selon les estimations mais un processus quand même de rapprochement des différentes familles nationalistes après des années de déchirement. Est-ce que c'est un des leviers possibles pour améliorer la situation en Corse ? Quelle est finalement l'attitude du Parti Communiste par rapport à la question corse ?

Robert HUE
Je suis allé en Corse il y a quelques jours et j'ai rencontré, avant d'évoquer la manif' des nationalistes, j'avoue que j'ai rencontrés des Corses, j'en ai vu un certain nombre, des élus, très choqués par ce qui se passait, par cette lamentable affaire et avec le sentiment d'un petit découragement parce que bon, un préfet assassiné, un autre en prison ; et je comprends qu'il y ait ce désarroi. Il me semble qu'il faut vite rétablir des rapports de confiance entre l'Etat et les Corses, et je dis le peuple corse, quand je dis le peuple corse, c'est délibéré, parce que je pense qu'il a sa culture, son identité, sa façon d'être…

Michel FIELD
Vous passez outre la censure du Conseil constitutionnel sur l'expression.

Robert HUE
Oui, c'est délibéré. En même temps, bon, il y a cette manifestation des nationalistes. Mais les Corses, quand on leur demande leur avis, visiblement, très majoritairement ne souhaitent pas l'indépendance. Ils ont la volonté dans le cadre de l'unité nationale, que l'on apporte des réponses démocratiques aux problèmes auxquels ils sont confrontés et ces problèmes sont immenses. Je crois qu'il y a à regarder au plan institutionnel les choses. Quand on parle d'autonomie, il n'y a rien qui est à rejeter… l'autonomie peut tout à fait s'imaginer… si c'est plus de proximité, plus d'institutions efficaces, dans le cadre de l'Etat, de la nation française. Ca, c'est une question qui peut s'examiner. Mais à mon avis… On a raison de regarder le plan institutionnel mais il faut regarder aussi le plan social, économique de la Corse. La Corse, cette région est en fait… tous les problèmes que l'on connaît sur le continent avec le chômage, la précarité, les difficultés pour les jeunes, tout cela réuni mais amplifié. Il y a 90.000 actifs en Corse. Sur 90.000, il y en a un tiers qui sont en situation de précarité. C'est-à-dire qu'il y a 15.000 chômeurs, il y a 8.000 érémistes, il y a 7.000 personnes en précarité directe, et il y a l'absence de moyens de développement, un pouvoir d'achat je le dis au passage, qui est inférieur aussi à ce qu'on connaît sur le continent. Tout cela, c'est la réalité ; comment ça ne participerait pas d'une crise où tous les éléments de réaction identitaire nationaliste ne s'amplifient pas ?! Alors il faut être intraitable par rapport aux dérives violentes, aux dérives au plan financier, tout ça… Il faut vraiment l'Etat de droit dans la légalité républicaine ; mais en même temps, il faut à mon avis apporter une réponse en terme de développement de la Corse et il faut redonner confiance, il faut vraiment qu'ils sentent que leur région peut se développer dans le cadre de l'unité nationale. Il y a un gros effort à faire. La responsabilité des pouvoirs publics est très importante.

Michel FIELD
Dans le cadre de l'unité nationale, dans le cadre de l'Europe aussi puisque la Corse, elle regarde aussi vers la Sardaigne, elle regarde aussi vers l'Italie ; est-ce que l'Europe n'est pas là un cadre aussi où les problèmes insulaires peuvent se régler ?

Robert HUE
L'Europe peut contribuer effectivement à apporter des réponses aux questions que se posent les Corses. Il reste que je crois que ça passe davantage par une Europe réorientée, différente de celle de l'ultralibéralisme actuel, qui permettrait un autre type de répartition au niveau des richesses sur le continent européen et donc ce département… ces départements, cette région pourrait en bénéficier. Je ne crois pas par contre que la solution pour les Corses, ce soit d'être une région de l'Europe gommant complètement la nation française. Ca, à mon avis, ça s'inscrit dans une supranationalité. Alors je sais bien qu'à droite, certains nationalistes préconisent cela mais je ne pense pas du tout que ce soit la bonne formule.

Michel FIELD
Et le droit à l'autodétermination du peuple corse, comme viennent de le demander Arlette LAGUILLER et Alain KRIVINE ?

Robert HUE
Ecoutez, je crois que les Corses se sont exprimés à plusieurs reprises. S'ils peuvent avoir l'occasion de s'exprimer, il n'y a pas de problème. Je ne veux pas anticiper sur ce que serait leur opinion, mais il semble bien que l'écrasante majorité ne souhaite pas l'indépendance. Alors l'autodétermination, c'est une formule qui me semble peu adaptée. Il reste qu'ils peuvent effectivement être sollicités. Il y a une chose qui est certaine ; ça ne se réglera pas sans les Corses eux-mêmes. Je crois qu'il y a une petite tendance parfois – vous parliez de l'Etat jacobin – à régler d'en haut. Toutes les mesures d'exception ne sont pas bonnes à mon avis, qu'elles soient au plan institutionnel, au plan de la sécurité comme au plan économique. Les zones franches en Corse, c'est-à-dire mettre en place quelque chose qui n'est pas dans le droit commun, participe d'inégalités qui s'accentuent. Alors ce sont des thèses ultralibérales, ça a été mis en place avant le gouvernement aujourd'hui qui gère les affaires du pays, mais tout cela à mon avis doit être pris en compte.

Michel FIELD
L'antilibéralisme, c'est la chose qui revient le plus souvent dans votre discours, comme si c'était finalement la plate-forme minimale, le SMIC idéologique qui rassemblait finalement tous les participants de la liste.

Robert HUE
Ecoutez, à mon avis ce n'est pas un SMIC parce que c'est très haut l'antilibéralisme. Et donc comme je veux qu'on augmente le SMIC, je ne veux pas prendre ce concept-là. Mais il est clair…

Michel FIELD
C'est un petit peu la clef qui ouvre toutes les portes…

Robert HUE
C'est un des piliers essentiels de notre démarche aujourd'hui. Je crois qu'une Europe telle qu'elle se construit en ce moment – je suis franchement pour l'Europe – mais une Europe telle qu'elle se construit…

Michel FIELD
Depuis pas très longtemps, franchement.

Robert HUE
Mais ça ne retire rien à ma volonté…

Michel FIELD
Non parce que vous devez avoir le zèle du néophyte évidemment…

Robert HUE
Non, mais je ne conteste pas que le Parti Communiste n'a pas toujours eu cette position mais aujourd'hui, il est franchement engagé pour la construction européenne ; mais naturellement pas celle où dominent les marchés financiers, pas celle qui fait qu'aujourd'hui il y a des situations en Europe, nationales même, étroitement liées à cet ultralibéralisme. Moi je ne dissocie pas la réalité de l'économie française de la réalité européenne actuelle. Par exemple, lorsque c'est les marchés financiers qui dominent, eh bien la conception de l'entreprise même en France, elle subit la pression des marchés financiers. Et qu'est-ce que ça signifie ? Ca signifie par exemple qu'une entreprise comme ELF qui est hyper-performante, elle a fait huit milliards de profits supplémentaires cette année, eh bien elle va licencier 1.500 personnes, tout ça parce qu'elle introduit des valeurs de marchés financiers dans sa démarche d'entreprise, c'est-à-dire les fonds de pension américains qui doivent, eux, faire au moins 15 à 16 % de profits. Je dis que ça ne va pas ! Cette Europe-là, je n'en veux pas !

Michel FIELD
Robert HUE, privatisation de France Telecom, ouverture du capital d'AIR FRANCE, nouveau statut d'EDF, c'est des réalités qui sont directement liées à la politique économique européenne et elles sont mises en oeuvre par un gouvernement que vous soutenez.

Robert HUE
Eh bien je critique avec la plus grande force cette démarche. Et si on veut que ce soit un peu différent, qu'on donne beaucoup de force à la liste « Bouge l'Europe » parce que j'entends bien effectivement, avec la liste, ancrer à gauche l'Europe et ancrer un peu plus à gauche le gouvernement de la France. Je ne suis pas d'accord avec les privatisations – d'abord ce n'était pas dans les engagements que nous avions pris ensemble – et donc pardonnez-moi de le dire et sans ambiguïté, je pense que ces privatisations sont mauvaises. Pourquoi je dis cela ? Ce n'est pas par doctrine, c'est parce que je constate : on ne me donnera pas le nom d'une seule entreprise privatisée qui n'a pas entraîné des milliers de suppressions d'emplois. Et donc ce n'est pas au moment où moi, en accord… en appuyant le gouvernement qui fait une politique de l'emploi, à mon avis…

Michel FIELD
Non mais c'est le même gouvernement qui fait ça aussi…

Robert HUE
C'est bien la contradiction. Ca veut dire qu'il y a dans ce gouvernement des volontés, des forces libérales à l'extérieur du gouvernement, la pression est forte…

Michel FIELD
Seulement à l'extérieur du gouvernement ?

Robert HUE
Ecoutez en tous les cas à l'extérieur.

Michel FIELD
Seulement à l'extérieur ?

Robert HUE
Il est bien évident qu'il faut ancrer à gauche davantage les choses et je souhaite que le gouvernement le fasse et je pense que… profitons des élections européennes, on ne peut pas dissocier…

Michel FIELD
Oui, mais ça reste verbal Robert HUE. Est-ce que vous ne craignez pas que vous soyez comme ça et que finalement le Premier ministre ou l'ensemble du gouvernement… Bon, Robert HUE va donner un coup et puis de toute façon ça passera parce qu'il est bloqué, il est coincé, parce qu'il n'ira jamais jusqu'à faire démissionner les ministres communistes du gouvernement ?

Robert HUE
Mais ça, ça ne reste pas verbal parce que tout dépend de la capacité qu'on a d'être relais de ce qui se passe aussi dans le pays, c'est-à-dire du mouvement social ; et ça passe aussi par notre capacité à être relayés au moment des élections. Là, on est en débat électoral, c'est le centre de l'émission. Il est évident que les Français ont le moyen de faire pression pour ancrer à gauche la politique en France et en Europe. Ils peuvent le faire dans le mouvement social, ils peuvent le faire aussi à l'occasion d'une élection. Là, je leur propose de le faire à l'occasion d'une élection. Et il est évident que chacun sait le poids du Parti Communiste, il est trop faible, il faut qu'il soit plus fort. Si on a envie d'être entendus, si on a envie effectivement de mieux ancrer à gauche les choses, si on a envie qu'il y ait un peu moins de privatisations, un peu plus d'impôts sur les fortunes, un peu plus de taxations effectivement des profits financiers, il faut qu'on soit plus forts. Ce n'est pas du tout critiquer de façon stérile le gouvernement. Je soutiens la majorité et je soutiens le gouvernement mais en même temps pour, à l'intérieur, me faire entendre. Et vous parliez de la démission des ministres communistes : écoutez, je crois que deux heures après que le gouvernement avait été constitué, on me demandait déjà quand on allait partir. Il faut être très clair : le choix stratégique du Parti Communiste, c'est de ne pas être moins révoltés, mois protestataires, vous sentez ma révolte et ma protestation, mais c'est d'être efficaces…

Michel FIELD
C'est-à-dire que vous êtes révoltés par des mesures que le gouvernement dans lequel vous avez des ministres. C'est une révolte qui doit être en effet très douloureuse.

Robert HUE
Ecoutez, je vais vous dire sur les ministres communistes, en tous les cas je pense qu'on a décidé à l'intérieur des institutions de jouer tout notre rôle. Ca n'a pas été toujours notre conception. Nous sommes aujourd'hui décidés à être force de propositions, force constructive…

Michel FIELD
Oui, mais vous pourriez dire : il y a une ligne jaune à ne pas dépasser…

Robert HUE
Il peut y avoir une ligne jaune à ne pas dépasser mais ça je vous le dirai, ce jour-là, vous m'invitez. Mais dans l'immédiat, je me bats effectivement avec mes amis à l'intérieur pour faire avancer les choses. Prenons les ministres communistes, je pense vraiment qu'une personne comme Jean-Claude GAYSSOT contribue effectivement à faire avancer les choses ; je vois que l'accord proposé sur les trente-cinq heures à la SNCF, est un accord positif à bien des égards. Je vois Marie-Georges BUFFET. Est-ce qu'on imagine un seul instant qu'elle n'apporte pas quelque chose au gouvernement de la France par sa lutte contre le dopage et pour empêcher qu'on mette le fric des clubs en Bourse dans ce pays ? Est-ce que Michèle DEMESSINE, avec cette bataille pour le tourisme social et les chèques vacances, elle ne se bat pas à sa façon ? Il y a l'apport des communistes. Alors évidemment, nous en avons pour trois. Eh bien qu'on nous donne un peu plus de place et vous verrez, ça sera beaucoup plus dynamique !

Michel FIELD
Oui, mais si vous avez plus de place, le nombre de couleuvres que vous êtes obligés d'avaler, sera encore plus considérable.

Robert HUE
Ecoutez je n'ai pas l'habitude d'avaler des couleuvres, je n'en avalerai jamais. Il reste que je considère qu'être communiste aujourd'hui, efficace, ce n'est pas tous les matins brailler sur un gouvernement qui serait identique à JUPPE etc, ce qui n'est pas la réalité, c'est à l'intérieur de se battre et faire avancer les choses. Et là, cet ancrage à gauche, il va être possible davantage si nous faisons avancer l'Europe sociale. Par exemple, on évoque le gouvernement, il y a des lettres de cadrage qui viennent là ; je pense qu'il faut faire attention que les mesures de structure soient prises pour vraiment répondre aux questions sociales. Mais je vois bien que le gouvernement français est enfermé dans la politique du pacte de stabilité au plan européen. Alors il faut mettre un terme à ce pacte de stabilité qui est un pacte d'austérité, il faut le remplacer par un pacte pour l'emploi, de croissance. Voilà. Alors ça, c'était une condition que mettait Lionel JOSPIN, avant les élections législatives de 97 comme élément pour l'Europe. Je pense qu'il faut pousser dans ce sens. Pour le moment, ce n'est pas fait.

Michel FIELD
Un dernier mot sur les difficultés que vous rencontrez à l'intérieur même du Parti Communiste français. Vous vous heurtez aux orthodoxes du parti. La gauche communiste vient d'appeler – ce sont vos opposants orthodoxes – vient d'appeler à un boycott de votre liste. Ca fait désordre un peu quand même. C'est aussi le nouveau Parti Communiste français ?

Robert HUE
Ecoutez, qu'il y ait dans le Parti Communiste un certain nombre de communistes qu'ils soient 5-10 %, c'est à peu près ce que ça représente peut-être, et encore je ne veux pas classifier, je ne veux pas mettre d'étiquette, ce n'est pas comme ça que ça se passe, qui aient envie de donner leur avis et dire qu'ils ne sont pas d'accord avec la ligne de mutation, de modernité, que nous essayons d'imprégner à la direction du Parti Communiste, c'est leur droit et à mon avis, il faut respecter. On ne peut pas me demander d'avoir changé et vouloir à nouveau que je sois enfermé dans une sorte de monolithisme où tout le monde doit la boucler. Il y a des gens qui donnent leur opinion. Moi l'essentiel, c'est que je vois bien que la très grande majorité des communistes et des électeurs communistes – on me dit 85-90 % mais ne chiffrons pas – sont d'accord avec cette orientation. Et donc c'est ça qui est l'essentiel. Maintenant, je suis pour un communisme moderne. J'ai vu que ces derniers jours, on évoquait même l'idée que j'abandonne le nom de communisme.

Michel FIELD
C'était un article dans LIBERATION de vendredi…

Robert HUE
Bon, il faut que nos amis journalistes de LIBERATION viennent me voir…

Michel FIELD
Vous pouvez leur parler directement… Le Parti Communiste ne changera pas de nom ?

Robert HUE
Le communisme est quelque chose qui s'identifie à l'histoire de la France. En même temps que je veux profondément transformer ce parti pour un communisme du 21e siècle, un communisme moderne, un communisme dans lequel s'engage la jeunesse, en même temps je ne renierai jamais – il faudra prendre quelqu'un d'autre que moi – mais je ne renierai jamais le communisme de BABEUF, le communisme de la Commune de Paris. Moi vous savez, je suis d'une famille communiste. Pour moi, le communisme, c'est le Front populaire, c'est la Résistance, c'est le combat pour l'émancipation…

Michel FIELD
C'est aussi le stalinisme, c'est aussi le goulag, c'est aussi ça pour les gens, beaucoup…

Robert HUE
Michel FIELD, vous ne me reprocherez pas de mettre tout ce que je peux mettre de mon poids personnel pour justement cette condamnation sans appel de ce communisme qui a été une caricature. Et je sais bien le mal qu'il a fait, ce communisme-là, dans sa conception caricaturale, à l'humanisme communiste. Mais moi je me battrai jusqu'au bout sur cette idée-là. Je pense que c'est une idée moderne, je pense que c'est une idée qu'il faut poursuivre parce que c'est une idée qui en fait place l'homme, la femme, au coeur du mouvement de la société et surtout pose cette émancipation. Vous savez, je rencontrais cette semaine dans cette initiative, des infirmières, des gens du groupe qui va fusionner HOECHST-RHÔNE-POULENC, c'est désastreux d'ailleurs là aussi, des milliers de licenciements possibles. Eh bien tous ces gens que je rencontrais, ils savent que le Parti Communiste n'a pas que des qualités mais ils savent qu'ils peuvent compter sur le Parti Communiste, sur les communistes, parce qu'il est du côté… il n'a jamais tourné sa veste, il est toujours du bon côté, avec des erreurs, mais du côté de ceux qui souffrent, il est du côté des pauvres, il est du côté de ceux de la révolte. Alors la révolte, aujourd'hui, on la fait à l'intérieur du gouvernement, eh bien c'est une nouvelle façon d'être communiste mais je crois à cette démarche-là.

Michel FIELD
A quel niveau de pourcentage, vous auriez l'impression d'avoir réussi votre pari sur cette élection européenne ?

Robert HUE
Ecoutez…

Michel FIELD
Je vous laisse une minute pour réfléchir. Quelques chiffres ?

Robert HUE
J'ai déjà réfléchi. On était à 6,80 % aux élections européennes de 94. Toutes les enquêtes d'opinions nous donnent entre 8, 9, 9,5 % aujourd'hui en moyenne. Je crois que déjà ce score est un score important mais je pense…

Michel FIELD
Donc faire mieux que la dernière fois au moins.

Robert HUE
Non, non, beaucoup plus. Je pense même qu'à gauche, nous allons être la surprise à l'occasion de ces élections. Parce que nous avons vraiment une démarche inédite. Cette liste formidable que j'ai le grand honneur de conduire, on s'imagine que ça a été quelque chose de circonstance, on va voir à la fois aux élections européennes qu'elle va correspondre à ce qu'attendent les gens et il y aura un prolongement, il y aura naturellement un prolongement parce que c'est comme ça que nous allons changer la façon de faire de la politique. Je crois que les Français ont besoin qu'on change la façon de faire de la politique. Il faut vraiment qu'on arrive à combler ce fossé terrible qui existe entre les politiques comme on dit aujourd'hui, et la société elle-même. C'est ce que je veux faire et c'est ce que je veux faire avec le Parti Communiste et avec toutes celles et ceux qui aujourd'hui sont dans ce combat de la liste « Bouge l'Europe » et qui va faire bouger la gauche, qui va faire bouger la France et qui fera bouger l'Europe, j'en suis certain.

Michel FIELD
Robert HUE, je vous remercie. La semaine prochaine Arlette LAGUILLER et Alain KRIVINE commenceront mon émission et je recevrai ensuite Charles PASQUA. Donc nous continuons à faire parler toutes les têtes de liste déclarées pour la campagne des élections européennes.