Texte intégral
Q - Il y a quinze jours, vous écriviez dans Le Monde que la gauche ne risquait pas vraiment d'être battue par la droite, mais en revanche qu'elle pourrait l'être par les impôts et les charges. Après les annonces fiscales de L. Jospin et de D. Strauss-Kahn, la gauche est maintenant à l'abri de toute défaite électorale ?
- « Il faut rester très modeste. Je vois avec beaucoup de plaisir que le chemin de la baisse des impôts et des charges est emprunté. C'était absolument indispensable. Cela fait plusieurs années d'ailleurs que nous sommes beaucoup à y insister. Pourquoi ? Parce que les impôts et les charges amputent la capacité d'action des entreprises et des personnes, parce que quand on compare ce qui se passe en France avec ce qui se passe à l'étranger, on a une machinerie trop lourde. Donc le Gouvernement a parfaitement raison d'emprunter ce chemin. »
Q - Mais cela suffit ?
- « La baisse des impôts et des charges devra être prolongée et amplifiée sur plusieurs années. Mais c'est déjà un très bon démarrage. »
Q - Il y a un débat au PS sur la diminution de l'impôt sur le revenu. Certains disent : attendez, l'impôt sur le revenu, c'est payé par les plus riches, et on n'a pas besoin de la baisser.
- « C'est l'ensemble des impôts qu'il va falloir alléger et revoir, et puis en même temps, il va falloir se pencher du côté de la dépense, parce qu'il n'est pas besoin d'être un grand mathématicien pour voir que si on veut pouvoir durablement baisser les impôts et les charges, il faut aussi s'intéresser à l'efficacité de la dépense. Et pour répondre précisément à votre question, cette année, l'effort porte sur la TVA : je pense aussi qu'il portera sur certains autres aspects : on parle du droit au bail, on parle des droits de mutation à titre onéreux. Mais l'année prochaine, si ce n'est pas fait avant, il faudra s'attaquer aussi aux impôts directs : c'est-à-dire notamment l'impôt sur le revenu. Et puis se pose aussi un problème pour la CSG en ce qui concerne les petites ressources, puisque c'est aussi une forme d'impôt direct. »
Q - Pour l'impôt sur le revenu, quels seraient les bons taux d'imposition ?
- « Nous pouvons discuter. Il y a des pistes auxquelles tout le monde pense. Il y a la grande question de la retenue à la source ; la France est un des seuls pays où l'impôt sur le revenu n'est pas directement prélevé. Il y a aussi la question des taux moyens et puis des taux que les spécialistes appellent les taux marginaux – les taux les plus hauts – qui, souvent, contraignent un certain nombre de personnes à quitter la France. »
Q - Il faut descendre en-dessous de 50 % ?
- « Moi, je pense que, d'une façon générale, à partir du moment où on aura été plus efficace en matière de dépenses, il faut réduire les ponctions fiscales ou simplement la ponction fiscale. »
Q - Moins de 50 % ?
- « Je trouve que ce serait une bonne chose. »
Q - Après les privatisations, on a vu le marché trancher la guerre entre deux grandes banques françaises sans que le Gouvernement ne puisse dire son mot.
- « Le marché n'a tranché rien du tout. Ca a commencé comme une fusion, et ça a terminé dans la confusion. »
Q - C'est quand même le marché. Là, on a vu l'Etat un peu impuissant tout de même. Et puis maintenant, vous parlez des impôts directs, mais qu'est-ce que c'est que la gauche en France, maintenant ? Comment pourrait-on la définir ?
- « Il ne faut pas faire de confusion. La gauche, c'est avant tout la recherche de plus de justice sociale et d'une efficacité économique, d'une vraie solidarité à la fois nationale et internationale. Ce n'est pas évidemment en ayant des impôts trop lourds qu'on va arriver à être efficace, ni même juste. L'Etat doit jouer son rôle, y compris un rôle plus fort dans certains domaines, mais il ne doit pas se mêler de tout. Donc, il reste des différences entre la gauche et la droite. Ce ne sont pas exactement les mêmes différences qu'il y a cinquante ans ou trente ans. Mais il en reste. Il y a des tempéraments différents et, en même temps, il faut recentrer le débat sur un certain nombre de véritables problèmes. »
Q - On a parfois du mal à s'y retrouver. L. Jospin nous a parlé d'une nouvelle alliance qui englobe les classes moyennes. Pendant ce temps, N. Sarkozy disait que la droite devait reconquérir les couches populaires. Chacun va lutter à front renversé ?
- « Non, je ne crois pas. Lionel a eu tout à fait raison de dire que nous devrions nous intéresser à l'ensemble de la société. C'est d'ailleurs un vieux débat au PS. Ceux qui, comme vous et comme moi d'ailleurs, suivent depuis longtemps tout cela, savent qu'on a parlé – les termes ont varié selon les moments – du front de classe ; à d'autres moments, c'était je ne sais quel autre terme. Là, cela veut dire quoi concrètement ? Cela veut dire qu'il faut bien évidemment qu'on s'occupe des exclus, de ceux qui n'ont rien ou qui ont très peu. Il faut que l'expansion profite d'abord à ceux qui n'ont rien. Mais il faut en même temps s'occuper des couches modestes et des couches moyennes. Et puis, à la limite, un parti comme le PS, un gouvernement qui est le Gouvernement de tout le pays doit s'occuper de la totalité de la société. Même s'il y a des couches sociales différentes, nous n'avons pas une vision de la société qu'il faudrait opposer les uns aux autres, mais au contraire essayer de les rassembler. »
Q - Ce n'est pas la lutte des classes ?
- « Pas du tout. Enfin, il y a des conflits entre les couches sociales. Ça existe en France comme dans les autres pays. Mais la tâche d'un gouvernement, c'est, à partir d'un projet qui est le sien et qui a été sanctionné positivement par la population, d'essayer de rassembler le maximum de couches sociales autour de ce projet. »
Q - Arrive maintenant bientôt le débat sur la deuxième loi concernant les 35 heures. Le patronat dit : on va travailler 35 heures ; vous nous imposez de nouvelles charges avec un nouvel impôt sur les bénéfices concernant les grosses sociétés, charges supplémentaires sur les heures supplémentaires, l'écotaxe.
- « Je connais bien ce débat. Cela fait d'ailleurs un ou deux ans qu'il dure. Mais, à partir du moment où nous avons décidé que le mouvement historique – que nous avons constaté – était pour une certaine réduction de la durée du travail, nous essayons d'organiser cela intelligemment. L'approche de la loi, pour être intelligente et efficace, il faut avoir deux idées à l'esprit : d'une part, il faut qu'il y ait des accords gagnants-gagnants, c'est-à-dire que les salariés s'y retrouvent et les entreprises aussi, et puis, il faut garder une certaine souplesse. C'est dans cet esprit-là qu'on aborde la loi. Un mot sur ce qui est quand même l'essentiel, c'est-à-dire le climat nouveau qu'on sent aujourd'hui en France. Il y a beaucoup d'indicateurs qui montrent que cela va fortement mieux, à commencer, bien sûr, par les indicateurs de chômage mais aussi d'investissements, de consommation. Donc, savourons l'optimisme, mais évitons le triomphalisme. Si nous avons cette ligne-là, que nous constations que la situation est meilleure et l'amélioration sur le front de l'emploi va avoir des effets bénéfiques sur l'ensemble de la société, et en même temps, il faut que nous évitions le triomphalisme, parce que nous avons encore beaucoup de pain sur la planche. Il faut que nous profitions d'une meilleure situation sur le plan économique pour engager toute une série de réformes de fond. »
Q - Le débat sur les 35 heures. La droite est en train de fourbir ses arguments.
- « C'est de bonne guerre parlementaire. »
Q - Cela pourrait durer longtemps comme pour le Pacs ?
- « Probablement pas tout à fait parce que nous avons prévu quinze jours pleins pour discuter de cela. J'ai demandé au Gouvernement qui a bien voulu accepter, qu'il n'y ait pas d'autre texte avant le budget. Mais vous savez certainement que le budget est contraint dans des périodes constitutionnelles. C'est-à-dire qu'à un certain moment, il faut commencer l'examen du budget. Donc, nous allons discuter à fond. Il y aura certainement des amendements. J'espère que la discussion portera sur le fond. Il y aura même beaucoup d'amendements. Et puis nous devrions pouvoir disposer du temps pour examiner ce texte très important d'une façon approfondie. »
Q - Le vote avant la fin de l'année ?
- « Ah oui ! Il le faut parce que beaucoup de dispositions doivent entrer en application à partir de janvier 2000. »
Q - Et si le Gouvernement recourrait au vote bloqué par le 49-3 ?
- « On n'en est pas là ».
Q - Vous le redoutez ?
- « Il vaut mieux que les choses se passent d'une façon tout à fait normale. Je crois qu'en ayant prévu quinze jours de débat, on a la possibilité d'examiner de ce texte au fond. »