Déclaration et interviews de M. Valéry Giscard d'Estaing, membre du bureau politique de l'UDF et président du conseil régional d'Auvergne, dans "La Montagne" des 11 et 17 décembre 1997, sur l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon prononçant le sursis à exécution du permis de construire du Centre européen du volcanisme Vulcania et sur la décision gouvernementale de considérer comme non compatibles les projets de l'A89 et de la RN 89.

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Média : La Montagne

Texte intégral

Date : 11 décembre 1997
Source : La Montagne

À trois mois des élections régionales, Valéry Giscard d’Estaing ne pouvait éviter de poser la question de Vulcania sur le plan politique.

« Les premiers concernés sont les Auvergnates et les Auvergnats », écrit-il.

« En mars prochain, nous allons leur demander de trancher : veulent-ils, oui ou non, la réalisation de grands projets de développement pour l’Auvergne ? Je connais leur réponse ! ».

En attendant, le président du Conseil régional laisse entendre qu’il pourrait se retourner contre l’État sur qui il rejette très explicitement la responsabilité de ce nouveau revers.

Il explique que ce sont les services de la Direction départementale de l’Équipement qui ont dirigé la révision du plan d’occupation des sols de la commune de Saint-Ours-les-Roches. Une révision qui est précisément au cœur de l’arrêt des magistrats lyonnais.

Dans son arrêt rendu mardi, la cour administrative d’appel précise, en effet, que le permis de construire du 17 juillet dernier a été délivré « à la faveur d’une révision du plan d’occupation des sols entachée d’erreur manifeste d’appréciation ».

La cour estime qu’il aurait fallu, dans cette zone naturelle, imposer des contraintes plus précises concernant les possibilités de construction.

Pas avant plusieurs mois

Cet argument retiendra d’autant plus l’attention des juristes que la cour administrative d’appel est saisie d’un recours des opposants à Vulcania demandant, sur les mêmes bases, l'annulation du plan d'occupation des sols. Une telle éventualité pourrait conduire à l'annulation du permis de construire et à de nouveaux et longs délais pour relancer toutes les procédures préalables à la réalisation de Vulcania. En tout état de cause, le chantier ne pourra de toute façon pas recommencer avant plusieurs mois. La cour précise, en effet, qu'il « sera sursis à exécution » du permis de construire jusqu'au jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, saisi par l'association Puy-de-Dôme Nature Environnement qui demande l’annulation pure et simple du permis de construire.

Actuellement, l’instruction de ce dossier n’est toujours pas close.

La déclaration du président Giscard d’Estaing

« Le sabotage du projet Vulcania continue. La décision prise par la cour administrative d’appel de Lyon, sans qu’aucun enquêteur ni aucun juge ne soit venu s’informer sur place, comme nous en avions fait la demande, illustre les incohérences de l’État. Tout le débat porte sur la révision du plan d’occupation des sols de la commune de Saint-Ours-les-Roches. Elle ne concerne ni le Conseil régional d’Auvergne, ni le contenu du projet Vulcania. Or, la commune de Saint-Ours-les-Roches a suivi scrupuleusement les recommandations qui lui étaient faites par le service d’État qu’est la Direction départementale de l’Équipement.

Le préfet a délivré le permis de construire le 17 juillet. Le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté, le 5 septembre, la demande du sursis à exécution du permis de construire, présentée par un petit groupe de contestataires. Le 21 octobre, une dépêche de l'AFP informait que Mme Dominique Voynet « avait donné son feu vert au projet Vulcania. Cette décision a été prise par le ministre après avoir reçu le rapport d'expertise du BRGM ». M. Jean-Louis Guigou, délégué à la DATAR, confirmait la subvention du FNDAT après arbitrage favorable du Premier ministre. Le 27 novembre, une lettre du préfet de région m'annonçait une nouvelle tranche de crédits européens de 2 765 832 F.

Et voici que le 9 décembre, la cour administrative d'appel de Lyon décide de suspendre le permis de construire, en ne tenant aucun compte, ni des dommages causés aux entreprises, ni des conséquences financières de sa décision. Ce lamentable feuilleton démontre la difficulté de conduire à terme un projet d'envergure, pourtant soutenu largement par la majorité de l'opinion et la quasi-unanimité des décideurs d'Auvergne.

Mais c’est mal connaître la ténacité des Auvergnats.

Dans un premier temps, nous sommes conduits à arrêter provisoirement le chantier, car il est évident que nous respectons les décisions de justice.

Dès que la commune de Saint-Ours-les-Roches aura pu procéder à la rectification minuscule – sans aucune portée pratique – de son plan d’occupation des sols, nous reprendrons les travaux.

Dans l’intervalle, nous sommes en droit d’attaquer l’État en dommages et intérêts, car nous n’acceptons pas de payer le prix de ses inconséquences.

Les premiers concernés sont les Auvergnates et les Auvergnats. En mars prochain, nous allons leur demander de trancher : veulent-ils, oui ou non, la réalisation de grands projets de développement pour l’Auvergne ? Je connais déjà leur réponse ! »


Date : mercredi 17 décembre 1997
Source : La Montagne

La Montagne : Le 17 octobre, vous estimiez que la bataille de Vulcania était gagnée. Vous ne vous attendiez donc pas à une décision de justice qui entraîne, de fait, l'interruption des travaux ?

Valéry Giscard d'Estaing : Non, je ne m'y attendais pas, car le tribunal administratif de Clermont-Ferrand avait, le 7 septembre, clairement rejeté la demande de sursis à exécution, dans un jugement très argumenté.

En réalité, le tribunal de Clermont, qui possède une connaissance approfondie du dossier, est la première victime de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon, qui n'a même pas pris la peine de se rendre sur place, pour bien appréhender la situation.

La justice administrative a pour rôle de protéger le citoyen contre les abus de l'État. Or, dans cette affaire, qui porte sur un désaccord entre les services de l'État, elle a rendu une décision qui pénalise le citoyen et coûtera de l'argent, bien inutilement, au contribuable.

C’est l’État qui condamne l’État

La Montagne : Car vous avez décidé de surseoir, sans plus attendre, à la poursuite des travaux ?

Valéry Giscard d'Estaing : Oui, nous avons décidé d'interrompre le chantier. Cette interruption, qui est effective depuis vendredi, est intervenue dans des conditions mises au point avec les entreprises, que je tiens à remercier pour la qualité de leur travail, et l'excellent professionnalisme de leurs salariés.

Les engins sont immobilisés sur une aire étanche, dont le gardiennage sera assuré sept jours sur sept et 24 heures sur 24, et nous ferons dresser un constat des lieux par un huissier.

Nous ne pouvions évidemment pas continuer les travaux avec un permis de construire suspendu, car imaginez ce qu’aurait été la situation dans le cas d'un accident sur le chantier !

La Montagne : Avez-vous chiffré le coût de l'opération, choisi de déposer un recours devant le Conseil d'État, ou d'attendre le prochain jugement du tribunal administratif de Clermont ?

Valéry Giscard d'Estaing : Nous étudions avec soin la possibilité d’un recours devant le Conseil d’État, pour faire annuler l’arrêt de Lyon. Notre décision sera prise dans les prochains jours.

Il est encore trop tôt pour donner des chiffres précis. Mais nous savons que le coût de l’interruption représentera des sommes relativement importantes, que nous nous efforcerons de réduire, car c’est de l’argent dépensé sans aucune utilité pour personne. Nous savons également que si certaines entreprises disposent d'une trésorerie suffisante pour faire face, d'autres vont devoir se résoudre à licencier une partie de leur personnel.

Le bureau chargé de la lutte contre la pollution nous a déjà fait connaître qu'il devrait se séparer des deux salariés affectés à la surveillance du chantier, où ils faisaient un excellent travail. Beau résultat de l'action engagée par les groupuscules hostiles à Vulcania !

Nous continuerons donc à faire le nécessaire, pour surmonter les obstacles. Dans un premier temps, nous allons aider la commune de Saint-Ours et son maire (dont je comprends l’irritation) à apporter à son POS les ultimes correctifs – d’ailleurs contradictoires – qui lui sont demandés.

La Montagne : Le moment n’est-il pas venu de faire votre mea culpa ? Votre projet est-il aussi opportun que vous l’avez affirmé ? Vos partenaires ont-ils fait preuve de toute la rigueur nécessaire ?

Valéry Giscard d'Estaing : Vous dites tout haut ce qui se murmure dans quelques milieux clermontois, toujours heureux d'être à l'écoute d'une médisance ! Le Conseil régional n'est pour rien dans l'élaboration du plan d'occupation des sols de Saint-Ours-les-Roches. Tous les élus locaux le savent.

Pour être clair vis-à-vis des Auvergnats, qui se perdent dans le dédale des méandres administratifs, précisons que la contestation ne porte plus sur le projet de construction de Vulcania, mais sur le POS (plan d'occupation des sols) de la commune de Saint-Ours. Celle-ci a scrupuleusement respecté les indications qui lui ont été données par la Direction départementale de l'Équipement, responsable de la conduite du dossier.

En somme, dans celle affaire, c'est l'État qui condamne l'État. Nous sommes victimes d'une balle reçue par ricochet !

Rien ne réussira à nous décourager

La Montagne : Et maintenant, qu’allez-vous faire ? Tout laisser tomber ?

Valéry Giscard d'Estaing : Il n'en est pas question. Rien ne réussira à nous décourager. Le premier trait du caractère auvergnat, c'est la ténacité. Sinon, nous aurions été balayés à Gergovie, et Astérix aurait disparu dans la tourmente ! L'Auvergne ne se laissera pas dépouiller d’un beau projet, qui la fera connaître et attirera un public important.

Lors de la consultation régionale de mars prochain, nous prendrons les Auvergnats à témoin du véritable sabotage dont sont victimes leurs grands projets.

La Montagne : À défaut d’être découragé, vos paraissez très « remonté » ?

Valéry Giscard d'Estaing : L’opinion publique ne peut qu’être révoltée par une succession de décisions contradictoires : le 17 juillet, le permis de construire nous est accordé. Le 20 octobre, Mme Dominique Voynet, ministre de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire, nous fait connaître les conclusions de l’expertise hydrologique, qui ne remettent pas en cause le rapport initial. Le lendemain, une dépêche AFP nous apprend qu’elle a « donné son feu vert à Vulcania ». En novembre, on nous annonce le versement d’une subvention. Et, le 9 décembre, la justice ordonne la suspension des travaux ! Comment voulez-vous qu’un citoyen de bonne foi se retrouve dans ces contorsions ?

Comment comprendre, dans le même temps, qu’un investissement, parce qu’il est japonais, soit salué comme un succès triomphal, sans que l’on multiplie les complications administratives pour le paralyser ?

Savez-vous que le Futuroscope de Poitiers aura créé, au total, autant d’emplois, directs et indirects, que Toyota…

A89 : « Imaginez une autoroute interrompue en pleine campagne »

La Montagne : Tandis que les nuages s'amoncellent sur Vulcania, l'horizon s'obscurcit également sur le front des routes : le gouvernement demande à l'Auvergne de choisir entre une autoroute et une nationale à deux fois deux voies.

Valéry Giscard d’Estaing : Effectivement, dans l’intervalle d’une semaine, nous avons été informés de la suspension du chantier Vulcania et de la décision du gouvernement de considérer l’A89 Clermont-Ferrand-Bordeaux et la mise à quatre voies de la RN 89 comme deux projets exclusifs l’un de l’autre. On assène deux mauvais coups sur la tête des Auvergnats.

La Montagne : Vous récusez le choix proposé ?

Valéry Giscard d’Estaing : Évidemment, puisqu'il s'agit de deux projets non pas alternatifs, mais complémentaires. La modernisation de la nationale 89 est, en effet, la conséquence directe de la construction de l'autoroute. Elle est indispensable pour assurer l'accès par l'ouest de l'agglomération clermontoise, et son contournement par le sud, en direction de l'A75 et de la Méditerranée.

La Montagne : Et si, d'aventure, la construction de l'A89 devait être interrompue, comme on le laisse entendre ici ou là ?

Valéry Giscard d’Estaing : Si l'on arrêtait l'autoroute à la hauteur de Saint-Julien-Puy-Lavèze, on créerait une situation absurde, qui ferait rire la France entière à nos dépens ! Imaginez une autoroute interrompue en pleine campagne, dont la totalité du trafic, tourisme et poids lourds, devrait s'engouffrer sur une route déjà saturée jusqu'au col de la Ventouse, puis s'écouler par la rocade de Ceyrat et Beaumont, avant de rejoindra l'A75 à la hauteur de Pérignat-lès-Sarliève.

Cette situation est intolérable

A-t-on réfléchi aux conséquences d'un flux routier continu et massif sur les conditions de vie de la population concernée ? À ses incidences sur une zone agricole et touristique particulièrement fragile ?

La Montagne : Vous avez le sentiment que les choses n’ont que trop, beaucoup trop traîné ?

Valéry Giscard d’Estaing : J'ai obtenu la construction de l'autoroute Clermont-Bordeaux en février 1987. Le tracé définitif jusqu'à Bromont-Lamothe-Pontgibaud a été adopté en novembre 1992, sous un gouvernement socialiste, d'ailleurs ! Le contournement de la chaîne des Puys a fait l'objet d'une première décision en janvier 1994. En 1995, le ministre a arrêté la bande des 300 mètres et retenu le principe de quatre échangeurs, dont deux situés dans les Combrailles sont décisifs pour la survie de cette zone en difficulté. L'enquête publique a été ouverte en mai 1996.

Pendant ce temps, nos voisins de l'ouest entamaient leurs travaux. Le tronçon Ussel-Saint-Julien entrera en service dans deux ans. Il va déboucher sur une nationale qui ne sera pas en mesure d'absorber un trafic supplémentaire.

Cette situation est intolérable. Qu'attend-on pour construire une autoroute qui sera vitale pour l'avenir économique des Combrailles et de l'agglomération clermontoise, qui desservira Vichy et Montluçon, et qui ne coûtera pas un centime aux Auvergnats, puisqu’elle sera entièrement financée par la société des Autoroutes du sud de la France, qui en a obtenu la concession ?

La Montagne : Les deux projets bloqués ne le sont pas faute de crédits, puisque leur financement est assuré. Comment expliquer qu'ils patinent à ce point ?

Valéry Giscard d’Estaing : Ces deux signaux négatifs sur les grands projets de l'Auvergne sont typiques de la centralisation et des querelles de service à service, pour ne pas dire de tribunal administratif à tribunal administratif !

Il est grand temps que le gouvernement respecte la culture décentralisatrice et régionale qui a inspiré les lois de 1982 et 1986. Les Auvergnats seront parfaitement capables de choisir eux-mêmes les grands projets utiles au développement de leur région, dans la sérénité et la cordialité d'un débat démocratique.