Article de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, dans "Vert contact" du 11 septembre 1999, sur le respect des exigences des Verts au sein de la majorité plurielle concernant la politique nucléaire, intitulé "Nucléaire : des boas et autres couleuvres...".

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Média : Vert contact

Texte intégral

En ratifiant les accords Verts-PS, début 1997, nous n’avions guère d’illusions en ce qui concerne l’énergie nucléaire. Nous savions que, loin d’avoir rallié à nos thèses nos partenaires de ce qui devait devenir, quelques mois plus tard, la majorité plurielle, nous serions isolés au gouvernement et à l’Assemblée nationale, en dépit des réticences persistantes d’une majorité plurielle, communiste inclus, face au nucléaire. Nous ne sous-estimons pas le poids, ni l’influence, d’un lobby puissant : établissements de recherche (avec le tout-puissant CEA, son budget annuel de 18 milliards et un effectif de 16 000 personnes, etc.), grands groupes industriels (EDF, Cogema, Framatome), salariés exposés au chantage à l’emploi. Depuis nous avons eu à maintes reprises l’occasion de vérifier ces institutions. Ni mon audition devant la Commission d’enquête parlementaire sur la fermeture de Superphénix — qui s’est transformée en tribunal instruisant mon procès ! — ni le débat sans vote consacré à cette question par les parlementaires ne nous ont fait changer d’avis !

Pourtant, deux ans plus tard, je crois pouvoir dire que nous avons réussi sur ce terrain, comme sur d’autres, à desserrer en partie l’étau et à nous dégager des marges de manoeuvre. Je pense bien sûr à la fermeture de Superphénix — dont le démantèlement est programmé — et à l’abandon du projet de centrale au Carnet : actes symboliques s’il en est. Je pense aussi à l’octroi des moyens permettant à l’ADEME de développer les énergies renouvelables, au contrôle des transports de combustibles et de déchets, et à l’engagement sur la réduction des rejets radioactifs dans le milieu marin pris dans le cadre de la convention OSPAR, qui fonde aujourd’hui l’enquête publique préalable à la révision (à la baisse !) Des autorisations de rejets de la Hague. Je pense encore au projet de loi sur l’organisation de la sûreté et de la transparence du secteur nucléaire, étape vers la « normalisation » d’un secteur économique qui garde de son passé militaire un goût du secret incompatible avec l’exigence démocratique.

C’est dans ce contexte qu’il faut replacer la signature — en plein été, c’est agaçant… — de deux décrets concernant les déchets nucléaires d’une part, l’usine MELOX d’autre part. Deux décrets, deux signatures, deux combats menés… avec des résultats bien différents.

(1) Cf. La lettre ouverte de Didier Anger à Dominique Voynet et aux militants Verts, titrée : « Dominique comment as-tu pu signer cela ? »

Que disent les accords Verts-PS sur les déchets que l’industrie nucléaire a produits et continue de produire ? Ils demandent « la réversibilité du stockage des déchets nucléaires en rééquilibrant les crédits de recherche par application réelle de la loi Bataille », loi dont il me faut préciser ici qu’elle évoque trois pistes de recherche (transmutation-séparation, stockage profond, entreposage en « subsurface »). Les discussions interministérielles ont été nombreuses ; plusieurs réunions de ministres ont eu lieu sous la présidence de Lionel Jospin, au cours desquelles je me suis battue pied à pied ! Avec l’appui de Claude Allègre, aussi hostile que nous au stockage profond mais aussi désireux que nous d’asseoir ses convictions sur des études robustes. Et avec l’aide de la Commission nationale d’évaluation (CNE), qui considère que les déchets de haute activité (déchets C et combustibles irradiés) n’ont pas vocation à être conservés en stockage profond (1), et qui a sérieusement étayé les réflexions menées sur le concept de réversibilité (2).

Les laboratoires souterrains qui ont été décidés en décembre 1998 (un à Bure dans la Meuse, un dans un site granitique à déterminer) ont pour premier objectif d’étudier les conditions de la réversibilité du stockage (conditions techniques et économiques). Ces laboratoires sont des lieux d’expérimentation. Ils ne recevront à ce titre aucun déchet. Seule l’utilisation de sources radioactives, à titre temporaire, y sera autorisée. Quant à la nomination d’un nouveau président pour l’ANDRA, elle témoigne d’une volonté — soutenue par le Premier ministre — de rompre avec les pratiques passées (l’achat des consciences à coup de millions…).

A cette heure, les décisions prises respectent les exigences posées par les Verts ; en ce sens et à ce stade, je les assume.

Il n’en va pas de même pour la diversification des activités de l’usine MELOX, qui constitue indéniablement une violation des accords Verts-PS, prévoyant « un moratoire sur la fabrication du MOX jusqu’en 2010 ». C’est à l’automne 1997 qu’il m’a été demandé de valider des travaux de « modernisation » de l’usine, exécutés sans décision politique, sans étude d’impact et sans enquête publique ! Travaux qui permettaient de diversifier les productions et de doubler la capacité de l’usine ! Je n’ai pas donné mon aval à cette manipulation. Il a fallu deux ans pour obtenir le maintien de la production à son niveau antérieur. Maigre consolation.

Que les choses soient claires : mes convictions n’ont pas changé. En apposant ma signature, je ne me range pas aux arguments des défenseurs du retraitement et de la production de MOX. Je prends acte d’une décision prise par le Premier ministre à l’issue de discussions longues, vives et parfois tendues, où les arguments des uns et des autres ont été entendus. Et je prends acte d’un rapport de forces qui reste défavorable aux options des Verts. J’en tire une leçon : il n’est pas possible de sous-traiter à la seule ministre Verte du gouvernement le soin de tenir tête, seule, à un lobby puissant. Militants, associations, responsables, élus : chacun, avec ses méthodes, ses moyens et ses responsabilités, doit prendre sa part de ce combat.


(1) L’industrie nucléaire a toujours rêvé de faire « disparaitre » les déchets comme on repousse de la poussière sous le tapis : elle ne renoncera pas à ce fantasme sans une mobilisation forte des citoyens sur les sites expérimentaux !
(2) Le rapport de la Commission nationale d’évaluation des recherches sur la gestion des déchets radioactifs, présidée par B. Tissot : Réflexions sur la réversibilité des stockage, juin 1998.