Texte intégral
Date : 21 décembre 1995
50 anniversaire du Secours Populaire
Monsieur le président, Mesdames, Messieurs,
Je vous le dis très simplement et du fond du coeur : je suis très heureux, et aussi très ému, de me trouver avec vous aujourd’hui pour fêter cet anniversaire.
Comme vous le savez, je n’ai pas attendu d’être secrétaire d’État pour agir dans l’action humanitaire et l’aide aux plus démunis, et j’ai eu, depuis longtemps déjà, l’occasion de fréquenter les acteurs de terrain du secours populaire.
Je peux vous dire que j’ai toujours senti, à l’occasion de ces rencontres, non seulement une identité de vues, mais plus que cela : une complicité, une véritable connivence, le sentiment de se battre pour les mêmes causes, les mêmes idéaux.
Comme j’ai essayé de le faire en tant que praticien de l’urgence sociale, et comme je tente de continuer à le faire au sein du Gouvernement, le Secours populaire ne se contente pas de proclamer des valeurs et des idéaux, il agit sur le terrain, auprès des personnes en difficulté ou en détresse, là où elles vivent, pour leur venir en aide, avec un souci constant de professionnalisme et d’efficacité.
Les bénévoles, les adhérents de votre association sont à la fois des militants et des acteurs de la lutte contre l’exclusion, et c’est à ce titre que je me sens particulièrement proche d’eux.
Comme le Secours populaire, je considère que la générosité ne se divise pas, que l’indispensable solidarité avec ceux qui se trouvent tenus, en France à l’écart de l’échange social ne peut pas nous faire oublier les détresses plus lointaines. C’est pourquoi je m’efforce de maintenir un équilibre entre le volet national et le volet international de mon action.
Et qu’il s’agisse d’aide humanitaire à l’étranger ou d’action sociale en France, je peux dire sans hésiter que j’adhère pleinement aux principes, aux idées fondamentales qui guident l’action des équipes du secours populaire.
Il en va ainsi de la conception de l’urgence. Comme je ne cesse de le répéter, l’urgence n’est aucunement une fin en soi. L’action d’urgence est indispensable car elle permet de sauver des personnes, d’établir le premier contact et de rompre l’isolement. Mais elle n’a de sens que si elle est relayée, en France, par un travail d’accompagnement dans la durée, et dans les pays dits du « tiers-monde », par des actions de développement sollicitant la participation pleine et entière des populations.
Quelle meilleure illustration de la nécessité de ce lien entre urgence, accompagnement personnalisé et actions d’insertion que les permanences d’accueil et de solidarité créées par les équipes du secours populaire ?
Je retrouve d’ailleurs dans la philosophie de leur action une autre idée qui, vous le savez sans doute, me tient vraiment à coeur : celle selon laquelle l’accès aux soins des personnes les plus démunies doit passer par des actions spécifiques qui doivent avoir comme seule finalité l’inscription ou le retour de ces personnes dans le droit commun.
C’est là, le sens des relais-santé qui ont été créés à l’initiative du Secours populaire qui n’a cessé d’être, depuis sa création il y a 50 ans, un laboratoire d’idées et d’expériences novatrices.
Tout en gardant une identité forte que vous pouvez, Monsieur le président, revendiquer avec fierté, votre mouvement joue, à n’en pas douter, un rôle moteur dans les progrès accomplis par le travail et l’action sociale dans notre pays ces dernières années, agissant souvent, au sens propre du terme, comme un éclaireur de l’action publique.
C’est pourquoi je compte bien travailler main dans la main avec vous, comme avec les autres grandes associations caritatives, pour mener le combat pour la réduction de la fracture sociale et la lutte contre l’exclusion dans lequel le président nous a demandé à tous de nous engager, avec la plus grande détermination. La prochaine étape de ce combat sera la préparation, avec Jacques Barrot, de la loi-cadre contre l’exclusion, autour de ces quatre grands thèmes que sont l’accès aux droits, l’accès aux soins, l’accès au logement, l’accès à l’activité et à l’échange.
Monsieur le président, je compte sur la mobilisation de tout votre mouvement pour m’aider à préparer ce texte important.
Je sais pouvoir compter sur votre collaboration, sans complaisance, mais dans l’esprit de construction qu’a toujours montré le Secours populaire depuis sa création et qui, je le sais, continuera de l’animer pendant de longues années encore. À moi de me battre pour mettre, comme l’a demandé le président de la République, la lutte contre l’exclusion au coeur des politiques publiques. À vous de veiller sans relâche à ce que cette exigence soit toujours mieux respectée, comme vous le faites depuis 50 ans.
L’ampleur de l’événement qui nous rassemble aujourd’hui nous montre que nous ne sommes pas seuls sur cette route.
Date : vendredi 26 janvier 1996
Colloque « La défense des pauvres ». Organisé par : L’institut de formation continue du barreau de Paris (IFC)
Mesdames, Messieurs,
Je suis à la fois honoré et un peu intimidé d’être appelé à évoquer devant des hommes de loi de la relation complexe qui unit la pauvreté et le droit. Je suis également très heureux que vous ayez choisi ce thème pour inaugurer vos séances de réflexion. Comme vous le savez peut-être, Mesdames et Messieurs, j’ai eu la charge, comme médecin de l’urgence humanitaire, comme médecin de prison, puis à la maison de Nanterre, de soigner des hommes en grande détresse sociale. C’est sur leur expérience, et sur mes échanges avec eux que je voudrais m’appuyer pour vous dire quelques mots du thème qui nous rassemble ce soir. Je me sais entouré d’esprits plus rompus que le mien au raisonnement juridique, et si ma présence parmi vous a un sens, c’est sans doute des échanges que j’ai eu avec ces hommes qu’il peut venir.
En préparant cet exposé, c’est le centre de Nanterre, qui, de prime abord m’est venu à l’esprit. Aux portes de Paris, au bout du monde, il s’agit vous le savez d’une institution où les plus pauvres étaient conduits de force du temps où il existait un délit de vagabondage. Le « déchet humain » de la grande ville, en quelque sorte… Le délit de vagabondage n’existe plus, la contrainte et la honte demeurent. Si le droit, et notamment le droit pénal exprime, comme l’écrivait Durkheim, « les états forts de la conscience collective », la règle de droit, longuement appliquée, façonne à son tour les esprits et les comportements, et l’on « ramasse » encore aujourd’hui des hommes et des femmes sur le pavé de Paris, avec un arbitraire et une brutalité que d’anciennes lois ont contribué à forger.
De mon expérience de Nanterre, je retire une idée toute simple, et pourtant toujours menacée par l’action de ceux-là même qui prétendent venir en aide aux plus démunis : le droit qui leur est le plus essentiel, comme à tout homme, c’est la liberté. Liberté d’aller et venir, protection de la vie privée, de l’intimité personnelle et familiale, liberté d’expression… Ne l’oublions jamais : c’est le meilleur moyen de ne pas faire fausse route, de protéger ceux qui sont dans la plus grande détresse contre les représentations et les peurs dont est investi le regard que le monde pose sur eux.
Nous devons rompre, une fois pour toutes, avec ce que le Père Winsinski appelait « cette charité qui se donne tous les droits ».
Je n’ai jamais rencontré, même au plus fort de l’exclusion, d’homme qui ait perdu la notion de ce qu’implique l’appartenance à une communauté démocratique et libre. Au contraire : l’expérience de la déchéance matérielle et de sa violence a conduit beaucoup de ces hommes à une réflexion personnelle et profonde sur ce qui constitue l’essence de la dignité humaine.
Les réflexions sur l’accès aux droits des exclus, centrées sur les droits sociaux, sur les prestations légales, ont tendance à négliger le détour par les libertés essentielles, par la liberté.
Cela étant dit, nos lois, nos lois sociales notamment, sont plus, que par le passé, respectueuses de l’intégrité de la personne et des relations qui la constituent. Il faut que nous en ayons conscience, comme de tout progrès social, et que nous préservions cet acquis. La fin des années soixante-dix a vu souvent, à cet égard, l’avènement d’une législation intelligente, équilibrée. Pour ne prendre qu’un exemple des progrès accomplis, relevons que le placement des enfants n’obéit plus aujourd’hui à cette logique destructrice qui négligeait la souffrance intime de la séparation, et les dommages prolongés qui en résultent tout au long d’une vie.
Sans dresser devant vous un inventaire des questions que pose « la défense des pauvres », je voudrais m’arrêter un instant sur deux des thèmes qui ont occupé vos débats, celui de la médiation et celui de l’accès aux droits.
La médiation
Les chances et les risques en ont été présentés par l’un de ses meilleurs spécialistes, Mme Guillaume-Hofnung.
Je voudrais, sans en détailler les diverses formes, y revenir un instant pour vous dire d’un mot pourquoi elle me paraît répondre à un besoin fondamental de la lutte contre l’exclusion. Nos sociétés rapides, instables, voient se multiplier les ruptures dans le parcours des individus. Dans toute trajectoire d’exclusion, on trouve de telles ruptures, et l’expérience enseigne que plus le statut social et le revenu des personnes concernées sont modestes et précaires, plus les médiateurs naturels leur font défaut dans les périodes de crise, de conflit ou de risque. Nos sociétés sont de plus en plus contentieuses, et cette évolution n’est pas sans lien avec la crise de l’intégration sociale dont l’exclusion est la manifestation la plus aiguë.
C’est pourquoi il est nécessaire que la règle de droit irrigue les rapports sociaux en amont de la procédure juridictionnelle, et qu’un travail organisé de médiation, ou de conciliation et d’arbitrage – je n’ignore pas que ces notions voisines sont distinctes dans l’esprit des juristes, mais je les associe ici à dessein – vienne pallier la dissolution de l’autorité dans le tissu social.
Il est certain que, pour ce qui est de la médiation judiciaire, le risque de glissement vers une justice de pauvres doit être évité. Ce risque est d’ailleurs inhérent à toute tentative pour adapter un dispositif aux besoins spécifiques des plus fragiles : il en va de même dans tout le domaine sanitaire et social. Ce risque ne doit pas pour autant inhiber la recherche de solutions : pour prendre un exemple concret, nous savons que la domiciliation au siège d’une association des personnes sans logement produit des effets pervers dans certaines communes, où elle stigmatise ses bénéficiaires. Et pourtant, nul ne peut nier que cette possibilité restaure l’accès à la citoyenneté de ceux qui, autrement, en seraient privés.
Pour en revenir donc aux différentes formes de médiation, judiciaire ou extra-judiciaire, je crois qu’il faut, tout en gardant ce risque présent à l’esprit, encourager leur développement dans une société où elles ne s’organisent plus spontanément.
J’en viens à l’accès aux droits. C’est une notion complexe, qui recouvre à la fois la connaissance que chacun doit avoir de ses droits, et la possibilité effective de les faire valoir. C’est aujourd’hui un objectif législatif, mais il reste beaucoup à faire.
Je m’en tiendrai à quelques remarques très brèves.
Sur le rôle des travailleurs sociaux, tout d’abord. On ne doit pas oublier qu’il leur appartient d’aider les plus fragiles à jouir pleinement des droits que la loi leur reconnaît, d’établir ou de rétablir les plus démunis comme sujets de droit. Il me paraît important de rappeler cette mission, à l’heure où leur rôle est mis en question.
Cela étant dit, ce rôle d’appui concerne essentiellement les droits sociaux et les prestations légales. Or les difficultés dans lesquelles se débattent les plus pauvres englobent aussi de nombreux aspects de droit civil ou pénal, pour lesquels un soutien particulier leur est nécessaire. Si l’aide juridictionnelle a maintenant dans notre pays une assise solide, et si elle a connu une montée en charge régulière depuis sa réforme, qui pourrait être confortée par un effort financier, en revanche l’aide juridique reste très insuffisante.
Le conseil juridique occupe en effet une place croissante dans nos sociétés, et c’est sans doute là, plus que dans la procédure juridictionnelle proprement dite, que réside le vrai risque d’inégalité ou d’exclusion sociale. Or les conseils départementaux institués par la loi du 10 juillet 1991 sont très peu actifs, et n’ont même pas été créés partout. Certaines initiatives associatives émanant des milieux judiciaires ouvrent, dans ce domaine, des pistes que je suis avec attention. Ainsi, à Paris, les jeunes avocats de l’association « Droits d’urgence » organisent, dans un certain nombre de lieux d’accueil de jour ou de soins, une permanence qui permet d’apporter une expertise juridique complémentaire de celle des travailleurs sociaux. Ce travail en réseau avec les professionnels du social me paraît aller dans la bonne direction. Comme il arrive souvent, c’est de ce type d’initiatives que naîtront des solutions de l’avenir.
Car dans votre domaine comme dans d’autres, et c’est par là que je terminerai, la lutte contre l’exclusion implique à la fois le renforcement des systèmes légaux qui visent à prévenir les inégalités devant les besoins essentiels de la vie, – et la capacité de défendre ses droits dans une société complexe est un de ces besoins –, et une mobilisation de chacun dans son métier et dans sa vie, qui déborde le champ de ce que la loi peut imposer à tous de façon uniforme. Notre rencontre est, me semble-t-il, un signe parmi d’autres de cette mobilisation, et je m’en réjouis de tout coeur.
Je vous remercie pour votre attention.
Date : 15-18 mai 1996
séminaire « atteindre les plus pauvres organisé par l’UNICEF et ATD Quart-Monde
Avant toute chose, Madame la présidente, je voudrais vous remercier de m’avoir invité à prendre part à la séance d’ouverture de ce séminaire. L’initiative prise conjointement par l’UNICEF et le mouvement ATD Quart-Monde d’organiser ces 4 journées de réflexion mérite d’être saluée. Elle me parait particulièrement bien venue en cette année internationale consacrée à l’éradication de la pauvreté.
Vous vous doutez bien, Madame la présidente, que le sujet qui nous réunit aujourd’hui – atteindre les plus pauvres – me touche et m’intéresse au plus haut point ; il n’a cessé de me préoccuper (j’ai presque envie de dire de m’obséder) au cours de mes 25 dernières années de vie professionnelle, longtemps sur le terrain, aujourd’hui comme responsable de l’action humanitaire au sein du Gouvernement français.
Personne n’oserait contester la légitimité de l’UNICEF et d’ATD Quart-Monde pour l’organisation d’un tel séminaire.
Chacun connaît en effet l’expérience et la compétence de ces deux organisations s’agissant d’actions en faveur des plus fragiles et des plus démunis.
La première caractéristique de l’UNICEF, comme je l’ai dit récemment à l’occasion de son 50e anniversaire, c’est son savoir-faire dans l’aide aux femmes et aux enfants, dont on sait bien qu’ils sont presque systématiquement les premiers et les plus durement touchés par le sous-développement, les crises ou les catastrophes.
Quant à ATD Quart-Monde, je pense que sa réflexion sur la très grande pauvreté a été d’un apport considérable, et que l’engagement persévérant, discret et toujours efficace de ces volontaires aux côtés des plus démunis force le respect.
En France, ATD a joué un rôle essentiel dans la prise de conscience par l’opinion publique du problème de la grande pauvreté et dans sa prise en considération par les décideurs politiques.
Il faut se rendre à l’évidence : ce problème ne se pose pas dans les mêmes termes, en dépit de quelques similitudes, dans les pays industrialisés et dans ce que l’on continue, improprement, à appeler le tiers-monde.
Dans les pays occidentaux, le problème a non seulement atteint une ampleur sans précédent, mais il s’est aussi radicalement transformé au cours des 30 dernières années. Certes la pauvreté classique, traditionnelle en quelque sorte, que certains appellent la « pauvreté héritée » a persisté, malgré les pronostics optimistes de ceux qui pensaient que la croissance vigoureuse des « Trente Glorieuses » entraînerait sa disparition.
Cette pauvreté chronique, que l’on considérait généralement comme inévitable et incompressible, celle des gueux, des mendiants, des clochards, a donné lieu au cours de notre histoire à deux types de traitements, variant selon les époques et selon l’air du temps, mais invariants dans leur répétition : tantôt la coercition, tantôt la sollicitude. Mais en définitive, elle a toujours été peu ou prou tolérée, acceptée par le corps social.
On assiste aujourd’hui, du fait de la crise économique, mais aussi de la crise du sens et du lien social qui affectent notre société, à l’émergence d’un nouveau phénomène, spécifique de notre époque de mutation et inédit par son ampleur.
Comme l’a fort bien montré le père Joseph Wrezinski dans son rapport publié en 1987, l’accumulation et l’enchainement des situations de précarité se sont accompagnés, pour des personnes de plus en plus nombreuses, d’une mise à l’écart de l’échange social et affectif, d’une perte des repères, d’une incapacité à se projeter dans l’avenir.
La pauvreté d’aujourd’hui ne peut plus être vue comme un état stable, elle est la résultante d’un processus. Celui-ci débouche bien souvent, et ceci aussi est nouveau, sur des situations d’exclusion sociale.
Les gens exclus n’ont plus de demandes, plus de désirs, plus de projets. N’existant plus dans le regard des autres, ils finissent par ne plus exister dans leur propre regard.
Dans la mesure où elle génère l’exclusion, la pauvreté actuelle est lourde de menaces pour la cohésion même de nos sociétés. Tel est le diagnostic établi par le président Chirac lorsqu’il a mis en avant le thème de la fracture sociale.
Jacques Chirac ayant décidé de faire de la réduction de cette fracture sociale la priorité de son septennat, il a demandé que la lutte contre l’exclusion et la pauvreté soit placée au coeur de toutes les politiques publiques.
Je crois que ces choix faits, et assumés, par le chef de l’État ont une signification et une valeur très importante. En effet, il est capital à mon sens que l’État, garant – comme le dit notre Constitution – de la cohésion sociale et de la solidarité nationale, indique le cap, annonce clairement son projet, et affirme avec force sa volonté de le faire aboutir.
Pour que ce projet ambitieux et mobilisateur réussisse, notre premier devoir est un devoir de prévention. Nous devons tout faire pour éviter que les situations de précarité ou de vulnérabilité n’entraînent irrémédiablement ceux qui les subissent dans la spirale de l’exclusion. C’est pour cela que j’ai fait de la prévention un axe central de la loi contre l’exclusion actuellement en préparation.
Mais la prévention, au stade où nous sommes arrivés aujourd’hui, ne saurait hélas plus suffire. Il nous faut également aider ceux qui se trouvent dans la misère, l’errance ou l’exclusion à reprendre toute la place qui leur revient dans la société, à être en mesure, comme le disait le père Joseph, d’exercer pleinement leurs droits et leurs responsabilités.
Pour cela il nous faut, non pas élaborer des politiques exclusivement destinées aux plus pauvres, ce qui serait une grave erreur, mais tout mettre en oeuvre pour leur permettre d’accéder aux dispositifs de droit commun. C’est en ayant cette exigence à l’esprit que le Gouvernement a choisi de privilégier la problématique de l’accès au droit (droit au logement, à la santé, à la culture…) dans la future loi contre l’exclusion. Cet accès au droit commun ne pourra être garanti à ceux qui en sont le plus éloigné si l’on ne commence pas par aller à leur rencontre. C’est ce que j’ai cherché à faire en créant le Samu social de Paris. Aller au-devant, au contact des plus démunis est bien le préalable à toute démarche d’« insertion » (pour reprendre un terme en vogue aujourd’hui, mais qui ne me satisfait pas totalement).
Après avoir établi ce premier contact, un travail d’accompagnement peut s’engager. Les volontaires d’ATD nous montrent bien la persévérance et le savoir-faire que requiert ce travail. Petit-à-petit, celui-ci permet que s’établisse une relation de confiance, que les personnes retrouvent une image plus positive d’elles-mêmes et trouvent en elles-mêmes les ressources et l’énergie nécessaires pour accéder à la citoyenneté.
Ainsi donc, si les lois spécifiques ne s’adressant qu’aux plus pauvres sont à proscrire, on ne saurait faire l’économie d’efforts spécifiques pour atteindre ces personnes. La vigilance et le volontarisme restent incontournables, car ce n’est pas spontanément, par intercession d’une sorte de « main invisible », qu’un programme ou une politique destinée à l’ensemble de la population bénéficiera aux plus démunis de ses membres.
Ce principe vaut aussi bien, me semble-t-il, pour nos sociétés dites « développées » que pour les pays du sud. Il reste que les problèmes de la précarité et de la pauvreté ne sauraient être analysés avec les mêmes schémas dans les unes que dans les autres.
L’histoire des pays du Sud depuis la décolonisation est, à mes yeux, l’histoire d’une déception, d’une désillusion. Je me souviens très bien – privilège de l’âge des espoirs immenses que nous avons placés, au début des années 60, dans le développement des pays du tiers monde. Nous pensions alors que le décollage économique et la modernisation de ces pays nouvellement indépendants allaient éradiquer la pauvreté qui y sévissait.
Plus de 35 ans après, le bilan s’avère très décevant, en particulier sur le plan social. Quel que soit le degré de performance de leurs économies, les pays du Sud ont vu, à de rares exceptions près, la pauvreté et la misère s’accroitre sur leur territoire. On a assisté en particulier, du fait d’une urbanisation brutale et anarchique, à l’apparition et au développement très rapide de la pauvreté en milieu urbain, qui est venue s’ajouter à celle, plus ancienne et plus classique, des paysans.
Maintenant que la bipolarité du monde a disparu avec la fin de la confrontation Est-Ouest, les pauvres sont devenus encore plus pauvres dans des pays qui, ayant perdu beaucoup de leur intérêt géopolitique aux yeux des grandes puissances, sont de plus en plus livrés à eux-mêmes.
Dans le même temps, la mondialisation des économies et des systèmes de communication, l’interpénétration croissante des sociétés se sont accompagnées de la mondialisation des fléaux sociaux et sanitaires (je pense notamment aux grandes endémies).
Face à ces phénomènes, les politiques d’aide mises en oeuvre par les bailleurs de fonds ont le plus souvent échoué. Cet échec tient d’abord, j’en suis convaincu, à la primauté, voire l’exclusivité, qui a, pendant beaucoup trop longtemps, été donnée aux solutions macro-économiques. Les programmes d’ajustement structurel, les politiques de rachats de dette, la construction de grandes infrastructures ont, à l’évidence, eu leur utilité. Il n’en reste pas moins, et l’expérience le montre, que dans tous les domaines du développement, ce sont les micro-projets qui marchent le mieux, et en particulier ceux qui s’appuient sur les initiatives des « bénéficiaires » et favorisent leur participation. Des expériences telles que la « Grameen Bank » au Bangladesh, la « Banque Contigo » au Chili ou les coopératives d’épargne et de crédits soutenues par la coopération française dans plusieurs pays africains sont éclairantes à cet égard. Ces expériences ont en commun de s’appuyer sur le dynamisme et la créativité des communautés les plus démunies, et c’est sans doute le principal facteur explicatif de leur réussite.
Il est temps à présent de mettre l’humain au centre des politiques de développement, de faire du développement social une vraie priorité, et de tout faire pour que les plus pauvres soient les premiers bénéficiaires de nos politiques d’aide. Cela nécessitera, de toute évidence, une révision, en profondeur des orientations de l’aide au développement et des modes de gestion de cette aide.
La France s’est engagée, l’année dernière, au sommet de Copenhague, à procéder à ces révisions radicales. Il faut maintenant concrétiser cet engagement. C’est le souhait profond du président Chirac, qui est convaincu que la France à un rôle de leader à jouer dans la promotion et la mise en oeuvre d’un véritable développement humain. Jacques Godfrain, l’actuel ministre de la coopération, a d’ailleurs commencé à s’attaquer à ce vaste chantier avec beaucoup de courage et de détermination.
Donner la priorité de l’aide aux plus pauvres n’est pas seulement une exigence morale. C’est aussi une nécessité pour qui porte un regard lucide sur le monde d’aujourd’hui. La pauvreté constituant le terreau des principaux maux que traverse notre époque (je pense par exemple aux fanatismes religieux, à la criminalité, à la prostitution, ou au trafic de stupéfiant), lutter contre elle est à l’évidence la meilleure façon de garantir la paix et la stabilité du monde. Mais la lutte contre la pauvreté ne parvient à atteindre ceux qu’elle frappe avec le plus de virulence et de dureté.
Atteindre les plus pauvres, les plus démunis, ceux qui souffrent le plus est donc un impératif catégorique, où que l’ara se trouve. Comment y parvenir ? C’est de ce sujet très complexe que vous allez débattre ensemble au cours du séminaire qui s’ouvre aujourd’hui.
Ces 4 journées de réflexion, qui associent des acteurs de terrain et des représentants de Gouvernements seront, j’en suis sûr, très fructueuses. Elles le seront d’autant plus qu’elles s’appuieront sur des expériences concrètes et seront résolument tournées vers l’action.
C’est donc avec un vif intérêt que je prendrai connaissance des résultats de vos travaux, convaincu qu’ils permettront de faire avancer une cause qui nous réunit aujourd’hui et continuera à nous unir dans les années à venir.
En vous remerciant d’avoir eu la patience de m’écouter, je vous souhaite à présent un bon travail.
Merci
Date : jeudi 28 novembre 1996
campagne de la Croix Rouge française en faveur du bénévolat et du volontariat.
Mesdames, Messieurs,
C’est avec un grand plaisir que j’apporte mon soutien à la campagne de la Croix Rouge française en faveur du bénévolat et du volontariat.
La Croix Rouge est une organisation pionnière de la solidarité envers les populations en détresse. Depuis plus d’un siècle on la trouve sur à peu près tous les terrains de la souffrance pour venir en aide aux plus faibles.
La solidarité nécessite la mobilisation de tous :
- de l’État d’abord qui en est le garant ;
- des collectivités locales et notamment des communes, et je suis très heureux de la participation du président de l’AMF à cette manifestation ;
- mais aussi des associations dont l’action est indispensable.
Le Gouvernement a mis la lutte contre l’exclusion au coeur de son action. C’est pour cela que j’ai préparé le projet de loi pour le renforcement de la cohésion sociale qui fait actuellement l’objet d’une très large concertation et qui permettra de franchir une étape décisive dans la lutte contre l’exclusion.
Avant même ce projet de loi, le Gouvernement s’est mobilisé et continuera de se mobiliser pour faire face aux situations d’urgence sociale. J’ai souhaité depuis 1 an et demi que l’on renforce notablement notre dispositif. De 1994 à 1996 les crédits affectés à l’urgence sociale ont plus que doublé pour atteindre 400 MF cette année. J’ai adressé une circulaire aux préfets pour leur demander, à l’aube de l’hiver, de consolider notre dispositif d’accueil et d’hébergement. Je leur ai aussi rappelé que le dispositif d’urgence devait fonctionner toute l’année, car la détresse ne peut pas attendre l’hiver pour être secourue.
Quantitativement, la capacité d’accueil parait aujourd’hui satisfaisante comme l’a démontré le rapport de Michel Thierry et comme le confirme le CREDOC. Mais la qualité de cet accueil doit être améliorée et les dispositifs diversifiés.
Les objectifs que j’ai donnés aux préfets sont les suivants :
- mieux organiser l’information et la coordination du dispositif par la mise en place d’un système de régulation à partir du numéro vert national ;
- adapter l’offre d’accueil aux besoins et à la diversité des publics ;
- développer les dispositifs permettant d’aller au-devant des sans abri, comme les Samu sociaux ;
- promouvoir l’accueil de jour ;
- favoriser l’accès aux soins des personnes accueillies ;
- maintenir le dispositif opérationnel toute l’année.
Pour mener le combat contre l’exclusion, l’État a besoin de partenaires et en premier lieu des collectivités locales. Je me réjouis d’avoir aujourd’hui à nos côtés le président de l’Association des maires de France, Jean-Paul Delevoye.
Les communes, ce sont les collectivités publiques les plus proches des personnes en difficulté et avec leurs centres communaux d’action sociale, elles ont un rôle social de premier plan. La commune doit être le territoire où s’organise la solidarité, territoire d’intégration et non territoire d’exclusion. Il faut rendre hommage à toutes ces communes et à leurs maires qui ont réalisé ces dernières années des efforts considérables pour accueillir les plus démunis et notamment les personnes sans domicile. Ce ne sont pas quelques contre exemples, aussi douloureux et regrettables soient-ils, qui doivent nous masquer le travail accompli. Si la commune doit être un territoire de solidarité, il doit y avoir aussi une solidarité entre les territoires, et en l’occurrence entre les communes. Cela suppose que chacune conduise des actions à sa mesure pour l’accueil des plus démunis, pour le logement d’urgence et le logement social, sans céder à la tentation de renvoyer ailleurs les personnes que l’on préfère ne pas voir. Ainsi partagés, l’action contre l’exclusion sera plus efficace et l’effort de chacun supportable.
Comme en témoigne ma présence ici, les pouvoirs publics sont également très attachés à la collaboration avec leurs partenaires associatifs, d’abord les grandes organisations comme la Croix Rouge et aussi des associations locales et souvent méconnues. C’est à travers le mouvement associatif que se manifeste bien souvent la mobilisation des citoyens.
Les associations ont notamment deux fonctions majeures dans le domaine de la solidarité :
- d’une part elles sont des opérateurs indispensables avec lesquels les pouvoirs publics doivent travailler ;
- d’autre part elles permettent à chacun de concrétiser un engagement personnel au profit de la collectivité à travers le bénévolat et le volontariat : elles sont donc un instrument essentiel de citoyenneté.
C’est pour cela que je m’associe avec conviction à l’appel au bénévolat et au volontariat qu’a lancé la Croix Rouge française. Je souhaite qu’il rencontre un très large écho, à la mesure de la générosité de nos concitoyens.