Texte intégral
Forum d'Agen - 27 octobre 1995
Monsieur le député-maire, Mesdames, Messieurs,
Comme vous le savez, je connais bien le Forum d'Agen.
Mon engagement dans le monde associatif est ancien, et je suis heureux de retrouver ici beaucoup d'amis et de visages connus.
Je tiens aujourd'hui à adresser mes remerciements à la municipalité d'Agen pour l'assistance efficace qu'elle apporte aux organisateurs de cette manifestation.
Agen, « capitale des ONG », selon l'expression du docteur Chollet, son député-maire, est, de ce point de vue, un bel exemple des initiatives de plus en plus fréquentes que les collectivités locales prennent pour créer des liens de solidarité avec les populations durement éprouvées d'autres régions du monde.
Je remercie également les organisateurs de cette rencontre. Elle est devenue un repère familier dans le paysage associatif français de la solidarité internationale, un lieu d'échanges précieux pour tous les acteurs.
Avant de vous exposer mes priorités, je souhaite partager avec vous quelques réflexions sur la place du secrétariat d'État dans le monde humanitaire.
Vous vous en doutez, lorsque j'ai accepté cette responsabilité gouvernementale, je n'ai pas mis mon passé entre parenthèses. Et si je continue à défendre nos valeurs et nos aspirations communes, il a néanmoins bien fallu que je m'interroge sur l'articulation entre l'action humanitaire et l'action politique.
Cela m'a conduit aux réflexions suivantes.
En premier lieu, je considère que l'action humanitaire n'est pas et ne doit pas être une politique de rechange.
Pour autant, elle n'est pas dépourvue de dimension politique. Il y a, par conséquent, un espace propre à l'humanitaire public.
En termes de principes, tout d'abord, c'est un espace de solidarité entre les peuples et les États, qui transcende les rapports de force, et qui est détaché des intérêts des nations qui s'y engagent. Un État peut ainsi développer des actions humanitaires dans des lieux et sur des théâtres d'opération où ses intérêts diplomatiques ne sont pas directement en cause, voire dans des circonstances où la situation diplomatique est bloquée, comme au Rwanda. Ainsi concourt-il, sur la longue durée, à donner corps à une véritable société des nations.
En termes de moyens, aussi, l'action de l'État a évidemment une dimension à part. Qu'il agisse lui-même, qu'il cofinance des projets, qu'il assure le transport de matériel souhaité par des ONG bien implantées ou la sécurité de celles-ci, il peut mobiliser des forces considérables.
En ce qui concerne les modalités de l'action de l'État, le pragmatisme est souvent la première des règles.
Et une réelle concertation, entre tous les acteurs intéressés, au premier rang desquels vos associations, me paraît fondamentale. C'est l'objectif des réunions que nous tenons ensemble régulièrement depuis cet été et des nombreux contacts que je prends à l'occasion de mes missions sur le terrain.
Cette méthode me semble fructueuse, tout en étant respectueuse de l'identité et de la liberté de chacun, et j'ai été heureux de constater que vous partagiez cette manière de voir.
Bien sûr, les situations d'urgence sont nombreuses, et, par définition, elles ne peuvent être programmées. Les catastrophes naturelles, les violences armées – quand il est impossible, au moins provisoirement, d'y mettre fin – nécessitent des secours immédiats. Ainsi, en ex-Yougoslavie, il a fallu aider les populations chassées des enclaves musulmanes de Zepa et Srebrenica en juillet, puis celles qui ont fui la Krajina en août.
Mais, à côté de ces situations où nous intervenons tous en tant que sauveteurs, il y a une place pour une véritable politique de l'action humanitaire.
Cette politique doit, à mon sens, comporter trois volets qui portent, sur les conditions même du travail humanitaire, sur la coordination entre les actions d'urgence et les actions de développement, et sur la définition de domaines d'actions prioritaires.
En ce qui concerne les conditions mêmes du travail humanitaire, je crois qu'il faut une action de fond, patiente, permanente, afin que toutes les formes d'engagement soient encouragées au mieux.
C'est ainsi que je réfléchis, dans ce cadre de la réforme du service national, à son volet humanitaire, et que je vais engager une réflexion sur les conditions juridiques d'exercice de la médecine au service des causes humanitaires.
Je veux aussi intervenir auprès des administrations concernées pour obtenir l'adaptation aux contraintes de l'urgence des procédures administratives et comptables de subventionnement des projets d'associations.
Enfin, je tiens à valoriser les initiatives humanitaires des collectivités territoriales et à les insérer dans l'action d'ensemble que nous contribuons tous à mettre en œuvre.
Par ailleurs, – et ce sera le second volet de ma politique –, je crois que l'articulation de l'aide d'urgence avec l'aide au développement d'une part, et avec les mécanismes de prévention ou de règlement de crises ou des conflits de l'autre, doit être repensée, notamment dans notre pays où les cloisonnements administratifs entre ces différents domaines sont importants, et où l'humanitaire spectacle a parfois fait perdre de vue la nécessité d'inscrire l'aide d'urgence dans une réflexion plus approfondie sur la reconstruction des sociétés en crise, ou en guerre. J'y veillerai personnellement, en concertation avec le ministre des affaires étrangères et avec le ministre délégué à la coopération.
Mon action au Rwanda s'inscrit dans cette logique. Il m'est apparu clairement après les entretiens politiques que j'ai eus à Bujumbura et à Kigali, mais aussi après mes rencontres avec celles des associations qui, parmi vous, travaillent plus particulièrement dans cette zone, que l'urgence, la post-urgence et les actions de développement devraient s'articuler. Dans cet esprit, nous interviendrons notamment dans trois directions : pour répondre au devoir de mémoire et de justice envers les victimes du génocide, pour préparer concrètement la réinstallation des réfugiés ou des déplacés et pour aider les enfants à surmonter leur traumatisme.
Enfin, le secrétaire d'État à l'action humanitaire d'urgence que je suis, doit dégager des domaines d'actions prioritaires, qu'ils soient thématiques ou géographiques.
Mes priorités géographiques sont évidemment toutes les zones d'urgence effective et notamment l'ex-Yougoslavie, l'Afrique des grands lacs, le Libéria ou le Caucase.
Sur le plan thématique, je privilégierai en 1996 la lutte contre les mines antipersonnel, la protection de l'enfance et le traitement des traumatismes psychologiques.
Avant d'aborder la protection de l'enfance, je tiens à vous parler rapidement des mines antipersonnel. Ce n'est pas à vous que je vais décrire le drame humanitaire que constituent ces armes. La France, comme vous le savez, a récemment pris la décision de prononcer un moratoire sur la production de toutes les catégories de mines antipersonnel. Cette position française a gardé valeur d'exemple pendant la conférence de Vienne sur la révision de la convention de 1980. Je regrette qu'elle n'ait pas pu entraîner une dynamique suffisante pour que cette conférence aboutisse en temps voulu aux restrictions et interdictions les plus larges possibles de ces armes. L'engagement unilatéral de notre pays, et de ceux qui s'engagent avec lui n'en a que plus de prix : c'est un ouvrage durable pour les négociations à venir. Les travaux d'expert reprennent, la conférence se réunira à nouveau à Genève dans quelques mois. Le gouvernement français travaillera sans relâche pour y obtenir le meilleur accord possible.
Il se battra également sur la question du déminage et sur le travail de sensibilisation des populations locales aux dangers des mines. Je vais bientôt me rendre au Cambodge et en Angola, deux pays durement frappés par cette catastrophe, et étudier sur place les moyens d'apporter notre aide de la manière la plus efficace possible.
J'en viens enfin à une autre de mes priorités pour l'année 1996 : la protection de l'enfance.
Les enfants des rues – thème de ce forum 1995 –, les enfants au travail, les enfants dans les conflits armés, les enfants victimes d'abus sexuels, bénéficieront d'actions visant à accroître leur protection.
D'ores et déjà, des actions spécifiques ont été soutenues par le secrétariat d'État pour lutter contre la prostitution enfantine, et de nouveaux programmes d'associations en faveur des enfants des rues ont été financés ou cofinancés au Guatemala, en Haïti, à Madagascar, au Maroc et aux Philippines.
Je continuerai à encourager et à soutenir toutes les initiatives sérieuses clans ce secteur.
Cependant, nos actions seront d'autant plus efficaces qu'elles s'appuieront sur une connaissance approfondie de ce phénomène qui traduit, à l'évidence, un dérèglement majeur des sociétés traditionnelles et la gravité de la situation économique. Il faut donc définir une méthode et une philosophie de travail. Je ne doute pas que vos contributions, dans le cadre de ce forum, seront très utiles.
Pour conclure, je voudrais vous dire quelques mots de mon action sur le territoire national.
Cette mission humanitaire peut paraître paradoxale. Chacun sait cependant qu'il y a également en France, un phénomène d'exclusion qui génère des situations humaines graves. Tous ceux qui se trouvent à la lisière des différents dispositifs de protection, perdent peu à peu leur existence sociale.
Mon expérience personnelle, mes relations avec les ONG et les associations me permettent de proposer des solutions des axes de travail.
Améliorer l'hébergement d'urgence, faciliter l'accès aux soins des plus démunis, mieux prendre en compte la situation des personnes alcooliques ou toxicomanes, apporter une aide aux jeunes en errance, font partie de ces axes prioritaires auxquels je me consacre beaucoup.
J'y vois aussi l'opportunité d'y trouver, à l'interface du national et de l'international, des emplois de réinsertion dont de nombreuses associations, ici présentes, ont elles-mêmes saisi l'intérêt.
Je sais que certains d'entre vous, après avoir projeté au loin, et dans l'urgence, leur savoir-faire et leurs moyens au service des plus pauvres, sont amenés par la situation sociale que nous connaissons, à réfléchir sur ce qu'ils peuvent faire, dans leur pays, à partir d'une expérience acquise ailleurs. Il compte aussi sur eux pour alimenter notre travail sur cette détresse qui met en jeu les fondements de notre démocratie.
Inauguration du Salon Humagora 1996 - 18 avril 1996
Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs,
Je remercie l'Institut du Mécénat Humanitaire et Blenheim d'avoir, pour la deuxième fois, organisé ces rencontres entre les entreprises et les protagonistes de l'action humanitaire que sont les associations, les organisations internationales, les particuliers et les pouvoirs publics. Je vous en remercie d'autant plus qu'il me semble important de souligner qu'Humagora est actuellement le seul forum qui permettent à des acteurs aussi différents dans leur logique, dans leur fonctionnement, dans leur motivation, de se rencontrer, d'échanger, et de bâtir des projets communs.
Cette particularité d'Humagora est caractéristique d'une situation que je déplore. A parler très franchement, je dois dire que l'histoire du mécénat humanitaire en France est l'histoire d'une déception.
Si l'on regarde dans un premier temps les montants concernés par le mécénat culturel et le mécénat dit de solidarité, en excluant le sport, en 1994, sur 2 500 actions, seulement 10,5 % relevaient du mécénat humanitaire. En termes budgétaires, le mécénat humanitaire s'est élevé à moins de 6 % du total des montants consacrés par les entreprises au mécénat en général. 6 %, cela correspond à 75,4 MF, alors que le budget annuel d'une grande organisation non gouvernementale française de solidarité en France et à l'étranger est de l'ordre de 200 MF. Cela signifie qu'aujourd'hui dans notre pays, les entreprises ne soutiennent qu'une part infime des actions de solidarité menées par des associations.
L'État et les collectivités locales sont les principaux bailleurs de fonds des associations, avec 60 % du financement total. Les dons privés ne représentent que 7 % du total, dont la moitié est le fait des particuliers.
Cette situation contraste vivement avec celle que l'on observe dans les pays anglo-saxons, où un réseau d'échange très nourri existe entre les partenaires associatifs et le monde de l'entreprise.
Il y a en France une absence que je juge préjudiciable, à la fois pour la société française et pour les entreprises elles-mêmes.
Le coût pour la société ne se mesure pas seulement par le poids qui s'exerce sur les finances publiques. Plus profondément, il me semble qu'on ne peut plus tout attendre de l'État en matière sociale, parce que le niveau de l'État Nation ne constitue plus l'échelon auquel il est le plus pertinent de mesurer les problèmes sociaux.
C'est je crois la grande raison du développement considérable qu'a pris le secteur associatif depuis une quinzaine d'années.
Ce qu'on appelle le tiers secteur s'est montré plus apte à identifier les nouvelles fractures de la société, plus innovant dans ses approches et ses solutions, plus flexible dans la mise en œuvre de ses réponses.
Il me semble qu'il existe une analogie entre le dynamisme de ce tiers secteur et celui des entreprises. On parle beaucoup d'entreprises « citoyennes ». Ce concept me semble un peu abstrait, et cache le fait qu'il est avant tout de l'intérêt des entreprises de faire jouer ces complémentarités. Les motivations pour faire du mécénat humanitaire sont diverses : la question d'image et de communication, l'intérêt fiscal sont les plus évidentes. L'engagement dans l'humanitaire, en France ou à l'étranger, constitue également un levier pour intervenir dans les problèmes sociaux qui ont un impact négatif sur l'activité des sociétés. Le travailleur sur l'insertion peut aussi apparaître comme une façon d'agir sur les conséquences négatives de l'activité de l'entreprise dans la société, comme les licenciements.
Il a été dit que le mécénat humanitaire de l'entreprise est susceptible de constituer un outil de gestion des ressources humaines, un enjeu de communication interne. Je ne suis pas expert en la matière, mais ces considérations ont l'avantage de poser la question de ce que peut apporter l'engagement dans l'humanitaire aux salariés des entreprises, question que l'on peut aborder sur un angle social et philosophique.
Si on regarde les différentes dimensions de la personne humaine, il est évident que le travail constitue pour l'homme une expérience première, ne serait-ce que par le temps de la vie humaine qui lui est consacré. C'est dans le milieu professionnel que se noue l'essentiel des liens sociaux de l'individu. Il existe un violent contraste entre cette intensité de contacts humains que procure l'entreprise, et la perte du lien social que connaissent ceux qui n'ont plus de cadre professionnel.
C'est la prise de conscience de ce contraste qui pousse souvent les cadres retraités à s'investir avec énergie dans les associations d'insertion, parce qu'ils sont frappés du décalage entre ce qu'ils ont vécu et l'existence des jeunes qui sont désocialisés. Sans doute aussi parce qu'ils font brutalement l'expérience de la diminution de leurs liens avec le reste de la société. Il serait plus profitable pour tous que cette réalisation ait lieu au sein de l'entreprise, au moment le plus favorable pour jeter des ponts entre les deux mondes.
Le deuxième aspect qui intéresse les salariés est celui des perspectives que leur ouvre leur activité. Dans le travail humain, – on peut distinguer l'œuvre (ce qu'on fait), le processus (comment on le fait) et le projet (pourquoi on fait). Il est fréquent que les conditions dans lesquelles nous travaillons ne nous fassent prendre pleinement conscience que du processus (les méthodes, les procédures, les produits intermédiaires en vue d'atteindre l'œuvre). Parfois, on n'a qu'une vision floue de l'œuvre elle-même (est-ce l'objet qu'on fabrique, ou sa vente ?), et il est très fréquent que cette œuvre ne s'inscrive pas dans un vrai projet humain. Il me semble que nous avons tous besoins d'être animés par un projet, qui donne du sens à notre activité. Les actions humanitaires ont un sens plus immédiat, souvent plus fort, que les activités de production, commerciales ou d'administration. L'engagement aux côtés de partenaires humanitaires peut aider les salariés à enrichir le sens de leur travail. La solidarité, où qu'elle s'exerce, est le moyen de finaliser le travail de l'homme par la rencontre d'autrui. Je crois qu'il existe là un moyen de donner un sens à ces heures, à ces années de travail qui sont derrière beaucoup d'entre nous.
On peut évidemment recourir à des termes qui relèvent de l'efficacité du travail, de la gestion managériale, en parlant de mobilisation, de motivation du personnel, d'amélioration de l'esprit d'équipe. Mais, profondément, c'est de sens qu'il s'agit. Les salariés appartiennent dans leur vie à un environnement humain qui est caractérisé par des évolutions de fond de la société. Est-il acceptable que l'entreprise dans laquelle ils travaillent ne prenne pas en compte cet environnement humain ?
Les formes de participation des entreprises aux actions humanitaires sont multiples. Le mécénat humanitaire peut puiser dans l'expérience acquise depuis des années par le mécénat sportif et culturel, ce dernier ayant donné lieu à des actions de cofinancement originales et inventives. On note d'ailleurs que ce sont souvent les entreprises qui ont acquis une expérience dans le mécénat culturel qui commencent à s'impliquer dans le mécénat de solidarité.
Il y a d'abord un pont naturel entre l'entreprise et le secteur associatif, qui est celui de la professionnalisation de l'humanitaire. Les organisations non gouvernementales ont connu depuis une dizaine d'années une mutation considérable, avec un recours accru à des personnes bien formées. Cela concerne tous les domaines, des soins à la logistique en passant par la gestion et la communication.
Les grandes associations travaillent aujourd'hui avec des personnes qui viennent fréquemment de l'entreprise (industrie, cabinets d'audit ou de conseil), et qui souhaitent travailler, quelques années dans l'humanitaire. Pour les associations de taille plus réduite, il existe là un champ de coopération avec les entreprises. La mise à disposition à temps partiel par les entreprises de personnel qualifié répond à un besoin de ressourcement professionnel tout en épousant ce mouvement de professionnalisation de l'humanitaire. Ce mécénat, qu'on pourrait appeler le mécénat de compétence, qui suppose d'accompagner l’économie des projets, me semble particulièrement propre à impliquer le personnel des entreprises.
Il existe d'autres formes d'engagement, dont le salon Humagora nous donne de multiples exemples, reposant sur des dons et prêts en nature ou en argent, des prêts de locaux. Je ne citerai que deux types de collaboration dont j'ai fait l'expérience directe dans le cadre de l'aide humanitaire d'urgence du gouvernement français et avec le Samu social.
Toutes les actions humanitaires menées par le gouvernement français donnant lieu à des envois aéroportés sont exonérés par les aéroports de Paris des taxes de décollage et d'atterrissage. À la demande du gouvernement, les associations humanitaires sont également exonérées de ces taxes. Par ailleurs, les aéroports de Paris assurent les services français en charge des actions d'aide d'urgence de la gratuité du stockage des biens à expédier. Je mentionne cet exemple parce qu'il fournit l'illustration d'une coopération axée sur le professionnalisme.
Pour prendre un deuxième exemple relevant de la solidarité au plan national, j'évoquerai la structure du SAMU SOCIAL, organisme qui va au-devant des personnes sans abri pour leur donner accès à un hébergement d'urgence, à des soins médicaux. Le SAMU SOCIAL est constitué sous la forme d'un Groupement d'intérêt Public auquel appartiennent plusieurs entreprises. Leur soutien prend la forme d'apports de fonds, de locaux, de biens qui rendent possible l'accueil des sans-abri, de véhicules. La variété de ces entreprises répond à celle des missions du Samu social et la continuité de leur présence à travers leur appartenance au GIP est un gage de la pérennité de cette action.
Il me semble important de souligner l'importance de la continuité de l'engagement dans l'humanitaire. Contrairement au mécénat culturel, qui peut donner lieu à des actions ponctuelles d'image, le mécénat humanitaire réclame un engagement dans la durée, dans une certaine discrétion aussi, c'est une question de respect et de pudeur.
Au-delà de cette dimension, il nous faut noter l'évolution qu'on connut les relations entre le monde associatif et les entreprises, relations que j'ai vu évoluer en tant que membre d'association, dans mon expérience de mise en place de structures de partenariat associations-entreprises, puis du point de vue du gouvernement. Nous sommes passé d'une attitude de remise en cause de l'entreprise par les associations à une professionnalisation de celles-ci puis à une relation de respect et de confiance dans les savoir-faire mutuels.
La loi a accompagné ces évolutions et ces besoins. La législation sur la fiscalité des associations, la création des fondations d'entreprises sont des instruments qui facilitent la mise en place de partenariats. Ces instruments ne sont pas parfaits, et le gouvernement travaille dans plusieurs directions. La fiscalité des dons doit faire l'objet d'aménagements, notamment en vue de favoriser la constitution d'un socle de gros donateurs assurant une certaine stabilité aux ressources des associations. C'est cette base de donateurs stables qui fait défaut en France par rapport aux pays anglo-saxons. Il faut probablement envisager pour cela un relèvement des plafonds de déductibilité des dons aux fondations ou associations d'utilité publique.
Une deuxième étape devrait être la simplification du dispositif juridique et fiscal de création des fondations, qui paraît actuellement trop lourd.
Enfin, s'agissant du mécénat des entreprises comme de celui des particuliers, on ne peut faire l'économie d'une réflexion de fond sur la transparence des associations et leur déontologie. Je crois qu'on ne peut qu'encourager le monde associatif à se mobiliser autour de l'élaboration de chartes de déontologie.
Je voudrais clore cette allocution sur une caractéristique d'Humagora qui me tient à cœur, à savoir sa double dimension nationale et internationale. Je salue, à nouveau, les organisateurs du salon pour avoir saisi et manifesté à travers l'organisation des trois thèmes de la visite, solidarité internationale, insertion, solidarité dans la cité, qu'il n'y a pas de solution de continuité entre la solidarité en France et l'engagement en faveur des victimes des crises humanitaires dans le monde. C'est un aspect auquel je suis particulièrement sensible en raison de la double vocation du Secrétariat d'État à l'action humanitaire d'urgence : lutte contre l'exclusion en France, et présence dans les crises à l'étranger.
Les ponts qui relient ces deux dimensions sont nombreux. L'implication des collectivités locales françaises dans des actions d'assistance à des populations vulnérables à l'étranger en est un. La réflexion actuellement engagée sur un service national humanitaire en France et à l'étranger en est un autre. Les entreprises d'insertion nous fournissent également des exemples d'insertion professionnelle en France au moyen d'actions qui bénéficient in fine à des opérations humanitaires à l'étranger.
J'ai toutefois à cœur d'attirer votre attention sur ce qui m'apparaît comme un risque de frilosité et de repli. La situation économique et sociale en France peut suggérer à certains d'accentuer leurs actions de mécénat sur l'humanitaire national. C'est compréhensible, mais nous devons prendre conscience des relations prof ondes qui existent entre la situation des pays en voie de développement et notre propre économie. Les crises humanitaires et le sous-développement à l'étranger constituent aussi notre environnement, le cadre de notre activité. Ce serait une grave erreur que de s'en désinvestir au nom de la proximité immédiate avec « nos » pauvres.
Je vous remercie.
Colloque du cinquantenaire de CARE : « le futur de l'humanitaire » - 10 mai 1996
Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs,
Je voudrais avant tout remercier Care France d'avoir fait de cette journée de célébration une journée de réflexion sur l'humanitaire, en réunissant de façon très œcuménique des intervenants et des praticiens d'origines très diverses.
Vos débats d'aujourd'hui vous ont conduit à aborder une série de questions qui sont autant d'enjeux pour l'humanitaire : la morale dans les relations internationales, l'interface entre le monde associatif et ses bailleurs de fonds, la place de l'image et des médias dans l'action humanitaire.
Cette prise de hauteur et cet effort de réflexion me paraissent d'autant plus nécessaires qu'il est aujourd'hui difficile de savoir de quoi on parle quand on parle d'humanitaire. Le terme a connu une telle fortune qu'il a fini par recouvrir une série de glissements sémantiques qui sont loin d'être neutres.
C'est à une brève analyse de ces glissements de sens, révélateurs d'une certaine perversion de l'humanitaire, que je voudrais me livrer avant de vous dessiner le visage que j'aimerais trouver à l'humanitaire de demain.
Avant de parler d'humanitaire, on employait le terme « caritatif », un mot qui ne cache pas son objectif : s'occuper des pauvres. Aujourd'hui, la plupart des organisations « caritatives » sont devenues « humanitaires ». Ce glissement n'est pas neutre : à la charité, sociale, mais qui entretient une relation ambiguë avec la charité prise dans son sens religieux, s'est substitué le message plus flou d'un mot qui fait référence à des valeurs universelles, à un homme transcendant. Dans humanitaire, il y a « humanité », et l'idée que c'est au nom de l'humanité toute entière qu'on agit. C'est une racine qui révèle d'emblée l'aspect inévitablement politique de l'humanitaire. C'est d'elle qu'est issu le concept de droit d'ingérence.
Quand nous parlons d'humanitaire aujourd'hui, nous pensons plus ou moins consciemment à des situations d'urgence. Parce qu'il s'agit sans conteste de l'aspect le plus médiatique de l'action humanitaire, mais aussi parce que l'humanitaire moderne, sa logique, son mode d'action, s'est façonné dans la guerre et dans les crises. La naissance de CARE au lendemain de la seconde guerre mondiale en est l'illustration la plus exemplaire. Les grandes Organisations Non Gouvernementales sont nées dans ce contexte de professionnalisation des secours médicaux d'urgence, où les aspects logistiques jouent un rôle de premier plan.
La contrepartie de cette technicité croissante de l'aide est un glissement de sens parallèle : on est passé de la notion de malade, de patient, à celle de victime. Derrière les mots, les valeurs sous-jacentes ont changé. Au dialogue malade/médecin s'est substitué une relation beaucoup plus unilatérale. Au nom de l'efficacité, pour sauver le plus grand nombre de vies possibles, la victime est réifiée. Rien n'illustre mieux cet aspect que la notion de tri entre les blessés et les stratégies de choix mises en œuvre lors des opérations de secours.
Le mot même de victime a connu un renversement de signification tout à fait remarquable. Dans l'antiquité, la victime était celui qui prenait sur lui le péché d'un groupe humain, avec un sens sacrificiel très fort. Aujourd'hui, c'est la société qui est coupable, la victime innocente, passive, sans prise sur son destin. Dans notre imaginaire contemporain, l'humanitaire est ce qui vient au secours de l'innocence-victime dans une situation de crise aiguë.
À cette image d'Épinal, nous opposons l'idée que nous nous faisons de l'aide au développement, processus qui s'inscrit dans le temps long, processus politique surtout. Est-ce la foi dans le progrès qui s'est tari ? Notre confiance dans l'idée de développement par l'assistance extérieure qui est entamée ? Le fait est que les fonds internationaux consacrés à l'aide au développement sont en forte décrue, alors que l'aide d'urgence, surmédiatisée, attire les donateurs. Cette fausse opposition, exacerbée par les enjeux financiers, masque le fait que le développement n'est pas dissociable des objectifs humanitaires.
L'imagerie médiatique n'est pas étrangère à ces perversions de sens. L'explosion médiatique a coïncidé dans le temps avec le développement de l'humanitaire. Une relation incestueuse est née presque spontanément entre eux.
La télévision fait son ordinaire de spectacles binaires, systématiques, archétypiques, facilement décodables, dotés d'un fort contenu émotionnel. L'humanitaire s'est vautré dans cette logique qui ne fonctionne qu'en temps de crise, favorise la gesticulation et surtout, fabrique une opinion avec une redoutable efficacité.
Cette efficacité n'a pas échappé au politique. Il est plus facile d'apporter une réponse à chaud, de montrer ses œuvres dans la crise que de faire état d'une action politique qui échappe à l'image.
Mais dans cette concurrence au geste le plus noble, le politique n'a fait que s'emparer des instruments et des pratiques préexistants. Cette déviation de l'humanitaire par le politique a en effet été rendue possible par 3 éléments :
– l'existence d'un savoir-faire technique ;
– la médiatisation du champ humanitaire ;
– la disparition des obstacles mis par la bipolarisation du monde à la mobilité des différents acteurs.
Tous les grands pays, toutes les organisations internationales se sont doté d'un organe politique ou fonctionnel en charge de l'humanitaire. Paradoxalement, ce développement de l'humanitaire institutionnel a débouché sur les désastres humanitaires que nous avons connu en Somalie, en Bosnie, où l'aide internationale a largement contribué à pérenniser les crises faute d'une lecture politique des situations locales, et faute d'un engagement politique responsable.
Une triple perversion a été créée par cette situation :
– elle a instauré le règne de l'humanitaire-spectacle : seuls les initiés ont la clé qui permet de déterminer si on se situe dans le règne du vrai ou du faux ;
– elle est dépourvue de profondeur : l'image de la lutte entre les bons et les méchants écrase la complexité de la vraie vie, la vision du contexte politique, du long terme ;
– elle a brouillé au point de les rendre malsaines les relations entre les politiques et les ONG, en les mettant en situation de concurrence autant que de dépendance.
Voilà pour le diagnostic, assez largement partagé. Ces failles dessinent pourtant en négatif le visage de ce que peut être l'humanitaire de demain si nous travaillons tous, ONG et gouvernements, organisations internationales et collectivités locales, à revoir nos approches.
À mon sens, l'action humanitaire de demain est confrontée à une double responsabilité si elle veut mieux répondre à la réalité des souffrances qu'elle prétend atténuer. Une double exigence dont, il faut l'admettre, les Organisations Non Gouvernementales anglo-saxonnes nous fournissent l'exemple.
La première responsabilité du système international de l'aide est de se centrer sur les besoins réels de ceux qu'on nomme les « bénéficiaires » de l'aide, au lieu de fournir une aide taillée aux mesures de notre propre système d'assistance.
Cette aide déterminée par l'offre est une aide cloisonnée parce que les services des donateurs sont cloisonnés, lente parce que nos bureaucraties sont lentes, essentiellement financière parce qu'il est plus facile d'apporter ce type d'assistance.
C'est une aide dictée par la situation politique intérieure des états qui donnent, modelée par les surplus ou déficits céréaliers européens plutôt que par un réel souci de la sécurité alimentaire _ dans les pays bénéficiaires, et myope aux enjeux réels des situations parce qu'elle répond plus à la pression des médias, à nos états d'âmes, à nos impératifs politiques ou mondains qu'aux besoins des populations en détresse.
Mieux connaître les pays où les ONG, les États et les Organisations internationales s'investissent massivement et parfois sans grand discernement, c'est d'abord mieux connaître les cultures, les histoires, les données politiques et économiques, les modes de production et d'échanges.
C'est surtout respecter les populations locales et apprendre d'elles au lieu de leur imposer notre modèle du développement et des secours. C'est puiser dans leurs ressources, consolider leurs capacités, car il existe, dans tous les pays où l'aide internationale s'est déversée, des médecins, des travailleurs sociaux, des agronomes, des vétérinaires, des secouristes, des agriculteurs, des forces actives et productives, capables de prendre leur survie en main.
Il faut travailler avec ces hommes, pas pour eux ni contre eux. Travailler avec, c'est ce que CARE met en pratique, en employant localement près de 90% de ses salariés.
La deuxième exigence que nous rencontrons est celle d'une plus grande cohérence entre l’ensemble des intervenants. Nous avons de nombreux exemples de situations locales rendues inextricablement complexes par l'intervention massive et simultanée d’une multiplicité d’acteurs étrangers dont la présence est intégrée dans la logique des factions en lutte. ONG de toutes nationalités et de toutes tailles, assistance bilatérale, Organisations Internationales, militaires, spécialistes de l'aide au développement et techniciens de l’urgence.
Chacun de ces acteurs doit faire l’effort d’une plus grande cohérence interne, et c’est là une étape difficile pour les grandes organisations et pour les États, mais aussi d'une coordination accrue avec les autres intervenants, aussi différents soient-ils dans leur philosophie et dans leur esprit.
Je profite de la présence parmi nous de Santiago GÔMEZ-REINO, directeur de l'Office Humanitaire Européen, pour saluer les efforts actuels de la Commission européenne, qui est le plus gros bailleur de fonds au monde d'actions humanitaires, pour mieux coordonner ses différents services d'une part, et mieux articuler l'action des institutions européennes et celle des États Membres d'autre part.
Dans notre pays, le Premier Ministre a décidé la création d'un comité interministériel de l'aide au développement, dont la fonction est d'harmoniser l'assistance apportée par les différents ministères impliqués.
Le travail sur la coordination passe par une meilleure articulation entre les différentes formes d'aide : il est urgent de réconcilier aide d'urgence et aide au développement, mais aussi de prendre conscience des interactions entre aide économique et opérations de maintien de la paix, entre aide humanitaire et coopération militaire.
Concrètement, il nous faut apprendre à faire travailler ensembles les hommes de l'urgence et les hommes du développement, pour que s'échangent les points forts des uns et des autre pour que la flexibilité et la rapidité des uns renforcent la vision de long terme des autres.
Lorsque nous aurons fait nôtres ces deux exigences, lorsque l'assistance internationale sera taillée à l'exacte mesure des gens que nous prétendons aider, alors peut-être connaîtrons-nous la fin d'un phénomène qui me choque infiniment, la coexistence de crises surmédiatisées attirant massivement l'aide internationale, et d'urgences oubliées, où des milliers de personnes périssent sans que soient prises les mesures politiques et diplomatiques qui débloqueraient la situation.
Je finirai sur ce qui me paraît être un des grands rôles des organisations non gouvernementales, celui d'éveilleur des consciences.
CARE a su entourer ce cinquantième anniversaire d'un grand mouvement de support et de sympathie appuyé par de nombreuses personnalités.
Cette aptitude à rassembler est vitale dans un monde ou l'indifférence tue, où les associations ont le grand pouvoir de contraindre les gouvernements à agir. Je prendrai pour exemple la campagne contre les mines antipersonnel. Il y a trois ans, les mines n'étaient pas perçues comme un problème par l'opinion publique, alors mêmes qu'elles tuaient et mutilaient près de 2 000 personnes par mois. Aujourd'hui, après des efforts remarquables de mobilisation de l'opinion par des Organisations non gouvernementales et par le Comité International de la Croix Rouge, une dynamique internationale en faveur de l'interdiction a été lancée.
Je souhaite à CARE France de jouer pleinement ce rôle d'éveilleur des consciences qui est un moteur -.de l'action humanitaire, qu'elle soit le fait du politique ou des associations.
Je vous remercie.
Symposium IHEDN/UNESCO - 14 juin 1996
« L'humanitaire donne-t-il la paix ? »
Monsieur le Directeur-Général,
Mon Général,
Mesdames, Messieurs,
La problématique humanitaire s'inscrit aujourd'hui dans le cadre plus vaste d'une redéfinition des notions de sécurité nationale et internationale.
On est passé d'une vision, celle de la guerre froide, qui réduisait le concept de sécurité à ses aspects militaires et stratégiques, à l'émergence de nouvelles notions de sécurité.
Celles-ci se fondent sur la reconnaissance du fait que les États et leurs citoyens sont confrontés à un éventail beaucoup plus large de dangers tels la pollution de l'environnement, l'épuisement des ressources naturelles, la croissance démographique, les drogues, la criminalité organisée, le terrorisme international, les violation des droits de l'homme, la prolifération des armes portatives, les mouvements migratoires, la précarité économique, et enfin les risques de santé publique dont l'actualité nous fournit des exemples frappants.
La question du retour à la paix de sociétés déchirées par des conflits internes, mises en lumière par la situation de la Bosnie, du Cambodge, de l'Angola, ne peut être abordée en dehors de ce cadre d'analyse global. C'est pourquoi je tiens particulièrement à remercier l'UNESCO et l'IHEDN d'avoir pris l'initiative d'organiser ces trois jours de symposium sur le thème « des insécurités partielles à la sécurité globale ».
En cette journée de clôture de vos débats, je souhaite vous livrer quelques réflexions personnelles sur une question qui se situe au cœur de mon expérience au sein d'une organisation humanitaire non gouvernementale puis, plus récemment au service de l'État :
Pouvons-nous demander à l'humanitaire de donner la paix ?
Au cœur de la crise yougoslave on a pu entendre certains civils bosniaques dire « grâce à l'humanitaire nous pourrons mourir le ventre plein ». Cruelle analyse du rôle de l'aide humanitaire dans les crises dont on pourrait également dire qu'elle permet de survivre, n1ais pas forcément de vivre, ni de vivre en paix. Pourquoi ce constat ?
La finalité de l'aide humanitaire, qui dicte son rapport à l'autre, c'est l'accès aux victimes. L'humanitaire s'intéresse aux personnes en tant que victimes placées dans la souffrance somatique, psychique, sociale. Les conventions de Genève, qui fixent l'orthodoxie humanitaire, assignent pour but à l'action humanitaire le libre accès aux victimes.
Quelles sont les conséquences de cette vocation ?
Elles sont à mon avis doubles :
1. l'humanitaire court en permanence le risque d'entretenir la guerre ;
2. il ne peut seul assumer le rôle de construction de la paix.
Que l'humanitaire aboutisse parfois à entretenir la guerre, c'est ce que l'expérience nous montre en Somalie, en Afghanistan, en Bosnie. La raison principale en est que les agences humanitaires s'insèrent soudainement, et souvent massivement, dans un contexte local qu'elles ne connaissent pas et qu'elles n'ont ni les moyens ni le temps de décrypter.
Dans des crises ethniques ou claniques, il est difficile pour les organisations d'aide de ne pas servir les intérêts d'une faction ou d'une autre. Pour accéder aux victimes, il faut franchir les lignes armées, qui prélèvent leur dîme sur l'aide internationale. C'est une loi qui s'impose aux acteurs de l'humanitaire : pour espérer nourrir les victimes, il faut accepter de gaver les bourreaux.
L'accusation fréquemment adressée à l'assistance internationale est qu'elle renforce les logiques d'affrontement, en fournissant par sa seule présence les moyens matériels et politiques de continuer les combats. Quand une équipe médicale soigne des blessés au combat, elle sait qu'une partie des hommes qu'elle a réparés va retourner se battre.
Les détournements de l'aide acheminée par convois en ex-Yougoslavie, l'aide objective apportée aux promoteurs de la purification ethnique par l'évacuation de populations civiles en Bosnie Herzégovine, l'assistance apportée sans discrimination à des réfugiés qui ont commis des violations graves des droits de l'homme au Rwanda, sont autant d'exemples de l'ambiguïté, ou de la prise en otage, de l'assistance internationale.
La question de la sécurité des missions humanitaires est un facteur supplémentaire de confusion. Elle se pose d'autant plus dans les conflits internes, qui représentent 90% des conflits actuels, et dans lesquels les agences d'aide sont une cible permanente. Le recours à des services de protection ou à des escortes militaires a favorisé localement la multiplication de milices tirant une large part de leurs revenus de la « protection » accordée aux agents humanitaires.
On a ainsi pu soutenir que l'aide humanitaire contribuait activement à financer la poursuite des combats, pour ne rien dire du paradoxe qui consiste à protéger les protecteurs, défendre les défenseurs des victimes. Cette « méta-protection » ne peut que s'insérer dans les logiques de conflits locales et les pervertir.
J'ai voulu mettre en lumière, un peu brutalement, le fait que l'humanitaire court toujours le risque de prolonger la guerre.
La deuxième conviction que j'ai acquise face aux situations de crise, c'est que l'humanitaire ne permet pas à lui seul de construire la paix.
L'action humanitaire s'inscrit dans un rapport au temps qui lui dicte ses moyens d'action et fixe ses limites.
L'urgence est une action dans l'immédiat, elle répond à une situation exceptionnelle et la rapidité d'intervention est la condition de sa réussite. Cette temporalité spécifique est largement issue du développement de la télévision qui, depuis la guerre du Vietnam, a mis les détresses lointaines sous le regard de l'opinion publique. Les crises façonnent une opinion et une demande d'action immédiate.
Un mode d'action spécifique découle de cette relation au temps. Pour l'urgence, les deux domaines privilégiés sont l'aide médicale et l'aide alimentaire. De la qualité d'une logistique généralement lourde dépend le résultat de l'intervention.
Les acteurs de l'aide humanitaire d'urgence ne recherchent qu'éventuellement l'accord des gouvernements ou le partenariat avec des organisations locales, l'initiative humanitaire étant le moteur de l'action.
Dans tout programme d'aide d'urgence existe un équilibre entre la mise en œuvre rapide de l'aide et ses implications de long terme. Plus l'emphase est mise sur la rapidité et la vision des activités en termes logistiques, moins on insiste dans la préparation des projets sur les discussions et le débat avec les personnes affectées par les conflits.
Ce mode d'action signifie qu'il n'est pas du ressort de l'aide humanitaire de rentrer dans le processus contractuel, d'essence politique, à partir duquel la paix peut se construire entre les différents acteurs.
La recherche de la paix est une recherche politique, qui se mène avec des moyens diplomatiques et militaires, pas avec des moyens humanitaires.
C'est toute la différence que fait le vocabulaire n1ilitaire anglo-saxon entre les faiseurs de paix (pacemakers) et le maintien de la paix (peace-keepers). Faire la paix relève d'une mission de force, qui se mène avec des armes offensives, alors qu'une paix qui s'apparente à un statu quo est maintenue par des armes défensives.
Quand on fait la paix, l'humanitaire ne peut venir qu'en appoint, alors que dans les opérations de maintien de la paix, l'humanitaire fait partie intégrante des interventions.
Ces précisions ne sont pas seulement sémantiques : elles indiquent d'une part, que l'humanitaire ne peut se substituer au politique et, d'autre part, que la répartition des rôles entre l'action humanitaire et l'emploi des forces armées pour le maintien de la paix doit être d'une extrême précision.
L'humanitaire ne peut se substituer au politique. Lorsque cela est le cas, il s'agit d'un véritable détournement de l'humanitaire qui consiste, pour des pays qui auraient les moyens de mettre fin à un conflit armé, à apaiser leurs opinions publiques en substituant une initiative humanitaire à une véritable opération de maintien de la paix.
On peut intégrer une préoccupation humanitaire, dictée par l'intérêt des populations en danger, dans la prise de décision politique, mais l'humanitaire ne saurait être considéré comme une politique de rechange.
Bien entendu, la nature des crises contemporaines, où la violence politique est le moteur principal des conflits, renforce la relation entre l'action humanitaire et l'emploi de la force, qu'il soit fondé sur un mandat d'interposition ou de maintien de la paix. Il est utile de critiquer les confusions auxquelles ce rapprochement a pu donner lieu, mais il serait naïf d'ignorer que c'est l'évolution même des crises qui rend cette confusion plus difficile à éviter.
Si la guerre a changé, la paix n'est plus la même. Rares sont les guerres civiles d'où un parti sort vainqueur. Presque toujours, la paix se construit sur la base d'un cessez-le-feu imposé par la communauté internationale.
Il revient au politique de fixer une mission claire aux forces armées qui imposent ce cessez-le-feu sur les terrains de crise, sans confondre les logiques à l'œuvre :
– l'action militaire repose sur la force en vue de la contrainte ;
– l'assistance humanitaire est offerte aux victimes, sans conditions.
Confondre les deux domaines revient à les neutraliser au lieu d'en exploiter les complémentarités. Le rôle des décideurs internationaux, tel que je le comprends, est de donner aux militaires un cadre politique, un mandat clair, structuré, limité dans ses objectifs, dans le temps et dans l'espace, en s'assurant que les structures de commandement soient adaptées à ce mandat.
Cela a été, à mon sens, une grande qualité de l'opération Turquoise, dont la mission fixait clairement la durée, le lieu d'intervention, les objectifs, et qui faisait l'objet d'une garantie internationale à travers la résolution 929 du Conseil de Sécurité de l'ONU.
En l'absence de cette clarté de définition des objectifs vis-à-vis d'un pays en crise, l'humanitaire est un substitut impossible à la politique. Il peut accompagner une action politique menée par des voies diplomatiques ou militaires, mais il ne saurait avoir prise sur les processus de long terme à partir desquels la paix peut s'élaborer.
Plus exactement, l'aide humanitaire touche à ces processus, sociaux, politiques et économiques, mais sans avoir les moyens de comprendre en finesse le contexte local dans lesquels ils s'inscrivent.
Nous demandons plus à l'humanitaire qu'il ne peut tenir : le retour et la réintégration des réfugiés, la réhabilitation et la reconstruction des sociétés sortant de la crise, le désarmement des combattants et leur réintégration dans la société civile, la réinsertion des victimes des conflits, le rétablissement des institutions, en particulier des systèmes judiciaires, le retour au respect des droits de l'homme. Autant de domaines où les solidarités familiales, villageoises et communautaires, les ressources locales épargnées par la crise, les traditions culturelles, accompagnées par une aide internationale adaptée à ces mécanismes, sont placés face à leurs responsabilités.
Parmi ces domaines, il en est un qui revêt pour moi une importance particulière : celui de la lutte contre les mines antipersonnel.
Ce fléau s'analyse autant comme un problème humanitaire que comme un obstacle au développement. Lutter contre ces armes ce n'est pas seulement dépolluer les zones atteintes : l'expérience cambodgienne suggère que les mines peuvent être replacées par les paysans eux-mêmes pour protéger leurs champs ou leur grenier à semence. Il est nécessaire de comprendre le contexte de leur utilisation et la nature du risque qu'elles engendrent dans une société donnée.
Au plan international, la lutte contre leur prolifération et leur utilisation relève purement de la décision politique.
C'est tout le sens de la position du Président Jacques Chirac, dont je tiens à citer le discours de clôture de la 48e session de l'IHEDN la semaine dernière, au sujet de la nécessité d'une mobilisation urgente de la Communauté internationale sur ce thème : « La France ne ménage et ne ménagera aucun effort à cet effet. Elle a annoncé, en septembre dernier, un moratoire sur la production de toutes les mines antipersonnel qui s'ajoute à celui, déjà en vigueur, sur les exportations. Elle a engagé la réduction, par destruction, des stocks existants. Nous devons encore progresser dans cette voie pour que, le moment venu, tous les pays puissent unir leurs efforts en vue de l'interdiction totale et générale des mines antipersonnel. »
Dans la lutte contre les mines, et plus généralement dans le retour à la paix de sociétés en proie aux crises, l'aide humanitaire peut jouer un rôle de déclencheur, mais elle est incapable de se substituer à l'action politique, seule capable de donner la paix.
Je vous remercie.
Forum d'Agen - 26 octobre 1996
Monsieur le député-maire, Mesdames et messieurs,
L'an dernier, devant ce même forum, je décrivais la double mission du secrétariat d'État chargé de l'action humanitaire d'urgence. Au plan national, urgence sociale imposée par cette fracture que le Président de la République a diagnostiquée, au plan international, consolidation d'un service public humanitaire sur fond de multiplication de conflits locaux.
Je vous livrais aussi mes hésitations et mes réflexions sur l'articulation entre l'action humanitaire et l'action politique qui aujourd'hui me mènent à donner un sens à mon engagement humanitaire.
Je vous le disais à l'époque, cet engagement s'explique en trois remarques :
En premier lieu, je considère que l'action humanitaire n'est pas et ne doit pas être une politique de rechange.
Pour autant, elle n'est pas dépourvue de dimension politique.
Il y a par conséquent, un espace propre à l'humanitaire public.
Depuis, j'ai eu, nous avons eu, nous tous qui consacrons notre profession à la cause des exclus, des persécutés et des victimes, maintes occasions de mettre ce raisonnement à l'épreuve. Il existe désormais bel et bien un humanitaire d'État qui accomplit sa tâche en osmose avec le secteur privé, pour l'instant principalement ONG, demain, je l'espère, les entreprises et le mécénat aussi.
Mesdames et messieurs, ces épreuves humanitaires que nous avons traversées et surmontées ensemble depuis l'an dernier, nous ont démontré qu'en effet, à côté de ces situations où nous intervenons tous en tant que sauveteurs, il existe une véritable politique de l'action humanitaire, celle que j'ai pensée et dont j'ai fait la promotion.
Elle s'articule en trois volets, l'un portant sur les conditions même du travail humanitaire, l'autre sur la coordination entre les actions d'urgence et les actions du développement, le dernier sur la définition de domaines prioritaires.
Dressant un bilan de l'action de mon Secrétariat d'État chargé de l'action humanitaire d'urgence depuis l'an dernier, je décrirai la manière dont j'ai travaillé, l'année dernière, mais je discuterai aussi avec vous de mes projets pour 1997.
Dans cette phase descriptive, vous décèlerez, mesdames et messieurs, le fait que je privilégie mes relations avec les ONG. Je me suis employé, depuis longtemps, à tisser un lien étroit entre celles-ci et les pouvoirs publics. J'aime à établir cet espace de solidarité entre les peuples et les États, qui transcende les rapports de force, et qui est détaché des intérêts des nations qui s'y engagent. L'État a évidemment une dimension à part. Qu'il agisse lui-même, qu'il cofinance des projets, qu'il assure le transport de matériel souhaité par des ONG bien implantées ou la sécurité de celles-ci, il peut mobiliser des forces considérables.
Mais les ONG ont cette souplesse qui leur permet de s'adapter à beaucoup de situations incongrues que le service public humanitaire, encore lié par certains impératifs de politique extérieure, ne peut pas encore se permettre.
Le partenariat entre les pouvoirs publics et les ONG ne date pourtant pas d'aujourd'hui. Les États membres de l'ONU qui ont créé le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, ou l'UNICEF, par exemple, avaient prévu à l'époque, que ces organisations internationales humanitaires ne consisteraient en vérité qu'en un secrétaire général ou un haut-commissaire, assisté de quelques personnes. La tâche de ces derniers était essentiellement de négocier la présence et le travail des ONG dans les États où se déclenchaient des catastrophes humanitaires. La situation est aujourd'hui telle que d'une part ces organisations comptent chacune 4 000 membres et d'autre part ont amplifié et systématisé de manière très rigoureuse leur coopération avec les ONG.
Mon expérience personnelle, mes relations avec les ONG et les associations me permettent de proposer des solutions, des axes de travail. Je pense que le partenariat avec les ONG pourrait désormais s'articuler en quatre priorités.
En premier lieu, il s'agit d'assurer, grâce à un processus de consultation constant, la formulation conjointe des politiques de l'humanitaire et de faire en sorte que les besoins des populations soient satisfaits. Ensemble, chacun en jouant notre rôle, nous devons mener une politique commune et cohérente de résorption des besoins humanitaires.
Deuxièmement, il est essentiel de se préparatif aux besoins de l'urgence. Face aux catastrophes qui nous ont tous effondrés depuis la fin de la guerre froide, nous avons fait en sorte que les situations d'urgence qui affectent les populations civiles donnent lieu à une réaction mieux coordonnée, dans chacune de ses phases, de l'alerte avancée jusqu'aux mesures opérationnelles, y compris la formation et le financement. De notre capacité à répondre en coordination avec la communauté internationale aux récents événements d'Uvira, découlera la conclusion que l'on peut porter sur les efforts que nous avons fournis dans ce sens.
Par ailleurs, le continuum entre les secours et le développement sont un axe essentiel de ce partenariat. Formuler et mettre en œuvre, dès le début d'une situation d'urgence, des stratégies et des programmes d'ensemble permettant d'aboutir à des solutions qui ménagent tant la nécessité de pourvoir aux besoins humanitaires immédiats que la planification à plus long terme en faveur du relèvement et du développement, constitue la pierre angulaire de ce concept.
Enfin, le partenariat entre les pouvoirs publics français et les ONG ne doit pas se faire que par l'intermédiaire de nos services à Paris. Il se fait aussi à travers une coopération étroite avec les organisations internationales et régionales humanitaires. L'office humanitaire de la commission européenne est en train de réviser le contrat-cadre de partenariat avec les organisations internationales et les ONG-, vous en avez certainement été informés lors d'une récente réunion à Bruxelles. Le HCR poursuit son processus de partenariat local intitulé PARINAC (le partenariat en action) après la série de conférences régionales de 1993 couronnées par la conférence d'Oslo du 6 juin 1994. Mais l'essentiel de cette concertation doit se faire sur le terrain. Je souhaite que se développent sur place des liens étroits entre les attachés humanitaires, les agences humanitaires des Nations Unies, et les ONG. Je préconise aussi une concertation entre ONG et représentants des États de l'Union européenne dans les pays où se déclenchent des catastrophes ou où se développent des fléaux humanitaires. La mise en œuvre des programmes doit se faire de manière concertée.
Je sais que certains d'entre vous, après avoir projeté au loin, et dans l'urgence, leur savoir-faire et leurs moyens au service des plus pauvres, sont amenés à réfléchir sur ce qu'ils peuvent faire, dans leur pays, à partir d'une expérience acquise ailleurs, pour rendre plus rigoureux ce travail humanitaire.
De mon côté, je m'engage dans ce cadre, à garantir la qualité et la cohérence des interventions humanitaires françaises à travers la sélection, le suivi et l’évaluation des projets financés, ou cofinancés, sur le Fonds d'urgence Humanitaire ou sur les crédits déconcentrés de l'action humanitaire. Cette préoccupation, qui intervient dans un contexte budgétaire dont personne n'ignore la rigueur, s'inscrit dans le cadre de la multiplication des catastrophes et des besoins qui s'ensuivent. Des instruments de sélection, de suivi et d'évaluation des projets humanitaires, destinés à guider le travail des attachés humanitaires, et des ONG qui en seront les partenaires, sont actuellement élaborés sur mes instructions. Mon objectif est que, pour 1997, ce processus d'évaluation soit finalisé.
Comment maintenant, décrire mon action de l'année passée ? À l'étranger, nous avons porté une attention particulière aux enfants, les victimes des catastrophes humanitaires que l'on doit sauver en priorité, ainsi qu'au problème des mines antipersonnel. En France, dans le but de trouver une réponse aux maux d'exclusion et d'extrême pauvreté, nous nous sommes notamment penchés sur le projet de loi sur la cohésion sociale et sur la réforme du service national.
Je ne vais pas me livrer ici à une énumération fastidieuse de l'ensemble des problèmes humanitaires auxquels le monde est confronté. La manière dont les crédits du Fonds Humanitaire d'Urgence ont été ventilés par actions et par zones géographiques, donne une première image de leur diversité. Une constante cependant, les lignes « activités sanitaires et sociales » et « action nutritionnelle », qui reflètent l'une des caractéristiques des grandes crises humanitaires modernes, à savoir la nécessité d'encadrer des populations très nombreuses de réfugiés et de déplacés.
La répartition pour l'année 1996 révèle la nette prédominance des lignes « sanitaire et social » et « médicopharmaceutique ».
Par ailleurs, notons qu'en 1996, un peu plus de quarante pour cent du FUH a été consacré à des projets en Afrique Sub-Saharienne, 17 % à la Yougoslavie, et 16 % a été dépensé en Asie et Océanie. Le reste se répartit par ordre décroissant des dépenses entre le Proche et le Moyen Orient, l’Amérique Latine et les Caraïbes et le Caucase et d'autres régions d'Europe affectées par des crises humanitaires.
Cette aide a été dispensée essentiellement par des subventions aux ONG, à concurrence de 50 % du FUH. C'est dire à quel point, nous sommes attachés à développer cette coopération étroite avec elles.
Enfin, outre une aide humanitaire d'urgence, à l'occasion de catastrophes survenues ici et là, nous privilégions deux secteurs d'activité dans l'assistance que nous fournissons. Il s'agit de l'assistance aux enfants, les enfants des rues, les enfants victimes du Sida, les enfants prostitués. Il s'agit aussi de déminage. Ce sont des activités qui permettent d'assurer un véritable lien entre les drames survenus dans le passé et le développement nécessaire pour surmonter ces drames.
Concernant les enfants, vous le savez, nous avons tous été saisis de l'ampleur et de l'horreur des faits décrits lors de la conférence de Stockholm. Le phénomène de l'exploitation sexuelle et des abus sexuels à l'égard d'enfants prend une ampleur angoissante. Nous disposons de peu de chiffres fiables sur la question, mais cette carence ne doit pas nous conduire à minimiser les faits. C'est pourquoi je donne priorité à ce sujet, dans le cadre d'un plan d'action interministériel dont le Premier ministre m'a chargé de piloter les travaux. Ce plan comporte cinq volets : la sensibilisation et l'information du public, l'aide aux victimes, la formation des professionnels, la coordination des acteurs institutionnels, et la coopération internationale.
Dans le domaine international, nous privilégierons la coopération policière et judiciaire. Des instructions sont d’ores et déjà données aux inspecteurs de police déployés à l’étranger de façon à ce qu’ils s’engagent dans une coopération renforcée avec les polices locales pour la recherche des auteurs d1abus sexuels sur des enfants et enfin le recueil du témoignage des victimes. Par ailleurs, des conventions judiciaires qui devraient prochainement lier la France à la Thaïlande, le Brésil et l'Inde devraient nous permettre d’avancer considérablement dans ce domaine.
Il est par ailleurs essentiel de prolonger cette action par notre lien privilégié avec les ONG. Nous consacrerons donc 10 % du Fonds Humanitaire d'Urgence, aux ONG françaises ou locales qui proposeront des programmes d’aide aux victimes de violence sexuelles.
Mesdames et messieurs, je voudrais partager avec vous quelques réflexions sur le problème des mines, autre chantier de mon action humanitaire.
La France s'est récemment prononcée en faveur de l'interdiction totale des mines antipersonnel terrestre. Elle a renoncé à leur emploi, sauf dans les cas où il est imposé par la sécurité de ses forces. Les interdictions de production et d'exportation qui ont respectivement fait l'objet de moratoires en 1993 et 1995, seront très prochainement inscrites dans un projet de loi qui sera soumis à l'attention du parlement. Ces avancées sont sans précédent dans la lutte contre un fléau qui tue ou blesse environ cinq cent personnes par semaine dans le monde.
Un autre volet de cette lutte concerne le déminage humanitaire qui doit s'effectuer au profit des populations civiles, et viser, à terme, une « dépollution » totale, un enlèvement de toutes les mines. Cela suppose que dans un premier temps, une priorité soit donnée au déminage des zones indispensables à la vie et au travail d'une communauté humaine. Le déminage est un processus coûteux et extrêmement lent. Mon objectif est donc que la France se mobilise et mobilise ses partenaires européens pour investir dans la recherche sur les techniques de déminage, dans la formation d'équipes locales de démineurs et dans le financement et la mise en œuvre de projets de déminage.
Aujourd'hui les zones minées sont en effet des zones interdites au développement. Le déminage humanitaire suppose, contrairement au déminage militaire, une action minutieuse, de longue durée, reposant essentiellement sur le facteur humain et la mise en place d'unités légères capables d'intervenir sur des points précis tels que les puits ou les écoles.
En amont, le déminage humanitaire doit s'accompagner de prévention, d'information et d'éducation des enfants au risque des mines. Par ailleurs, l'on doit signaler les zones dangereuses, surtout dans les régions qui ont connu des déplacements de population importants, où personne n'a la mémoire des lieux où ont été posées les mines. À cet effet, j’encourage mes partenaires à des actions de cartographie des zones minées, en exploitant des informations recueillies par des acteurs de terrain et les populations locales, en les traitant sur place sous la forme d'une carte, en les communiquant village par village à des fins de marquage des zones dangereuses.
En aval, il faut guérir et assister ceux qui ont ou auront été victimes d'explosions. Guérir, c'est apporter des soins médicaux à ceux qui auront pu survivre et accéder à l'hôpital. C'est appareiller les membres mutilés. C'est aussi soigner l'esprit, le traumatisme causé par l'explosion et la mutilation. C'est, enfin, réinsérer socialement et professionnellement des personnes qui, en perdant un membre, perdent leur capacité à assurer leur subsistance.
Mes visites sur le terrain ont fortement mis l'accent sur l'aide aux actions de déminage et de réappareillage des handicapés et des mutilés par les mines. Au Cambodge, en ex-Yougoslavie, au Mozambique et en Angola, la France a apporté une contribution concrète en termes de financement ou d'assistance technique, par l'intermédiaire d'équipes de déminage et de formation des démineurs. En Angola, 12 instructeurs sont actifs, depuis sa création, à l'école de déminage de l'UNAVEM. Par ailleurs, le secrétariat d'État soutient un projet de Handicap International dont les axes sont :
(1) l'assistance aux victimes des mines (établissements de centres orthopédiques, démobilisation et réintégration des soldats handicapés et des enfants soldats), montages de structures d'accueil et de logements pour les mutilés de guerre,
(2) l'étude et l'élaboration d'une stratégie de déminage en milieu rural ainsi que le développement d'une capacité de gestion de ce type d'activité.
En France, en travaillant sur l'avant-projet de loi de cohésion sociale, nous nous sommes attachés à ne pas créer un droit des exclus. L'avant-projet organise, au contraire, l'accès de tous aux droits de tous. Il place au cœur du dispositif d'insertion et de lutte contre l'exclusion l'accès effectif de tous les citoyens aux droits fondamentaux : citoyenneté, emploi, logement, santé, culture. En cela, il s'inscrit dans une logique nouvelle. Sans remettre en cause les dispositifs d'aide, il met en œuvre une politique de prévention des exclusions et propose une alternative à la seule logique de l'assistance.
Il est intéressant de mentionner aussi dans ce cadre, le travail entrepris pour la réforme du service national. En effet, ce dernier prévoit non seulement un volet cohésion sociale et solidarité, mais également un volet de coopération internationale et d'aide humanitaire. Dans un projet de loi qui sera prochainement soumis au Parlement, un soin particulier est mis à renforcer la cohésion sociale. Nos jeunes seraient d’un part convoqué à un rendez-vous citoyen où, en renversant la logique traditionnelle de sélection, une attention particulière serait portée aux plus fragiles d'entre eux, et d'autre part invités à donner quelques mois de leur vie au service de la nation, dans des missions de cohésion sociale.
Permettez-moi, mesdames et messieurs, pour terminer, de mentionner la question des entreprises d'insertion.
Je vois l'opportunité, dans mon travail en France, de trouver, à l'interface du national et de l'international, des emplois d'insertion dont de nombreuses associations, ici présentes, ont elles-mêmes saisi l'intérêt.
Comme vous le savez, je m'emploie à développer les initiatives concernant les actions d'insertion en France et le développement économique et social d'une part, et les actions humanitaires à l'étranger d'autre part.
C'est ainsi que j'ai engagé une réflexion dans ce domaine qui devrait notamment conduire à une meilleure synergie entre les acteurs de l'humanitaire, ONG, pouvoirs publics, collectivités territoriales et les entreprises d’insertion par l'économique.
Les organisations humanitaires et les entreprises d'insertion partagent les mêmes valeurs et leur mise en relation ne peut qu'apporter un renforcement réciproque. Il existe plus de 2 000 organisations humanitaires en France, de taille et de surface hétérogènes, nombreuses ici j'en suis sûr. Leurs domaines d'intervention sont très variés. Parallèlement, 700 entreprises d'insertion œuvrent sur le territoire national pour, dans des domaines économiques variés, assurer l'insertion sociale et professionnelle de publics en grande difficulté.
Je pense donc que favoriser l'insertion par l'humanitaire pourra répondre à deux principes simples :
– éviter un mélange des genres : il ne peut être question, pour les structures d'insertion par l'économique, de se positionner dans l'action humanitaire et le soutien à l'étranger et vice versa ;
– le plus grand professionnalisme doit être requis, la générosité, pour essentielle qu'elle soit, ne saurait servir d'alibi à des prestations au rabais.
L'on pourra alors envisager un développement dans de nombreux domaines de fourniture de biens dont :
– l'habillement dans les situations d'urgence humanitaire ;
– le matériel éducatif (jouets, matériel scolaire, informatique) neuf ou d'occasion ;
– le matériel médical, en général reconditionne (médicaments, appareillage pour handicapés, matériel d'équipement hospitalier) ;
– les produits alimentaires transformés à partir de produits alimentaires retirés du marché communautaire ;
– les appareils électro-ménagers reconditionnés ou encore les véhicules automobiles.
Certains de ces développements sont relativement simples à envisager car ils mettent directement en jeu des relations entre organisations humanitaires et structures d'insertion par l'économique. Pour d'autres, la mise en œuvre est délicate, mais peut ouvrir des perspectives intéressantes en matière de développement économique local.
La réflexion est ouverte, je souhaite qu'il en sorte un nouvel élan. L'an prochain, sans doute, pourrons nous évaluer ensemble les progrès accomplis dans ce domaine.