Interviews de M. François Léotard, président de l'UDF, à TF1 les 21 et 28 avril 1997 et Europe 1 le 24, sur la dissolution de l'Assemblée nationale et les relations entre le RPR et l'UDF pour les élections législatives de 1997.

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Circonstance : Annonce le 21 avril par le Président Chirac de la dissolution de l'Assemblée nationale

Média : Europe 1 - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Date : Lundi 21 avril 1997
Source : TF1 - Éditions du soir

F. Léotard : Le Président de la République vient de prendre une décision à la fois forte et courageuse. L’UDF approuve cette décision et engage dès maintenant le dialogue avec les Français. Ce dialogue portera sur l’avenir, c’est-çà-dire sur les grands choix qui se présentent à notre nation. Chacun de nos candidats est aujourd’hui mobilisé pour traduire dans ce dialogue nos convictions les plus fortes. L’UDF considère que cette décision du Président de la République est légitime, qu’elle était légitime et qu’elle est conforme au bon exercice de la démocratie dans notre pays. C’est une décision légitime. Le Président de la République a choisi d’utiliser l’article 12 de notre Constitution. Personne, je dis bien personne, ne peut refuser au chef de l’État le droit ; et très certainement le devoir, de préparer par une élection, la France aux grands défis du nouveau siècle qui va s’ouvrir devant nous. Notre nation a besoin de se préparer à un avenir qui suppose initiatives, dynamismes, libertés, responsabilités, et pour nous à l’UDF, une forte décentralisation. La bataille pour l’emploi suppose des décisions rapides – notamment des baisses de charges comme l’a dit le Président de la République – et des baisses d’impôts. Seules ces mesures permettront à notre pays de conserver son rang et sa place dans le monde. Cette décision était nécessaire. La perspective d’une France plus forte, politiquement apaisée pendant cinq ans, dans une Europe où nos intérêts doivent être défendus, devrait être la conséquence positive de cette dissolution en cas de victoire de la majorité. Nous ferons tout à l’UDF pour assurer cette victoire. Enfin, cette décision du Président de la République est conforme à une bonne respiration de notre démocratie. L’UDF considère que le débat du mois de mai peut et doit être une chance pour la France. En un mois, la majorité peut parfaitement défendre son projet et l’opposition le sien. Ensuite, dès le début du mois de juin, il faudra reprendre avec plus d’énergie encore le chemin des réformes, et exprimer, comme l’a dit à l’instant le Président de la République plus que jamais, face à ceux qui le contestent et qui viennent de s’exprimer à l’instant (Le Front national, ndlr), les valeurs profondes de la République. C’est ainsi que l’UDF aborde cette élection avec un sentiment de confiance : confiance en elle-même, confiance dans la décision des Français, confiance dans l’avenir de notre pays, confiance dans la réussite de la construction européenne.

P. Poivre d’Arvor : Vous avez été un des premiers à préconiser une dissolution, c’était en 1995 dans la perspective d’une victoire d’É. Balladur. Vous ne trouvez pas que l’on a perdu deux ans finalement ?

F. Léotard : C’était et ça continue d’être au Président de la République d’apprécier la date qui convient pour consulter les Français. Il vient de le faire. Mon sentiment est que nous avons maintenant devant nous une campagne qui nous permettra d’expliquer pourquoi nous le faisons maintenant – le Président de la République vient de l’expliquer à l’instant – et comment nous entendrons le faire à l’avenir. Mon sentiment est que nous n’avons pas trop tardé, beaucoup de réformes ont été faits. Il reste bien sûr à poursuivre ce chemin de la réforme, et je peux vous dire que les Français seront certainement attentifs à la question-clé que le Président de la République a posée : sommes-nous en mesure d’entrer la tête haute en Europe en étant l’un des premiers pays de ce continent, et en poursuivant la politique de réforme qui est nécessaire à notre pays ? Je suis très confiant. Quant à la réponse des Français, je suis tout à fait convaincu qu’ils mesurent l’enjeu et qu’ils ne peuvent drainer au Président de la République cet immense responsabilité de prévoir le destin de notre pays.

P. Poivre d’Arvor : Alors une dissolution c’est une chose, un changement de politique, c’est une autre chose. Vous préconisez ce que l’on appelle une « politique libérale » – certains disent même ultralibérale – pour vraiment casser l’ancien modèle et revenir sur la déception que l’on a bien sentie dans vos rangs après l’élection présidentielle ?

F. Léotard : Je crois que le Président de la République a été très clair à l’instant. Il a parlé de baisse des impôts, de la nécessité, et de la difficulté d’ailleurs, de la baisse des impôts. Il a parlé de la réforme de l’État. Il a parlé de la réforme nécessaire de la justice. Il a parlé des valeurs républicaines. Et tout cela corresponds à un message libéral pour la France. Il ne s’agit pas de dire si ce message est ultra ou n’est pas ultra. Ce que nous devons faire dans l’avenir est la mesure est à la mesure de ce que font nos voisins en Europe, y compris à ceux qui se réfèrent à d’autres philosophies politiques, je pense à ce qui va se passer en Grande-Bretagne. Et donc nous devons être à la hauteur de ce font nos voisins, et si possible faire en sorte que, par un allègement des charges qui pèsent sur la société française toute entière, nous puissions assumer la compétition qui nous est proposée. Je suis tout à fait convaincu que les Français le comprennent et que leur accablement devant l’excès de charges qui pèsent sur eux leur permettra de faire le bon choix : celui d’une société de libertés et de responsabilités.

 

Date : Jeudi 24 avril 1997
Source : Europe 1 - Édition du matin

J.-P. Elkabbach : J. Chirac a fini par appuyer sur l’un des trois boutons que vous lui recommandiez, la dissolution. Est-ce le non bouton ?

F. Léotard : Oui. Je crois qu’il fallait un choc fort pour que l’opinion prenne conscience des enjeux. Je crois qu’il allait se tourner vers le peuple pour qu’il choisisse son destin. Je crois qu’il fallait que le Président affirme qu’il consultait de nouveaux les Français. Donc, je suis très heureux de cette décision.

J.-P. Elkabbach : Pour le moment, les Français présentent une sorte de scepticisme nonchalant à l’égard de la décision, ça patine. Le Président Chirac vous reçoit tout à l’heure dans la matinée, est-ce que vous lui demanderez de s’impliquer davantage ?

F. Léotard : D’abord, c’est la tradition. F. Mitterrand, V. Giscard d’Estaing, le général de Gaulle s’étaient engagés dans les mêmes batailles pour lesquelles ils n’étaient pas en jeu eux-mêmes. Ils avaient indiqué quelle était la bonne direction qu’il fallait choisir pour les Français. Je serais très étonné que le Président de la République d’aujourd’hui, J. Chirac, ne le fasse pas.

J.-P. Elkabbach : Mais vous l’imaginez, dans un meeting, avec les chefs de la majorité ?

F. Léotard : Cela avait été le cas de Mitterrand, je vous le rappelle.

J.-P. Elkabbach : Vous l’aviez dénoncé à l’époque.

F. Léotard : Oui, c’est pour cela. Je ne sais pas ce qu’il choisira comme méthode. Qu’il dise ce qu’il souhaite. On va passer cinq ans ensemble, si j’ai bien compris : les Français, le Président et la majorité. On va passer cinq ans qui vont être décisifs pour la France. Comment va-t-on le faire ? Je veux dire dans quel espace va-t-on cohabiter ensemble ? Pour quoi faire ?

J.-P. Elkabbach : Le Président a choisi apparemment le mouvement d’une certaine façon, l’audace avec ses risques. Est-ce que c’est un choix ou bien y était-il contraint ? Est-ce une chance ou un piège ?

F. Léotard : Il n’y a pas de politique sans risque. Il a choisi de prendre des risques et c’est à son honneur. Je veux dire qu’il y a des politiques sans chance. On pouvait continuer le train-train d’une campagne électorale d’un an, épuisant littéralement la France. Il a choisi de brusquer les choses parce que je crois que c’est un homme de décision, de courage et donc maintenant, cela veut dire que l’on saute dans de l’eau froide, l’eau froide de la démocratie, et il faut traverse la rivière et on va arriver de l’autre côté.

J.-P. Elkabbach : Donc, vous avez le sentiment d’avoir été écouté ?

F. Léotard : Oui, tout à fait. Je m’en réjouis parce que c’est un dialogue aussi, la vie politique.

J.-P. Elkabbach : Dans la campagne, c’est vrai qu’il y a des coups qui partent de tous les côtés. Il n’y en a que pour Jospin-Juppé, Juppé-Jospin. Et F. Léotard, qu’est-ce qu’il fait ? Il regarde ?

F. Léotard : Ce n’est pas le problème de F. Léotard, c’est le problème des 324 parlementaires de l’UDF, députés et sénateurs. C’est une force. C’est une force équivalente à celle du RPR.

J.-P. Elkabbach : Ils comptent les coups ?

F. Léotard : Non, non, ils ne comptent pas les coups. Ils vont s’engager, ils s’engagent, ils sont déjà sur le terrain mais je souhaite, je formule le vœu très clair que cette campagne soit menée de façon paritaire bien sûr, avec un véritable équilibre des forces, avec un véritable équilibre de responsabilités et avec, pour l’UDF, sa tonalité, sa démarche, son comportement qui fait que nous disons les choses peut-être quelquefois autrement que les autres, mais dans un esprit d’union parce que nous sommes co-responsable de la victoire.

J.-P. Elkabbach : Vous le direz au Président de la République tout à l’heure ?

F. Léotard : Bien entendu. Je ne pense pas que l’on puisse résumer une bataille politique, avec 577 enjeux en métropole, au duel d’un seul homme avec un autre. Il y a là 577 combats et l’UDF, encore une fois, en partage à peu près la moitié. Et donc, elle mènera cette bataille avec ses hommes et avec ses idées.

J.-P. Elkabbach : Vous vous trouvez une cible, Jospin ou quelqu’un d’autre ?

F. Léotard : Écoutez, Jospin est tellement triste que je vais essayer de trouver des cibles plus gaies. Il est sinistre au double sens du terme, Sinistre, cela veut dire à gauche et…

J.-P. Elkabbach : Maintenant, c’est le délit de sale gueule. Le Parti socialiste ironisait sur le chef de guerre A. Juppé, parlait de son agressivité, sa méchanceté, F. Hollande parlait de « sa tête d’impôt » et vous dite aujourd’hui que Jospin est triste !

F. Léotard : Je veux dire simplement qu’il faut qu’une campagne soit alerte. Qu’elle soit aussi gaie, si c’est possible. Moi, je suis très tolérant et je crois que l’on peut concilier la force des convictions et la tolérance, la force des convictions et le respect de l’autre. Et je respecte profondément mes adversaires. J’ai envie de débattre avec eux mais qu’ils soient un peu gais, qu’ils essaient de montrer un avenir un peu moins triste que celui de la collaboration avec R. Hue.

J.-P. Elkabbach : A. Juppé, vous le trouvez méchant, agressif dans la vie ?

F. Léotard : Non, il est solide. C’est un homme qui a du caractère. Qu’il soit un peu anguleux quelquefois…

J.-P. Elkabbach : Faites-nous rire sur A. Juppé avant de parler de Jospin.

F. Léotard : On rit entre nous, je peux vous le dire. Qu’il soit défiguré ou caricaturé par nos adversaires, c’est banal. Mais c’est un homme solide, il est carré, voilà, et cela vaut peut-être mieux dans les périodes difficiles.

J.-P. Elkabbach : Ne trouvez-vous pas que la gauche a trouvé, peut-être momentanément, un slogan plutôt amusant avec « votez RPR-UDF, vous reprenez Juppé pour cinq ans ! »

F. Léotard : Je ne sais pas si les Français veulent « prendre » Jospin pour cinq ans, je sais en tout cas que l’idée, par exemple avec des ministres communistes, de s’éloigner des Allemands, des Britanniques, de faire bande à part, chambre à part en Europe, n’est pas une bonne idée pour les Français. Voilà ce qu’on va leur dire. Est-ce que, vraiment, le destin de la France est d’être aujourd’hui le seul pays européen dans lequel il y aura des communistes au gouvernement ? Avec ce nom-là et avec ce passé-là, je ne suis pas sûr que cela soit très moderne ! et je voudrais qu’on tire un peu la France vers l’avenir. Voilà.

J.-P. Elkabbach : Et au passage, quand L. Jospin dénonce un État confisqué par un plan politique, sous-entendu RPR ?

F. Léotard : Écoutez, nous avons une Constitution, un Président de la République, un Premier ministre. C’est au Président de la République, demain, de faire en sorte, par ses choix, qu’il tienne compte de ce que les Français auront dit. Il a devant lui, une majorité qui est plurielle, qui repose sur deux familles politiques. Nous allons, nous, faire en sorte que l’UDF compte ses forces et puisse être déterminante dans la victoire. Donc, c’est au Président de la République, demain, de savoir comment il va ouvrir son gouvernement ; comment il va le rendre plus conforme à l’équilibre de la majorité, ce que nous souhaitons ; comment il va présenter aux Français une nouvelle étape de son septennat, certainement plus attentive aux vœux des Français et à ce qu’ils auront exprimé pendant la campagne.

J.-P. Elkabbach : C’est-à-dire que vous voulez un gouvernement tout neuf ?

F. Léotard : Ce ne serait pas une mauvaise idée. Mais il ne s’agit pas de jeter des gens qui ont fait leur preuve.

J.-P. Elkabbach : Souvent, c’est vous qui donnez de bonnes idées. Vous avez de l’intuition alors. On reconduit beaucoup des mêmes ou on renouvelle beaucoup ?

F. Léotard : Une dissolution qui ne déboucherait sur aucune décision n’aurait pas de sens. Il faut qu’elle débouche sur un certain nombre de décisions, d’inflexions, de prises de positions. C’est au Président de tirer les leçons, le soir du 1er juin, du vote des Français. Qu’auront-ils voulu dire ? Le Président, dans l’exercice de ses responsabilités, écoutera la voix de ceux qu’il a voulu consulter. Cette voix, elle voudra dire quelque chose. Vous le verrez très rapidement à travers des dialogues, les débats et les votes. Le Président qui n’est pas autiste, qui écoute ce que disent les Français, tiendra compte du suffrage de nos concitoyens.

J.-P. Elkabbach : Beaucoup va changer pendant la campagne ?

F. Léotard : Je le pense. C’est un moment de vérité pour la société française.

J.-P. Elkabbach : R. Monory estimait hier ici, et F. Baroin le répète aujourd’hui dans le Figaro, que la reconduction d’A. Juppé à Matignon n’est pas automatique.

F. Léotard : Ça peut-être ça, ça peut être autre chose. Pourquoi ne peut-on pas trancher aujourd’hui ? Parce qu’encore une fois, les Français ne se sont pas prononcés. Le Président tiendra compte de ce qu’ils diront. On ne peut pas s’engager aujourd’hui dans cette voie-là. Le résultat déterminera l’équilibre gouvernemental et les choix du Président.

J.-P. Elkabbach : A. Juppé pourrait faire gagner la majorité chiraquienne et ne pas rester à Matignon ? La politique, ce n’est donc pas forcément la gratitude, alors ?

F. Léotard : S’il fait gagner une majorité forte et solide, le Président tranchera. Ne me posez pas cette question qui ne relève pas de mes attributions. Je mène campagne avec A. Juppé avec la volonté de gagner avec lui et avec nos amis du Rassemblement pour la République. C’est un art simple et tout d’exécution, une bataille. Je crois que nous allons la mener avec le sens de la discipline et la volonté de vaincre, comme c’est le cas de toutes les bonnes batailles.

J.-P. Elkabbach : Apparemment, vous vous réconciliez les uns avec les autres : avec É. Balladur, c’était hier des tapes dans le dos et des sourires sur le perron de l’Élysée.

F. Léotard : Qui pourrait ne pas se réjouir de cette rencontre ? Nous l’avons souhaité pendant deux ans. Qui pourrait ne pas de se réjouir de voir que cet affrontement a définitivement pris fin et que maintenant la majorité est réconciliée ? Moi, je m’en réjouis.

J.-P. Elkabbach : Et bientôt N. Sarkozy à l’Élysée ? Comme visiteur, bien sûr.

F. Léotard : Ce serait un très beau geste. Je souhaite ce type de geste.

J.-P. Elkabbach : Tout le monde adopte en ce moment les idées de l’UDF, l’Europe, le social.

F. Léotard : C’est la boite à idées de la majorité.

J.-P. Elkabbach : Qu’est-ce qui fait l’originalité et l’identité de l’UDF ? Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

F. Léotard : D’abord, on ne va pas mettre l’Europe dans notre poche. Je vis que tout le monde s’approche de l’Europe en tremblant et en rasant les murs. Nous, on va dire qu’on est européens. Nous, on va dire qu’on est pour une société dans laquelle les contraintes qui pèsent sur les Français vont diminuer. On va se battre là-dessus. C’est encore assez original, je peux vous le dire, dans la société d’aujourd’hui.

J.-P. Elkabbach : Vous inaugurez les locaux de campagne communs avec A. Juppé tout à l’heure à Paris et vous faites votre premier vrai meeting ce soir avec A. Juppé.

F. Léotard : À Marseille, avec mon ami J.C. Gaudin.

J.-P. Elkabbach : Serez-vous à côté ou derrière A. Jupé ?

F. Léotard : À côté, côte-à-côte.

 

Date : lundi 28 avril 1997
Source : TF1 - Éditions du soir

P. Poivre d’Arvor : 15 places pour 15 ministères : y a-t-il une place pour vous ?

F. Léotard : Ce n’est pas la question que je me pose. Mais c’est une bonne orientation d’avoir un minimum de ministres, 15, identifiables, donc responsables, et en dessous des administrations stables, afin que les fonctionnaires sachent à qui ils doivent obéir, et comment se fait leur gestion.

P. Poivre d’Arvor : Quand on dit 15 ministres, on compte les secrétaires d’État ?

F. Léotard : Autour de ces quinze ministres, il peut y avoir un certain nombre de secrétaires d’État qui ne participent pas nécessairement au Conseil des ministres, mais qui sont les adjoints des ministres. Donc, ce n’est pas du tout hors de portée. Je crois que c’est une bonne orientation pour la réforme de l’État. Cela ne résume pas, bien sûr, la question de la réforme de l’État.

P. Poivre d’Arvor : A. Juppé disait hier qu’il n’était pas candidat à sa propre succession. Y croyez-vous ?

F. Léotard : Tout à fait. Il ne fait que donner une lecture claire et simple de la Constitution. On n’est pas candidat à Matignon. C’est le Président de la République qui décide en fonction de ce qu’ont voulu les électeurs.

P. Poivre d’Arvor : Mais quand on est chef de campagne pour la majorité et qu’on est Premier ministre en place, on a un acquis ?

F. Léotard : C’est tout à fait normal, puisque c’est la fin d’une majorité : demain : il y aura une autre majorité. Le Premier ministre dans les institutions de notre République est le patron de la majorité. Cela a toujours été reconnu de cette manière. Donc, il dirige avec le président de l’UDF la campagne que nous menons. Lorsque les Français se seront prononcés, le Président de la République aura à choisir celui qu’il voudra comme Premier ministre. Cela peut être toute sorte de gens.

P. Poivre d’Arvor : Tout est possible le 1er juin ?

F. Léotard : Je le crois. Nous avons bien fait de mettre le projet au clair sur cette partie de la Constitution française. C’est vraiment la responsabilité du Président de la République. J’avais entendu au début de cette polémique un peu hostile selon laquelle il y aurait un septennat de Premier ministre, puisque deux ans plus les cinq ans qui viennent, cela ferait un septennat. Cela n’existe nulle part dans la Constitution.

P. Poivre d’Arvor : Après deux ans d’un Premier ministre RPR, on peut passer à un Premier ministre UDF ?

F. Léotard : C’est le choix du Président. Dans nos institutions, ce n’est pas une affaire de partis. Il peut très bien choisir quelqu’un qui est en dehors du monde politique. Il peut choisir quelqu’un qui vient de tel ou tel rang. C’est sa responsabilité éminente. Bien entendu, il faut vérifier que cet homme-là a le soutien du Parlement. Cela, c’est aux Français de le dire. C’est une question que nous leur posons.

P. Poivre d’Arvor : Cela dépendra de la façon dont vous pèserez dans la campagne. N’arrivez-vous pas quand même en deuxième ligne derrière A. Juppé, président du RPR et Premier ministre par ailleurs ?

F. Léotard : Je n’ai pas du tout ce sentiment quand je vois ce qui a été dit depuis quelques jours, y compris hier soir par le Premier ministre et avec l’accord de l’UDF ; ce qui sera dit demain matin, quand nous présenterons le projet qui nous est commun, vient en grande partie du texte que nous avions, nous, adopté il y a maintenant plusieurs jours, bien avant la décision de la dissolution.

P. Poivre d’Arvor : La coloration est plus UDF que RPR ?

F. Léotard : En tous cas, les 15 ministres par exemple, la réduction programmée de la dépense publique, les pouvoirs nouveaux donnés aux régions, l’interdiction du cumul des mandats, pour ne prendre que ces exemples, ce sont des propositions que nous avions faites, nous. Je me réjouis, moi, de voir qu’au fond, dans la majorité, il n’y a pas de débat entre ce que propose l’un ou ce que propose l’autre. Ce débat a eu lieu. Nous avons gouverné ensemble depuis maintenant plusieurs années. Nous proposons ensemble un projet pour la République. Je crois que c’est très différent – je le dis sans polémiques – de ce qu’on a en face de nous avec des gens qui sont à peu près en désaccord sur tout. Il y a là quelque chose qui devrait susciter la confiance des Français. Nous avons l’habitude de travailler ensemble. Nous proposons au pays des perspectives qui sont communes. Il n’y a pas de tromperie sur ce sujet, ni sur l’Europe, ni sur la conception que nous avons de l’État, ni sur la nécessité de maitriser la dépense publique. Cela est très clair.

P. Poivre d’Arvor : R. Donnedieu de Vabres, votre bras droit, se présente à Tours. Il s’y voit opposer une candidate dissidente RPR. Comment prenez-vous ça ? Comme une mauvaise manière de la part du RPR ?

F. Léotard : Non. D’ailleurs, les dirigeants du RPR ont sanctionné cette personne qui effectivement mène une bataille solitaire. Je ferai de même vis-à-vis des gens qui voudraient faire la même chose pour ce qui concerne l’UDF. Je crois que dans une bataille très sévère comme celle-ci, dont l’issue n’est pas assurée – il faut bien le dire avec beaucoup de force – nous avons besoin de soutenir l’initiative du Président de la République. Donc, toute personne qui s’exprime à titre personnel un peu égoïste et solitaire doit être combattue. Ce n’est pas un jeu, une élection. Ce n’est pas un caprice. C’est la respiration de la démocratie. C’est une consultation. On se tourne vers les Français en leur demandant ce qu’ils veulent comme majorité. Là, il n’y a pas de place pour la fantaisie. Il faut bien le dire, et je l’ai déjà dit, en tous cas pour ce qui concerne l’UDF ; je n’accepterai pas qu’on défigure cette consultation par des initiatives tout à fait personnelles et solitaires.

P. Poivre d’Arvor : On arrivera finalement à combien de primaires organisés cette fois-ci ?

F. Léotard : Très peu, c’est un record historique. Pour l’instant, on était à quatre. Les deux commissions d’investitures ont fait un beau travail. Du côté de l’UDF, c’est J.C. Gaudin qui l’a mené avec beaucoup d’énergie et d’autorité. C’est une redistribution des cartes qu’a voulue le Président de la République. Nous avons organisé un débat devant les Français sur ce qui va se passer dans les cinq années qui viennent et nous avons à maitriser ce calendrier qui est proposé à la France, pas simplement au Président ou au Parlement, mais à la France et à tous les Français. Et donc, nous avons l’intention de réussir. Non pas pour nous ! – car ce n’est pas un problème de droite ou de gauche – mais c’est un problème pour la France. Moi, je souhaite que les Français mesurent cet enjeu. Sont-ils capables d’entrer la tête haute en Europe ? Est-ce qu’ils sont capables de définir quel est le rôle de l’État ? Est-ce qu’ils sont capables de donner du travail aux jeunes, c’est la question majeure aujourd’hui ? Cela nous allons en débattre pendant le mois qui vient.

P. Poivre d’Arvor : Justement puisque vous parlez de l’emploi. Dans la plate-forme que vous allez présenter demain avec A. Juppé ; il est question de geler tout ce qui est dépenses publiques, pendant deux ans en tout cas. Comment peut-on faire cela tout en ne licenciant pas des fonctionnaires ?

F. Léotard : C’est tout à fait possible. D’abord, geler qu’est-ce que ça veut dire ? Cela veut dire que l’on cesse d’augmenter indéfiniment la dépense publique c’est-à-dire l’impôt. La seule fois où nous avions réussi à le faire, autrement dit à empêcher ce développement inconsidéré de la dépense publique, c’était en 1987 – vous vous souvenez de qui étaient, à ce moment, et à Matignon et au ministère des Finances ! – et donc, il faut le faire. Pourquoi ? Parce que nous sommes d’abord le pays qui a le record des pays industrialisés en ce domaine ; et quand il y a un niveau très élevé de chômage. Donc, si on veut être honnête avec les jeunes Français qui tapent à la porte du travail aujourd’hui, il faut leur dire que nous avons besoin de maîtriser ces dépenses. Il ne s’agit pas de licencier, mais il s’agit simplement, par exemple, de ne pas se renouveler totalement tous les départs à la retraite et surtout, avant même cela, de gérer plus convenablement l’argent public. Quand vous avez des scandales comme celui du Crédit Lyonnais ou du GAN, par définition, vous avez une gestion de l’argent public qui est irresponsable. Nous voulons introduire de la responsabilité – c’est-à-dire limiter la dette publique, limiter l’explosion de la dette publique qui a eu lieu pendant les années socialistes – pour mettre davantage d’argent sur l’aide à l’emploi sur la réforme nécessaire de l’État. Les fonctions d’autorité de l’État, le policier, le militaire, le diplomate, l’enseignant bien entendu, celui qui soigne, l’ensemble de ces fonctions importantes doivent être revalorisées. Elles doivent être revalorisées ; au contraire, et il n’est pas question d’y toucher ! Nous voulons un État qui soit un État fort là où on l’attend – c’est-à-dire la sécurité, la protection des citoyens – et qui ne soit pas présent dans les actions économiques comme cela a été le cas pour la banque ou dans d’autres domaines, où l’entreprise privée fait très bien les choses. Je crois que c’est cela qu’il faut dire aux Français et notamment aux salariés français. Nous n’avons aucunement l’intention de mettre en cause un certain nombre d’acquis sociaux, bien au contraire ! Ce qui protège les salariés français, c’est la croissance. Et la nouvelle venue dans cette campagne, dont personne ne parle, c’est la croissance. C’est le retour de la croissance. Cette majorité élue en 1995 partait avec une récession, vous vous en souvenez, - 1,3% de la richesse nationale, et on est aujourd’hui à un peu plus de 2%, et on va vers en 1998 ; C’est-à-dire que nous retrouvons la moyenne des pays européens. C’est le meilleur bilan qui soit ! Ce qui protège l’emploi, et l’emploi des jeunes notamment, c’est le retour de la croissance. Moi, je voudrais qu’on fasse campagne sur ce thème ; nous avons redonné de la croissance aux Français, c’est-à-dire de la richesse.