Texte intégral
Le Progrès : Lundi 17 mars 1997
Le progrès : Ce congrès se situe juste avant la présentation de la loi d’orientation agricole. Quelles sont vos attentes ?
Luc Guyau : Nous travaillons depuis des mois notre contribution au projet gouvernemental. Cette loi engagera l’avenir de l’agriculture pour les quinze prochaines années. Nous espérons qu’elle définira le statut des personnes et assurera ainsi une gestion équilibrée de exploitations. Cela exige une démarche sur la qualité, une politique des structures.
Mais le point fondamental est la définition du pouvoir économique des agriculteurs, ils ne pourront jamais vivre de leur travail. Ils doivent s‘engager sur la voie de la commercialisation. Nous devons réaffirmer la place des coopératives et dégager des partenariats avec les entreprises agro-alimentaires.
L’agriculteur doit devenir un chef d’entreprise à la tête de son exploitation et doit être un partenaire reconnu dans les filières. C’est un point fondamental de la loi d’orientation.
Le progrès : Vous affirmez vouloir une agriculture citoyenne en harmonie avec la société, s’agit-il d’un simple rapport avec les consommateurs ?
Luc Guyau : Nous avons à dégager une relation de confiance avec le consommateur. Notre démarche est plus large, nous appuyant sur l’équilibre : homme, produit, territoire.
Nous voulons des agriculteurs maîtres de leur avenir, proposant des produits de qualité, et qui prennent en charge l’aménagement du territoire.
L’agriculture doit contribuer à la vie sociale du pays, en assurant une gestion de l’espace, en préservant l’environnement naturel.
Elle ne doit pas être en retard d’une guerre. Il y a lieu de se montrer très prudent sur les OGM (végétaux transgéniques) mais tout en suivant une éthique nous devons également assurer la modernisation de l’agriculture.
Le progrès : Ce souci d’être en harmonie avec le pays explique-t-il l’ouverture du congrès aux représentations politiques nationales ?
Luc Guyau : Nous sommes à un moment décisif avant le débat sur la loi d’orientation. Pour jouer pleinement notre rôle de syndicat agricole, nous avons souhaité connaître l’avis de tous.
Le progrès : Vous voulez que l’agriculteur puisse vivre de son travail. Comment y parvenir ?
Luc Guyau : Il y a plusieurs niveaux. L’enjeu est notre pouvoir économique. La confiance avec le consommateur passe par les produits labellisés.
Les labels sont la propriété des producteurs car il y a un lien entre le produit et sa région.
La marque exprime la relation entre l’entreprise et le consommateur. L’origine du produit a disparu.
Nous voulons encourager la démarche es labels car elle resitue la fonction du producteur dans l’économie.
Par ailleurs, l’exploitation doit être défendue. Une réforme des soutiens est nécessaire à Bruxelles qu’à Paris. Il faut épauler l’exploitation et tout faire pour son maintien.
Le progrès : Ainsi vous préférez plusieurs exploitations à une seule de grande taille ?
Luc Guyau : Exactement. Le soutien doit porter sur l’exploitation en tant que telle et sur sa production. Nous voulons que le revenu du producteur soit assuré par les prix et la valeur ajoutée gagnée sur son produit, mais une politique de soutien est toujours indispensable.
Le progrès : Ne préparez-vous pas l’évolution de la politique agricole européenne de 1999 ?
Luc Guyau : Il faudra toujours des soutiens. Aucun pays occidental, même les États-Unis, n’a supprimé les aides à l’agriculture.
Mais nous voulons voir les exploitations devenir viables avec un pouvoir économique renforcé. N’oublions pas le rôle social de l’agriculture et sa fonction stratégique en raison de l’importance des exportations françaises.
Le Dauphiné Libéré : Mardi 18 mars 1997
Le Dauphiné : Un an après la crise de la vache folle, qu’est-ce qui a changé pour la FNSEA ?
Luc Guyau : La crise a conduit à une accélération de notre réflexion sur la sécurité alimentaire, la traçabilité, les relations avec les consommateurs. Il y a nécessité de convaincre les agriculteurs d’entrer dans une démarche de qualité. Le monde agricole se doit d’être de plus en plus transparent, de plus en plus attentif aux nouvelles demandes de la société.
Le Dauphiné : Dans le rapport d’orientation de la FNSEA, qui va être soumis aux congressistes, le mot éthique revient souvent.
Luc Guyau : La notion d’éthique n’est pas nouvelle pour nous mais c’est la première fois qu’on l’affirme aussi fortement dans nos textes.
L’agriculteur a une responsabilité, en matière de santé, de respect de la vie, d’environnement. Il a droit à la modernité. Ce ne veut pas dire le droit de faire n’importe quoi. La FNSEA n’est pas fermée à toute évolution mais il faut beaucoup de rigueur dans les manipulations du vivant.
Le Dauphiné : Quel type d’agriculture préconisez-vous ?
Luc Guyau : Le libéralisme à tous crins n’est pas fait pour l’agriculture européenne. Il faut trouver une voie médiane entre un libéralisme sans règles et une agriculture déresponsabilisante où les paysans seraient de simples exécutants avec un revenu garanti au bout. L’Union européenne doit mettre tout en œuvre pour affirmer son identité, pour décide de sa propre politique, plutôt que de toujours agir en fonction de ce que font et demandent les Américains.
La Dépêche du Midi : Mardi 18 mars 1997
La Dépêche du Midi : Quel message la FNSEA entend-elle adresser durant son congrès, à Toulouse, aux agriculteurs ?
Luc Guyau : Le message est celui de la future loi d’orientation, à savoir l’ouverture du monde agricole à l’ensemble de la société pour répondre à ses demandes. Il s’agit de montrer que l’agriculture est un enjeu de société, en termes d’alimentation, mais aussi de santé, d’espace et de stratégie géopolitique avec le rôle de la France e de l’Union européenne (UE), dans l’équilibre alimentaire mondial.
La Dépêche du Midi : Bruxelles, mais aussi les gouvernements français et allemand veulent diminuer le budget agricole européen. La crise bovine, qui a déjà coûté 10 milliards de francs, aurait-elle rendu l’agriculture « budgétivore », au-delà de l’acceptable ?
Luc Guyau : C’est une erreur stratégique de l’UE et de ces deux gouvernements que de désarmer, en matière de politique agricole, alors que vont s’ouvrir de négociations internationales, dans le cadre de l’organisation mondiale du commerce. Si l’on ne se ressaisit pas, on repartira dans le même travers que lors de ces dernières négociations GATT : au lieu de redéfinir une politique, on regarde et on copie autre part. C’est-à-dire, en l’espèce, les États-Unis.
On diminue le budget, quand les États-Unis font croire au monde qu’ils vont diminuer leurs aides à l’agriculture pendant sept ans. Alors qu’il n’y a jamais de politique agricole qui ait duré aux États-Unis plus de quatre ans et que durant les deux premières années, les agriculteurs américains ont touché 5 milliards de dollars d’aides en plus.
La Dépêche du Midi : « La vache folle » n’oblige-t-elle pas à recadrer les dépenses agricoles ?
Luc Guyau : Cela ne se justifie pas. Depuis 1992, il y a toujours eu entre 1,5 et 3 milliards d’écus non consommés dans le budget agricole. Ces crédits n’ont d’ailleurs même pas servi à mettre en place de nouvelles politiques européennes : ils sont retournés à chacun des pays de l’UE.
Je rappelle, en outre, qu’un budget européen est indicatif : il aurait été stratégiquement opportun d’affirmer que l’UE était prête à faire plus pour son agriculture.
La Dépêche du Midi : La baisse des aides céréalières n’est-elle pas une condition nécessaire pour parvenir au rééquilibrage des soutiens souhaités par Bruxelles mais aussi par la FNSEA ?
Luc Guyau : La FNSEA persiste à dire que, dans le cadre d’une réforme globale, il faut un peu plus de rééquilibrage des aides entre les différents secteurs de production. Mais il faut raisonner dans le cadre d’une aide globale et non pas sur les seules aides directes.
La Dépêche du Midi : Le congrès de Toulouse fera-t-il des propositions concrètes pour rééquilibrer les aides entre secteurs de production ?
Luc Guyau : Le congrès élaborera des principes et des orientations, dans le cadre d’une agriculture de plus en plus multifonctionnelle, liée à la valeur-ajoutée, aux territoires et aux hommes. La notion d’occupation du territoire pourrait ainsi être confortée par une prime unique de base à l’hectare avec des compléments en fonction des hommes et des produits. Cela découragerait la course aux hectares systématiques il faudrait ensuite convaincre l’UE de la validité d’un tel système.
La Dépêche du Midi : Le projet de loi d’orientation semble patiner, où en est-on ?
Luc Guyau : La loi doit être votée impérativement avant la fin du premier semestre. C’est une priorité pour la FNSEA. Car le deuxième semestre sera si dense à Bruxelles, avec la discussion sur les réformes du lait, de la viande bovine ou des céréales, que sans loi d’orientation, la France sera en déphasage et en retard.
La Dépêche du Midi : Pourquoi le choix de Toulouse pour le congrès de la FNSEA 97 ?
Luc Guyau : Midi-Pyrénées incarne l’agriculture multiple et diversifiée. C’est, en somme, la France en réduction. Cela implique aussi d’exclure toute banalisation, dans la PAC, des politiques de zones difficiles et de la montagne.
Libération : 18 mars 1997
Libération : La commission européenne veut geler les subventions agricoles pour la saison 1997-1998. Est-ce le début d’une offensive d’envergure contre les primes versées aux agriculteurs ?
Luc Guyau : C’est surtout une erreur stratégique. Au moment où on va rentrer dans les négociations l’Europe désarme face aux Américains qui, eux, accroissent leurs subventions. Si nous ne contestons pas la nécessité de faire évoluer la politique agricole commune (PAC) dans les années qui viennent, nous estimons qu’il faut le faire de manière globale et pas morceau par morceau. La commission fait croire qu’elle a besoin de faire des économies alors que, chaque année, il reste entre 1,5 et 3 milliards d’écus dans ses caisses. Ce reliquat ne sert ni aux agriculteurs, ni à financer d’autres politiques. La proposition de Bruxelles cherche à semer la panique. Elle est incohérente et constitue plus une démarche politique qu’économique.
Libération : Que cherche la commission en prenant de telles mesures ?
Luc Guyau : Elle vise à faire pression sur les gouvernements qui ont tendance à dire que la commission ne fait pas son boulot et qui veulent réduire son budget. C’est une façon de leur dire : voyez ce que ça va donner pour vos agriculteurs. Elle s’adresse aussi aux agriculteurs, en leur signifiant que rien n’est inscrit dans le bronze. Nous l’avons compris et nous sommes prêts à discuter d’un rééquilibrage global.
Libération : Doit-on plafonner les aides en fonction de la taille des exploitations ?
Luc Guyau : Il faut limiter les excès, c’est sûr. Quand un agriculteur passe de 100 à 400 hectares uniquement pour récolter des primes, il y a abus. Cela ne sert ni la cause des agriculteurs, ni l’agriculture ; ni notre image dans l’opinion publique. Il faut revoir le mécanisme de soutien, le rééquilibrer mais pas de manière purement mathématique. L’équilibre doit se réaliser dans le respect de la formule ; homme, produit, territoire.
Libération : Reste que les acteurs des grandes cultures absorbent la plus grande partie des primes et subventions…
Luc Guyau : Lorsqu’en pleine crise de la viande bovine, j’ai évoqué la nécessité d’un rééquilibrage, ils se sont sentis visés. Or, je n’ai jamais parlé de transfert d’aides des céréaliers vers les éleveurs. Qu’il y ait plus d’excès dans les productions végétales, c’est clair. Mais il faut souligner que dans ce secteur, les aides sont les plus visibles. Dans le cadre de la PAC de 1992, on ne soutient plus les prix mais les produits. La formule est redoutable pour les céréaliers, puisqu’il suffit de multiplier la prime à l’hectare par le nombre d’hectares pour obtenir le montant de leurs aides. Il s’agit bien sûr d’un revenu d’exploitation, pas d’un bénéfice. Mais dans un pays où la majorité de la population est salariée, cela suscite la confusion.
Libération : Le cap sur le rendement à tout prix est-il toujours d’actualité ?
Luc Guyau : À force de se faire piquer les marges et la valeur ajoutée par l’industrie agroalimentaire et la distribution, les agriculteurs étaient obligés de produire plus pour assurer la pérennité de leur revenu. Depuis plusieurs années, dans certaines régions en tous cas, on cherche à assurer une plus grande valeur ajoutée. Le mouvement va s’accélérer et fut également maîtriser les productions. À condition de pouvoir vivre correctement.
Libération : Le versement de primes ou de subventions ne devrait-il pas être lié au maintien des emplois et au respect de l’environnement ?
Luc Guyau : Nous sommes opposés au principe d’éco-conditionnalité qui revient à définir les règles de l’environnement puis à nous laisser produire, si on peut. Ce qui va permettre le maintien des emplois locaux et l’aménagement régional, c’est une activité économique, agricole, artisanale et commerciale, répartie sur tout le territoire. Cette notion de répartition sur le territoire est essentielle. Cela posé, il faut mettre des contraintes pour protéger l’environnement. Dans le cadre de la réforme de la PAC en 1999, nous n’y échapperons pas.
Libération : La loi d’orientation agricole, qui doit être débattue en mai, n’aborde pas la modification des aides. Est-ce normal ?
Luc Guyau : Le rôle de cette loi, c’est d’exprimer haut et fort que la France veut une agriculture économique répartie sur l’ensemble du territoire, qui réponde en même temps à la demande d’une société soucieuse de son environnement. Parallèlement, nous proposons nous, dans le rapport d’orientation que je défendrai aujourd’hui devant le congrès de la FNSEA, de donner une prime de base à l’hectare pour tout le territoire. Cela permet à tout le monde de la toucher alors qu’aujourd’hui les productions végétales (essentiellement grandes cultures céréalières, Ndlr) sont favorisées par rapport aux productions animales. Si demain on accepte que tous les hectares soient aidés à la base de la même manière et qu’ensuite les aides complémentaires soient fonction des hommes et des productions, on ira dans le bon sens.
Libération : Les producteurs de maïs français réclament le droit de cultiver du maïs transgénique. Y êtes-vous favorable ?
Luc Guyau : On est en tous cas pas favorables aux distorsions de concurrence. Si on interdit le maïs transgénique, on l’interdit le maïs transgénique, on l’interdit également pour les produits d’importations. Dans cette affaire, le gouvernement français a été cohérent. Sous pression des lobbies économiques internationaux, il a continué les importations. Et sous la pression des écolos, il a dit qu’on ne pouvait pas les cultiver en France. Je pense que si les scientifiques disent qu’il n’y a pas de danger pour la santé, il n’y a pas de raison qu’on n’utilise pas ce produit.