Texte intégral
Les Échos : 10 février 1998
Les Échos : Au moment d’ouvrir la négociation dans la fonction publique, vous aviez appelé les syndicats à être « raisonnables ». Avec 15 milliards en deux ans, l’accord que vous signez ce matin est-il vraiment « raisonnable » ?
Émile Zuccarelli : Cet accord à cinq syndicats est un évènement très important : il renoue avec le socle de la politique contractuelle, en berne dans la fonction publique depuis près de cinq ans. Je crois sincèrement que les deux parties ont fait preuve d’un réel esprit de responsabilité. L’État s’est efforcé de faire, dans le cadre de contraintes budgétaires serrées, des propositions concrètes et raisonnables. Tout accord a un prix, c’est évident. Mais celui-ci n’est pas excessif : il maintient le pouvoir d’achat pour les deux prochaines années et met l’accent sur les bas salaires.
Les Échos : Le rattrapage au titre de 1996 est important.
Émile Zuccarelli : C’était un point très sensible. Les syndicats tenaient absolument à ce que le Gouvernement accepte de considérer que 1996 avait été une année blanche. Reste que la compensation n’est pas intégrale : là encore, l’esprit de responsabilité l’a emporté. Vous avez cité le chiffre de 15 milliards de francs, mais il est à rapprocher du coût total de la fonction publique, 670 milliards, soit 40 % du budget de l’État, et au nombre de fonctionnaires, plus de 5 millions. Par ailleurs, le chiffre que vous évoquez porte sur deux exercices budgétaires.
Les Échos : Justement, 40 % du budget de l’État, n’est-ce pas déjà trop ?
Émile Zuccarelli : On ne peut se féliciter de voir l’État faire un effort pour accroître les budgets de l’éducation nationale, de la police ou de la justice, tout en refusant de voir que, pour beaucoup, ces budgets sont faits des salaires des enseignants, des policiers et des magistrats.
Les Échos : L’accord de 1993 avait exploré des pistes pour l’emploi. Au moment où les chômeurs manifestaient dans la rue, n’y avait-il pas un moyen cette année d’entamer une démarche (autour des heures supplémentaires, par exemple) qui montre qu’il n’y a pas en France deux catégories de Français : les fonctionnaires et les autres ?
Émile Zuccarelli : La préoccupation de l’emploi est la première préoccupation du Gouvernement. Il l’a montré en adoptant, dès son arrivée, un dispositif très novateur en faveur de l’emploi des jeunes. Dans l’accord fonction publique, nous avons également reconduit et élargi le dispositif de départ en préretraite. Et, pour 1998, les emplois de fonctionnaires ont arrêté de baisser. Mais cet accord se voulait avant tout un accord salarial : c’est le socle de la politique contractuelle.
Les Échos : Votre engagement de ne plus diminuer le nombre de fonctionnaires ne vaut-il que pour 1998 ? Le budget 99 pourrait-il à nouveau voir les emplois publics baisser ?
Émile Zuccarelli : Nous avons une approche pragmatique. La préparation de la loi de finances vient de commencer. Le Gouvernement a souhaité rompre avec la vision dogmatique précédente qui voulait que la baisse des emplois publics soit un objectif en soi.
Les Échos : L’accord salarial comprend un volet sur les 35 heures, mais la rédaction en est très ambiguë : s’agit-il d’une réelle ouverture sur la réduction du temps de travail ou d’une nouvelle façon de botter en touche ?
Émile Zuccarelli : Là encore, notre démarche est très pragmatique. Le Gouvernement n’a jamais dit que la perspective des 35 heures ne concernerait pas les fonctionnaires. Mais il a toujours dit que la fonction publique ne pouvait pas entrer dans le cadre de la loi Aubry, qui concerne le secteur productif et constitue la priorité du Gouvernement, car c’est là que se concentre le problème du chômage privé. Dans la fonction publique, la situation est tellement complexe que l’on ne pourra rien décider avant l’état des lieux complet qui sera réalisé en 1998. Par ailleurs, il faut prendre en compte les finalités des services publics.
Les Échos : Par rapport au dispositif Aubry, il y a une différence de taille : dans l’accord, vous ne liez absolument pas baisse du temps de travail et créations d’emploi.
Émile Zuccarelli : Nous n’avons pas évoqué les objectifs, mais la méthode et l’état des lieux. Nous verrons une fois celui-ci réalisé.
Les Échos : Les hauts fonctionnaires se disent oubliés de la politique contractuelle depuis quinze ans. Ils demandent 300 millions pour rattraper une partie de leur perte de pouvoir d’achat. Allez-vous aborder la question ?
Émile Zuccarelli : C’est vrai qu’il y a une réelle attente de la part des hauts fonctionnaires. Nous sommes en train d’y réfléchir. Au préalable, il est indispensable de faire la transparence sur les rémunérations des fonctionnaires, à quelque niveau que ce soit. Plusieurs initiatives ont été prises en ce sens en 1998 comme je l’avais indiqué dans ma communication du 5 novembre dernier : publication des textes, rapport biannuel…
Les Échos : Jacques Chirac a estimé, la semaine dernière, que la réforme de l’État devait aller plus vite. Depuis votre arrivée, vous avez surtout donné l’impression de ne pas vouloir faire de vagues.
Émile Zuccarelli : Vous verrez très prochainement qu’on peut en même temps vouloir avancer dans la concertation, sans frénésie, et réaliser des choses concrètes. Par exemple, je vais dans quelques semaines présenter un projet de loi pour améliorer les relations entre administrations et citoyens. De même, la déconcentration va se poursuivre : pour 1999, un premier pas essentiel va être réalisé avec la déconcentration des crédits d’interventions au niveau des préfets.
Le Parisien : 16 février 1998
Le Parisien : Le salaire moyen est plus élevé dans le public que dans le privé. Bénéficiant aussi de la garantie de l’emploi, les fonctionnaires sont-ils de fait des privilégiés ?
Émile Zuccarelli : Il ne faut pas laisser penser que les fonctionnaires sont des privilégiés. La moitié d’entre eux appartiennent à la catégorie C, la plus modeste. L’accord salarial que je viens de signer avec cinq syndicats a d’ailleurs fait des bas salaires la priorité numéro un. Des dizaines de milliers d’agents avaient un traitement brut en dessous du SMIC. S’agit-il là de privilégiés ? En fait, la confusion dans la comparaison avec le secteur privé s’explique par la place des enseignants qui tirent vers le haut le salaire moyen.
Le Parisien : Les fonctionnaires bénéficient aussi d’avantages sociaux remarquables, comme des retraites plus avantageuses. Êtes-vous favorable à plus d’égalité sociale en ce domaine ?
Émile Zuccarelli : Là aussi, attention aux jugements hâtifs. Vous avez raison de dire qu’en apparence le système public est plus favorable : 37,5 années de cotisations, 75 % du salaire perçu en fin de carrière. Mais il faut savoir que ce taux de 75 % s’applique au salaire sans les primes qui représentent en moyenne 20 % du salaire. Faites vos calculs pour savoir qui est avantagé !
Le Parisien : Le Gouvernement ne dit ni oui ni non aux 35 heures dans la fonction publique. Pourquoi une telle prudence ?
Émile Zuccarelli : J’ai dit aux syndicats que, sur le plan des principes, il n’y a pas de raison que la fonction publique ne soit pas concernée par la perspective des 35 heures. Simplement, le Gouvernement, avec la loi Aubry, a donné la priorité au secteur productif où se concentre le chômage. D’autre part, le temps de travail ne se mesure pas dans tous les métiers de la fonction publique avec la même unité : ici, c’est l’heure de cours pour un professeur ; là, c’est l’heure d’astreinte d’un pompier, etc. Dans l’immédiat, nous avons décidé de réaliser, en 1998, un vaste état des lieux. Nous verrons ensuite la stratégie et les priorités pour contribuer aussi à améliorer le service public.