Interview de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, dans "Les Dernières nouvelles d'Alsace" du 29 septembre 1999, sur la situation économique française et le débat sur la régulation de l'économie, les critiques du SPD allemand sur les choix économiques du chancelier Gerhard Schröder, l'évolution des institutions communautaires et le nouveau bâtiment du Parlement européen à Strasbourg (IPE 4).

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Média : Les Dernières Nouvelles d'Alsace

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DNA : Le Premier ministre, Lionel Jospin, parle de « régulation » de l’économie… Cette politique est-elle vraiment compatible l’échelle européenne ?

Pierre Moscovici : En Europe, nous sommes dans une situation absolument compatible en matière de politique économique. La France est leader en matière de croissance avec 3 % cette année. C’est vrai, nous avons un taux de chômage supérieur aux autres, mais il se réduit plus vite que chez nos voisins. Nous sommes créateurs d’emplois, également par décision volontariste comme les contrats emplois-jeunes ou la réduction du temps de travail. Que veut dire exactement régulariser ? Que nous sommes dans une société d’économie de marché, mais pas une société de marché. Sachez que la France est loin d’être isolée.

DNA : Vous dites que la France n’est pas isolée, mais ne l’est-elle pas dans le cadre des négociations qui vont s’ouvrir avec l’Organisation mondiale du commerce ?

Pierre Moscovici : Ne critiquons pas l’OMC. Elle est indispensable. Nous et nos partenaires, nous donnerons prochainement un mandat clair à la Commission, un mandat ambitieux sur le point agriculture et culturel, offensif également pour la protection de l’environnement et du social… Vous savez, l’Europe a changé. Dans les années 80, elle respectait la logique libérale des marchés. Aujourd’hui, nous voulons mieux nous organiser et équilibrer les marchés. C’est vrai aussi dans le cadre de la mondialisation.

DNA : Outre-Rhin, on dit que le gouvernement de Lionel Jospin a réussi une vraie transition socialiste…

Pierre Moscovici : Nous ne voulons pas nous mêler du débat qui se déroule au sein du SPD. Il va de soi que nous pouvons être une référence pour certains, mais certainement pas partie prenante. Pour moi, c’est clair : Gerhard Schröder est à la fois chancelier et président du parti. J’ai une énorme confiance en ses capacités de décision. Mais peut-être faudrait-il qu’il écoute davantage. Par contre, il est sûr, nous ne donnons pas de leçon. Nous, socialistes français, sommes très chatouilleux quand nos amis anglais et allemands nous critiquent alors, n’en faisons pas autant…

DNA : Le ministre des affaires européennes, que vous êtes, sait que le Parlement européen réclame de plus en plus de pouvoirs.

Pierre Moscovici : C’est vrai. Le Parlement est de plus en plus fort. Grâce au traité d’Amsterdam, il est devenu un interlocuteur fondamental dans la construction européenne. De même, la Commission sort renforcée de la crise du printemps. Je dirais que maintenant ce nouvel équilibre doit encore se consolider. Nous en restons à une étape que je qualifierais de digestion. Le Conseil, c’est-à-dire l’assemblée des chefs d’États et de gouvernement, doit jouer un rôle. Enfin, le Parlement européen ne doit pas oublier que peu de gens ont voté lors des élections. En d’autres termes, n’effaçons pas l’équilibre actuel. Une fuite en avant en demandant plus de pouvoirs serait contre-productive. Voyons d’abord ce que donnera le nouvel équilibre.

DNA : Quelle est la position française face à l’élargissement de l’Union européenne ?

Pierre Moscovici : Elle n’est pas frileuse. Nous souhaitons l’élargissement le plus rapidement possible, à condition que ces pays soient prêts et que l’Europe soit prête. Le mois prochain, en Finlande, la France proposera que tous les pays candidats débutent les négociations, mais sans préciser de date…

DNA : C’est-à-dire que la France souhaite d’abord la réforme des institutions ?

Pierre Moscovici : Nous sommes conscients que la réforme des institutions européennes sera un travail extrêmement complexe. Mais sur ce point, il est évident aussi que la position française reste inchangée : il n’y aura pas d’élargissement sans réforme institutionnelle, par exemple sur le vote qualifié, la pondération et les pouvoirs de la Commission.

DNA : L’euro existe depuis neuf mois… Quel est votre premier bilan ?

Pierre Moscovici : Mais plus personne ne conteste l’euro ! Sa réussite écrase l’histoire. Il n’y a même plus de débat sur la monnaie unique ! Évidemment, il reste deux étapes à franchir : introduire l’euro dans les porte-monnaie… et coordonner les politiques économiques en Europe.

DNA : Donc également coordonner les politiques fiscales ?

Pierre Moscovici : Les harmoniser, oui ; les uniformiser, non. Personne n’en veut. Par contre, nous souhaitons plusieurs avancées, notamment dans la lutte contre les paradis fiscaux.

DNA : Après les questions économiques, quelles sont, selon vous, les nouvelles priorités européennes ?

Pierre Moscovici : Réaliser un espace politique européen. Le nouveau chantier est politique et non plus économique. Il nous faut une nouvelle Europe plus forte et plus unie. C’est vrai pour l’Europe de la défense ; c’est encore vrai pour l’Europe de la politique étrangère. Après des années d’économie, il nous faut faire le grand saut politique.

DNA : Strasbourg abrite un nouveau Parlement et beaucoup le critiquent…

Pierre Moscovici : Je conçois que l’IPE 4 n’est pas dépourvu de défauts. Des problèmes se posent et vont être résolus. Ce bâtiment a des qualités esthétiques incontestables. Et j’ajouterais qu’il faut vivre avec lui et faire vivre l’Euro-parlement dans ses murs. Je dirais encore que, tel qu’il existe, sa conception émane d’une responsabilité collective, prise par le bureau de l’ancien Parlement. Alors, il est peut-être trop facile de critiquer… La France a tout fait pour que Strasbourg devienne la capitale européenne. Pour cette raison, ne nous tirons pas une balle dans le pied.