Texte intégral
Date : 9 avril 1997
Source : France 2
France 2 : Je vous pose tout de suite la question : quels moyens pour financer cette réforme très précisément ?
F. Bayrou : Auparavant, B. Masure, puis-je vous dire quelque chose ? Parce que je vous ai entendu tout à l’heure expliquer que c’était après des années et des années de discussion. C’est un peu exagéré comme formulation. Je suis ministre de l’Université depuis un peu plus de dix-huit mois. J’étais auparavant seulement ministre de l’Education nationale. Donc, dix-huit mois. Je ne crois pas qu’il y ait de réforme de l’université qui ait jamais été adoptée dans un temps aussi bref et, surtout, qui ait recueilli un accord aussi général. Et cela est très important.
Alors, vous me parlez évidemment de moyens. C’est une question très importante. Naturellement, je n’ai pas attendu la réforme pour poser la question des moyens. Je voudrais vous dire ceci, qui est très simple : dans le contexte de rigueur où nous sommes, sur les deux dernières années, il n’y a pas eu d’augmentation du nombre des étudiants, et cependant, nous avons créé 7 000 postes. 7 000 postes ! dans les universités françaises. C’est dire qu’il y a déjà eu un très gros effort de la nation pour les étudiants. Je crois qu’il est justifié, et nous allons faire l’inventaire précis des besoins nouveaux pour voir si on peut améliorer les choses – et votre reportage l’a très bien dit – avant la fin du mois de juin.
France 2 : Effectivement, vous avez créé 7 000 postes dans les universités. Mais les mauvaises langues – il y en a en France – disent que, en quelque sorte, vous déshabillez Paul pour habiller Pierre, et qu’il y a des suppressions de postes dans le secondaire, voire dans le primaire. C’est un jeu de crédits…
F. Bayrou : Eh bien, non ! Les mauvaises langues se trompent sur ce sujet, parce que, comme vous le savez, ce ne sont pas les mêmes enseignants qui sont dans le second degré et dans l’enseignement supérieur.
France 2 : Un mot du statut social de l’étudiant qui semble apparemment tout de même reporté aux calendes grecques ?
F. Bayrou : Pas du tout. Vous savez, je ne sais pas si vous mesurez le fait, tout de même assez rare, qu’on est en train de vivre : des réformes de l’université, vous en avez présentées beaucoup sur ce plateau. Il y a longtemps que vous présentez le journal télévisé, et donc longtemps que vous avez entendu parler de réformes, et de réformes qui ont, pour l’instant, toutes échouées. Toutes ont entraîné des manifestations, des mouvements de protestations qui ont fait qu’on a été obligé de les retirer. C’était devenu presque un sport français : une réforme proposée, une réforme qu’on retirait. Pour la première fois, ça ne s’est jamais produit. L’ensemble des acteurs de l’université dit oui, donne son feu vert – comme vous l’avez dit dans les titres – à une réforme. Je crois que c’est assez important, bien entendu, pour qu’on le note. C’était le premier volet, maintenant, qui est l’aide sociale aux étudiants, pour laquelle j’ai proposé aussi une réforme très importante. C’est avant la fin de ce mois que je ferai des propositions précises. Donc, ça n’est pas les calendes grecques, B. Masure, ce sont les calendes d’avril.
France 2 : Vous êtes également Président du Conseil général des Pyrénées-Atlantiques. Dans votre département un enfant de 19 ans est mort faute de soins dans une secte où l’on a retrouvé beaucoup d’enfants non scolarisés : alors est-ce que l’Education nationale sera, à l’avenir, plus regardante sur ce genre de phénomène ?
F. Bayrou : Je crois que vous avez tout à fait raison de le dire. Les problèmes de sectes prennent aujourd’hui une place très importante. C’est d’ailleurs, je crois, une manifestation de l’inquiétude d’une société plus ou moins déboussolée. Il faut lutter contre des dérives et contre ces sectes. Et je crois que l’Education nationale est un des moyens d’assumer cette lutte pour deux raisons. D’abord parce qu’elle peut transmettre des messages qui soient des messages d’ouverture, d’équilibre et de raison ; et deuxièmement parce qu’elle peut contrôler, ou contribuer à contrôler, l’obligation scolaire. L’obligation scolaire, c’est, je crois, un des moyens les plus efficaces pour lutter contre ces enfants mis à l’écart, et qui courent quelquefois des risques. Donc, l’obligation scolaire, c’est la loi, l’obligation doit être respectée.
Date : 15 avril 1997
Source : Europe 1
J.-P. Elkabbach : La réforme universitaire est donc en route. Elle sera appliquée à partir de la rentrée prochaine ou s’étalera-t-elle ?
F. Bayrou : A partir de la prochaine rentrée, les mesures principales rentrent en application et c’est en particulier le cas de celles qui touchent les nouveaux étudiants.
J.-P. Elkabbach : Il a fallu des mois et des mois de concertation. Que change cette réforme, concrètement, pour les étudiants ?
F. Bayrou : Concrètement, elle change l’organisation de l’année universitaire qui sera organisée en semestres et non plus en année. Ce qui permettra, deuxième grand changement, que les nouveaux étudiants aient un semestre de découverte de la discipline qu’ils ont choisi avec la possibilité au bout de ce premier semestre de changer d’orientation s’ils s’aperçoivent qu’ils se sont trompés. Beaucoup d’étudiants sont dans des disciplines dont ils avaient une idée quelquefois vague. Imaginez par exemple, ceux qui font le choix du droit. Ils n’ont jamais fait de droit au lycée. Ils découvrent cette nouvelle discipline et s’aperçoivent qu’ils se sont trompés et que ce n’est pas fait pour eux et ils peuvent changer d’orientation. On va ainsi, je crois, réduire l’échec.
J.-P. Elkabbach : C’est-à-dire que la réorientation remplace la sélection.
F. Bayrou : La réorientation sur décision de l’étudiant lui permet, en effet, d’avoir une meilleure idée de ce que seront ses études universitaires et donc éviter l’échec. Troisièmement, ce qui change enfin, c’est que l’on pourra introduire dans un diplôme, un semestre d’expérience professionnelle. Ce qui permettra de préparer une meilleure insertion professionnelle pour les étudiants. C’est un défi très important mais il concerne autant les entreprises qui offrent des expériences professionnelles que les étudiants qui doivent les saisir.
J.-P. Elkabbach : Et vous avez les moyens d’inciter les chefs d’entreprise, y compris les patrons des PME, à accompagner des étudiants et à leur faire sérieusement confiance ?
F. Bayrou : Ils s’y sont engagés et je crois que ce sera aussi intéressant pour les entreprises que pour les étudiants et les universités ?
J.-P. Elkabbach : On avait évoqué à un moment les stages diplômants. Vous les avez remplacés par des unités d’expérience professionnelle en association avec le CNPF. Vous pensez que c’est réglé, que c’est à la fois prometteur. Est-ce que l’on a chiffré le nombre de stages pour les jeunes ?
F. Bayrou : Soyons raisonnables. Disons que l’expérience serait un succès si quelques dizaines de milliers d’expériences professionnelles étaient offertes à la rentrée.
J.-P. Elkabbach : Vous considérez qu’il s’agit là d’un début ?
F. Bayrou : D’un début parce que dans mon esprit, la plupart des étudiants – l’immense majorité en tout cas – tous ceux qui le souhaiteront puisque cela demeure volontaire, devront à terme bénéficier de ces expériences dans la préparation d’un diplôme de deuxième cycle c’est-à-dire Bac + 3 ou Bac + 4.
J.-P. Elkabbach : Le candidat Chirac avait promis un statut de l’étudiant. Vous créez une allocation sociale étudiante. Est-ce la réponse ?
F. Bayrou : C’est la réponse et pas seulement celle-là. Il y a beaucoup d’autres réponses qui touchent au genre de vie de l’étudiant à l’université, aux droits des étudiants, à leur expression. Songez par exemple, qu’à partir de la rentrée, les étudiants vont pouvoir participer à l’évaluation des enseignements c’est-à-dire pouvoir s’exprimer sur l’organisation de leurs cours, la manière dont ils reçoivent les formations. Tout cela fait partie du statut de l’étudiant et bien entendu, l’aide sociale pour laquelle, j’espère, que nous aurons bien avancé à la fin de ce mois.
J.-P. Elkabbach : C’est-à-dire ?
F. Bayrou : Chaque année, les étudiants recevront sous forme mensuelle, en commençant par ceux qui entrent à l’université cette année, ce qui autrefois était un maquis un tout petit peu confus d’aides diverses, de bourses dans lesquelles on ne se retrouvait pas et qui était profondément injuste puisque les étudiants les plus riches étaient quelquefois aidés davantage que les plus pauvres.
J.-P. Elkabbach : C’est-à-dire que vous pensez y mettre plus d’équité ?
F. Bayrou : Plus de justice, oui et plus de transparence et de simplicité d’accès.
J.-P. Elkabbach : F. Hollande ironisait au Club de la Presse en affirmant que la réforme Bayrou se ferait sans vous parce que vous serez ministre d’autre chose et d’autre part parce que « c’est une réforme sans moyens, et d’abord du baratin.
F. Bayrou : Écoutez, je comprends très bien. Les socialistes ont échoué à faire des réformes de l’université et je comprends très bien qu’ils ne soient pas très heureux de voir une réforme qui marche. Ils auraient été bien heureux de la faire, eux, alors je ne veux pas être trop cruel avec ce type de déclaration.
J.-P. Elkabbach : Est-ce que vous pensez qu’elle va marcher ?
F. Bayrou : Écoutez, est-ce que vous pouvez me citer dans l’histoire de l’université, une réforme qui était d’ampleur aussi importante et acceptée par tous ses acteurs ? Les Français savent ce qu’étaient les réformes de l’université avant. Ou bien elles étaient immédiatement retirées parce qu’il y avait des mouvements dans la rue ou bien elles n’étaient pas appliquées. Eh bien, pour une fois, on a une réforme de l’université qui marche. Je comprends que cela ne fasse pas plaisir au Parti socialiste.
J.-P. Elkabbach : Mais quand tout le monde est d’accord, est-ce que cela ne veut pas dire que la réforme de gêne personne ?
F. Bayrou : Ah, je ne crois pas ! Si vous aviez, comme moi, participé avec les acteurs de l’université à chacune de ces phases, vous auriez mesuré à quel point elle impose des changements importants et tous ont dit quels étaient les efforts qui allaient devoir être consentis par les universitaires et quelquefois par les étudiants pour que cette réforme entre en application. Elle est très importante et elle est acceptée.
J.-P. Elkabbach : Il y a eu deux ans de concertation avec tous les syndicats. Est-ce que cette méthode Bayrou, on peut l’appliquer à d’autres secteurs ?
F. Bayrou : J’ai souvent parlé avec A. Juppé de ce sujet. Je suis certain que cette méthode que je définis comme la participation, la participation des acteurs à leur propre sort autrement dit le fait que les gens refusent que les décisions soient prises en dehors d’eux, eh bien nous avons souvent dit ensemble avec A. Juppé en en parlant dans le privé, que ce serait le mode de gouvernement du XXIe siècle. Les citoyens ont changé. Ils n’acceptent plus que les choses tombent d’en haut. Alors il est vrai qu’il faut un jour décider et que la décision prise doit s’appliquer mais cela naturellement marche mieux lorsque tout le terrain est associé à son propre sort.
J.-P. Elkabbach : Vous ne voulez pas vous occuper de la grève des internes, de la manière de la terminer ?
F. Bayrou : Il me semble en tout cas que l’opinion a compris quelles étaient les principales disciplines en matière de Sécurité sociale.
J.-P. Elkabbach : Les académies sont inquiètes à cause des sectes et de leurs effets sur la non-scolarisation des enfants. Est-ce que le ministre peut proposer une loi pour astreindre les parents à envoyer leurs enfants à l’école ?
F. Bayrou : La loi date de 1882, c’est une des grandes lois de la IIIe République. Je voudrais dire que pour lutter contre l’esprit de secte qui est en train d’envahir, c’est vrai, la société française, à mon avis, il y a trois grands axes. Le premier de ces axes, c’est la scolarisation. C’est la vérification que la scolarisation se fait. Deuxième axe : c’est le suivi de la santé, des vaccinations par exemple. Et le troisième axe : c’est la surveillance fiscale, vérifier que les ressources soient des ressources transparentes et qu’elles ne proviennent pas de fonds qui échappent à la vigilance nécessaire. Et si l’on applique ces trois orientations, je suis certain qu’on aura une surveillance, une vigilance à l’égard des sectes qui sera plus efficace.
J.-P. Elkabbach : Mais cette surveillance est nécessaire ?
F. Bayrou : Elle est indispensable. Je vois, je mesure, y compris sur le terrain, la manipulation des sectes.
J.-P. Elkabbach : On a noté d’une manière ostensible que MM. Chirac et Juppé se sont parlé une heure hier en fin d’après-midi, comme s’ils ne se parlaient pas régulièrement. Alors, on se demande ce que cela veut dire. Est-ce que vous souhaitez, vous président de Force démocratique, qu’il y ait un remaniement ?
F. Bayrou : Il y aura un remaniement le jour où le Président de la République et le Premier ministre prendront les décisions qui leur paraissent nécessaires sur ce sujet.
J.-P. Elkabbach : F. Léotard va fêter son premier anniversaire à la tête de l’UDF qu’il conduira jusqu’aux législatives. Vous pensez qu’il se débrouille bien là où il est ?
F. Bayrou : Je pense que c’est une bonne équipe. Je pense que F. Léotard et moi puisque nous avons ensemble décidé quel serait notre projet, nous avons, point par point, accompli chacune des étapes de ce projet que nous nous étions fixées. Et c’est pour moi très heureux que l’UDF, qui est le deuxième pilier de la majorité se porte bien.
J.-P. Elkabbach : Vous le voyez ministre s’il y avait un remaniement ?
F. Bayrou : Je pense qu’il a déjà exercé cette responsabilité et il est nécessaire qu’il l’exerce rapidement de nouveau.