Interviews de M. François Bayrou, président de Force démocrate et président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, dans "Le Figaro" du 1er décembre 1997, sur sa proposition d'un référendum sur la réforme du code de la nationalité, les relations de la droite et du Front national, le cumul des mandats et la cohabitation.

Prononcé le 1er décembre 1997

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Le Figaro : Tout au long du débat sur la nationalité, droite et gauche se sont accusées mutuellement de complaisance envers le Front national. Pour mieux cacher leurs divisions internes ?

François Bayrou : Je vais vous dire le fond de ma pensée : il y en a assez de ramener le Front national comme un leitmotiv de tous nos débats. Il y a un vrai débat sur la nationalité, à la fois symbolique et pratique : pour entrer dans la nationalité française, faut-il en faire la demande solennelle, ou faut-il une attribution automatique si l’on est né en France ?

Au centre de la question, il y a l’idée que l’on se fait de la France, la fierté d’être français, pour ceux qui le sont autant que pour ceux qui veulent le devenir. Est-ce affaire d’extrémisme ? Non. C’est une affaire de raison et de bon sens. Et si le gouvernement ramène toujours l’extrême droite dans le jeu, c’est qu’il n’a pas d’autre argument pour se défendre.

Le Figaro : Donnez-vous tort à Nicole Catala et Robert Pandraud, qui ont choisi de s’abstenir plutôt que de voter contre l’amendement présenté par le seul député FN, Jean-Marie Le Chevallier, qui supprimait le droit du sol ?

François Bayrou : Je redoute depuis le début qu’à force de remettre le bon sens en question, on ne favorise des positions extrêmes. C’est pourquoi la responsabilité du gouvernement est grande. La loi Méhaignerie de 1993 marchait bien.

On la change. Cela relance inévitablement des débats qu’on croyait oubliés. Pour ma part, je crois que la France ne serait pas la France si elle rompait avec sa tradition d’accueil de populations nouvelles, à condition qu’elles acceptent de s’intégrer à nos modes de vie et à nos valeurs, occidentales et républicaines. La manifestation de volonté, c’est un signe de cette intégration. La France est généreuse, mais elle n’est pas un moulin ouvert à tous les vents.

Le Figaro : Aujourd’hui interviendra le vote solennel sur le projet de loi sur la nationalité. En quelques mots, quels sont les principaux reproches que vous continuez à lui adresser ?

François Bayrou : Un débat à la sauvette, sous la pression de la déclaration d’urgence, pour traiter de la nationalité, c’est sans précédent. Car, s’il y a un sujet qui appartient à la nation, c’est l’attribution de la nationalité. Récuser la manifestation de volonté pour devenir français, réintroduire l’automaticité d’attribution de la nationalité, c’est donner l’impression que la nationalité française, ce n’est pas quelque chose qui a du prix, ce n’est pas le résultat d’une adhésion, c’est simplement un papier. Cela est une faute.

Le Figaro : Vous avez relancé l’idée d’un référendum pour permettre aux Français de donner leur avis sur l’acquisition de la nationalité. Je ne pensais pas que vous étiez aussi chaud partisan du référendum. Ministre, vous vous étiez opposé à Jacques Chirac qui en souhaitait un sur l’éducation...

François Bayrou : Cela n’a rien à voir. Sur l’éducation, quelle question voulez-vous poser ? Une réforme de l’Éducation, ce sont des centaines de dispositions petites ou grandes. Par exemple, à elle seule, la réforme de l’université que j’ai préparée et qui a été adoptée à l’unanimité comporte plus de cent décisions différentes. Comment voulez-vous répondre par oui ou par non ? Là, c’est tout différent. Il n’y a qu’une seule question, automaticité ou adhésion volontaire : le peuple français peut répondre par oui ou par non.

Le Figaro : Pour vous conforter, vous avez demandé à l’Ifop de réaliser un sondage sur l’acquisition de la nationalité. Quels enseignements tirez-vous de cette étude ?

François Bayrou : J’étais stupéfait que l’on ne fasse aucune enquête sur le sujet. Les seuls à qui leur avis n’était pas demandé sur leur nationalité, c’était les Français. Le groupe UDF leur a permis d’intervenir dans le débat. À une majorité de 75 %, ils veulent conserver la manifestation d’adhésion. Et dans les mêmes proportions, ils voudraient le dire par référendum. Et cette position est majoritaire dans tous les électorats, à droite comme à gauche. Va-t-on enfin les écouter ?

Le Figaro : Pourquoi ce consensus n’a-t-il pu être trouvé à l’Assemblée ?

François Bayrou : Parce que le bon sens républicain est la chose au monde la moins bien partagée.

Le Figaro : Lionel Jospin, samedi devant le Crif, a une nouvelle fois mis en garde l’opposition contre toute « alliance perverse » avec le FN...

François Bayrou : Je ne reçois pas de leçons de morale de M. Jospin sur ce sujet. La majorité de M. Jospin, c’est le fruit douteux des triangulaires imposées par M. Le Pen. Quant à moi, j’étais sur la liste noire de Le Pen, Jospin n’y était pas. Je n’accepte pas l’idée d’accords avec le Front national. Et, je constate que, chaque fois que la gauche est au pouvoir, elle n’a rien de plus pressé que de souffler sur les braises pour faire flamber le racisme. C’est un jeu dangereux et cynique, alors qu’on nous épargne, au moins, le discours sur la vertu !

Le Figaro : Étant donné l’état de l’opposition qui peine à surmonter son échec législatif et à bâtir un nouveau projet, pensez-vous qu’elle puisse être le meilleur rempart contre le FN ?

François Bayrou : Cette rhétorique commence à me fatiguer. Le Front national progresse chaque fois que les gouvernants ignorent le sentiment populaire. Ceux qui expriment ce sentiment avec mesure et volonté sont les seuls qui puissent rendre aux Français un véritable espoir, seul antidote à l’extrémisme.

Le Figaro : Jean-Marie Le Pen a été empêché de fleurir la nécropole nationale de Morette (Haute-Savoie) commémorant la Résistance ? Approuvez-vous la décision du préfet ?

François Bayrou : Le préfet défend l’ordre public, c’est sa mission et il l’a remplie en conscience. Car, faire fleurir le plateau des Glières où des centaines d’hommes ont donné leur vie contre le nazisme par quelqu’un qui proclame qu’il croit à l’inégalité des races, que peut-on trouver de plus provocateur, de plus choquant ?

Le Figaro : Gauche et droite ne parviennent pas à se mettre d’accord sur le cumul des mandats. Faudrait-il un référendum pour permettre cette modernisation de la vie politique que tous, officiellement, appellent de leurs vœux ?

François Bayrou : Je crois au contraire que l’on peut se mettre d’accord. Si les parlementaires votent selon leur conviction et leur expérience, il existe une majorité pour dire qu’il faut limiter le cumul à deux mandats, sans échappatoire. Cela permettra aux parlementaires d’être maires ou responsables d’exécutif, pour garantir leur enracinement et leur expérience de la réalité.

Le Figaro : N’enviez-vous pas le Parti socialiste d’avoir réussi sa rénovation ? Combien de temps faudra-t-il à la droite pour mener à bien la sienne ?

François Bayrou : Il a fallu deux ans au PS, de 1993 à 1995. Je crois qu’il nous faudra un peu moins de temps. Mais quand vous plantez un arbre, rien n’est plus nuisible que de l’arracher tous les jours pour vérifier si ses racines poussent... Parlons-en moins et travaillons davantage.

Le Figaro : Ici ou là, on vous reproche vos silences face à votre successeur à l’Éducation nationale, Claude Allègre. Parce qu’au fond de vous-même, vous appréciez son franc-parler et sa manière de bousculer cette maison ?

François Bayrou : Un ministre sortant n’a pas à démolir systématiquement son successeur. C’est pourquoi je m’impose une réserve. Mais, à mon avis, M. Allègre s’est trompé sur toute la ligne et condamné à l’inefficacité. N’avoir comme discours que des cascades de promesses et le dénigrement systématique des enseignants, c’est une double démagogie : cela fait plaisir à ceux qui rêvent du père Noël, comme à ceux qui rêvent du père Fouettard. Mais, ce n’est pas responsable : au bout du compte, c’est l’Éducation nationale qui est fragilisée, les enseignants mis en accusation et toute réforme rendue impossible. On vérifiera bientôt que ce chemin est une impasse : rien ne changera ou bien le changement sera rejeté.

Le Figaro : Pensez-vous que la cohabitation a pris un tournant, que les relations entre le président de la République et le Premier ministre vont être de plus en plus tendues ?

François Bayrou : La cohabitation est par nature un mauvais système : au lieu de travailler dans le même sens, les deux pouvoirs exécutifs sont en embuscade l’un contre l’autre. Sera-t-elle de plus en plus tendue ? Pas pendant la durée de l’état de grâce, ou de l’état d’illusions, comme on voudra. Mais, le jour où la réalité aura démenti les promesses, le président de la République devra montrer qu’il est là pour rappeler l’intérêt national.

Le Figaro : Vous avez été l’un des premiers à plaider pour la concomitance entre le mandat présidentiel et législatif. Comme remède à la cohabitation ?

François Bayrou : Il faut défendre la Ve République. Nos institutions reposent sur trois idées : le poids du président de la République en charge de l’essentiel, à la fois arbitre et inspirateur ; l’existence d’un gouvernement représentant une majorité capable d’agir et la possibilité pour le président de la République de faire appel au peuple en cas de conflit. Le grand vice, c’est la cohabitation. Elle nous fait renouer avec l’instabilité puisque la durée du mandat du président et celui de la majorité n’est pas le même. Elle met en cause la fonction présidentielle puisque la majorité et le gouvernement élus après le président revendiquent pour eux seuls la légitimité et le président passe dans l’ombre.

Le seul moyen d’en sortir si l’on veut défendre la Ve République, c’est d’organiser les élections législatives et présidentielle en même temps. La légitimité des deux pouvoirs sera alors égale. Il faut conserver le droit de dissolution pour que le président puisse faire appel au peuple dans les cas de crise extrême.

Mais cette dissolution sera rendue plus difficile puisqu’on saura que le mandat des députés s’arrête en même temps que le mandat du président. On rendra ainsi à la Ve République ce que le général de Gaulle avait voulu lui donner : l’équilibre des pouvoirs et le temps de la stabilité.