Texte intégral
Mme Chabot : Bonsoir.
La campagne continue sur France 2. Le débat, effectivement, entre Martine Aubry et François Bayrou. Avec Nicole Notat qui nous dira ce que la CFDT peut attendre de la campagne électorale. Comment elle va l’écouter ? Puis nous rejoindrons aussi un chef d’entreprise du Nord, Luc Doublet, qui fabrique tout le matériel de campagne que vous allez utiliser. C’est la raison pour laquelle il y a une urne à côté de lui. Les urnes transparentes qu’il fabrique, ainsi que les isoloirs, qui sont utilisés le jour des élections.
M. Duhamel : Bonsoir, Martine Aubry. Bonsoir, François Bayrou.
Mme Aubry : Bonsoir.
M. Bayrou : Bonsoir.
M. Duhamel : Depuis le début de la campagne, la majorité explique que, elle-même, est le modernisme et que la gauche, c’est l’archaïsme. Qu’est-ce qui lui permet de dire cela ?
M. Bayrou : Je trouve que c’est un langage électoral, mais que l’on peut se passer de ce langage électoral. En tout cas, ce n’est pas mon vocabulaire parce que, chaque fois qu’on simplifie les choses, il me semble qu’on fait le mauvais choix.
C’est votre premier débat de campagne électorale et je trouve que ce serait bien que nous essayions de sortir de ce qui est l’impasse habituelle, soit langue de bois, soit combat de chiffonniers. Et donc, si on peut, et, pour ma part, je souhaiterais qu’on essaie de moins simplifier les choses que de les expliquer.
M. Duhamel : Donc, la gauche n’est pas archaïque ?
M. Bayrou : Non, la gauche traduit une aspiration et je crois que les moyens qu’elle se donne ou que les moyens qu’elle propose de donner à la France, pour cette aspiration, sont de très mauvais moyens. Je vais dire en une seule phrase pourquoi. Il ne me paraît pas possible que la France relève les défis du XXIe siècle en ayant une alliance Parti communiste-Parti socialiste qui est en désaccord profond sur un très grand sujet au moins, qui est le sujet de la construction européenne sur laquelle nous reviendrons, j’imagine…
M. Duhamel : … Tout à l’heure, oui.
M. Bayrou : Et il n’est pas possible que le principal parti de cette alliance se retrouve prisonnier du Parti communiste.
Mme Chabot : Martine Aubry.
Mme Aubry : Que dire sur ces problèmes de modernité ? Moi, je crois que, ce que sentent profondément les Français, c’est que notre pays marche sur la tête, que cette société ne fonctionne plus. Qui aurait pensé à la fin du XXe siècle que 2 millions de Français vivent dans des logements insalubres ou dans la rue ? Qu’aujourd’hui des enfants ne peuvent plus aller à la cantine parce que leurs parents ne peuvent pas la payer ? Qu’un Français sur cinq dise renoncer aux soins parce qu’ils ne peuvent pas les payer ? Qui aurait cru que, quand on licencie, les actions montent en Bourse ? Que les jeunes aujourd’hui ont l’impression que la société n’est pas faite pour eux ? Donc, la vraie question aujourd’hui, c’est bien cela : notre société ne fonctionne plus, elle marche sur la tête. Et ce qu’attendent de nous les Français, c’est qu’en fonction de nos valeurs, en fonction de ce que nous pensons comme étant bien pour le pays, nous soyons capables d’apporter des réponses nouvelles et un projet de société puisque cette société dans laquelle nous fonctionnons ne marche plus aujourd’hui, ne fonctionne plus.
Donc, pour moi, c’est cela la modernité, c’est de se dire : comment peut-on faire de la politique, d’abord comme l’attendent les Français, c’est-à-dire avec une morale sans faille et en disant très clairement – et, là, je rejoins ce qui vient d’être dit par François Bayrou – ce que nous allons faire. En le faisant de manière claire, nous ne sommes pas d’accord, opposons-nous, et en disant comment nous allons l’organiser et le financer.
Je crois que, aujourd’hui, nous avons un projet de société à présenter, qui n’est pas le projet de la société libérale qui s’appuie essentiellement sur les individus, que le meilleur gagne, mais qui est un projet fondé sur la solidarité, sur les valeurs profondes qui sont celles de l’Europe et de la France. Pour moi, c’est cela le modernisme. Je crois qu’il faut que nous en parlions parce que le modernisme, c’est aussi le débat démocratique, c’est aussi faire bouger ce pays et en parler ensemble.
M. Bayrou : Vous permettez, deux observations.
Je disais ne pas simplifier. J’ai déjà entendu, hier matin, Martine Aubry dire qu’il y avait 2 millions de personnes dans la rue. Alors, ce chiffre m’est tombé sur la tête…
Mme Aubry : … Non, pas dans la rue. J’ai dit « qui vivent dans des logements insalubres »…
M. Bayrou : … Vous avez dit : « dans la rue », hier.
Mme Aubry : Non, j’ai dit : « qui vivent dans des logements insalubres ou dans la rue ».
M. Bayrou : Alors, j’ai essayé de me procurer les études les plus approfondies. On considère qu’il y a 50 000 personnes – c’est beaucoup – qui se trouvent dans un état de précarité tel, qu’en effet, elles n’ont pas de logement. 50 000 par rapport à 2 millions…
Mme Aubry : Non, j’ai dit : « dans des logements insalubres », c’est-à-dire sans le minimum d’hygiène.
M. Bayrou : … si je compte bien, Martine Aubry, c’est 20 fois moins.
Mme Aubry : Oui, ce sont les statistiques du ministre du Logement.
M. Bayrou : 20 fois moins ! Je crois que c’est très important que nous puissions préciser les choses, parce qu’autrement, nous partons dans des caricatures.
Deuxièmement, vous dites : « idéal, générosité, chaleur humaine », je suis – vous savez que je suis et je sais que vous êtes – pour ces idéaux-là. Je veux simplement dire ceci, que Nicole Notat dit très bien dans son dernier livre, alors je la cite à peu près, elle dit : « On ne peut pas faire de la générosité en ignorant le réel »…
Mme Aubry : … Absolument !
M. Bayrou : Il faut partir du réel, et c’est à partir de ce moment-là que l’on est généreux. Moi, je me reconnais dans cette formule. Ce n’est pas que l’on fasse comme ça des enjambements, mais je me reconnais dans cette formule. Et je dis qu’on ne peut pas, aujourd’hui, prétendre qu’il suffise d’utiliser la vieille baguette magique de 1981…
Mme Aubry : C’est quoi la vieille baguette magique ?
M. Bayrou : … pour que les choses changent. Eh bien, je vais en prendre quelques exemples, si vous le voulez bien.
M. Duhamel : Un ou deux.
M. Bayrou : Par exemple, décréter qu’on créera 700 000 emplois de jeunes la première année, sans avoir de quoi les financer ou alors avec un financement, on en parlera, qui peut être sujet à caution. Soit expliquer qu’on va interrompre la privatisation de France Télécom, parce que France Télécom est lancée dans une bataille mondiale que vous ne pourrez pas éviter, que nous ne pourrons pas éviter, que personne ne pourra éviter et qui, je crois, est une chance. J’en donne un seul exemple : cette année, les communications téléphoniques baisseront de 9 %. Je crois que c’est un bien pour les Français et prétendre qu’on va interrompre la privatisation de France Télécom, c’est une erreur. Quant à l’emploi, nous en reparlerons tout à l’heure.
Mme Chabot : Martine Aubry, sur ces deux points.
Mme Aubry : On ne va pas revenir sur les chiffres : 2 millions vivant dans un logement insalubre ou dans la rue, ce sont les statistiques officielles que je reprends et que tout le monde sait…
M. Bayrou : … je vous ai donné les chiffres précis.
Mme Aubry : Oui, oui. 50 000 dans la rue, je suis d’accord, mais 2 millions dans des logements insalubres.
M. Bayrou : Cela fait de 1 à 20.
Mme Aubry : Tout cela pour dire qu’il y a une priorité dans notre pays à trouver pour le logement, et notamment le logement social, pour que chacun ait un toit et puisse vivre convenablement. Cela doit être un objectif d’une société « moderne », c’est le moins qu’on puisse demander, que chacun ait une adresse et y vive bien en famille.
Mme Chabot : Les 700 000 emplois ?
Mme Aubry : Ne prenons pas les aspects les uns après les autres, si vous voulez bien, nous restons sur cette idée de modèle…
M. Bayrou : … vous permettez, sur le logement social, un chiffre. L’année où vous avez quitté le pouvoir, vous avez distribué 30 000 encouragements au logement social. Cette année, le prêt à taux zéro, 120 000. 30 000 - 120 000…
Mme Aubry : … on ne va pas parler de technique qui n’intéresse pas énormément. 20 % de budget au niveau du logement, cette année.
Mme Chabot : Martine Aubry, concret sur les propositions – c’est vrai que François Bayrou a donné un chiffre – du Parti socialiste.
Mme Aubry : Il y a deux choses aujourd’hui dans notre pays : il y a des problèmes à court terme, il faut relancer la consommation pour relancer la croissance. Chacun sait, et les entreprises le disent elles-mêmes qu’aujourd’hui elles sont compétitives grâce aux efforts formidables de modernisation qu’elles ont faits et la lutte contre l’inflation. Elles ont de l’argent, elles n’ont pas de clients et de consommateurs…
M. Duhamel : Alors, on fait comment ?
Mme Aubry : Il faut le relancer.
M. Duhamel : Comment ?
Mme Aubry : Pour cela, il faut : 1) c’est la grande réforme fiscale, réduire les charges sociales sur les salaires, et 2) augmenter les salaires qui ont baissé de 10 % dans la richesse nationale en 10 ans, partout où c’est possible, par la négociation sur le terrain.
Deuxièmement, nous sommes, par rapport à des problèmes plus graves. Notre société a très bien fonctionné pendant ces trente années glorieuses, avant la crise, en répondant à la demande de biens durables : électroménager, audiovisuel, automobile, etc. et de biens individuels. Aujourd’hui, nos besoins, ce sont d’abord des besoins collectifs : comment faire garder les personnes âgées ? Comment accompagner les enfants après l’école ? Comment garder un environnement, une qualité de vie qui soit bien ? Comment donner l’accès à la culture à tous ?
Pour cela, que faut-il faire ? Il faut utiliser les richesses de notre pays qui sont grandes et essayer de les guider vers le financement de ces besoins, pas des financements vers l’État, car il y a des entreprises qui peuvent se créer dans ce domaine, il y a des associations. Pour cela, il faut deux choses :
- une grande réforme fiscale qui permet de rétablir l’équilibre de la fiscalité entre l’épargne et les salariés, et nous mettre tout simplement au niveau européen ;
- abaisser le coût du travail dans notre pays pour que ces emplois puissent s’organiser.
Voilà le nouveau modèle de développement qu’il faut faire. Et une des conséquences sera, effectivement, 350 000 emplois dans le domaine parapublic, c’est-à-dire les associations qui aident à l’installation des personnes âgées, c’est-à-dire le budget du logement, c’est-à-dire un renforcement en matière d’éducation – on en parlera peut-être puisqu’on a fermé beaucoup de classes cette année – et des services aux personnes qui s’engagent.
Mme Chabot : Nous aimerions qu’il y ait une sorte d’échange entre vous et pas une suite de monologue.
M. Bayrou : Je suis un peu immergé dans le nombre d’idées que Martine Aubry a énumérées. Je vais en prendre deux parce qu’elles sont au cœur des questions.
Première de ces idées : la baisse des charges sociales. Moi, je considère que c’est un enjeu majeur. Nous avons, avec le gouvernement, réussi à baisser sur le Smic, en peu de temps, les charges sociales de 13 %. C’est beaucoup ! C’est un fait, c’est beaucoup. Et cela a créé d’ailleurs de l’emploi.
La première mesure que le Parti socialiste propose, c’est de supprimer les exonérations de charges sur les bas salaires, celles qu’on a faites dans le textile, par exemple, pour financer un certain nombre d’autres mesures. C’est une incohérence, c’est une contradiction et c’est un piège mortel.
Mme Aubry : Je peux répondre là-dessus ?
M. Bayrou : J’aimerais aller au bout…
Mme Chabot : … C’est trop long, François Bayrou, après on ne suit plus.
M. Bayrou : Je voudrais prendre un exemple pour qu’on comprenne parce qu’on est dans l’abstrait.
Votre mère, Martine Aubry, est originaire d’un pays que j’aime, c’est la Soule…
Mme Aubry : … Absolument ! Nous sommes basques, pas béarnais, mais j’aime aussi les Béarnais.
M. Duhamel : L’exemple.
M. Bayrou : En Soule, il y a beaucoup d’industries textiles, d’usines extrêmement fragiles qui ont énormément souffert. On a réussi à sauver les emplois qu’on a pu sauver, quelques centaines d’emplois. On les a sauvés parce que le Gouvernement a pris une décision sans exemple, il a supprimé les charges sociales sur l’entreprise textile. Eh bien, je dis que mettre un terme à cette baisse, supprimer ces exonérations, c’est condamner d’entrée plusieurs centaines de milliers d’emplois. Et, moi, je dis que vous n’avez pas le droit de faire cela.
Mme Aubry : Je crois que vous n’avez pas bien lu notre programme. Ce que nous avons prévu, c’est effectivement d’éviter, parce qu’on sait que cela ne marche pas, d’avoir des tas d’exonérations de charges sociales dans tous les domaines, mais de prendre une mesure lourde et qui s’appliquera notamment à ces entreprises textiles, des cuirs et peaux et des chaussures, qui est de transférer les 4 %, actuellement, qui sont payés en charges sociales, assurances maladie, par les salariés, en CSG. Ce qui veut dire que c’est une mesure moins éparse, moins émiettée que celles qui ont été prises, et qui permet un effet beaucoup plus global, à la fois pour redonner des marges de manœuvre aux salariés et aux revenus des salariés et, deuxièmement, pour abaisser le coût du travail.
M. Bayrou : Martine Aubry, pour aller au fond des questions, vous dites que je n’ai pas lu votre programme. Vous allez reconnaître ce document, c’est vendredi, l’hebdo des socialistes…
M. Duhamel : L’hebdomadaire des socialistes.
M. Bayrou : … je ne le reçois pas…
Mme Chabot : … Vous vous l’êtes procuré.
M. Bayrou : … alors, j’ai eu une photocopie.
Mme Aubry : Si vous voulez, on peut vous abonner.
M. Bayrou : Moi, je lis : « Les exonérations de cotisations sociales seront supprimées et les crédits correspondant recyclés en faveur des jeunes et des emplois de services aux personnes »…
Mme Aubry : Si vous tourniez deux pages avant…
M. Bayrou : … c’est décembre 1996.
Mme Aubry : Oui, mais tournez deux pages avant.
M. Bayrou : Il y a quatre mois.
Mme Aubry : C’est exactement ce que je viens de dire : on supprime toute l’exonération éparse…
M. Duhamel : … l’un après l’autre.
Mme Aubry : Soyons clairs. On a dit : « on supprime toutes les exonérations diverses et variées pour prendre une mesure globale ». Tournez la page, vous la trouverez.
M. Bayrou : Pourquoi les supprimez-vous ?
Mme Aubry : Parce qu’aujourd’hui, on sait très bien que cela ne marche pas…
M. Bayrou : … donc, vous allez remettre des charges sociales dans le textile ?
Mme Aubry : Non, pas du tout !
M. Bayrou : Pas du tout ! Alors, quelle est la différence ?
Mme Aubry : La différence, c’est que, là, aujourd’hui, vous avez des tas de mesures éparses qui font qu’on est exonéré de charges sociales quand on embauche untel, dans tel secteur ou dans tel autre. Nous, nous souhaitons qu’une bonne fois pour toutes dans ce pays, les salaires paient moins de cotisations sociales et que les revenus du capital en paient plus. C’est-à-dire un transfert global, beaucoup plus massif que ce qui n’est le cas aujourd’hui de la cotisation salariée de l’assurance maladie vers la CSG. Donc, moins de charges sur les salariés et, pour les salariés eux-mêmes, un pouvoir d’achat conforté.
Mme Chabot : François Bayrou, un mot, parce que j’aimerais qu’on écoute Nicole Notat qui vous écoute aussi.
M. Bayrou : Pour pousser cette idée, cela veut dire que vous êtes partisans d’un accroissement de la CSG sur les retraites ?
Mme Aubry : Sur les retraités qui paient la CSG, c’est-à-dire sur 45 % des retraités, ceux qui paient un impôt sur le revenu. 55 % des retraités ne paieront pas la CSG en plus puisqu’ils ne paient pas la CSG.
M. Bayrou : Donc, vous allez supprimer les exonérations de charges qui existent…
Mme Aubry : … qui sont modestes et par secteurs et par catégories, pour une mesure globale.
M. Bayrou : Enfin, qui sont modestes… le textile, je vous explique pour la Soule. Pour le Smic, nous sommes arrivés à 13 %…
Mme Aubry : Je crois que Nicole Notat, ces mesures ne marchent pas. C’est ce qu’elle dit dans son livre que j’ai lu aussi.
M. Bayrou : Comment ça ne marche pas ? Je vous le garantis : il n’y aurait plus un seul emploi textile dans le département des Pyrénées-Atlantiques…
Mme Aubry : … je suis ravie qu’on l’ait fait pour le textile, mais qu’on le fasse de manière beaucoup plus globale…
M. Bayrou : Eh bien, élargissons-le !
Mme Aubry : … et qu’on ouvre la voie à la négociation pour que, dans les entreprises, les exonérations de charges aient pour contrepartie de vraies créations d’emplois.
M. Bayrou : Au lieu de nous combattre, si nous disions ensemble – ce serait un progrès très important pour la France –, si nous arrivions à dire ensemble qu’il n’y a pas cette contradiction que l’on dépeint habituellement entre les programmes et que nous sommes d’accord pour baisser les charges sociales de manière continue sur l’emploi, sur le travail, en particulier le travail qui n’est pas qualifié, il me semble qu’on aurait fait un très grand pas. Et c’est ce que le gouvernement fait.
Mme Aubry : Juste une phrase.
M. Duhamel : Une phrase, puis Nicole Notat.
Mme Aubry : Disons les choses jusqu’au bout : nous sommes d’accord pour dire qu’il faut baisser globalement le coût des charges sociales sur les salaires pour redonner une marge de manœuvre aux salariés, pour qu’ils puissent consommer, et pour que le coût du travail soit moins élevé et qu’on crée des emplois. Mais que fait-on derrière ? Il faut que vous nous le disiez. Ou bien c’est d’autres paient, ou bien on réduit les dépenses publiques, comme vous l’avez fait, c’est-à-dire qu’on baisse le budget de l’Éducation nationale et on supprime 5 000 emplois dans l’enseignement. On baisse le niveau du logement…
M. Duhamel : … François Bayrou, on ne pourra pas parler de l’Europe.
Mme Aubry : Expliquez comment vous financez si vous êtes d’accord avec notre mesure ?
M. Bayrou : Non seulement j’explique, mais nous faisons.
Mme Aubry : Modestement et partiellement.
M. Bayrou : Ce dont je parle, la baisse de 13 % du niveau des cotisations sociales sur l’emploi au niveau du Smic, la suppression dans le textile…
Mme Aubry : Oui, mais au niveau de 1,4 % du Smic, il n’y a rien.
M. Bayrou : … l’extension qui vient sur l’ensemble du travail manuel, puisque nous nous sommes engagés devant la Commission européenne à le faire, tout cela, nous l’avons financé, et nous l’avons financé de surcroît, en remplissant les engagements qui étaient les nôtres.
Mme Aubry : Vous l’avez financé en baissant le budget de l’Éducation…
M. Bayrou : … non.
Mme Aubry : Vous êtes bien placé pour le savoir.
M. Duhamel : Nicole Notat, maintenant.
M. Bayrou : Comment, Martine Aubry, peut-elle dire…
Mme Chabot : … Je vous en prie, arrêtez ! Nous n’aurons pas le temps de parler du reste. En plus, c’est un débat très technique. Au bout d’un moment, c’est vrai qu’on s’y perd et je pense qu’il faut revenir à l’essentiel.
Mme Aubry : Oui, il vaut mieux être plus global.
M. Bayrou : Le budget de l’Éducation nationale est celui qui a augmenté le plus cette année.
M. Duhamel : Nicole Notat doit intervenir, ensuite on parle de l’Europe.
Mme Chabot : Nicole Notat, vous avez été très sagement à l’écoute de ce débat Qu’attendez-vous du débat, plus largement, des législatives ? Et quelle peut être la démarche ou l’intervention de la CFDT ?
Mme Notat : Le sujet qui vient d’être évoqué tombe à pic. J’ai cru entendre, dans le débat entre Martine Aubry et François Bayrou, que, finalement, ils étaient tous les deux d’accord pour baisser les charges, au moins sur les bas salaires. Je crois que c’est effectivement quelque chose qui peut être positif, mais la question que j’ai à leur poser à tous les deux, parce que je ne vois pas véritablement de différence dans leurs propositions, c’est : comment peuvent-ils croire, parce que nous avons, aujourd’hui, fait l’expérience d’une réduction des charges dans un certain nombre de secteurs, qu’automatiquement et quasi magiquement, la réduction des charges dans les entreprises va provoquer l’emploi ?
L’expérience qu’on a, et je dois même dire que certains chefs d’entreprise que je ne vais pas nommer, qui n’osent pas le dire en public, mais qui le disent en privé, disent : « C’est très bien de me baisser les charges mais, moi, je ne vais pas créer un emploi ». Certaines autres entreprises de main-d’œuvre vont effectivement, sans doute, avoir un effet positif sur l’emploi.
Donc, moi, la question que je pose, c’est qu’il y a une bonne manière et une mauvaise manière de baisser les charges. Il y a une bonne manière qui est celle qui garantit que, en baissant les charges, on ne donne pas un chèque en blanc aux employeurs – moi, je me méfie toujours de ce que font les employeurs quand on ne leur demande pas quelques garanties derrière –, puis, il y a une mauvaise manière qui est de baisser les charges et de compter qu’ils vont magiquement, qu’ils vont, en bons employeurs qu’ils sont, automatiquement répercuter cette baisse des charges sur l’emploi.
C’est la baisse des charges avec la loi de Robien, par exemple, cela est une bonne baisse des charges, l’emploi au bout, ou c’est la baisse des charges sans la loi de Robien et, moi, je suis sceptique !
M. Duhamel : Martine Aubry.
Mme Chabot : D’un mot chacun pour qu’on puisse avancer.
Mme Aubry : Ce que dit Nicole Notat s’étend au-delà de la baisse des charges sociales. Tout le problème est de savoir comment on fait bouger cette société ? Le fait-on par la loi, par une grande mesure, en espérant que cela donnera des effets ? – et, là, on a bien vu que cela ne marchait pas – ou bien s’appuie-t-on sur le contrat et la négociation ? Moi, je crois qu’à chaque fois qu’il y a un avantage qui est accordé, il faut laisser les partenaires sociaux, effectivement, en mesurer les contreparties et véritablement négocier.
C’est cela aussi être moderne en politique, ce n’est pas croire que ce sont seulement des grandes mesures qui le permettront, mais que c’est bien la négociation, le contrat, les partenaires qui doivent mettre en mouvement cette société et faire bouger les choses pour l’emploi, évidemment principalement.
M. Bayrou : Je ne serai pas de ceux qui dénieront les vertus de la négociation, je la pratique tous les jours, et je crois avec fruit. Mais ce qui me frappe à l’intérieur du débat, c’est qu’en réalité on oppose, d’un côté, une promesse, un futur, des choses vagues – enfin, pardonnez-moi, je ne veux pas vous offenser…
Mme Aubry : Je suis prête à rentrer dans les détails pour dire comment on finance la baisse des charges sociales.
M. Bayrou : … vagues et floues et, de l’autre, quelque chose qui a été fait.
Ce que Nicole Notat vient de signaler comme étant bien, c’est-à-dire la baisse des charges et la loi de Robien, ce ne sont pas des promesses, nous l’avons fait.
Mme Aubry : François Bayrou, si vous l’aviez fait correctement, nous n’aurions pas 400 000 chômeurs en plus depuis 4 ans.
M. Bayrou : Je ne dis pas que tout est parfait…
Mme Aubry : Bon !
M. Bayrou : … et nous parlerons des chiffres des chômeurs si cela vous intéresse.
Mme Aubry : Je crois que cela intéresse surtout les Français.
M. Bayrou : Je dis en tout cas : ce qui est opposé ici, c’est, d’un côté, des promesses – on a vu plusieurs fois que les promesses n’étaient pas toujours garantes de réalité – et, de l’autre…
Mme Aubry : Jusqu’à présent, les promesses qui n’ont pas été suivies d’effet, c’est la lutte contre la fracture sociale. C’est cela la vraie promesse qui n’a pas été tenue.
M. Bayrou : Attendez ! Vous voulez me laisser aller jusqu’au bout. D’un côté, ce qui est promis et, de l’autre, ce qui est fait.
M. Duhamel : On va reposer une question à Nicole Notat à laquelle vous pourrez répondre aussi.
M. Bayrou : La loi de Robien, elle est faite et c’est nous qui l’avons faite. Les baisses de charges, elles sont faites et c’est nous qui les avons faites. Elles ont sauvé beaucoup d’emplois.
Mme Aubry : Vous les avez faites de telle manière que cela n’a pas apporté le résultat en ce qui concerne les charges sociales.
M. Duhamel : Question à Nicole Notat : Mme Notat, qu’est-ce que, selon vous, on peut vraiment attendre, en termes de réduction du chômage, de la réduction de la durée du travail ? Que peut-on vraiment en attendre ?
Mme Notat : On a maintenant fait la démonstration – puisque deux rapports viennent d’être faits sur l’évaluation de la préservation et de la création de l’emploi pour la loi de Robien – que cette loi peut créer de l’emploi. Elle peut créer de l’emploi, elle peut permettre aux entreprises de se moderniser et de s’adapter. Elle ouvre le dialogue social et une dynamique sociale. Donc, maintenant, cette démonstration est faite.
J’ai deux questions à poser – mais, si c’est possible, j’aimerais bien qu’on puisse aussi répondre à mes questions – : François Bayrou se targue, bien évidemment il a raison, que la loi de Robien a été votée par son gouvernement et Martine Aubry semble dire qu’elle n’est pas parfaite. J’ai une question à chacun.
Côté François Bayrou : M. Bayrou, de temps en temps, j’entends dans la majorité – vous êtes ici pour la représenter toute entière – parfois des voix qui s’élèvent et j’ai l’impression que certains se demandent si, finalement, ils ont fait une si bonne action que cela en votant la loi de Robien ? Comme s’ils n’en étaient plus si sûrs selon les vieilles cultures de la majorité que vous représentez.
M. Duhamel : Et la question à Martine Aubry.
Mme Notat : Et la question à Martine Aubry est que j’entends à gauche, je ne dis pas toujours dans sa bouche à elle, mais j’entends à gauche que, finalement, on pourrait abroger cette loi, qu’on pourrait en faire une autre, mais dont je crains, personnellement – et je peux lui dire qu’il y a des inquiétudes dans les rangs de la CFDT, dans les rangs des salariés –, qu’on fasse une autre forme de réduction de la durée du travail, mais qui casse cette dynamique pour l’emploi.
À l’un et à l’autre, est-ce que, finalement, vous allez oser ou prendre le risque de casser une affaire qui marche ?
M. Duhamel : Martine Aubry.
Mme Aubry : Première chose, la réduction de la durée du travail fait partie de ce projet de société dont on parlait. Non seulement parce que la réduction du temps de travail, c’est répartir le travail, mais c’est parce que nos concitoyens ont besoin de temps, de temps pour vivre en famille, du temps pour recréer du lien social, du temps pour avoir accès aux loisirs, à la culture, et cela fait partie du projet de gauche.
Moi, je l’ai dit et je le redis : « La loi de Robien a eu le mérite de remettre la durée du travail sur la table et de pouvoir engager des négociations ». Je regrette de m’être battue, pas suffisamment, sans doute en tout cas, pas bien, pour qu’on ait une grande loi sur la durée du travail quand j’étais ministre. Mais, nous, ce que nous souhaitons, c’est aller beaucoup plus loin que la loi de Robien, c’est-à-dire faire en sorte qu’il y ait un vaste mouvement, et non pas 200 entreprises comme c’est le cas aujourd’hui – tant mieux ! C’est mieux que rien – qui réduise la durée du travail.
Deuxièmement, une loi-cadre qui lance la négociation partout en France pour que la durée du travail, avec ses compensations, gains de productivité, apport des salariés et apport de l’État dans les cas les plus difficiles, entraîne une grande négociation pour que les Français aient à la fois plus d’emplois à se partager et de meilleures conditions de vie.
Voilà ce que je pense là-dessus.
M. Duhamel : Cela était votre réponse à Nicole Notat. Maintenant, celle de François Bayrou. Ensuite, il faudra parler des problèmes européens…
Mme Aubry : très importants.
M. Duhamel : … car il nous restera moins d’un quart d’heure.
M. Bayrou : Très simple, en une phrase : moi, je représente la majorité qui a fait voter la loi de Robien et qui en est fière.
Mme Aubry : Une grande partie.
M. Bayrou : En tout cas, l’UDF et Force démocrate a fait voter la loi de Robien, et Gilles de Robien est le président du groupe UDF à l’Assemblée nationale.
Dans ma circonscription, on a une grande usine de moteurs d’hélicoptères qui s’appelle Turbomeca, on a sauvé plusieurs centaines d’emplois en face de crises profondes. À Turbomeca, nous sommes arrivés à zéro licenciement sec parce qu’on avait la loi de Robien. Je suis fier que nous ayons fait voter ce texte et, en tout cas, pour moi, je le défendrai.
Mme Aubry : Juste un petit mot tout de même pour dire que, si la loi de Robien a permis d’éviter des licenciements dans des entreprises en difficulté – je ne le nie pas –, elle a aussi fait financer par l’État des réductions de la durée du travail, c’est-à-dire une réorganisation du travail dans l’entreprise, pour des entreprises qui sont en pleine santé et qui auraient, de toute façon, créer des emplois. D’ailleurs, Gilles de Robien le reconnaît…
M. Bayrou : … Dans toute œuvre humaine, il y a des adaptations à trouver…
Mme Aubry : … Il y a eu des effets d’aubaine. Ce n’est pas à l’État, aux impôts et aux Français de payer la réorganisation du travail des entreprises qui vont bien. Donc, il faut la changer et la généraliser.
M. Bayrou : C’est très bien qu’on ait fait la loi de Robien. Elle a été extrêmement utile et il faut la défendre. S’il y a des adaptations à trouver, on les trouvera.
M. Duhamel : Autre témoignage.
Mme Chabot : Autre témoignage, mais Nicole Notat reste avec nous parce qu’elle pourra peut-être dire un mot sur l’Europe. Je vous propose donc de rejoindre Luc Doublet qui est derrière l’urne dans laquelle vous allez déposer votre bulletin de vote, le 25 mai et le 1er juin, ainsi que les drapeaux. Enfin, c’est un grand exportateur.
M. Doublet, vous êtes installé dans le Nord. Évidemment, nous allons parler de l’Europe. Vous, comme chef d’entreprise, comment voyez-vous ce débat des politiques sur l’Europe ?
M. Doublet : Je le vois comme une espèce de jeu dont les règles ne sont plus fixées. C’est-à-dire que c’est un peu comme le reste ; apparemment, pour l’instant, il n’y a plus de règles fixes. Et je crois que le monde économique qui attend, bien sûr, l’euro, parce que c’est, pour nous, très important pour pouvoir fluidifier les flux monétaires et de marchandises, n’aime pas l’incertitude. Donc, pour nous, il est très important que l’incertitude soit la moins incertaine possible.
Ce qui est important pour nous, c’est qu’effectivement, il n’y ait pas cette espèce de valse-hésitation. On ne sait pas très bien ! On fait un petit pas en avant, un petit pas en arrière. Finalement, ceux qui étaient pour ne sont plus tout à fait pour, et puis ceux qui étaient contre ne sont plus tout à fait contre non plus. Il serait bien qu’on ait une idée précise sur ce que les uns et les autres veulent sur l’euro et sur l’Europe.
M. Duhamel : On va essayer de vous répondre là-dessus.
François Bayrou.
M. Bayrou : Je viens d’écouter M. Doublet, il me semble qu’il y a là une grande justification de la dissolution. On pouvait avoir des avis différents, le mien était réservé, et puis Monsieur Doublet donne, là, une explication qui est extrêmement forte. Il dit : « On ne peut pas se permettre l’incertitude et la valse-hésitation ». Quand on est un chef d’entreprise, qu’on a besoin de prendre des décisions sur le long terme, les décisions d’investissement en particulier, il faut qu’on sache où on va. La France va avoir ce choix pour savoir où elle va et, ensuite, si son choix est celui que j’espère, 5 ans de stabilité devant elle pour que ce choix soit en effet le cadre de son action. Les engagements seront respectés et, à partir de ce moment-là, on pourra avancer.
M. Duhamel : Martine Aubry.
Mme Aubry : Je voudrais d’abord dire que l’entreprise Doublet est une des entreprises dont le Nord est fier. Ils ont, par exemple, fait tous les drapeaux pour Atlanta, et M. Doublet se bat, comme on aimerait bien que tous les chefs d’entreprise se battent sur les marchés étrangers, pour vendre les drapeaux et les isoloirs.
M. Duhamel : Sur le fond ?
Mme Aubry : Et je comprends qu’il s’inquiète de cela.
Je crois qu’une des vraies raisons des problèmes, aujourd’hui, dans notre pays, pourquoi les entreprises n’investissent pas, n’embauchent pas, etc. ? 1) parce qu’il y a peu de clients, parce qu’on a trop pris sur les salaires et 2) parce qu’il y a un climat d’incertitude par rapport à ce que fait le gouvernement, à ce qu’il ne fait pas, etc., donc, l’euro, c’est très important.
Qu’est-ce que l’euro ? et, moi, je voudrais dire très clairement notre position : comme le faisait Maastricht et dans l’esprit de Maastricht, qu’a dit Maastricht ? Il y a des indicateurs pour pouvoir faire la monnaie unique.
M. Bayrou : Vous êtes en train d’infléchir un peu ce que Lionel Jospin a dit à 7 sur 7.
Mme Aubry : Je n’ai pas encore commencé à le dire, alors, attendez !
M. Duhamel : Laissez Martine Aubry répondre.
M. Bayrou : J’écoute entre les lignes.
Mme Aubry : Vous répondrez ce que vous avez prévu de me répondre quand j’aurai dit ce que j’ai à dire.
M. Bayrou : Je vous répondrai tout autre chose.
M. Duhamel : Ne cherchez pas à deviner ce que Martine Aubry va dire.
Mme Aubry : Voilà ! absolument ! Il est formidable, avant même que je parle…
M. Bayrou : … C’est pour cela qu’on réussit.
M. Duhamel : Martine Aubry, il reste 10 minutes.
Mme Aubry : Je vais vite, mais c’est important. Le traité de Maastricht proposait plusieurs choses et, moi, je propose qu’on l’applique totalement.
La première est que ces critères soient appréciés en fonction de la conjoncture, en tendance. Et, moi, je regrette que le gouvernement ait perdu deux ans. On aurait pu négocier avec nos partenaires pour dire : « quand on a prévu en 1992, avec 4 % de croissance, d’avoir un taux de 3 %, ce n’est pas la même chose quand on est à 1 % de croissance en 1997 ». Il fallait négocier, c’était prévu dans le traité, je regrette qu’on ne l’ait pas fait.
La deuxième est que le traité de Maastricht propose – et, là, nous n’avons rien fait – qu’il y ait des politiques économiques communes, une grande initiative de croissance au niveau de l’Europe.
De quoi ont peur les Français vis-à-vis de l’Europe ? Que ce soit une Europe financière, monétaire, pour les spéculateurs, alors qu’il faut une Europe économique, de relance de la croissance, pour rendre confiance à nos entreprises et notamment aux PME, et qu’il faut une Europe sociale qui mette le modèle de croissance en son cœur.
Que disent les socialistes ?
1. D’abord, nous n’aurions pas fait la même politique économique que le gouvernement. Et si nous l’avions fait aujourd’hui, nous aurions, comme nos partenaires, un taux de croissance plus élevé, des entrées fiscales plus élevées et moins de déficits. Nous respecterions.
2. En tout état de cause, on aurait pu négocier la vision et les modifications du niveau de ces critères, vu la conjoncture, pas des principes, il ne faut pas les bouger.
Donc, moi, j’ai une question à poser à M. Bayrou. Dans le fond, la vraie question qui se pose aujourd’hui, parce que vous aviez dit : « c’est une des raisons de la dissolution », pourquoi ? Est-ce que le chef de l’État avait peur étant donné les perspectives économiques qui n’ont pas été rendues publiques ? Et, moi, je pense qu’une bonne façon de faire de la politique, c’est aussi de les rendre publiques. Est-ce que les perspectives économiques de la France sont si désastreuses que le président de la République s’est dit : « On est en train d’échouer, très vite, je dissous. J’ai une nouvelle équipe pour donner un tour de vis » ? Ou bien, au contraire, est-ce que tout va bien ? Pouvez-vous nous assurer qu’après l’élection, si la majorité gagne, il n’y aura pas de nouveau tour de vis ? Alors, disons-le clairement puisqu’il faut être transparents, comme vous le disiez tout à l’heure.
M. Bayrou : Je vais répondre clairement aux questions…
M. Duhamel : Vous êtes là pour ça.
M. Bayrou : … d’abord en vous disant, Martine Aubry, que si on ne vous avait pas dans ce numéro, il faudrait vous inventer. Parce que entendre un membre du gouvernement socialiste, d’avant 1993, plaider pour la croissance… quand vous avez quitté le pouvoir, l’année où vous avez quitté le pouvoir, c’est la seule année, depuis la guerre de 40, où la France était en récession, c’est-à-dire le contraire de la croissance, au lieu de gagner de la richesse, elle en perdait. La seule année où la croissance a été négative, c’est votre année.
Mme Aubry : Comme partout en Europe, d’accord ? Comme partout en Europe.
M. Bayrou : On était à moins 1,5…
Mme Aubry : … Répondez ! Parce que, là, on ne fait pas de la politique fiction. Comme partout en Europe.
M. Bayrou : Je cite un chiffre simple. On était à moins 1,5…
Mme Aubry : Moi, j’en cite un autre.
M. Bayrou : … on est à plus 2,5. On fait 4 points de mieux que vous en croissance.
Mme Aubry : M. Bayrou, ne prenons pas les Français pour des idiots ! On a eu une crise internationale. La France a fait moins mal que ses partenaires entre 1990 et 1993.
M. Duhamel : Si vous êtes d’accord, l’un et l’autre…
M. Bayrou : … non, non, parce que je n’ai pas répondu à la question.
M. Duhamel : Si vous êtes d’accord, l’un et l’autre, concentrez-vous plutôt sur ce que vous proposez maintenant plutôt que pour ce qui se passait en 1993.
Mme Aubry : Je suis d’accord.
M. Bayrou : Moi aussi, je suis d’accord, mais tout de même !
Mme Aubry : Alors, allez-y ! Mais ne dites pas des choses qui n’ont pas de sens.
M. Bayrou : On n’entend pas, sans prendre un grand bol d’air, un membre de votre ancien gouvernement plaider pour cette croissance. Je reconnais qu’il y avait des circonstances atténuantes, il y en a toujours, mais tout de même !
Mme Aubry : Nous étions tout de même au-dessus de nos partenaires. Aujourd’hui, nous sommes en-dessous de nos partenaires.
Mme Chabot : Aujourd’hui ?
M. Bayrou : Vous dites : « tour de vis ». Moi, j’ai apporté un document d’aujourd’hui, c’est le document de la Commission européenne, vous connaissez la Commission européenne ? Jacques Delors en a été le président.
Mme Aubry : Enfin : Il n’y est plus.
M. Bayrou : Il en a été le président.
Mme Aubry : Oui, d’accord ! Mais avançons, avançons.
M. Bayrou : J’ai fait grossir, pour qu’on les voit, les chiffres que la Commission européenne donne aujourd’hui. Et elle donne :
France : 3 % – Allemagne : 3 % – plus intéressant, Portugal : 3 % – et, l’an prochain, pour le Portugal, elle dit : 2,7 %.
Alors, je dis deux choses :
1. Nous y sommes arrivés. On avait dit : « 5, 4 et 3 », nous y sommes. Et donc, l’effort considérable que nous avons fait a porté ses fruits, c’est un document d’aujourd’hui et il n’est pas de nous.
2. Si le Portugal y est arrivé, la France peut y arriver. Et, moi, je ne crois pas que ces efforts d’assainissement…
Mme Aubry : Je crois aussi que nous pouvons y arriver sans difficulté.
M. Bayrou : … ne sont pas au-dessus des forces qui sont les nôtres.
Je voudrais ajouter un dernier point…
Mme Aubry : … François Bayrou, vous pouvez faire toutes les démonstrations que vous voulez, jamais les Français comprendront…
M. Bayrou : Ce ne sont pas des démonstrations.
Mme Aubry : … que si, véritablement, cette équipe était en train de réussir, croyez-vous vraiment que le président de la République aurait dissous ? Lui-même a dit : « Je ne suis pas sûr que nous réussissions dans les critères »…
M. Bayrou : … Martine Aubry, pour vous faire plaisir, on fera de la politique politicienne – il faut bien en faire un peu – dans les trente dernières secondes.
Mme Aubry : Non, mais très franchement, c’est pour cela que les Français n’ont pas compris la dissolution.
M. Bayrou : Avant qu’on en revienne à la politique politicienne, je veux dire une seule chose, parce qu’il est juste et vrai de le dire, je ne le dis pas seulement comme militant européen, serais-je militant nationaliste que je dirais la même chose, parce que c’est la vérité simple : si nous n’avions pas ce projet de construire une monnaie européenne qui va rendre solidaire le continent, il faudrait faire des efforts plus importants encore. C’est-à-dire que la confiance que le monde est obligé de nous faire parce que nous allons nous doter, nous, Européens, d’une arme qui est l’équivalent de ce que le dollar est pour les Américains, il faudrait faire, si nous n’avions pas ce projet, des efforts considérables pour éviter que les taux d’intérêt ne s’envolent et que le monde…
Mme Chabot : … M. Doublet a posé une question extrêmement simple : est-ce que, oui ou non, l’euro se fera ? C’est la question simple que les Français se posent. L’un et l’autre, pouvez-vous répondre à cette question ?
M. Duhamel : Est-ce que vous le croyez ? Est-ce que vous le souhaitez ?
Mme Chabot : Oui ou non ?
Mme Aubry : Je pense que l’euro doit se faire et peut se faire dans l’esprit de Maastricht…
M. Duhamel : … et à la date prévue ?
Mme Aubry : Et à la date prévue, soit en négociant les critères, soit en faisant une autre politique économique qui nous y fait rentrer, sans aucun doute !
Deuxièmement, on ne fait pas l’Europe pour avoir une monnaie unique, même si elle est indispensable pour éviter qu’on se fasse concurrence entre nos monnaies…
M. Bayrou : Bien sûr !
Mme Aubry : … et pour que nous soyons plus forts.
M. Bayrou : Bien sûr qu’on ne fait pas l’Europe pour cela.
Mme Aubry : On fait l’Europe pour recréer des richesses…
M. Bayrou : Bien sûr !
Mme Aubry : … pour redonner des emplois, pour aménager le territoire…
M. Bayrou : L’euro, c’est un moyen, et rien d’autre !
Mme Aubry : … donc, mettez en place un gouvernement économique. C’est prévu dans Maastricht, vous ne l’avez pas fait…
M. Bayrou : Attendez !
Mme Aubry : … et créez un grand pacte de croissance avec nos partenaires. C’était prévu dans le traité, on n’en parle plus depuis deux ans, c’est tout de même dommage ! C’est cela que les Français veulent entendre…
M. Bayrou : … Martine Aubry, le gouvernement économique – et je prends les deux journalistes qui sont là à témoin – c’est une victoire du gouvernement français.
Mme Aubry : Oui, cela a été négocié par Pierre Bérégovoy. Article 103 du traité de Maastricht.
M. Bayrou : Nous avons obtenu le gouvernement économique – je prends ceux qui sont là à témoin…
M. Duhamel : … non, non, nous ne sommes pas témoins de moralité.
M. Bayrou : Ce n’est pas de moralité, c’est un fait.
Mme Aubry : Ils peuvent d’autant moins être témoins que ce n’est pas vrai.
M. Bayrou : Ah ! Si. Nous avons obtenu…
Mme Aubry : À Dublin, nous n’avons rien demandé et nous l’avons pas eu.
M. Bayrou : … le gouvernement économique que personne ne voulait donner.
Mme Chabot : La réponse est « oui » pour tous les deux, c’est-à-dire l’euro se fera à la date prévue ? C’est sûr ou il y a un doute ?
M. Bayrou : Ce sera un bienfait pour les usines françaises, ce sera un bienfait pour les gens qui y travaillent…
Mme Aubry : Bien sûr ! Mais encore une fois l’Europe, ce n’est pas seulement la monnaie unique.
M. Bayrou : … et arrêtons de nous cacher derrière notre petit doigt, c’est un moyen et ce n’est pas plus.
Mme Aubry : C’est un moyen, ce n’est pas une fin.
Mme Chabot : M. Doublet, avez-vous enfin une réponse à peu près claire à votre question ou pas ?
M. Doublet : On reste un peu dans le principe d’incertitude. Ce n’est pas là une réponse d’une clarté absolue, mais enfin on peut penser que cela finira bien par se faire. De toute façon, c’est la vie et si on veut de la croissance et créer des emplois, on a besoin de l’euro.
M. Duhamel : C’est quelque chose à quoi vous souscrivez tous les deux ?
Mme Aubry : Évidemment ! M. Doublet a raison…
M. Bayrou : Cela va s’en dire !
Mme Aubry : … et c’est un exemple vivant de ce que cela veut dire d’être un chef d’entreprise européen et international.
M. Bayrou : Vous me permettez une réflexion en une seule phrase sur ce que M. Doublet a dit ?
M. Duhamel : Si c’est une phrase, c’est parfait.
M. Bayrou : Une des plus grandes trahisons que nous sommes en train de vivre quelquefois, c’est qu’on présente aux Français, et singulièrement aux Français qui ont besoin de travailler dans les entreprises, le projet européen comme une menace alors que c’est une chance. Il faut que ceux qui croient à l’Europe se décident enfin de dire tout fort, tout haut que c’est une chance extraordinaire en termes économiques et en termes de société.
Mme Chabot : Comme Martine Aubry est un petit peu en retard et que nous arrivons à la fin de cet échange, je vous demanderai simplement de répondre en quelques mots et vraiment, en une minute, de dire pourquoi vous pensez que la gauche va gagner ces élections ? Qu’est-ce qui vous semble le plus important ?
Mme Aubry : Tout simplement, je pense que la gauche va gagner parce que, aujourd’hui, les Français ont le sentiment profond que notre système ne fonctionne pas et qu’il ne faut pas continuer vers une société où le chacun pour soi et que le meilleur gagne l’emportent. Il faut une société où on réintègre nos valeurs, celles de l’Europe d’ailleurs, celles de la France, de solidarité et de générosité. Il faut une société où on reparle des besoins des Français pour créer des emplois. Ce sont des biens collectifs, ce sont des services aux personnes, c’est l’aménagement du temps de travail. Et il faut une société où on vive mieux ensemble, avec des valeurs, encore une fois, là aussi, de solidarité, où chacun puisse avoir accès à la culture, où nous remettions une place pour les jeunes et où, dans ce pays, on se décrispe, où on n’est plus peur de l’avenir, moins de haine, moins d’intolérance. Il faut remettre ce pays en mouvement. Je crois que nous avons des pistes, même si nous n’avons pas réponses à tout. C’est pour cela que je pense que les Français nous feront confiance.
M. Duhamel : Un quart de phrase pour François Bayrou, et ensuite il faudra arrêter.
M. Bayrou : La majorité gagnera parce qu’elle propose de réconcilier le réel et la générosité et qu’on ne peut pas faire de générosité si on oublie le réel.
Mme Aubry : Certes !
M. Duhamel : Merci à l’un et à l’autre.
Mme Chabot : Merci.
Prochain rendez-vous tout au long de ce week-end. Dans les journaux, tous les soirs, vous retrouverez un invité politique qui répondra aux questions importantes de cette campagne.
À bientôt. Bonsoir, merci.
M. Duhamel : Bonsoir.