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La Tribune : Trois mois après le lancement de la politique des zones franches urbaines, quel premier bilan tirez-vous de sa mise en œuvre ?
Éric Raoult : C’est plus un sentiment, une tendance, une appréciation, qu’un véritable bilan. Toutefois, j’observe que si nous sommes partis d’une ironie, nous avons ensuite éveillé une curiosité et maintenant nous rencontrons un véritable intérêt. D’abord, l’ironie. Nous n’aurions pas, disait-on l’accord de l’Europe, cela ne passerait pas à l’Assemblée, et cela serait trop difficile à mettre en œuvre. L’ironie est passée… Nous sommes passés à la curiosité, pour savoir comment tout cela allait se mettre en place. Maintenant nous sommes en phase d’intérêt. Il y a eu plus de 10 000 contacts recensés sur les 44 zones franches. Des contacts, il est vrai, issus le plus souvent des entreprises des secteurs géographiques concernés. D’autre part, ce sont des contacts auprès des mairies, des chambres consulaires, des services fiscaux pour essayer d’avoir le plus d’informations disponibles. On s’adresse là principalement à des petites activités – commerçants, artisans… - qui n’y croyaient pas et qui maintenant veulent voir… Les premiers contacts ont lieu sur les localités des plus grandes zones franches, celles qui sont le plus médiatisées, là où les maires se sont le plus investis.
La Tribune : Là où il y avait déjà une forte implication des élus dans une politique de redynamisation des quartiers en difficulté, les zones franches démarrent bien, ailleurs on observe une certaine inertie.
Éric Raoult : C’est exact. Comme il s’agit certes d’un dossier national, mais avant tout d’initiatives locales, là où il y avait déjà mobilisation, là où on a déjà réussi à « pacifier » le périmètre, là où on a un maire qui s’investit et des partenaires qui jouent le jeu, ça démarre beaucoup plus vite.
La Tribune : Le profil des porteurs de projets correspond-il à votre attente ?
Éric Raoult : Le rôle de « vigie sociale » que le commerce pouvait avoir dans ces quartiers était vraiment une idée très présente pour le président de la République. Quand on a conçu les zones franches, elles étaient limitées au bas des immeubles et aux quartiers. Ensuite, les maires nous ont dit : si l’on veut créer des emplois, permettez-nus des franges et des marges. Le gouvernement a donc accepté de passer de la seule logique commerciale à une logique plus artisanale et d’entreprise. On a permis aux zones franches d’avoir entre quinze et vingt-cinq hectares supplémentaires. On constate aussi que, dans beaucoup d’endroits, c’est le boulanger, le libraire, le petit restaurateur qui reviennent. On a donc d’abord ce que l’on souhaitait : la logique du rideau qui se relève. On n’en part plus, on y revient. Autre élément, ce sont souvent des entreprises de services qui contactent, en fonction des disponibilités de locaux. Il y a désormais une logique de terreau d’entreprises qui se joue dans les zones franches, avec le retour d’un certain nombre d’entreprises de services : les conseils aux entreprises, la sécurité, le nettoiement… Un autre aspect non négligeable, c’est le retour des professions libérales. Tout cela sur les premières opportunités de mètres carrés commerciaux, artisanaux tout de suite opérationnels, sachant évidemment que là où il n’était pas encore possible de récupérer de mètres carrés, les communes se penchent sur la disponibilité foncière.
La Tribune : Les périmètres retenus n’ont-ils pas créé de distorsions de concurrence préjudiciables à des commerçants, chefs d’entreprise ?
Éric Raoult : Nous y avons beaucoup travaillé en coordination avec les élus, qui ont compris qu’ils ne pouvaient pas tout demander, et les services de la DIV (Délégation interministérielle à la ville). Cela pose, il est vrai, le problème de la limite des périmètres. Quand on aborde ces problèmes avec ces commerçants ou ce chefs d’entreprises quelque peu mécontents, en leur rappelant aussi que la zone franche n’est pas intemporelle, et qu’il s’agit que de quelques centaines ou milliers de mètres carrés qui seront très vite occupés, et qu’il n’y aura donc que très peu de problèmes de concurrence, le mécontentement diminue. Nous avons fait des périmètres les plus consensuels possibles. S’il y a une logique d’erreur matérielle, nous reviendrons dessus. Nous ne voulons pas faire de décret modificatif, mais un décret rectificatif.
La Tribune : L’offre foncière apparaît souvent insuffisante. Comment y répondre ?
Éric Raoult : Vous avez raison de soulever cet aspect qui aujourd’hui des freins principaux à la poursuite de la dynamique des ZFU. En effet, les rares espaces de bureaux ou d’activités disponibles ont d’ores et déjà été attribués. Il convient maintenant de s’attaquer à trois types d’actions : la transformation de logements en bureaux, la création de parcs d’activités ou le réaménagement de friches industrielles. Déjà de nombreuses initiatives ont été prises au niveau local qui vont de la construction rapide de bureaux transitoires en attendant les aménagements définitifs, des montages publics privés pour la construction d’immeubles de bureaux et des opérations de transformation d’usage avec des bailleurs sociaux.
La Tribune : Les opérateurs privés de l’immobilier se sont-ils manifestés ?
Éric Raoult : En effet, devant l’insuffisance de l’offre immobilière face à l’intérêt général suscité par les ZFU, nous avons d’ores et déjà pris contact avec les professionnels. Nous travaillons avec la Délégation interministérielle à la ville pour apporter des réponses concrètes à ces problèmes de locaux d’entreprises et des outils supplémentaires face à cette situation. Cependant chaque zone franche a sa spécificité, son dynamisme ; il nous faut donc trouver des outils nationaux qui puissent accompagner les initiatives locales.
La Tribune : Les quartiers retenus ont certes besoin d’une dynamique économique mais aussi sociale et culturelle. Comment les ZFU s’inscrivent-elles dans cette démarche ?
Éric Raoult : Ces zones franches urbaines sont aussi des zones franches humaines. Si l’élément innovant du PRV concerne la revitalisation économique, il s’agit surtout d’améliorer la vie de la population. C’est pourquoi, au-delà des mesures d’exonérations, nous demandons aux maires, au travers des conventions de développement des zones franches, de poursuivre leurs efforts sur tous les autres aspects d’une politique de développement social urbain : emplois de ville, développement associatif, aménagement du rythme scolaire, renforcement de la présence des services publics, réhabilitation des logements et restructuration des quartiers. Avec Jean-Claude Gaudin, nous avons réussi à convaincre nos collègues di gouvernement du gouvernement de la forte interministérialité de la politique de la ville. C’est cette logique globale qu’il faut poursuivre au niveau local et avec tous les autres partenaires, les réseaux bancaires, les chambres de commerce…
La Tribune : S’agissant de l’ensemble du dispositif déployé en faveur des quartiers, croyez-vous qu’il soit réellement à la hauteur des problèmes rencontrés par les populations concernées ? Ne sommes-nous pas à mille lieues du plan Marshal évoqué durant la campagne présidentielle ?
Éric Raoult : Tout n’est pas qu’une question de moyen mais aussi de dynamique et d’image. Cependant il y a c’est évident des moyens, nous avons réussi à en mobiliser beaucoup. Avec le pacte de relance pour la ville, nous sommes passés de 8,9 milliards de francs d’effort de l’État à 13,4 milliards de francs… Ce n’est pas négligeable. Cette boîte à outils que représente le pacte de relance pour la ville n’est peut-être pas le plan Marshal. Nous pouvons réussir s’il y a le couple État/maire. Là où il y a mobilisation de ces deux partenaires et c’est le cas pour les ZFU, nous avons relancé une dynamique et réussi à changer l’image de ces quartiers. Il nous faut poursuivre cette première tendance pour qu’avec l’activité économique, les emplois de ville et toutes les actions de la politique de la ville nous apportions aux populations de ces quartier un meilleur environnement, des emplois, une vraie vie de quartier, pour que ceux-ci redeviennent des quartiers comme les autres.