Texte intégral
Centre Presse : 19 mars 1997
Centre Presse : La Francophonie tout d’abord et principalement : le pessimisme ambiant sur la prééminence de l’anglais vous paraît-il justifié ?
Margie Sudre : Personne ne songe à nier la prééminence de l’anglais dans le monde. Le président de la République le rappelait au Sommet de Cotonou à la fin de l’année 1995, constatant que sa prédominance est une donnée objective de l’histoire moderne. Le français est cependant une langue majeure comme le sont, par exemple, l’espagnol ou l’arabe. Il est surtout une langue parlée sur les cinq continents. L’attrait qu’exerce encore notre langue n’a pas à être démontré. Elle jouit même d’un véritable regain depuis deux ans. Je pense notamment à l’océan Indien que je connais bien, au Proche Orient où le français est souvent une langue de premier plan, à l’Afrique noire où le Nigeria a choisi, cette année, de donner au français un statut de langue officielle aux côtés de l’anglais. Je pourrais encore vous parler des Seychelles ou de Madagascar qui on réintroduit l’apprentissage du français dès les classes primaires. Nos établissements culturels et nos classes bilingues connaissent un renouveau enthousiasmant en Asie du Sud-Est. En Afrique australe la demande de français est très forte. En réponse à ces attentes le français est relayé dans le monde entier par des supports de grands qualité, qu’il s’agisse de TV5, de RFI ou de CFI. Enfin, et j’ai fait de cet objectif l’une de mes priorités, le français progresse constamment sur le réseau Internet. Devant de tels résultats il n’y a pas lieu d’être pessimiste.
Centre Presse : Au-delà de la langue, la Francophonie véhicule des valeurs. Lesquelles, et puisqu’elle va se donner à Hanoï une dimension politique, quel peut-être selon vous le champ d’action de cette volonté ?
Margie Sudre : La communauté francophone est en effet fondée non seulement sur le partage d’une langue mais également sur des valeurs communes telles que le respectes des diversités culturelles et linguistiques, la solidarité entre nations, la promotion des Droits de l’Homme, l’ouverture sur l’extérieur. Dans un monde où les échanges planétaires se traduisent par d’impitoyables rapports de forces. La Francophonie plaide avant tout pour la réciprocité et l’équilibre des échanges. C’est en se fondant sur un lien original et fort que les pays francophones ont souhaité élargir la vocation de la Francophonie qui était jusqu’à présent essentiellement centrée sur la coopération éducative et culturelle.
La réforme qui sera adoptée par les chefs d’Etat et de gouvernement des pays francophones à Hanoï en novembre prochain fera de notre communauté un acteur à part entière sur la scène internationale. Pour la première fois sera désigné un Secrétaire général qui sera, pour quatre ans, l’autorité et la voix de la Francophonie dans le monde. Il disposera d’une véritable capacité d’initiative en matière politique. Les francophones aspirent à une concertation particulière sur toutes les questions qui intéressent la paix et l’équilibre du monde, le développement de l’Etat de droit et de la démocratie.
Centre Presse : Comment donnez-vous l’exemple, à partir de La Réunion, d’une action francophone des DOM-TOM ?
Margie Sudre : Le département français de La Réunion est le voisin de quatre Etats francophones : Madagascar, l’île Maurice, les Seychelles et les Comores. Les échanges commerciaux, touristique, culturelles se développent de manière continue, en français naturellement. Et La Réunion est un point d’appui privilégié pour les actions de coopération que nous développons avec ces pays. Ainsi depuis 1994, les professeurs de français de la zone océan Indien sont formés dans ce département. Composés de sociétés métisses et multiculturelles, les départements et territoires d’Outre-mer symbolisant bien ce que défend la Francophonie. Les efforts d’intégration dans leur environnement régional en font des porte-parole efficaces de l’ambition francophone.
Centre Presse : Au global, comment définissez-vous le rôle d’un secrétaire d’Etat à la Francophone ?
Margie Sudre : Il convient d’abord de rappeler que le secrétaire d’Etat à la Francophonie est placé auprès du ministre des Affaires étrangères. Ce qui signifie que nous abordons la Francophonie comme une question diplomatique, qui intéresse la place et le rôle que nous entendons tenir sur la scène internationale.
Depuis ma prise de fonctions, j’ai privilégié trois objectifs : faire de la communauté francophone – pour reprendre l’expression du président de la République – l’un des deux cercles de familles, avec l’Europe de notre diplomatie ; affirmer la modernité de la Francophonie, qu’ils s’agissent de l’audiovisuel ou du réseau Internet ; mieux faire comprendre en France les enjeux et les atouts de la Francophonie. Voilà un programme ambitieux. Il ne concerne cependant pas le seul secrétaire d’Etat, mais bien l’ensemble du gouvernement, sous l’impulsion du président de la République.
Centre Presse : La politique ensuite les restrictions et freins évidents à la délivrance de visas sont-ils compatibles avec une politique « ouverte » de la Francophonie ? Vous-même, êtes-vous un ardent supporter un soutien résigné un opposant discret aux modalités de la loi Debré sur le contrôle de l’immigration ?
Margie Sudre : Je connais bien Jean-Louis Debré. C’est un homme exigeant et généreux. Il a voulu affirmer en même temps la primauté de la loi, et le respect de la dignité des personnes.
Pour moi la Francophonie ce n’est pas un vaste caravansérail ouvert à l’immigration clandestine et aux trafics de main d’œuvre. Comment voulez-vous que les étrangers en situation irrégulières, en France ou dans n’importe quel pays, puissent vivre et travailler normalement, et élever dans de bonnes conditions leurs enfants ? En même temps j’affirme que nous devons éprouver un sentiment particulier de solidarité pour les étrangers issus de pays francophones. Sinon la Francophonie n’aurait pas de sens.
Les péripéties récentes ne doivent d’ailleurs pas faire oublier que c’est en France que les ressortissants des pays francophones d’Afrique et du Maghreb sont accueillis en plus grand nombre. C’est en France que les citoyens algériens qui se sentent menacés viennent chercher refuge. Nous avons donc à réfléchir, à long terme, aux moyens qui nous permettraient de donner de plus en plus de contenu à la notion de communauté francophone.
Centre Presse : Le rôle politique des femmes enfin. Vous n’avez pas hésité à dénoncer crûment les sous-entendus sur les carrières des femmes en politique. A votre avis, pourquoi les femmes votent-elles pour des hommes, et n’observe-t-on guère de « vote féminin » ?
Margie Sudre : Nous avons d’abord un problème d’éducation. Nous acceptons trop souvent, y compris de la part des milieux qui passent pour les plus favorisés, une image de la femme et des comportements indignes. Commençons donc, dans nos familles, à l’école, dans la vie professionnelle dans les médias, pour refuser énergiquement, sans la moindre concession, tout ce qui s’apparente à du sexisme. Le vote féminin en tant que tel ne m’intéresse pas. Nous n’allons pas diviser le corps électoral en mille et un catégories. Moi je ne connais que les citoyens, qui doivent avoir un accès égal aux responsabilités publiques. C’est une question d’efficacité et d’équilibre pour notre démocratie.
Centre Presse : Vous-même, êtes-vous un ardent supporter, un soutien obligé, un opposant discret un opposant déclaré à la proposition de réserver des quotas aux femmes dans les élections politiques ? Acceptez-vous l’idée que des quotas soient limités aux scrutins de liste ?
Margie Sudre : J’accepte l’idée de quotas dans les conditions proposées par le Premier ministre, c’est-à-dire à titre provisoire et pour les scrutins de liste uniquement. J’étais, comme beaucoup, hostile à ces quotas mais je crois qu’aujourd’hui, après tant d’échecs, c’est la seule voie pour permettre à des femmes d’obtenir des investitures et s’engager dans des responsabilités électives. Pour les élections uninominales un tel système trouve très vite sa limite : la démocratie ne consiste pas non plus à imposer des candidats. Méfions-nous également de la générosité en trompe l’œil des socialistes, qui multiplient les candidatures féminines dans les circonscriptions où il n’y a que ces coups à prendre.
La Nouvelle République du Centre-Ouest : 20 mars 1997
La France sur la scène internationale a repris l’initiative. A chacun de ses déplacements à l’étranger, le président de la République exprime une volonté, et une vraie vision du nouvel ordre mondial. Jacques Chirac, à rebours de toute idée de découragement ou de renoncement, a toujours manifesté qu’il ne saurait y avoir de France forte sans rayonnement de notre langue et de notre culture. Car, n’en déplaise à quelques esprits chagrins et à l’aimable causticité anglo-saxonne, le français est une langue vivante, et bien vivante. Et son rayonnement dans le monde pourra une nouvelle fois être vérifié le 20 mars, à l’occasion de la journée mondiale de la Francophonie.
Langue d’unité nationale, elle met en valeur le rôle des départements et territoire d’outre-mer, puissants relais de notre culture et de notre économie dans tous les océans habilités. Langue diplomatique, elle demeure d’une des principales langues du travail au sein des organisations internationales et plus particulièrement de l’Union européenne. Langue moderne, elle ne s’effraie pas des nouvelles de l’information, et commence le lien d’une communauté originale et vouée à un grand avenir, la Francophonie.
Patrie sans frontières, la Francophonie porte la vocation de la France à soutenir une idée plus grande qu’elle-même et à porter des valeurs qui dépassent la défense de ses intérêts propres. Dans la confusion du monde, elle apporte une réponse faite d’universalité et de respect des diversités. Elle donne une force d’expression et d’action nouvelle à des pays soucieux de participer aux mouvements de notre temps, mais attachés en même temps à leur identité. Quel paradoxe de constater aujourd’hui que la force qui émane du français est davantage reconnue et promue par non partenaires francophones que par les Français eux-mêmes !
Promouvoir la langue française et le développement d’un espace de coopération privilégié entre les 200 millions d’hommes et de femmes qui ont cette langue en partage participe non seulement d’un devoir, mais aussi d’une chance pour notre culture et pour notre développement économique.
Les peuples qui usent du français ont acquis sur nous le droit d’exiger que nous fassions ensemble fructifier cet héritage. Le français est pour eux, autant que pour nous, un remarquable outil de communication autant que de culture et d’éducation. Ainsi, au moment où le Vietnam amorce avec succès son décollage économique, il nous appartient de développer davantage encore les liens culturels, économiques et politiques qui nous unissent à la péninsule indochinoise. La normalisation des relations entre le Vietnam et les Etats-Unis, sa récente admission dans l’ESEAN, où entreront bientôt le Laos et le Cambodge, font clairement apparaître qu’il n’y a pas de temps à perdre. L’engagement francophone du Vietnam, dans une région où dominent l’anglais et le chinois, est sincère, je dirais même pressant. Notre coopération est souhaitée, attendue. La familiarité avec le français est un élément de l’identité et de l’originalité vietnamiennes en Asie. Elle est également pour ce pays une des clés de son ouverture sur le monde. La Francophonie est enfin, pour le Vietnam, une enceinte démocratique où sa voix est entendue et respectée. Aussi je crois que nous ne pouvons pas prendre le risque de laisser passer une occasion qui ne se représenterait pas.
Nous ne pouvons ignorer le dynamisme démographique et économique de l’Asie, où se modifie l’équilibre du monde. A nous d’y diffuser notre langue, et avec elle des valeurs humaines, et une vision du monde. Le français, plus qu’une langue pour s’exprimer, est une langue pour penser librement.
Mais ne l’oublions pas, la Francophonie est aussi une chance pour notre économie. Elle ouvre à nos entreprises des marchés en pleine expansion, au sein desquels les opérateurs locaux apprécient la communauté de langue et d’esprit qui nous unit, au Maghreb, en Afrique, au Proche-Orient, mais aussi en Roumanie et Asie du Sud-Est.
La France a une vocation naturelle à accompagner ce renouveau de la Francophonie dans le monde, à la demande explicite de nos partenaires. Nous n’avons pas le droit d’ignorer cet appel. A l’automne prochain, lors du Sommet francophone de Hanoï, les chefs d’Etat et de gouvernement francophones éliront leur premier Secrétaire général, qui deviendra, conformément à l’expression de Jacques Chirac, la voix, le visage et l’autorité de la Francophonie. Il appartient à la France d’être, une fois de plus, à la hauteur de son histoire.
Formons le vœu que les Français prennent bien conscience de la place, fragile et irremplaçable, de leur langue dans le monde. Aucune langue n’est éternelle. Mais il est trop tôt, vraiment pour le français rejoigne le grec classique et le latin dans l’empyrée.