Texte intégral
Sud-Ouest : Les Français ont besoin de vérité. Va-t-on la leur dire dans cette campagne ?
Alain Juppé : C’est mon devoir de dire la vérité aux Français. Je me suis toujours efforcé de le faire. Avec eux, nous avons entrepris le redressement de notre pays, tout particulièrement depuis l’arrivée de Jacques Chirac à la présidence de la République. Cette première étape est maintenant derrière nous. Nous devons aller plus loin dans les changements qui ont été engagés. C’est maintenant qu’avec l’adhésion des Français nous pourrons donner un nouvel élan à notre économie qui est prête pour plus de croissance et plus d’emplois. Par ailleurs, cette adhésion en position de force les grands rendez-vous européens de 1997 et 1998 pour lesquels la France est qualifiée.
Sud-Ouest : Le mot « qualifié » signifie-t-il que vous n’avez pas de doute sur la participation de la France au futur ensemble monétaire ?
Alain Juppé : La Commission européenne a inscrit la France sur la liste des pays en voie de qualification pour l’euro qui nous donnera la chance d’avoir une monnaie à l’égal du yen et du dollar. Nos efforts ont donc porté, mais il faut continuer à gérer sérieusement les finances de la France.
Sud-Ouest : Est-ce que le chômage et les difficultés des Français n’imposent pas, au contraire, un élargissement de l’intervention de l’Etat ?
Alain Juppé : Ce sont les pays qui ont le plus de dépenses publiques qui ont le plus de chômage. Il est donc nécessaire, petit à petit, d’alléger le poids des dépenses pour pouvoir baisser les impôts et ainsi libérer l’initiative. Les Français auront à choisir entre ceux qui leur promettent beaucoup de choses, c’est-à-dire beaucoup de dépenses, beaucoup de déficits, beaucoup de charges, et ceux qui disent qu’il faut d’abord maîtriser les dépenses pour baisser les impôts.
Sud-Ouest : Comment allez-vous, en la matière, prêcher l’exemple ? Est-ce en passant à quinze ministres, en réformant l’ENA ?
Alain Juppé : Je pense en effet qu’il serait utile d’avoir moins de ministres. Il s’agit d’avoir moins de bureaucratie dans les échelons parisiens et plus de services publics de proximité sur le terrain. C’est comme cela que nous concevons la réforme de ce que l’appellerai un « Etat sur le terrain », avec un nouvel élan de la décentralisation et de la déconcentration.
Sud-Ouest : Les deux à la fois ?
Alain Juppé : Oui. J’aurai l’occasion, dans le cours de la campagne, d’exposer comment une nouvelle vague de décentralisation – avec des transferts de compétences, nouveaux et importants, de l’Etat vers les régions et les départements – sera compatible avec une nouvelle vague de déconcentration des administrations centrales vers les départements. Il faut que l’Etat soit très présent là où personne d’autre ne peut agir à sa place : la défense nationale, la sécurité, la lutte contre l’immigration clandestine, la justice. Mais en revanche, partout où l’Etat et sa bureaucratie ont confisqué le pouvoir aux citoyens, il doit le leur rendre. Nous avons engagé cette réforme de l’Etat et nous voulons maintenant, dans la concertation, lui donner un coup d’accélérateur.
Sud-Ouest : Quand vous parlez de décentralisation, pensez-vous que les hôpitaux, par exemple, pourraient être comme les lycées, gérés par les régions ?
Alain Juppé : Pour la réforme hospitalière, c’est la voie de la déconcentration au niveau régional et non pas de la déconcentration que nous avons choisie. Les agences régionales de l’hospitalisation reprennent des compétences qui étaient exercées auparavant par l’Etat et l’assurance maladie en devenant plus proches du terrain. L’objectif, c’est de rééquilibrer progressivement les moyens entre les régions, certaines étant sous-dotées et d’autres surdotées. Ce rééquilibrage est de la responsabilité de l’Etat qui doit garantir l’égal accès aux soins de tous.
Sud-Ouest : Ces élections ne conduiront-elles pas cependant la majorité à « clarifier ses objectifs » par rapport au programme de Jacques Chirac ?
Alain Juppé : Il ne s’agit pas d’une clarification mais de proposer une nouvelle étape dans le processus engagé. A partir de là, des mots comme « libéralisme », « hyperlibéralisme », « hypolibéralisme », etc., ne sont que des mots. Je me veux surtout pragmatisme, avec des objectifs précis au service des Français pour améliorer leur vie quotidienne. Je vous en ai cité un : la diminution de la dépense publique et donc la baisse des impôts et des charges.
Sud-Ouest : Mais la précision suppose aussi de répondre à la question « Comment allez-vous faire ?
Alain Juppé : Sur cinq ans, chaque année, il s’agira de dégager une marge de manœuvre permettant d’atteindre deux objectifs. D’abord, ramener le déficit à un niveau où l’Etat ne s’endette plus, où il rembourse plus qu’il n’emprunte. C’est, par parenthèse, ce que j’ai fait à Bordeaux. Parallèlement, baisser les impôts.
Sud-Ouest : Êtes-vous certain que l’allégement de la pression fiscale suffira seul à créer une dynamique en matière d’emploi ?
Alain Juppé : Il faut bien voir que cet objectif se conjugue avec les autres : notamment la redistribution des cartes entre l’Etat, les régions et les départements par la décentralisation et la déconcentration. Cette dynamique repose aussi sur un droit à la deuxième chance qui me tient beaucoup à cœur. Nous avons fait beaucoup pour l’éducation et l’enseignement supérieur, mais il faut offrir une deuxième chance à ceux qui ont été exclus du système scolaire ainsi qu’aux chômeurs de longue durée et aussi aux salariés qui veulent réorienter leur carrière. Cela passe par une réforme en profondeur de la formation continue et le recours aux nouvelles technologies.
Sud-Ouest : Pour ce qui concerne les aides à l’emploi, souhaitez-vous vous diriger vers une méthode plus « libérale » qui consisterait à alléger massivement les charges ?
Alain Juppé : Libérale ou non, ce n’est pas le propos. Nous voulons effectivement aller plus loin dans l’allègement des charges parce que cela marche. Le bilan de la loi Robien, qui combine l’allègement des charges et la diminution du temps de travail, est par exemple très positif. Nous avons pris aussi des mesures d’allègement dans le secteur textile qui ont sauvé des milliers d’emplois. C’est donc quelque chose qui fonctionne. Dans les quarante premiers jours qui suivront les élections, la nouvelle majorité devrait accélérer le processus en ce domaine.
Sud-Ouest : La maîtrise des dépenses de santé a l’air si peu acquise que l’on parle, les élections passées, de nouveaux prélèvements sur les revenus, via la CSG notamment ou un nouveau « remboursement de la dette sociale ». Est-ce exact ?
Alain Juppé : Je ne sais pas qui peut affirmer ces contre-vérités. Ce n’est pas vrai, tout simplement. Quand nous sommes arrivés, le poids total des déficits était de 5,6 % de la richesse nationale. Nous sommes parvenus à 4,1 % en 1996 et tout le monde s’accorde à penser que nous tiendrons l’objectif des 3 % en 1997. Le déficit de la Sécurité sociale a été divisé par deux. Si les dépenses diminuent, la baisse des impôts et des charges devra suivre. Avec le transfert d’une partie de la cotisation d’assurance maladie des salariés sur la CSG, rendue déductible, nous avons engagé ce processus et redonné du pouvoir d’achat aux actifs. Nous continuerons dans cette voie. Mais pas à la façon des socialistes qui, eux, veulent étendre la CSG aux érémistes, aux retraités non imposables, aux chômeurs ayant de petites allocations, alors que nous avons veillé à les exonérer par souci de justice.
Sud-Ouest : Ne pensez-vous pas qu’il serait préférable d’agir plus vite et plus globalement, plutôt que de prendre des mesures ponctuelles variées, qu’il s’agisse des entreprises ou… des joueurs de football ?
Alain Juppé : C’est tout l’enjeu de ces élections. Le président de la République a décidé d’agir pour éviter que l’on passe onze mois à attendre, alors que l’économie a redémarré et qu’elle a besoin d’une accélération soutenue par l’adhésion des Français. Plutôt que distribuer de l’argent que nous n’avons pas, parce qu’il est exclu de ponctionner encore plus les contribuables, nous proposons de créer les conditions les plus favorables à cette deuxième étape.
Sud-Ouest : Les socialistes proposent de renégocier avec nos partenaires des conditions d’entrée dans la monnaie unique. Est-ce faisable ?
Alain Juppé : D’abord, de quels socialistes parle-t-on ? M. Jospin a dit cela une fois. Dès le lendemain, Mmes Guigou et Aubry ont remarqué qu’il ne pouvait pas être question de discuter du calendrier et des critères. Nous sommes là dans le domaine caricatural où l’alliance PC-PS non seulement ne permet pas de « changer d’avenir » mais constitue un vrai retour en arrière. Les communistes ne veulent pas de la monnaie unique, ni du renforcement de l’Union européenne. Une partie des socialistes, par pré-électoralisme, fait croire que l’on peut prendre son temps, et une autre partie sait bien que demander de nouvelles règles aboutirait à un grave échec.
Sud-Ouest : Pourquoi ?
Alain Juppé : Parce que le projet européen, construit patiemment depuis quarante ans, n’est pas seulement économique. C’est un projet de nature politique qui repose sur des engagements dont dépendent aussi la paix et la sécurité de notre pays. Mettre en cause un des volets de cette construction aboutirait à ébranler tout le reste. L’objectif du président de la République est clair : la France doit défendre ses intérêts avec la plus grande détermination et en position de force.
Sud-Ouest : Combattre des adversaires qui « chiffrent » le nombre d’emplois qu’ils vont créer, n’est-ce pas un handicap ?
Alain Juppé : Cela serait un inconvénient si les Français pouvaient se laisser duper, ce que je ne crois pas. IL y a quinze ans, on leur a promis « un million d’emplois » et l’on a vu le résultat. Aujourd’hui, c’est 700 000, dont la majorité sur fonds publics. Comment les paie-t-on dans cette proportion sans prélever plus d’impôt, ce qui affaiblit d’autant les entreprises et crée plus de chômeurs ? Les mêmes recettes pour [MOTS ILLISIBLES] les méthodes socialistes ont largement montré que le financement public de l’emploi aboutissait à plus de chômage.
Sud-Ouest : Reste à prouver la valeur de vos propres recettes…
Alain Juppé : Sur la réduction du temps de travail, la démarche adoptée par notre majorité me paraît la plus adaptée : loi Robien, développement du temps choisi, annulation, négociations branche par branche. Cette méthode tient compte de la réalité de l’entreprise et elle fait du sur-mesure. La mauvaise méthode, c’est celle qui tombe d’en haut : trente-cinq heures obligatoires pour tout le monde payées au même prix… Cela c’est du dirigisme.
Sud-Ouest : Mais combien de temps faudra-t-il attendre pour que cela se vérifie dans les statistiques du chômage ?
Alain Juppé : Les études faites sur la loi Robien montrent qu’elle a sauvé des dizaines de milliers d’emplois. Certes, la stabilisation du chômage observée depuis 1993 ne répond pas à l’attente des Français, mais on peut constater que l’économie de notre pays s’est remise à créer des emplois. Elle en créera en 1997 plus qu’elle n’en supprimera. Nous n’arrivons pas encore à en créer assez pour absorber toute la population active qui arrive sur le marché, mais la tendance est bien inversée. En outre, la croissance est aujourd’hui plus riche en créations d’emplois qu’elle ne l’était hier, notamment grâce au succès des différents systèmes que nous avons mis en place. Ce qui est certain, c’est que ce sont les entreprises qui créent les richesses et qui créent l’emploi. Là encore, je crois que la nouvelle majorité devra prendre dans les quarante jours après l’élection une mesure forte pour la création d’entreprises, notamment la possibilité d’investir de l’argent en franchise d’impôt pour la création de PME innovantes.
Sud-Ouest : Est-ce que cette campagne vous paraît aussi « brutale » qu’à son début ?
Alain Juppé : On ne peut pas dire que les réactions de certains à l’intervention du président de la République étaient sans agressivité. Je n’ai fait que le regretter. Cette campagne doit permettre de présenter aux Français les véritables enjeux du choix de société qui s’offre à eux. Elle gagnera certainement à être plus sereine.
Sud-Ouest : Le retour du conflit gauche-droite ne présente-t-il pas tout de même à vos yeux l’avantage de laisser moins d’espace aux thèses extrémistes ?
Alain Juppé : J’ai toujours dit que le véritable débat en France était de savoir qui aura la responsabilité de gouverner la France. Le choix aujourd’hui est très clair. L’actuelle majorité RPR-UDF d’un côté et l’alliance PS-PC de l’autre.
Sud-Ouest : Qu’est-ce qui pourrait vous faire perdre ?
Alain Juppé : Mais que les Français ne comprennent pas qu’une politique ne réussit que dans la durée et avec de la suite dans les idées. Pas de triomphalisme ! Le scrutin sera serré.
Sud-Ouest : Les questions de personnes peuvent-elles jouer un rôle important ?
Alain Juppé : (Rire.) Revenons à l’essentiel. Une élection législative, c’est choisir une majorité pour mener une politique. Vouloir personnaliser ces législatives pour en faire une sorte d’oral de repêchage de l’élection présidentielle revient à escamoter le débat, à le dénaturer. Notre objectif est de faire en sorte que la majorité gagne. Il y aura alors une nouvelle équipe gouvernementale. Le président choisira qui il veut mettre à sa tête.
Sud-Ouest : A-t-il tellement le choix ?
Alain Juppé : Les personnes de qualité ne manquent pas dans la majorité.
Sud-Ouest : Vous voulez agir vite pour limiter le cumul des mandats. Jusqu’à présent, on ne vous a jamais imaginé cantonnant votre action politique à la ville de Bordeaux et à la présidence du RPR.
Alain Juppé : Vous m’étonnez. Moi, je me vois très bien député-maire de Bordeaux. Mon ambition, c’est avant tout le succès de la majorité : permettre au président de la République de mener à bien son projet pour la France. Si j’arrive à faire cela, je serai le plus heureux des hommes.