Interview de M. Franck Borotra, ministre de l'industrie de la poste et des télécommunications, dans "Le Monde" du 12 avril 1997, sur la suspension de la fusion entre GEC-Alsthom et Framatome et sur la création "éventuelle" d'un pôle minier regroupant la Cogema, le BRGM et Eramet.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

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Le Monde : Annoncée voici sept mois, la fusion de GEC-Alsthom avec Framatome est suspendue, le britannique GEC estimant les conditions imposées trop élevées, comment réagissez-vous ?

Franck Borotra : L’initiative de ce rapprochement n’est pas venue du gouvernement, mais d’Alcatel-Alsthom, partenaire du britannique GEC et présent dans les deux entreprises GEC-Alsthom et Framatome. L’État, en tant qu’actionnaire public, s’est alors dit prêt à regarder le projet. Mais, dès le début, j’ai été convaincu que cette fusion allait être beaucoup plus difficile et complexe qu’on le pensait.

Le Monde : Comment s’est passée votre rencontre le 26 mars avec Georges Simpson, le président de GEC, au cours de laquelle a été constaté le désaccord ?

Franck Borotra : Après avoir reconnu notre intérêt commun basé sur la constitution d’un groupe capable de proposer une offre globale sur le marché de l’énergie, nous avons relevé nos différends. Pour GEC, il est impensable d’envisager une position minoritaire dans l’ensemble GEC-Alsthom-Framatome. Pour nous, cette exigence est incompatible avec les intérêts stratégiques français de garder la maîtrise de la filière nucléaire.

Le Monde : Vous êtes-vous séparés sur un constat d’échec ?

Franck Borotra : Pas du tout, nous avons décidé de ne pas fermer la porte et de rechercher une autre forme d’accord. Ce rapprochement a une signification industrielle qui a toujours sa raison d’être ? Nous n’avons pas trouvé le bon montage, nous devons en envisager d’autres.

Le Monde : Voulez-vous garder les mêmes interlocuteurs ?

Franck Borotra : Il peut y avoir d’autres acteurs, mais auparavant nous devons étudier tous les schémas avec les deux partenaires préférentiels que nous avons aujourd’hui. L’une des possibilités serait de passer par Alcatel-Alsthom. Le groupe a des activités dans le domaine de l’énergie qui ne sont pas au sein de GEC-Alsthom. Le gouvernement est favorable à d’éventuels rapprochements entre Framatome et Alcatel-Alsthom dans ses activités d’énergie, GEC étant associé par la suite.

Le Monde : Avez-vous un calendrier, et cela aboutira-t-il à une privatisation de Framatome ?

Franck Borotra : L’intérêt de l’entreprise est d’être privatisée et adossée à un groupe fort. Le plus vite sera le mieux. Mais le gouvernement n’abandonnera pas pour cela sa volonté de conserver la maîtrise globale de la filière nucléaire.

Le Monde : Les relations avec Siemens pourraient-elles déboucher sur une entrée dans le capital ?

Franck Borotra : Nos relations avec Siemens portent d’abord sur l’avenir du réacteur du futur, l’EPR. L’enjeu est de taille sur ce marché où les Japonais s’avèrent de redoutables concurrents. Les premiers qui auront réalisé le réacteur du futur prendront une position majeure pour les vingt-cinq premières années du futur millénaire. Comme nous voulons maintenir Framatome au premier rang mondial, nous poursuivrons la coopération avec les Allemands. Quant à une entrée au tour de table, je n’en sais rien, mais je n’exclus rien.

Le Monde : GEC rejeté de Thomson et de Framatome en l’espace de quelques jours, n’est-ce pas beaucoup pour les Britanniques ?

Franck Borotra : GEC n’a pas été repoussé dans Thomson puisqu’il n’avait pas encore déposé l’offre de reprise. Sa candidature était légitime. Elle n’a pas été retenue car la prise de contrôle de Thomson par un Britannique est incompatible avec la sécurité nationale. Mais GEC est un partenaire naturel, incontournable pour les repreneurs de Thomson dans la perspective d’une restructuration européenne.

Le Monde : La Cogema peut-elle être intéressée à la reprise de Framatome et sera-t-elle cotée en Bourse dès 1998, comme l’envisage son président ?

Franck Borotra : Nous ne voyons pas d’intérêt industriel dans un tel rapprochement et l’entrée en Bourse n’est pas au programme.

Le Monde : Vous avez évoqué un projet de rapprochement entre les groupes miniers français, Cogema, BRGM et Eramet. Où en êtes-vous ?

Franck Borotra : Avec les télécoms et l’énergie, les matières premières sont appelées à connaître une explosion dans les prochaines années. Dans ce secteur, nous avons une connaissance scientifique, une maîtrise technologique, une grande expérience et des implantations fortes. Pourtant, lorsque nous sommes sollicités pour apporter nos compétences, nous avons du mal à donner une réponse à ces demandes.

Trois groupes sont engagés dans ces domaines : le BRGM, Eramet et la Cogema. Je suis convaincu qu’il y a de la place pour un pôle industriel français fort dans les mines. J’ai donc saisi en janvier plusieurs personnalités pour leur demander de réfléchir à un possible regroupement de nos forces dans ce secteur.

Le Monde : La nomination de Bernard Cabaret en remplacement de Claude Allègre à la présidence du BRGM s’inscrit-elle dans cette redéfinition du pôle minier ?

Franck Borotra : J’ai beaucoup d’estime pour M. Allègre. Il a redressé les comptes du BRGM, entrepris la filialisation des différentes activités. Mais des problèmes d’organisation, d’engagement industriel, de gestion commerciale restent posés. Il fallait changer l’ensemble de l’exécutif du groupe pour renforcer sa capacité industrielle et lui donner un patron ayant une expérience de l’entreprise. C’est un préalable à la création éventuelle d’un pôle minier.

Le Monde : Est-il possible de créer un pôle minier tant les problèmes d’Eramet en Nouvelle-Calédonie ne sont pas résolus ?

Franck Borotra : L’avenir d’Eramet est lié au rééquilibrage économique en Nouvelle-Calédonie. Il faut créer une nouvelle usine de retraitement de nickel dans la région nord de l’île avec le canadien Falconbridge. Eramet ne perdra rien dans cette affaire. Nous l’avons déjà dit : le gouvernement indemnisera les actionnaires si le groupe cède des actifs miniers. Mais les dirigeants d’Eramet doivent bien le comprendre. Le gouvernement ne changera pas d’avis sur cette question. Le rééquilibrage économique de la Nouvelle-Calédonie est une priorité absolue.