Texte intégral
Q - D'abord, que dites-vous devant la catastrophe ?
- « D'abord compassion. Je pense à ces familles meurtries, déchirées, ces enfants disparus. Cette famille en particulier du Tarn, je crois, dont le père a vu son fils partir dans les flots et sa fille mourir de froid dans ses bras. Je pense que la première réaction est une réaction de compassion et d'émotion. La deuxième c'est une réaction de solidarité. La solidarité nationale va s'exprimer très vite. Le Gouvernement s'y est engagé. »
Q - Les indemnisations viendront le moment venu. Encore que, comme le disait J.-L. Gombeau, il y avait une augmentation des assurances. Les assurances elles-mêmes commencent à être inquiètes. En attendant, il y aura des crédits d'urgence ?
- « Je crois que le dispositif du Gouvernement va être mis en place dans les vingt-quatre ou quarante-huit heures. J.-P. Chevènement s'y est engagé très rapidement. Les préfets sont mobilisés pour cela. Il faut que cette solidarité ne soit pas seulement dans les mots, mais dans les faits et la rapidité des faits. C'est parti dès ce matin. »
Q - Ce matin, on regarde d'un oeil mauvais les agriculteurs qui maltraitent ou ont maltraité et négligé les terres. Par exemple des pieds de vignes arrachés. Votre commentaire ?
- « Ma troisième réaction, après la compassion et la solidarité, c'est évidemment une réaction de leçons à tirer. Je ne veux pas montrer du doigt les agriculteurs qui ne sont pas la cause de tous les maux de la société française, qui sont souvent heureusement encore là pour entretenir des paysages. De toute façon, il ne faut pas lancer une mauvaise querelle à propos de cette catastrophe qui avait un caractère tellement exceptionnel, des chutes d'eau tellement exceptionnelles qu'au fond rien n'aurait pu l'empêcher. Donc, il ne faut pas avoir des querelle mal appropriée, mais en même temps il faut tirer les leçons. Il faut que les élus, les responsables politiques prennent leur courage à deux mains pour dire : « Voilà ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire.»
Q - Ce qui veut dire que l'on prend les risques naturels à la légère ? La nature fait ce qu'elle veut surtout quand on la laisse faire.
- « On ne les prend pas à la légère. Il y a aussi des gens qui assument leurs risques dans ces départements-là. Dans l'Aude, on est malheureusement habitué à des inondations. On vit donc avec depuis des décennies. Et puis, quand une digue cède, là on est le caractère exceptionnel. Ce que je veux dire - je suis élu d'une commune inondable avec des travaux considérables pour la maîtrise de ces problèmes - c'est qu'on ne prend pas ces choses à la légère - je ne peux pas lancer cette accusation -, mais parfois il fait aller plus rapidement et plus courageusement dans les mesures draconiennes. »
Q - Et ne plus construire en zones inondables et inconstructibles ?
- « Dans des zones d'avalanches aussi. Les expositions aux risques doivent être gérées publiquement. »
Q - Les Plans de prévention des risques - les PPR - sont obligatoires depuis la loi de 1987. Ils sont conclus, mais ne sont pas tellement appliqués - il y en a 2 000 sur 10 000. Est-ce qu'il faut les accélérer ?
- « Sûrement ! Quand quelque chose est prévu par la loi, il faut le mettre en oeuvre et il faut y veiller. Il ne suffit pas de voter de belles lois, il faut les mettre en application concrètement. Par exemple, les PPR n'ont pas été suffisamment mis en oeuvre. C'est donc un mouvement qu'il faut accélérer. »
Q - L'État a une part de responsabilité. Comme il paye la moitié, doit-il contraindre davantage les communes à appliquer les PPR ?
- « Le cas échéant, oui. »
Q - Les écologistes demandent aussi que l'on dénonce le bétonnage, la désertification des campagnes, l'aménagement immobilier des berges. Cela ne vous choque pas de le dire aussi, ce n'est pas faux ?
- « Non, ces n'est pas faux. Sauf qu'on est dans l'émotion d'une catastrophe tellement exceptionnelle ! Je le répète, il faut en tirer toutes les leçons sereinement, avec du recul et ne pas lancer des querelles au moment d'une catastrophe, au moment de l'émotion et des drames familiaux. Il faut un petit délai de décence avant de rentrer dans ces problèmes-là. »
Q - A propos du boeuf britannique, des deux côtés de la Manche et à Bruxelles, on a travaillé depuis vendredi - tout le week-end. Est-ce que le compromis est pour demain ?
- « Si vous voulez dire « demain mardi“ », je ne peux pas vous en donner l'engagement parce qu'il reste beaucoup de choses à préciser et à concrétiser. Cela dit, je défends la position du Gouvernement français qui est une position de raison. C'est-à-dire de négociations sur des points concrets. Nous avions - avec le ministre de l'Agriculture britannique et le commissaire M. Byrne, il y a une quinzaine de jours, tous les trois - fait la liste des cinq points sur lesquels la France voulait des avancées, des garanties. Depuis ce temps-là, nos experts travaillent et progressent. Et je ne désespère pas que, dans les tous prochains jours, nous puissions revenir en France devant l'Agence française de sécurité sanitaire et des aliments avec un nouveau dispositif. Et à ce moment-là demander à l'agence si nous avons fait des progrès qui nous permettent de lever l'embargo. »
Q - Tout le monde dit que, demain, la Commission Prodi lancera la procédure qui consistera à condamner la France pour infraction de certaines règles et avec des risques de sanctions. Demain !
- « Demain, mardi, le collège des commissaires européens se réunit. Très bien, qu'il se réunisse ! S'il lance une procédure contre la France, d'abord il faudrait voir s'il la lance contre la France et pas contre l'Allemagne. Cela serait une ineptie d'un point de vue du fonctionnement européen puisqu'aujourd'hui la France n'est pas la seule à ne pas lever l'embargo… »
Q - Cette menace des poursuites n'est pas une menace pour vous ? C'est comme si vous en étiez indifférents ?
- « Non, ce n'est qu'on est indifférent. D'une part, si on lance des poursuites contre la France demain, cela va prendre un certain temps, des mois, alors que nous sommes engagés dans un processus de négociations sérieuses qui évolue tous les jours et qui, pour l'instant, me préoccupe plus. »
Q - Est-ce que vous demandez, ce matin, un sursis avant les poursuites ?
- « Non, on ne demande rien du tout. On demande à continuer notre travail, que ce travail qui est engagé se poursuive. Je pense qu'il va se poursuivre aujourd'hui et dans les prochains jours. Donc, menace ou pas menace, nous ferons ce travail sérieusement. »
Q - Quelles concessions attendez-vous de la part du gouvernement Blair, du ministre que vous allez rencontrer, de la Commission Prodi ?
- « Nous avons édicté ces cinq points : traçabilité, produits dérivés, contrôles, tests et étiquetage. »
Q - Mais, ils nous ont déjà répondu ! Sur l'étiquetage, la traçabilité, il paraît qu'ils le font déjà !
- « Sur la traçabilité, vendredi, les Britanniques ont fait une très grosse avancée en disant qu'ils étaient prêts à détruire les cohortes, c'est-à-dire les animaux de la même génération quand une bête était touchée par l'ESB - ce qu'ils ne faisaient pas avant. C'est un point positif qui va dans le sens des garanties demandées par la France. Maintenant, il faut regarder comment on définit ces cohortes. Ce sont des choses sérieuses. Quand on dit : « On est prêt à abattre les cohortes », quelles cohortes ? Plus ou moins six mois, plus ou moins douze mois ? »
Q - Nous c'est la cohorte, et les Anglais c'est la bête concernée.
- « Nous, c'est les troupeaux. Quand une bête est touchée, tout le troupeau est abattu. Mais, eux, c'est uniquement la bête. »
Q - Mais pourquoi cet entêtement ? On est en train de mettre l'Europe cul par dessus tête, de mettre en difficulté les rapports franco-britanniques. Vous avez un sommet dans dix jours à Londres, vous allez vous faire chahuter et huer. Pourquoi ? Est-ce que cela a des conséquences, un jour ou l'autre, sur la vie de l'homme ?
- « Eh bien, oui ! C'est cela le problème. C'est que cela peut avoir des conséquences sur la vie de l'homme. Le problème c'est que nous sommes face à une maladie dont nous ne connaissons que peu de choses. Cette maladie de la vache folle qui se transmet à l'homme et qui devient la maladie de Creutzfeld-Jakob, la seule chose que l'on sait c'est qu'elle est cent pour cent mortelle et qu'elle a des durées d'incubation très longues. Le problème c'est que l'on peut se retrouver dans dix, quinze, vingt ans, après une incubation très longue, avec des désastres humains. C'est-à-dire des morts d'hommes. On en a déjà eu 50. Donc, on est obligé de prendre des précautions au sens de la gestion du risque… »
Q - Les Anglais s'en fichent, ils n'appliquent pas le principe de précaution, même pas chez eux ? Est-ce qu'ils donnent à manger de la viande avariée ou malade ? Ils la surveillent !
- « La réalité, c'est que les Anglais ont fait beaucoup d'efforts, mais que les scientifiques français que nous avons consultés souhaiteraient plus de garanties. Donc, ce débat scientifique se traduit en débat politique où nous demandons ces garanties concrètes. Donc, nous voulons pour les consommateurs français des garanties supplémentaires. C'est notre responsabilité politique à nous. »
Q - Tant que le boeuf britannique sera interdit à la vente, il ne sera pas non plus autorisé à traverser le territoire français ?
- « Si ! Il est autorisé à traverser le territoire français sous scellés. On a donné cette autorisation il y a un mois. C'est-à-dire à traverser le territoire français sous scellés pour aller vers l'Italie, l'Espagne ou les pays européens qui ont levé l'embargo. A ce jour, aucun camion n'a traversé la France. Il n'y a pas demande pour cela. »
Q - Cette affaire a déclenché une vague de francophobie et une menace de représailles sur les produits français. Jeudi, par exemple, ils vont saquer le Beaujolais nouveau. T. Blair disait hier que ce serait « une guerre ridicule ». Et si elle avait lieu, cette guerre ?
- « Ce serait une guerre ridicule. Je ne peux qu'approuver ce qu'a dit T. Blair. Nous parlons “santé publique“ et on répond “commerce“ ou “protectionnisme“. On est à côté de la plaque quand on fait cette guerre commerciale. Le vrai débat est un problème de santé publique et de protection des consommateurs. Restons sur ce terrain-là ! C'est celui que nous avons choisi. Avec la Commission et les Anglais, nous travaillons jour après jour dans la discrétion parce que nous ne pouvons pas mettre cela sur la place publique… »
Q - Vous voulez dire que cela progresse !
- « Oui, cela progresse ! Je le dis devant votre micro ce matin : « Ça progresse » et je suis persuadé que nous pouvons, dans les prochains jours, avec des efforts de la Commission, des Anglais, obtenir ces garanties en terme de santé publique qui nous permettront de revenir avec un dispositif renforcé assurant une meilleure garantie pour les consommateurs français. »
Q - Vous dites qu'on pourrait ne pas être loin du compromis .
- « Je dis que l'on a beaucoup progressé ces quinze derniers jours. Il reste encore quelques étapes de clarifications et de précisions pour nous permettront de monter ce dispositif. »
Q - Vous ne craignez pas les sanctions de la part de la Commission…
- « C'est surtout que ces sanctions, si on les lance, je ne comprendrais pas pourquoi on pourrait les lancer contre la France et pas contre l'Allemagne. Cela aurait un côté abscons. D'autre part, si on les met en place demain, cela va prendre des mois, alors que nous sommes entrés dans un processus de négociations concrètes, techniques, scientifiques qui sont engagées, qui progressent jour après jour et dont on voit la fin. Donc, c'est un calendrier qui, pour moi, est tout à fait différent. »
Q - Hier, P. Devedjian au Club de la Presse, disait que c'est un faux problème parce qu'il faut laisser les consommateurs juger.
- « Oui, mais l'étiquetage fait partie du filet de sécurité. Il faudra bien qu'à un moment donné, on dise « ce boeuf est britannique » quand on le proposera aux consommateurs. »
Q - Ce qui veut dire : « Boeuf britannique, danger ! » ?
- « Non, cela veut dire que le consommateur est juge. Mais, si ce boeuf est dangereux, qu'il soit britannique ou pas, il ne faut pas le mettre sur l'étal. Donc, il faut qu'il ne soit pas dangereux, ou le moins dangereux possible - parce qu'il n'y a pas de risque zéro - et qu'on laisse le choix aux consommateurs. Cela fait partie des négociations. »
Q - Est-ce que le Président de la République est sur la même ligne que vous ?
- « Évidemment, comme il s'agit de négociations internationale et d'Europe, vous imaginez que le Gouvernement français ne peut agir qu'avec l'aval du Président de la République. »
Q - Répété quand ?
- « Y compris hier soir, à la virgule près. »
Q - Êtes-vous sûr que la France applique le principe de précaution dans tous les domaines ?
- « Pas assez. Mais l'on ne sait pas très bien ce que c'est que le principe de précaution. Deux grandes éminences scientifiques viennent de remettre un rapport au Premier ministre sur le principe de précaution qui à mon avis, va faire un grand et beau débat public, parce qu'il faut aussi que l'on définisse ce qu'est le principe de précaution. »
Q - Pour d'autres domaines, parce que, peut-être, l'on n'applique pas ce que l'on demande aux autres.
- « Parce que le principe de précaution n'est pas un principe d'abstention, mais c'est un principe d'action de la gestion du risque. »