Texte intégral
Le Figaro : Quelle est la singularité du PPDF au sein de la majorité ?
Hervé de Charette : Au sein de l'UDF, nous sommes le seul parti, avec Giscard, qui a choisi de soutenir la candidature de Jacques Chirac dès le premier tour de l'élection présidentielle. Ce n'était pas un choix tactique, c'était une décision mûrement délibérée, qui était fondée sur le fait que la France avait besoin de changements, et que Jacques Chirac était l’homme le plus apte à conduire ce changement. Ce n’était pas seulement un choix immédiat, mais un choix qui vaut pour la durée du septennat.
Le Figaro : Y a-t-il un programme du PPDF, distinct de celui de l’UDF et du RPR ?
Hervé de Charette : Nous faisons partie de l'UDF, dont nous partageons les valeurs, l'héritage culturel, les préoccupations en matière européenne, en matière de partage des responsabilités politiques sur le territoire… Mais il y a deux principales familles politiques au sein de l'UDF, qui s'affichent comme les plus importantes : le Parti républicain et Force démocrate. L'un a fait un choix franchement libéral, l'autre s'affiche comme socio-chrétien. Nous, nous avons le sentiment d'être le trait d'union entre eux : nous nous sentons à la fois sociaux et libéraux. Je ne crois pas que la France aujourd'hui puisse se retrouver dans le « tout libéral ». Je ne crois pas que ce soit là que se trouve le point d'équilibre de la société française.
Le Figaro : Êtes-vous toujours partisan de la fusion des composantes de l'UDF ?
Hervé de Charette : Tout à fait. Je crois d'ailleurs que ce serait le moment d'engager une nouvelle étape dans cette direction. Nous avons fait des progrès partiels. En matière de fusion, je dirais que le plus tôt sera le mieux, cela fait vingt ans qu'on attend.
Le Figaro : N’en désespérez-vous pas ?
Hervé de Charette : J’aimerais bien que ce ne soit pas de façon permanente un vœu pieux. Il est vrai qu’au sein de l’UDF, le particularisme des familles politiques est vivace. C’est un projet pour le futur. Je souhaite que les idées de l’UDF gouvernent ce pays, et que cette ambition soit franchement exprimée.
Le Figaro : Autrement dit, même si la fusion de l’UDF se faisait, les courants perdureraient.
Hervé de Charette : Plutôt que de diriger un parti politique au sein de l'UDF, je préférerais animer un courant politique dont la sensibilité continuerait à s'exprimer, cela va de soi. Personne ne peut imaginer que, dans une grande force politique, les sensibilités ne s'expriment pas.
Le Figaro : Que pensez-vous de la façon dont le nouveau président de l'UDF, François Léotard, exerce son mandat ?
Hervé de Charette : Il y a eu un débat salutaire, utile au sein de l’UDF. J’ai soutenu la candidature d’Alain Madelin, et en même temps, d’entrée de jeu, j’ai posé comme règle qu’une fois le président élu, il faudrait se rassembler autour de lui, et que celui-ci devrait être le rassembleur de toutes les composantes de l’UDF. Le fait est que je n’ai pas toujours ressenti qu’il en était ainsi. J’ai constaté en plusieurs circonstances que la majorité qui avait soutenu la candidature de François Léotard avait pour objectif de prendre en main l’UDF à son profit. Ce n’est pas une bonne politique. Il faut avoir pour objectif que l’UDF soit une famille rassemblée. Nous ne sommes pas assez nombreux pour avoir en notre propre sein une majorité possessive, et une opposition laissée pour compte.
Le Figaro : Les cicatrices nées de l’élection sont-elles refermées ?
Hervé de Charette : Pas tout à fait. Il serait souhaitable que les choses évoluent. Il faut avoir un esprit de rassemblement plutôt qu’un esprit de victoire. Je ne souhaite pas qu’au sein de l’UDF, ce soit l’alliance des uns contre les autres. Je ne suis pas prêt à participer à ce type de combat politique.
Le Figaro : Quel avenir voyez-vous à Alain Madelin, votre candidat ?
Hervé de Charette : C’est un ami. Il fait partie de ces personnalités éminentes de la vie politique française, qui contribuent de façon forte au débat. Il sera d’ailleurs présent, dimanche, aux assises du PPDF.
Le Figaro : Valéry Giscard d’Estaing a-t-il encore une influence à l’UDF ?
Hervé de Charette : M. Giscard d’Estaing est le président-fondateur du PPDF. Notre fidélité à son égard est totale, et nous sommes très fiers d’être rassemblés autour de lui. Dans la vie politique, c’est encore la personnalité, dans la majorité, qui contribue de la façon la plus forte à l’animation du débat politique. Et il continuera d’être au sein de l’UDF le point de repère, pour donner au débat politique sa véritable dimension.
Le Figaro : Le PPDF a-t-il vocation à se saborder dans une UDF réunifiée ?
Hervé de Charette : Oui, à condition de pouvoir exprimer ensuite la sensibilité qui est la nôtre.
Le Figaro : Pourquoi n’avez-vous pas présenté de front uni sur la réforme du scrutin régional ?
Hervé de Charette : C’est très malheureux, et même hélas d’une certaine façon assez coupable. Voilà une famille politique qui met au cœur de son message politique le partage des responsabilités entre l’État et les collectivités territoriales. La région est la collectivité d’avenir, la seule qui ait encore des marges financières, celle qui est au bon niveau pour prendre des décisions concernant les investissements, la formation, l’éducation… Au moment où il faut débattre du mode de scrutin régional, notre formation n’a pas été capable de se mettre d’accord.
Le Figaro : S’il y avait eu un front uni de l’UDF, pensez-vous que vous auriez pu l’emporter ?
Hervé de Charette : Oui. Tout au long de ce débat qui a commencé il y a plus d’un an, j’ai eu le sentiment que le Premier ministre était tout à fait ouvert.
Le Figaro : Quelle leçon tirez-vous du mouvement de contestation de la loi Debré ?
Hervé de Charette : Le débat a montré plusieurs choses : d’abord que, dans la société française, il y a de véritables enjeux en matière d’immigration et inévitablement des divergences d’opinion. Il est naturel qu’il y ait un débat, il ne faut pas s’en indigner. Généralement dans une démocratie le débat fait avancer la résolution des problèmes. Mais, en même temps, j'ai ressenti un décalage profond, inquiétant, entre la France réelle, et ce que disent et pensent les intellectuels. Ce fossé s'est élargi en la circonstance, car le débat a montré qu'une large majorité se dégageait en faveur d'une maîtrise sérieuse et ferme de la politique de l'immigration en France. En face d'eux, ils ont trouvé les intellectuels qui, probablement, n'avaient pas lu le texte du gouvernement, et qui se sont enflammés pour défendre leurs propres valeurs. Ce débat est à la fois positif – il a fait avancer les choses –, et négatif – il a montré en France une coupure réelle entre les Français et ceux qui se croient chargés d'animer le débat politique.
Le Figaro : En tant que ministre des Affaires étrangères, quelle est votre approche du problème de l'immigration ?
Hervé de Charette : Dans le cadre de l’accord de Schengen c’est-à-dire de la libre circulation européenne, les flux migratoires sont une source de préoccupation. Ce qui a conduit le gouvernement depuis deux ans à refuser l’application pure et simple de l’accord de Schengen, qui, à vrai dire, est assez angélique. Dans le débat de la Conférence intergouvernementale, cette question se pose à nouveau. Nous demandons que soit appliquée une règle simple : à savoir que les progrès en matière de libre circulation en Europe soient précédés de progrès en matière de sécurité, lutte contre le terrorisme, la drogue, le crime organisé. La liberté de circulation en Europe, pourquoi pas ? Mais à condition qu'au préalable, des progrès réels et sérieux aient été effectués en matière de sécurité intérieure. Nous posons le principe que c'est lorsque ces progrès auront été accomplis que l'Union européenne sera en état d'évaluer si, et dans quelle mesure, il est possible de renforcer la libre circulation en Europe.
Le Figaro : Vous étiez contre le retrait du candidat de la majorité à Vitrolles.
Hervé de Charette : Les faits ne m'ont pas donné tort. Il était évident, dès le soir du premier tour, que le retrait pur et simple du candidat UDF assurait l'élection de Catherine Mégret à la majorité absolue des voix. Alors que si notre candidat s'était maintenu, il y avait une chance qu'elle ne soit qu'une élue minoritaire. Le résultat aujourd'hui, c'est qu'il n'y a aucun représentant de la majorité présidentielle au sein du conseil municipal.
Le Figaro : Comment faire face à la menace du Front national ?
Hervé de Charette : Je ne suis pas certain que l'idée désormais répandue d'une formidable poussée du FN soit exacte. Le fait est que les sondages que nous avons actuellement paraissent montrer que ces intentions de vote se situent au même niveau qu'en 1993, aux alentours de 12 %. Certes, il y a des cas particuliers, comme Vitrolles, où la majorité n'avait pas de bon candidat, et où le maire socialiste en place était rejeté par la population.
Le Figaro : Les propos scandaleux de M. Le Pen sur le « complot juif », ou de Mme Mégret sont-ils des dérapages, des lapsus, ou servent-ils le FN ?
Hervé de Charette : M. Le Pen a tenu des propos scandaleux, honteux à l'égard du président de la République. Ce ne sont pas des dérapages, ce sont des calculs. Il faut beaucoup de naïveté pour croire que M. Le Pen ne fait pas exprès d'égrener des grossièretés politiques. Il l'a toujours fait de manière déterminée et calculée. Cela crée une situation qui polarise le débat autour de lui, et c'est ce qu'il souhaite.
Le Figaro : Les auteurs de propos de ce genre devraient-ils être traduits devant les tribunaux ?
Hervé de Charette : La loi doit être appliquée fermement. Personnellement, j'étais favorable à la suggestion de Jacques Toubon de créer un nouveau délit de diffusion d'idées racistes ou xénophobes. Sa proposition était bienvenue.
Le Figaro : Vous craignez qu’en l'état actuel de la législation, une action judiciaire se perde ?
Hervé de Charette : Oui, je le crains. Je ne suis pas sûr aujourd'hui que la loi soit complètement achevée.
Le Figaro : Le RPR et l'UDF attaquent cette proposition Toubon. Vous, vous la soutenez ?
Hervé de Charette : Tout à fait. Je crois que l'idée de renforcer le dispositif législatif français pour lutter contre toutes les formes de racisme et de xénophobie est une bonne idée.
Le Figaro : Vous militez pour une « Europe puissance ». L'affaire de Vilvorde ne dévoile-t-elle pas à l'inverse une « Europe faiblesse » ?
Hervé de Charette : Chacun comprend que les grandes entreprises qui ne se limitent pas aux frontières nationales doivent s'adapter, se moderniser. C'est le cas de Renault. Personne ne peut lui reprocher de prendre les orientations nécessaires. Mais d'un autre côté, ce qui a dominé – à juste titre – c'est l'impression d'une décision annoncée brutalement sans le dialogue social qui s'impose. Une grande entreprise ne peut pas considérer que ses salariés sont une variable d'ajustement, un « produit jetable ». Il faut au minimum discussion, négociation, avant la décision.
Reste la dimension européenne. On voit bien aujourd'hui qu'il est nécessaire que les règles du débat social soient organisées à un niveau qui correspond à la réalité européenne. Cela démontre clairement qu'en réalité, ce qui ne va pas encore, ce n'est pas qu'il y a trop d'Europe, mais qu'il n'y en a pas assez. Cela vaut particulièrement dans le domaine social. Il faut que l'Europe politique, économique, monétaire soit aussi l'Europe des hommes. Sinon, on va alimenter le scepticisme anti-européen.
Le Figaro : Renault est une entreprise privée. Le libéral que vous êtes considère-t-il que c'était dans le rôle du président de la République et du Premier ministre de convoquer M. Schweitzer et de se déclarer « choqués » par la méthode ?
Hervé de Charette : La société française n'est pas disponible pour l'indifférence de l'État. Si le président de la République n'était pas présent dans ce type de débat, ainsi que le Premier ministre, on serait en droit de le leur reprocher.
Le Figaro : Craignez-vous une crise avec la Belgique ?
Hervé de Charette : J'espère bien que non. C'est moins un débat de gouvernement à gouvernement qu'un débat qui doit concerner l'ensemble de l'Europe.