Texte intégral
L’Entreprise : janvier 1997
L’entreprise : Comment expliquez-vous qu’il vous ait fallu plus de deux ans de combat permanent pour faire passer la loi sur la réduction du temps de travail ?
Gilles de Robien : Peut-être parce que je m’y suis mal pris au début. Nous avons trop parlé de partage du travail, synonyme de pénurie. Contre nous aussi la mauvaise expérience des socialistes en 1981 (passage aux 39 heures payées 40), qui a eu peu d’effet sur l’emploi. La difficulté était de démontrer que la réduction du temps de travail n’est pas incompatible avec la production de richesses et que c’est un gain économique en plus d’un gain pour l’individu.
L’Entreprise : Que penser de l’attitude du patronat ?
Gilles de Robien : le patronat est réticent et les patrons plébiscitent la loi. C’est la marque d’un manque de représentativité du patronat. Si le CNPF veut représenter les entreprises, il faut qu’il évolue, sinon il se trouvera décalé par rapport à ses mandants.
L’Entreprise : Certains expliquent que le dispositif de la loi entraîne des coût exorbitants pour la collectivité…
Gilles de Robien : Un emploi créé ou sauvé grâce à ce dispositif coûte deux fois moins cher à la collectivité qu’une indemnité de chômage. Il vaut mieux donner une aide pour qu’un chômeur redevienne salarié que dépenser le double pour le laisser en inactivité… Ceux qui critiquent les coûts de cette loi devraient se pencher sur les aides plus onéreuses ; je pense notamment aux préretraites FNE, qui coûtent à l’État 200 000 francs par personne, sans contrepartie sur l’emploi.
L’Entreprise : On reproche également à la loi d’offrir des exonérations de charges à l’entreprise pendant sept ans, dans le cas du volet offensif, alors qu’elle ne s’engage à maintenir les effectifs que pendant 2 ans…
Gilles de Robien : L’engagement de l’entreprise est de réduire le temps de travail pendant sept ans. La réduction du temps de travail est un levier automatique de création d’emplois et, si l’entreprise ne maintient pas la diminution de l’horaire collectif, les exonérations sont supprimées.
L’Entreprise : Pour avoir un véritable effet sur l’emploi, la loi ne devrait-elle pas être obligatoire pour tous ?
Gilles de Robien : Le meilleur moyen de braquer les employeurs, c’est de la rendre obligatoire. Il faut leur laisser le temps d’y prendre goût.
L’Entreprise : Quels sont les arguments susceptibles de convaincre les chefs d’entreprise ?
Gilles de Robien : D’abord le coût du travail n’augmente pas, ensuite il s’instaure un meilleur climat social et enfin l’entreprise gagne en productivité grâce à une nouvelle organisation du travail. C’est d’ailleurs cette mise en place d’une nouvelle organisation du travail qui freine les entreprises. Or, si les exonérations de charges sont plus importantes la première année, c’est justement pour financer ce changement d’organisation. L’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail et ses agences régionales se mettent à leur disposition pour établir un diagnostic. Et les petites et moyennes entreprises ont la possibilité de s’adresser à la direction du travail pur recevoir une subvention de 65 %, plafonnée à 400 000 francs, pour recourir à un consultant agréé en organisation du travail…
Le Parisien : 6 mars 1997
Le Parisien : Quel jugement portez-vous sur la décision de Renault de fermer l’usine de Vilvorde et de supprimer 2 700 emplois en France ?
Gilles de Robien : Il y a quelque chose d’anti-économique dans l’annonce qui a été faite. D’abord parce qu’elle entraîne une démotivation profonde parmi le personnel de l’entreprise, ensuite parce que l’image de Renault va en sortir ternie. Il y a donc une double erreur de management dont il faudrait maintenant tirer les conséquences pour protéger l’outil de travail et pour protéger Renault.
Le Parisien : Quelles autres solutions auraient pu être utilisées ?
Gilles de Robien : Il y a trois ans, les Allemands ont trouvé une solution extraordinairement innovante et forte pour sauver 28 000 emplois chez Volkswagen en réduisant le temps de travail de plus de 20 % et en mettant en place un système de préretraite progressive. Cela a permis à l’entreprise de réaliser un an et demi après 1,5 milliards de bénéfices. Grâce à une modulation intéressante, les effets de la contrepartie salariale ont même été limités au maximum, ce qui fait que finalement tout le monde était content.
Le Parisien : Renault et PSA avaient demandé au gouvernement l’autorisation de mettre 40 000 salariés de plus de 50 ans à la retraite, ce qui leur a été refusé. Faut-il le regretter ?
Gilles de Robien : Des préretraites, cela coûte très cher à l’État et cela ne laisse pas les gens au travail. Mieux vaut réduire le temps de travail de tout le monde au lieu d’avoir d’un côté des inactifs et de l’autre des salariés avec un temps plein souvent fatigant et une moins bonne productivité.
Le Parisien : Finalement, c’est une formule comme la loi sur la réduction-aménagement du temps de travail qui porte votre nom qui aurait été la mieux adaptée ?
Gilles de Robien : Bien entendu que oui ! Il n’y a pas une entreprise aujourd’hui qui mette en place un plan social sans avoir étudié, entre autres, la loi du 11 juin et regardé s’il y avait encore ensuite des licenciements à effectuer. Quand il faut sauver des emplois les gens sont prêts à faire des efforts !
Le Parisien : Mais le PDG de Renault, Louis Schweitzer, estime que la loi de Robien n’est intéressante que si les difficultés de l’entreprise sont passagères…
Gilles de Robien : La meilleure façon de rendre la crise passagère, c’est jugement de pouvoir garder l’outil de production en état de marche et d’améliorer la productivité ! Toutes les entreprises qui ont appliqué l’aménagement-réduction du temps de travail prouvent qu’avec ce système on gagne des points de productivité parce que cela les oblige à réorganiser leur fonctionnement.
L’Est Républicain : mercredi 12 mars 1997
L’Est Républicain : Quelle est votre commentaire sur la fermeture de Renault Vilvorde ?
Gilles de Robien : C’est la solution de facilité. La pire des solutions qui consiste à faire payer les salariés qu’elle transforme en chômeurs. A les jeter après usage.
L’Est Républicain : Y en avait-il d’autres ?
Gilles de Robien : Bien sûr ? Certaines ont été essayées avec succès, sur le plan économique et social, chez Mercedes et chez Volkswagen. Je suis allé chez Volkswagen deux mois après la signature de l’accord du 25 novembre 1993. J’ai rencontré des délégués syndicaux, la direction générale et la direction financière qui m’expliquaient, d’un même cœur et avec un même plaisir, comment ils étaient parvenus à sauver l’emploi de 28 000 personnes.
L’Est Républicain : Est-ce transposable chez Renault et que faut-il faire ?
Gilles de Robien : La première chose est de ne pas avoir d’a priori. De réunir les partenaires sociaux autour de la table et de leur expliquer la situation dans la clarté et la transparence. Expliquer qu’il y a de nécessaires recherches de productivité à mener pour rester compétitif. Quand on s’adresse à des personnes majeures, il y a forcément une porte de sortie par le haut.
Il est sûr qu’un management et des partenaires sociaux responsables doivent apporter une autre réponse que celle qui consiste simplement à vider les gens.
Je pense que la réduction et l’aménagement du temps de travail est probablement la piste la plus crédible et la plus efficace en la matière. Avant l’exemple de Volkswagen, j’aurais été sûr de me faire traiter de fou.
L’Est Républicain : La loi du 11 juin 1996, qui porte votre nom, pourrait être appliquée chez Renault ?
Gilles de Robien : Le premier devoir aurait été au moins de l’étudier dans son volet défensif. Ne pas s’arrêter à la première réponse des syndicats qui aurait été, paraît-il : rien à faire, on ne baissera pas les salaires.
D’abord, la loi du 11 juin n’oblige pas à une baisse des salaires. Et puis, sur un accord défensif, il peut quand même y avoir une négociation salariale pour limiter au maximum le nombre de licenciements. On ne peut l’exclure a priori.
L’Est Républicain : Les syndicats sont-ils prêts à e grand débat où on se parle franc ?
Gilles de Robien : Des centaines d’entreprises prouvent que oui. Les mots d’ordre nationaux de certains syndicats ne sont pas suivis au niveau des entreprises, ce qui fait qu’il y a de plus en plus d’entreprises qui parviennent à des accords sur l’aménagement du temps de travail. Avec la signature, qui de la CGT, qui de FO, de la CFDT, de la CFDT, de la CGC. Quelquefois des trois ou des quatre à la fois.
L’Est Républicain : Dans les entreprises, les salariés sont plus réalistes ?
Gilles de Robien : Ils sont moins dogmatiques que ne le sont les discours nationaux et devant des drames potentiels comme ceux de Renault, on n’a pas le droit de faire du dogmatisme, il faut du pragmatisme.
Sud-Ouest : mercredi 26 mars 1997
Sud-Ouest : Votre loi sur la réduction du temps de travail fait l’objet de nombreuses critiques. Que répondez-vous à ceux qui la jugent très coûteuse pour le budget de l’État et à ceux qui craignent « un effet d’aubaine » pour les entreprises ?
Gilles de Robien : À voir le succès de la loi auprès des chefs d’entreprise sur le terrain et l’intérêt que manifeste le public à l’occasion de ce tour de France que j’entreprends pour assurer les « services après-vente » de la loi sur l’aménagement-réduction du temps de travail, je constate le peu de poids des soi-disant « nombreuses critiques ».
D’autant que le débat sur le coût est aujourd’hui tranché par plusieurs études, notamment celle de l’OFCE qui chiffre le coût d’un emploi sauvé ou créé à 40 000 francs, contre plus de 100 000 francs pour un chômeur.
Certains esprits chagrins craignent l’effet d’aubaine, la réduction des charges étant valable sept ans alors que l’obligation de maintien des emplois court sur deux ans minimum. Ils oublient que la réduction du temps de travail, elle, court également sur sept ans et c’est cela qui justifie l’exonération de charges.
On peut certes imaginer qu’un petit nombre de chefs d’entreprise voient l’effet d’aubaine dans le cadre de plans sociaux, c’est-à-dire en défensif. C’est le rôle des directions départementales du travail d’apprécier l’opportunité d’appliquer la loi et de veiller au meilleur usage des deniers de l’État.
Sud-Ouest : Pourquoi, selon vous, le PDG de Renault n’y a-t-il pas recours dans l’entreprise. En France, comme en Belgique ?
Gilles de Robien : On en peut pas dire que le PDG de Renault ait montré jusqu’à aujourd’hui un grand esprit de conciliation et de négociation au sein de l’entreprise. Les décisions prises jusqu’alors l’ont été de manière totalement unilatérale et surtout très brutale.
Tout le contraire de ce qui avait été fait notamment chez Volkswagen, il y a deux ans, lorsque leurs difficultés les acculaient à licencier 28 000 personnes sur 120 000. Comme chacun le sait, ils ont fini par trouver un accord impliquant le maintien de tous les postes de travail avec réduction du temps de travail de chacun et baisse (parfois importante) du salaire.
Il est temps en France aussi que les partenaires sociaux deviennent responsables et adultes.
Pour les sites Renault dans notre pays, rien n’est encore perdu, du moins je veux le croire. Pour la Belgique, je sais que Mme le ministre belge de l’emploi demande à me rencontrer pour étudier de quelle manière la loi du 11 juin 1998 peut s’appliquer outre-Quiévrain.
Sud-Ouest : A trois jours du congrès du FN, approuvez-vous les manifestations qui se dérouleront contre, ou renvoyez-vous, comme François Léotard, la gauche et le FN dos à dos ?
Gilles de Robien : J’approuve le principe de cette manifestation, qui, je l’espère, se déroulera dans le calme et la dignité, mais j’avoue que je crois beaucoup plus à la force de l’action sur le terrain qui permet de répondre concrètement aux problèmes des gens.
Je pense en revanche, comme l’a rappelé François Léotard, que la gauche a une grande responsabilité dans la mise ne valeur du Front national en lui donnant notamment, grâce au suffrage proportionnel aux législatives de 1986, la possibilité de compter plusieurs dizaines d’élus.
Le PS n’a donc aucune leçon à nous donner en la matière. En décidant de s’engager lui-même dans le combat des régionales dans le Var, François Léotard, pour sa part, apporte une belle réponse au travers de cet engagement personnel.