Texte intégral
O. Mazerolle : Est-ce que la France est la remorque de l’Otan, comme le dit le ministre allemand de la Défense après la signature du protocole d’accord franco-allemand de défense commune ?
F. Léotard : Je ne pense pas que le ministre allemand ait dit cela de cette façon. Il a dit qu’il y avait un mouvement en France, engagé depuis plusieurs années et que j’ai d’ailleurs poursuivi, de rapprochement vis-à-vis de certaines structures de l’Otan. Mais la France a toujours été un membre de l’alliance et le ministre allemand constate que depuis quelques années, effectivement, il y a une réflexion en France et une action qui visent à se rapprocher d’un certain nombre de structures militaires de l’Otan sous réserve que cette Otan se modifie, se rénove.
O. Mazerolle : Mais précisément, c’est bien cela qui est reproché par les socialistes au gouvernement et au président de la République, à savoir, d’avoir accepté de réintégrer certaines structures militaires de l’Otan sans avoir obtenu au préalable la reconnaissance du rôle spécifique de l’Europe et de la France.
F. Léotard : J’ai été le premier des ministres de la Défense à participer à ces réunions informelles de l’Otan dans lesquelles était évoquée cette réforme de l’alliance. Bien entendu, il faut que nous obtenions cette réforme. Elle était engagée, elle a été proposée, elle vise notamment à faire en sorte que certains pays, comme la France, puissent utiliser les moyens de l’Otan et néanmoins mener des opérations qui seraient les leurs. Eh bien, cette réforme n’est pas arrivée à son terme. Je souhaite que les discussions d’aujourd’hui aboutissent.
O. Mazerolle : Et si ce n’est pas le cas ?
F. Léotard : Si ce n’est pas le cas, cela veut dire que nous aurions fait fausse route et que nous n’aurions pas pu obtenir des Américains, qui tiennent effectivement les structures essentielles et les commandements essentiels de l’Otan, les satisfactions que nous demandons.
O. Mazerolle : Est-ce que cela voudrait dire qu’il faudrait quitter les structures qu’on a de nouveau rejointes ?
F. Léotard : En tout cas, je ne souhaite pas que nous allions plus loin dans notre démarche sans avoir, de la part des Américains, les garanties sur un certain nombre de résultats quant au commandement, quant aux procédures, quant à la façon dont les Européens peuvent exister par eux-mêmes à l’intérieur de l’Otan.
O. Mazerolle : Hier soir, le bureau politique de l’UDF a adopté un texte disant que l’Europe avait une finalité fédérale. Est-ce que vous ne craignez pas que l’Europe, où plusieurs pays pourraient ainsi faire valoir leur point de vue et peut-être paralyser la prise de décision, serait moins capable de défendre ses emplois face à des entités très organisées que sont, par exemple, les États-Unis ou certains pays asiatiques ?
F. Léotard : Je crois au contraire, qu’il ne faut pas que l’Europe s’arrête à mi-chemin. Il faut qu’elle poursuive son processus d’unification. Si elle reste à mi-chemin comme aujourd’hui, avec les procédures d’aujourd’hui, alors nous échouerons car nous ne serons pas en mesure de faire prévaloir notre point de vue dans le monde. Et nous proposons donc une Europe à vocation fédérale qui poursuit sa construction. Cela ne suppose pas une destruction ou la disparition des nations – c’est le procès injuste qu’on nous fait et ce n’est pas vrai –, cela suppose simplement que les mécanismes de décision soient plus efficaces et que les Européens soient plus en mesure qu’aujourd’hui, surtout avec l’élargissement de demain, c’est-à-dire à 25, de maîtriser un certain nombre de décisions par des processus majoritaires où l’on vote à la majorité. Dans les documents de l’UDF que vous évoquez, je prends un exemple qui concerne tous les Français : nous proposons des consulats qui seraient des consulats européens où chaque citoyen européen pourrait avoir la possibilité de trouver aide et assistance.
O. Mazerolle : Mais vous allez même très loin puisque vous demandez que le président de l’Union européenne soit élu au suffrage universel.
F. Léotard : Je crois qu’il faudra aller dans cette direction. Une des difficultés de l’Europe est la non-identification des responsabilités et des responsables. Il faut donc que, petit à petit, nous nous accoutumions, comme dans le droit national, à définir et à identifier ceux qui prennent les décisions. Et la démocratie doit fonctionner aussi au niveau européen, pas simplement au niveau national.
O. Mazerolle : Vous dites que ce n’est pas la disparition des États. Pourtant, aujourd’hui, des cheminots sont en grève et d’une certaine manière, ils disent qu’ils ne sont plus maîtres de leur destin car on veut leur imposer des règles qui viennent d’autres horizons que celui de la France.
F. Léotard : C’est une inquiétude qui n’est pas fondée. Nous avons pris la décision à six, puis à neuf, puis à douze, puis à quinze de conjuguer nos destins, de les rassembler, de faire en sorte que nous ayons un destin commun. Il faut que les salariés français, que les salariés allemands, belges, italiens, espagnols comprennent que cela a d’abord été un plus dans leur pouvoir d’achat, dans leur revenu, dans leur sécurité. C’est une réalité, ce n’est pas du tout des mots. C’est une réalité. Reste un certain nombre de questions qui ne sont pas tranchées. Il faudra encore des années ! Dans le cas des services publics, il faudra bien sûr vois dans quelle mesure nous pourrons garder, nous, Français – ce que je souhaite – certaines spécificités qui viennent de notre culture, de notre histoire, de notre pratique sociale. Et bien sûr, j’y suis très attaché. Mais ne nous faisons pas peur inutilement ! Les salariés français auraient tort de penser que l’Europe se joue contre eux, se fait contre eux. C’est l’inverse. Cela a été un élément d’augmentation de leur pouvoir d’achat et de leur sécurité, y compris de leur sécurité en matière sociale !
O. Mazerolle : La terreur à nos portes, c’est l’Algérie où chaque jour, des dizaines de personnes meurent sous les coups des terroristes. H. de Charrette, le ministre des Affaires étrangères dit dans une interview à « L’Express », ce matin, que le silence français n’est pas la manifestation d’une indifférence mais il faut bien comprendre que l’Algérie n’est pas la France.
F. Léotard : Je crois qu’il a raison mais je crois aussi qu’il faut distinguer ce qu’est la position du gouvernement, qui est bonne et juste, de celle des formations politiques. Moi, je souhaite que les familles politiques françaises démocratiques adressent aux forces démocratiques en Algérie un message de soutien, d’amitié, de respect. Je ne comprends pas pourquoi, pendant des années, nous avons été voir M. Havel, nous avons soutenu les dissidents à l’Est, nous avons soutenu ces démocrates à l’est de l’Europe et nous serions incapables de le faire aujourd’hui parce que ces démocrates seraient algériens ! Cela me choque.
O. Mazerolle : Les démocrates algériens sont moins unis, ils sont en désaccord notamment par rapport à l’islamisme.
F. Léotard : S. Saïdi, par exemple, défend des valeurs tout à fait identiques aux nôtres. Vous en avez d’autres. Je pense aux femmes algériennes, je pense aux intellectuels, aux journalistes : nous devons faire partir de France un beau message d’amitié, de soutien, de fraternité, de confiance dans la démocratie algérienne. Cela ne veut pas dire s’investir dans les questions intérieures de l’Algérie, cela veut dire simplement que la France, quand elle envoie un certain nombre de messages vers le reste du monde, ne doit pas oublier l’Algérie.
O. Mazerolle : Revenons à la France et la loi Robien : au sein même de l’UDF, il y a des critiques sur les effets pervers de cette loi. On dit que c’est à l’État qu’il appartient désormais de financer certaines entreprises tout à fait florissantes qui recourent à cette loi pour modifier finalement le temps de travail et embaucher de nouveau salariés.
F. Léotard : Je crois que la seule question qui se pose, et on pourra y donner une réponse dans quelques semaines ou dans quelques mois, c’est : est-ce que cette loi est trop chère ?
O. Mazerolle : Beaucoup de gens le disent.
F. Léotard : Oui. Elle a servi à protéger des emplois ou à en créer. Est-ce que le coût de cette protection ou de cette création d’emplois est acceptable pour le contribuable français ? C’est la seule question. Pour l’instant, c’est 800 millions de francs dans le budget de l’État. Est-ce que cela va déborder cette somme et est-ce que cela vaut le coup ? Nous allons faire un examen, je pense qu’elle peut être revue, en mettant notamment l’accent sur les bas salaires pour faire en sorte qu’il n’y ait pas un effet d’aubaine pour les entreprises qui ont des salaires très élevés. Cela, nous pouvons le faire, c’est possible, mais – pardonnez-moi l’expression un peu triviale – ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain, n’essayons pas de dire aujourd’hui, alors qu’elle a sauvé des emplois, qu’elle serait inutile. Ce n’est pas vrai. Sauver un emploi, c’est toujours quelque chose de pris sur le malheur.
O. Mazerolle : Alain Juppé a dit au conseil national du RPR qu’il allait essayer de bien gouverner. Cela vous donne du cœur au ventre en vue des législatives ?
F. Léotard : Bien sûr, moi je pense qu’il faut qu’on ait un gouvernement qui gouverne bien. Je pense que c’est un vœu qui n’est pas pieux.
O. Mazerolle : Il est capable de bien gouverner ?
F. Léotard : Oui, bien entendu, il l’a montré. Je crois néanmoins que nous ne serons pas jugés sur un bilan, je n’ai jamais pensé cela. Je pense qu’on sera jugé effectivement sur des perspectives, sur un courage, sur une attitude, sur un comportement qui concerneront l’avenir. C’est à cela que l’UDF entend s’attacher. Nous avons en cours la rédaction d’un projet sans promesse, sans démagogie, sans flatterie des Français, qui les appelle au courage, à la responsabilité, qui les appelle à l’Europe et je pense que c’est comme cela qu’il faut leur parler. Ils sont fatigués de promesses excessives et je ne crois pas qu’ils soient fatigués du courage.
O. Mazerolle : Pas de remaniement en vue ?
F. Léotard : Je n’en sais rien, il faut poser la question à M. Juppé.