Texte intégral
France 3 : jeudi 13 février 1997
E. Lucet : Est-ce que cette manifestation de G. Paquet, ça n’est pas, selon vous, de la légitime défense culturelle ?
P. Douste-Blazy : Bien sûr, l'heure est grave, car qu'est-ce que Châteauvallon ? C'est un lieu de culture de référence en France et en Europe. C'est à la fois la réponse sur le terrain, mais également dans le domaine des idées, à une atteinte tout à fait organisée, systématique, du Front national contre la culture.
E. Lucet : Ça veut dire qu'on aurait pu vous voir dans la manifestation d'aujourd'hui ?
P. Douste-Blazy : Je suis allé à Châteauvallon le premier, il y a plusieurs mois, pour aider G. Paquet, le directeur fondateur de Châteauvallon, avec des écrivains, avec F. Nourissier, Y. Queffélec, avec R. Desforges, M. Halter.
E. Lucet : Donc ça veut dire que vous êtes aux côtés de ceux qui ont manifesté aujourd'hui ?
P. Douste-Blazy : Aujourd'hui, il faut lutter contre le Front national qui, non seulement porte atteinte à la culture, mais aussi aux libertés essentielles. Et je crois que c'est vraiment très important. S'il y a des solutions ? et je profite de cette émission pour le dire -, s'il y a des solutions, le 27 mars, nous ferons, avec J.-C. Gaudin, avec H. Falco, nous ferons une nouvelle association pour que l'esprit de Châteauvallon reste. C'est une culture ouverte sur le monde, une culture qu'il faut défendre, et je n'accepterai pas la culture repliée sur elle-même que propose le Front national.
E. Lucet : Donc si je vous entends bien, ça veut dire qu'un maire ? qu'il soit Front national ou pas d'ailleurs, car la n’est pas la question -, ne peut pas faire de la censure culturelle ?
P. Douste-Blazy : Je crois qu’il serait dramatique qu'un maire fasse de la censure culturelle. La culture, c'est l'autre, le respect de l'autre, et donc la tolérance. Chaque fois qu'il y aura une atteinte à la liberté, que ce soit la liberté culturelle, je m'entends, que ce soit dans une bibliothèque, que ce soit dans un cinéma, dans un théâtre, je serai là pour dire non !
E. Lucet : Depuis hier, on a entendu de nombreux ministres critiquer cette initiative de façon assez virulente. Est-ce de la solidarité gouvernementale ou tout simplement la défense d'un principe savoir celui d'une loi votée ?
P. Douste-Blazy : D'abord, on ne peut pas demander à un ministre de proposer d'être élu. Le jour où ceci arrivera, ce sera très grave ! Sur le fond, les choses sont très, très graves. Il s'agit, en effet, de lutter contre l'immigration clandestine. On ne peut pas, aujourd'hui, ne pas lutter contre l'immigration clandestine et si vous êtes pour l'immigration clandestine, vous ne pouvez pas lutter contre le Front national puisque ce dernier fait de l'immigration clandestine son terreau, son fonds de commerce. Et donc, J.-L. Debré s'attaque aujourd'hui l'immigration clandestine parce qu'il faut le faire. Il faut s'attaquer en particulier à ceux qui font venir des immigrés clandestins, qui ne les payent pas et qui les exploitent.
E. Lucet : Mais les artistes vous disent que cette loi transforme le citoyen moyen en officier de police judiciaire puisqu’il faut aller signaler qu'un étranger est parti de chez vous et c'est cela contre lequel ils s'opposent.
P. Douste-Blazy : Premièrement, il n'y a pas de loi mais un projet de loi ! La loi n'est pas votée. Elle va au Sénat, à l'Assemblée nationale et va revenir encore en navette. Deuxièmement, il me paraît important...
E. Lucet : Cela veut-il dire qu'elle peut être changée ?
P. Douste-Blazy : C'est le ministre de l'intérieur qui dirige les débats et ce qui est important, me semble-t-il, c'est de lutter contre l'immigration clandestine. Il faut arrêter de parler et être plutôt sur le terrain. Regardez Vitrolles ! 52 % de gens ont voté Front national ! Quand vous avez 52 %, comme l'a dit le président Séguin, c'est un thermomètre, et le casser ne sert à rien. Il faut regarder le thermomètre et se demander pourquoi il y a 52 %.
E. Lucet : Dernière question, si vous recevez un étranger chez vous, allez-vous vérifier ses papiers pour savoir s'ils sont en règle et aller le signaler à la mairie ?
P. Douste-Blazy : Je souhaite que les étrangers continuent à venir en France et à circuler librement. Mais la loi est la loi et je suis très fier d'être dans un pays où à la fois le Premier ministre et le Président de la République sont très clairs contre le Front national, et en même temps sont des gens responsables qui luttent contre l'immigration clandestine, comme d'ailleurs en Allemagne. Et je vous dirai que M. Badinter, en 1982, avait fait également un décret avec un certificat d'hébergement. Qu'on s'en souvienne !
Le Figaro : 14 février 1997
Le Figaro : Depuis quelques jours, les milieux culturels s’agitant. Que se passe-t-il ?
Philippe Douste-Blazy : Comme vous le savez, j’ai été l’un des premiers à me rendre à Châteauvallon avec des écrivains comme François Nourissier, Robert Sabatier, Marek Halter, Régine Defores, Yann Queffélec, Yves Berger et d’autres. Je vois que la mobilisation continue. Châteauvallon est une des références culturelles de notre pays dans le sud de la France, j’ai toujours soutenu son directeur-fondateur, Gérard Paquet, ainsi que son équipe et son projet.
Le Figaro : Est-ce que vous ne craignez pas que Châteauvallon devienne un prétexte à d’autres combats ?
Philippe Douste-Blazy : Ce que je redoute le plus, dans ce domaine comme dans bien d’autres, c’est la confusion et l’amalgame. Qu’est-ce que Châteauvallon ? C’est la réponse sur le terrain, d’une part, et dans le domaine des idées, d’autre part, d’une offensive préméditée, pensée, organisée du FN contre la culture. À cette offensive, je réplique en assurant une nouvelle fois Gérard Paquet de mon soutien sans réserves. L’esprit de Châteauvallon ne mourra pas. Il vivra. Aux portes de Toulon. Dans Toulon même. Ou ailleurs dans le Var. Je comprends, donc les centaines d’artistes qui se mobilisent pour que Châteauvallon vive. Leur combat est mon combat.
Le Figaro : Est-ce que l’amalgame fait entre le combat des artistes pour Châteauvallon et l’appel à la désobéissance contre le projet de loi Debré ne risque pas d’embrouiller le débat ?
Philippe Douste-Blazy : Qu’est-ce que Châteauvallon ? Une cause que nous avons tous à défendre contre le FN. Qu’est-ce que le projet de loi contre l’immigration clandestine ? C’est un projet de loi dont notre pays a besoin pour réguler l’immigration, dont nous savons tous qu’elle a pu être, et qu’elle est encore à bien des égards, une chance pour ce pays. Ce projet de loi, que le gouvernement estime nécessaire, doit s’accompagner d’une démarche permanente d’intégration des immigrés en situation régulière sur le sol français que souhaitent rejoindre la communauté nationale. Si l’on donne à penser aux Français qu’on ne peut défendre Châteauvallon sans s’interdire de prendre ses mesures contre l’immigration irrégulière, alors, on fait le lit du Front national.
Le Figaro : Vous approuvez donc sans réserve le projet Debré ?
Philippe Douste-Blazy : C’est le devoir du gouvernement, et du Parlement, de rechercher une solution législative, et donc fondée sur la volonté générale, à l’immigration clandestine, qui est un drame pour tous ceux qui la subissent et qui la vivent.
Le Figaro : Avez-vous le sentiment que les artistes sont repartis pour un combat idéologique qui dépasse largement la simple affaire de Châteauvallon et du FN ?
Philippe Douste-Blazy : Châteauvallon n’est pas une simple affaire, une péripétie. C’est un élément d’un combat qui le dépasse et le contient.
Quant aux artistes, le combat qu’ils mènent pour Châteauvallon, c’est-à-dire pour les idées, lorsqu’il s’agit de prises de position citoyennes, est aussi dans la tradition de la vie politique française. Le combat pour les idées ! Il n’y en a pas de plus noble. Le combat idéologique ? Écoutez, dans notre XXe siècle qui s’achève, artistes et intellectuels me semblent en avoir déjà fait les frais. Qu’ils ne sacrifient pas leur lucidité.