Article de M. Jacques Dondoux, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, dans "ENA mensuel" le 4 mars 1998, sur les enjeux du commerce électronique pour l'exportation, intitulé "Société de l'information et concurrence internationale".

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Média : ENA mensuel

Texte intégral

1) La société de l’information, un enjeu primordial pour les entreprises.

Les technologies de l’information et de la communication sont dès aujourd’hui au cœur de la concurrence internationale et de la compétitivité des entreprises. Il est devenu banal d’affirmer que nous vivons une période marquée par des bouleversements techniques dont les plus visibles s’effectuent dans le domaine des technologies de l’information.

La société de l’information, loin de n’être qu’un horizon vague, est en train de devenir aujourd’hui une réalité. Elle fournit des outils et des services utiles à la maison, sur le lieu de travail, partout, et en particulier pour les entreprises.

L’utilisation des technologies de l’information est déjà déterminante et le sera davantage encore dans l’avenir. Les pays qui maîtrisent bien ces technologies resteront compétitifs au plan international. Il s’agit d’un enjeu majeur pour les prochaines décennies pour la quatrième puissance exportatrice que nous sommes.

Les technologies de l’information réduisent les distances et les délais, et donnent aux entreprises un accès immédiat aux marchés mondiaux. En particulier, le commerce électronique présente un potentiel très important, surtout pour les P.M.E. : l’accès direct, électronique, permet au client d’abaisser les coûts de distribution et d’ouvrir rapidement l’accès à des marchés nouveaux au plan international. Grâce à Internet, le monde est à portée de main.

Dans les relations entre donneurs d’ordres et sous-traitants, un usage accru de l’échange de données informatisées peut contribuer à réduire les délais et les coûts. Les marchés à l’exportation sont de taille telle que, bien souvent, seule une association avec une autre P.M.E. ou une réponse conjointe avec un grand groupe peut permettre de décrocher des marchés désormais vitaux.

L’accès immédiat à l’information devient plus facile. Il permet aux entreprises de profiter d’informations auparavant inaccessibles. L’utilisation de ces technologies pour sa propre information, dans le fonctionnement même de l’entreprise, permet d’obtenir en temps voulu l’information adéquate.

La mutualisation de l’information au sein de l’entreprise permet d’accroître la compétitivité, grâce à des outils comme l’Intranet.

2) Une politique gouvernementale cohérente et volontaire.

On ne peut que constater le contraste entre le quasi-désintérêt des gouvernements précédents et l’implication forte de celui-ci, sous la direction du Premier ministre, sur ces questions cruciales pour l’avenir de la société française. Notre retard est pourtant considérable. On comptait, en juillet 1997, près de 11 millions d’ordinateurs-hôtes de sites Internet aux États-Unis (soit 56 % du total mondial) et seulement 321 000 en France, soit 1,7 % du total mondial !

Nous nous inscrivons heureusement aujourd’hui dans une approche nouvelle et ambitieuse traduite dans le programme gouvernemental sur la société de l’information diffusé le 16 janvier dernier.

Je ne retiendrai à titre d’exemple que deux initiatives du Gouvernement, qui me paraissent emblématiques de cette nouvelle ambition. Je rappellerai tout d’abord la mise en place d’un fonds pour le capital-risque de 500 millions de francs par Dominique Strauss-Kahn, grâce auquel nous allons enfin pouvoir lutter plus efficacement avec nos concurrents pour faire démarrer les entreprises de haute technologie française et encourager les initiatives. Dans l’Éducation nationale également, les décisions prises par Claude Allègre montrent une vision ambitieuse d’équipement des établissements scolaires et d’utilisation raisonnable des nouveaux moyens éducatifs et pédagogiques.

Il reste cependant illusoire de tout attendre d’une action gouvernementale, aussi déterminée soit-elle. Il faut être modeste : c’est l’appropriation par la société et par les citoyens eux-mêmes qui permettra l’épanouissement des potentialités offertes par les technologies. L’État n’a qu’un rôle d’initiateur, et d’encadrement général, principalement limité d’ailleurs à ne pas entraver inutilement les développements techniques. Choisir de ne pas agir - en particulier de ne pas réglementer - est un acte politique qui peut être aussi très lourd de conséquences.

L’existence au sein de l’État de compétences techniques sur ces sujets est dans ce contexte un atout à préserver et développer, afin de prévenir des décisions à contre-courant de l’avancée technologique qu’engendrerait une trop faible connaissance de ces sujets.

À cet égard, les « équipes » administratives spécialisées sont fort peu nombreuses au sein de notre administration, et il est devenu indispensable de réfléchir à leur renforcement significatif. Il faut d’ailleurs rendre hommage à ceux qui, depuis plusieurs années, concurrent au sein des administrations, parfois avec difficulté, à cette prise de conscience de l’importance du domaine.

3) L’expérience du Minitel peut être mise à profit pour accélérer le passage à Internet.

J’aimerais éclairer rapidement la (sans doute trop) fameuse « comparaison Minitel-Internet ». Je suis, non pas l’inventeur du Minitel comme on l’entend souvent, mais le concepteur du système kiosque, qui permet la rémunération des diffuseurs d’information.

Le Minitel va connaître un lent déclin. Son attrait, ses possibilités techniques limitées, son attractivité en font un instrument technique dépassé, après tout de même plus de quinze années de bons services.

Je voudrais rappeler quelques-unes des raisons, qui n’ont que des liens lâches avec la technique de paiement, qui ont fait le succès du système kiosque :

Il permet facilement des paiements de tous montants.

Il permet l’identification de la société, qui a « quelque part » une déclaration et un enregistrement en tant que société sur le territoire national. En général, un acte commercial est donc susceptible de recours de la part d’un acheteur, qu’il soit un consommateur ou une entreprise mécontent ou simplement interrogateur.

Le vendeur est présent sur le territoire national. Il est donc soumis sans ambiguïté aux règles et contrôles français, dont l’acheteur peut se prévaloir (règles de la VPC, de qualité des produits, de diffusion de l’information, etc.).

Le paiement effectif est opéré par un intermédiaire, opérateur de réseau téléphonique, qui se charge du recouvrement. Ce dernier est facilité par la présence et l’enregistrement de l’acheteur sur le territoire national.

Ces caractéristiques, que l’on ne retrouve que difficilement sur Internet, sont nécessaires pour créer la confiance des citoyens et entreprises françaises habitués à ces certitudes. Cette situation est spécifique, et constitue un handicap certain dans l’appropriation d’Internet par les acteurs économiques de notre pays. Il est souhaitable de disposer sur Internet d’un système comparable au kiosque. Je ne parle bien sûr pas du concept technique du moyen de paiement, qui sera très différent, mais de ces quelques certitudes raisonnables aptes à créer la confiance des entreprises et des consommateurs. De nombreux développements techniques sont en cours, afin que les entreprises sur Internet aient tout simplement des clients.

Il ne faut pas dramatiser ce « handicap français » : le besoin de savoir ce que l’on achète réellement, à qui, à quel prix, quelle est la loi applicable et quels sont les moyens de recours est universellement partagé.

J’observe à cet égard par exemple que les sociétés de distribution américaines mettent finalement en place des systèmes d’achat complet (ou plutôt, elles les complètent après leurs premiers échecs), permettant aux clients de connaître suffisamment le vendeur, la qualité des produits, de savoir vers qui se retourner en cas de contestation, etc.

Internet permet d’avoir accès au monde entier. Il permet la transmission de textes, mais aussi d’images et de sons. Son attrait pour l’utilisateur est largement supérieur à celui du Minitel, qui n’a pas évolué et est resté national. Il est devenu indispensable pour la France de s’en détacher. La migration des services Minitel de l’État vers Internet est à cet égard une excellente mesure qui encouragera ce mouvement et contribuera à ne pas nous laisser dépasser.

4) Le commerce électronique : un enjeu majeur pour l’internationalisation des entreprises.

Dans la poursuite de cet objectif, les réflexions entreprises sous l’égide de M. Francis Lorentz marquent enfin le début d’une large discussion sur le commerce électronique. L’enjeu est d’importance : nous devons en particulier veiller à ce qu’Internet, dont la France prend conscience aujourd’hui de l’importance pour les échanges internationaux, soit une vraie place de marché équitable. Il faut que s’installe une véritable concurrence sur les produits, et non sur des protocoles techniques qui en fermant le marché peuvent détruite la valeur.

Bien sûr, il ne s’agit pas de nier des différences culturelles, sources de richesse et non obstacles, mais de les prendre en compte pour créer un environnement favorable pour la vente, qui profite à tous. Le rapport contient ainsi un certain nombre de propositions pour permettre à l’État d’accomplir les missions qui lui sont confiées par les citoyens afin de créer les conditions de la confiance des entreprises et des consommateurs. Nous devrons pour cela coordonner nos politiques au sein des différentes instances internationales concernées.

5) Quelques actions dans le domaine du commerce extérieur.

Dans le domaine du commerce extérieur, qui est le mien au sein du gouvernement, nous avons en priorité une tâche de sensibilisation à effectuer auprès de toutes les entreprises, et particulièrement les P.M.E. Nos entreprises doivent mieux réaliser le formidable bouleversement que constitue Internet dans la vie économique.

Mais si nous voulons amener les entreprises sur les marchés étrangers par les technologies de l’information, il ne s’agit pas seulement de faire prendre conscience aux entreprises de l’existence des nouvelles technologies. Il est indispensable qu’elles soient sensibilisées à l’usage particulier et spécifique d’Internet pour l’exportation.

Dans le cadre du programme gouvernemental sur la société de l’information, j’ai ainsi décidé d’une action de promotion et de sensibilisation, par un mécanisme destiné à promouvoir une image internationale dynamique de la France : « Les exportateurs sur la Toile ». Il s’agira de délivrer, sous des conditions strictes qui sont en cours de définition, un label aux entreprises les plus innovantes dans ce domaine.

Les technologies de l’information n’ont pas pour seule fonction d’externaliser une image ou des produits : elles permettent également d’avoir à portée de main et pour un faible coût une mine d’informations utiles pour le développement international des entreprises. Il reste cependant nécessaire que les entreprises puissent chercher et utiliser l’information adéquate : leur environnement, dans un contexte d’ouverture des marchés et d’évolution technologique rapide, est de plus en plus complexe. L’État a un rôle important à jouer dans ce domaine, doit mieux répondre aux besoins des entreprises, et je m’y emploie également.

Il est indispensable de faire mieux valoir les atouts de la France dans le domaine du secteur des technologies de l’information et de la communication, pour que nos entreprises profitent au mieux de l’ouverture des marchés mondiaux des télécommunications que permet l’accord intervenu à l’Organisation mondiale du commerce, récemment ratifié par notre Parlement. Il permet de rétablir une situation qui serait, sans lui, déséquilibrée : l’Union européenne a décidé d’ouvrir la concurrence à la téléphonie vocale en Europe. Il était essentiel d’obtenir de nos partenaires hors d’Europe des engagements comparables. L’ouverture dans le domaine des services conduit à des opportunités nouvelles pour les ventes de matériels, dans des secteurs où les industriels français sont plutôt en position favorable.

Dans ce contexte de l’ouverture des marchés mondiaux, il est important que les réseaux publics soient réactifs, et exercent une véritable veille stratégique sectorielle. Nous analysons les parts de marché des entreprises françaises du secteur des technologies de l’information et de la communication à l’exportation et leurs perspectives d’évolution au regard de la concurrence internationale. Nous contribuerons ainsi à accroître les exportations de la technologie française de ce secteur qui recèle de très fortes opportunités à l’exportation.

6) Internet ou l’imagination au pouvoir.

Internet est ainsi loin de se limiter à un simple instrument de « communication ». Il s’agit d’un enjeu en lui-même, dont les possibilités sont encore aujourd’hui peu exploitées.

Les contributions réunies dans cette revue éclairent et permettent de comprendre un peu mieux sur les divers usages du réseau mondial, dont personne n’a fini d’explorer les possibilités. Internet tel que nous le pratiquons aujourd’hui nous apparaîtra un jour dépassé et lent, comme une « Version 0.1 ». Et ce jour n’est pas dans dix ans, mais dans quelques années. C’est là que l’aventure est intéressante : le réseau change, évolue tous les jours. De nouvelles possibilités techniques remettent en cause régulièrement les schémas traditionnels de la chaîne de valeur ajoutée, de la réglementation, etc. De ce foisonnement naît la vie propre du réseau et ses évolutions permanentes.

Il faut prendre garde à ne pas être distancé, et être encore plus réactif, dans un monde où quelques mois de retard technologique signifie souvent la mort. Ayons confiance dans les capacités et l’inventivité techniques des citoyens français, de nos ingénieurs et de nos entreprises, qui sauront s’approprier ce mouvement et imaginer à leur tour l’innovation de demain.