Articles de M. Marc Vilbenoit, président de CFE CGC, dans "La Lettre confédérale" des 13 et 20 janvier 1997 ("Flexibilité : le contresens" et "Les vertiges de la retraite") et interviews dans "Libération" le 28 et à RMC le 31, sur la retraite à 55 ans, le projet d'épargne retraite et l'application aux cadres de la loi Robien.

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Texte intégral

La Lettre confédérale CGC - 13 janvier 1997

Flexibilité : le contresens

Si je n’avais qu’un souhait à exprimer en ce début d’année pour l’action de la CFE-CGC, ce serait de contribuer fortement à réduire l’incertitude qui ronge notre société et stérilise ses élans.

La précarité qui crée l’incertitude, les incertitudes qui se multiplient et se renforcent, concourent à la rupture de tous les équilibres.

Pour solution à nos problèmes, et en premier lieu à celui du chômage, d’aucuns veulent développer, après la baisse des charges des entreprises et la réduction du coût du travail, une flexibilité triomphante, remède miracle, panacée absolue.

Ainsi, selon eux, faudrait-il brûler le Code du travail, jeter aux orties les conventions collectives, battre en brèche l’action syndicale, restreindre la protection sociale, supprimer les règles et les contrôles, y compris ceux du juge sur les plans sociaux. Et pour quels résultats, pour quelles ambitions, avec quelles finalités ?

Il ne suffit pas de balayer d’un revers de main le chômage et ses conséquences en affirmant que la France est un pays riche et même, de plus en plus riche. Mais, qu’est-ce que cette richesse, à quoi sert-elle, à qui profite-t-elle ? Là est la question.

Les tenants du libéralisme sans contrainte manient le paradoxe, voire l’alibi idéologique, et commettent un énorme contresens. Paradoxe que de réclamer à cor et à cri une flexibilité qui existe déjà. Près des ¾ des recrutements sont effectués en CDD, plus de 60 % des sorties sont des fins de CDD. Pour un poste fixe créé, on enregistre trois embauches et deux licenciements… Après les produits, ce sont les hommes qui sont gérés à flux tendu !

Contresens social et économique que d’augmenter l’incertitude et l’insécurité par l’aggravation d’une précarité qui accroît la fracture sociale et pèse sur l’activité économique intérieure.

Disant cela, je sais que je serai suspect de conservatisme. Je réfute cette accusation, car il ne s’agit pas pour nous de maintenir en l’état une société inadaptée aux évolutions du monde, ni de s’attacher aveuglément à l’existant. Je revendique cette qualification, car conserver, c’est aussi préserver de la dégradation, protéger et sauvegarder des valeurs. N’est-ce pas cela, en définitive, agir syndicalement ? En 1997, n’est-ce pas remettre l’Homme au centre de tous les processus de décision politiques, économiques et sociaux ? Agir syndicalement, n’est-ce pas avant tout redonner du sens à notre société qui, chacun peut le constater jour après jour, perd ses repères ?

J’affirme ici, comme je l’ai fait lors de notre congrès, que l’immobilisme économique et social est mortel parce que trompeur et illusoire, mais je réaffirme avec autant de force qu’adaptation n’est pas précarisation. La précarisation conduit à « l’exclusion du monde des vivants », elle est insupportable.

Adapter sans précariser par la négociation et la politique contractuelle, c’est possible si une volonté existait vraiment au patronat. Si cette voie était prise, nous pourrions passer une meilleure année 1997.

C’est le vœu que je formule pour nous tous.

 

La Lettre confédérale CGC - 20 janvier 1997

Les vertiges de la retraite

Ainsi, la retraite à 55 ans fascinerait 6 Français sur 10 et les deux tiers des salariés du privé.

Cette information, associée à une mise en garde du Président de la République, a provoqué, tout au long du dernier week­end, une profusion de réactions politiques en chaîne. Réactions qui ont hissé, par un effet de loupe, un simple sondage à la hauteur d’un problème national dans un climat proprement irréaliste, pour ne pas dire surréaliste.

D’abord qui se souvient qu’avant les législatives de 1978 – et donc avant la retraite à 60 ans – 50 % des Français souhaitaient prendre leur retraite entre 50 et 55 ans (sondage IFOP) ?

Ensuite, qui dans ce pays a revendiqué une généralisation de la retraite à 55 ans, dont le coût pour le seul régime de base des salariés serait de l’ordre de 120 milliards de francs, alors que nous avons eu toutes les peines du monde à maintenir le financement à 60 ans ?

En tout cas, pas les organisations syndicales responsables. Alors, on pourrait peut-être s’interroger pour savoir ce qui a pu populariser cette idée chez nos concitoyens.

Ne serait-ce pas, par exemple, le comportement des entreprises qui font comprendre à leurs salariés, à leur encadrement, qu’après 50 ans, décidément on ne représente plus l’avenir, on n’a plus besoin de formation, ni de considération, ni d’augmentation de salaire… ?

Ne serait-ce pas toujours la multiplication des plans de licenciement, de leurs cohortes de mesures d’âge et l’exemple des centaines de milliers de salariés passés par le tunnel des diverses conventions sociales qui se succèdent ?

Ne serait-ce pas, de plus, les demandes de certains patrons qui veulent, par dizaine de milliers, sortir les salariés de plus de 50 ans de leurs entreprises ? Ici 40 000 dans l’automobile, là 30 000 dans le bâtiment, et combien d’autres ailleurs ?

Ne serait-ce pas encore l’incitation de grandes entreprises publiques, sous tutelle ministérielle, qui ont négocié ou négocient des départs à 53 ans ?

Ne serait-ce pas, enfin, le Gouvernement lui-même qui, pour résoudre le conflit des chauffeurs routiers, a organisé un « canada dry » de retraite à 55 ans ?

Toutes choses qui aboutissent à ce que près de 2 salariés sur 3 ne soient plus au travail lorsqu’ils prennent leur retraite. Toutes choses qui relativisent la valeur du travail et font dire que la retraite est belle !

Il est bien temps de crier gare quand on est à la source des problèmes que l’on dénonce ! Arrêtons de tout mélanger, de tout confondre.

Cessons de faire rire – jaune – tous ceux, jeunes et moins jeunes, acteurs ou spectateurs de l’exclusion des femmes et des hommes de l’entreprise, à qui l’on ressasse, c’est vérité mathématique, que l’augmentation de la durée de vie doit faire reculer l’âge de la retraite.

Mettons en place, par exemple, pour 3 ans, le contrat relais de générations que propose la CFE-CGC. Son caractère ponctuel, son financement raisonnable, sa durée limitée ne l’apparentent en aucune manière à un coût permanent de retraite. En laissant partir des salariés de 55 ans et plus ayant une longue carrière (38 ans) en échange d’une embauche, c’est 200 000 jeunes que l’on peut faire accéder à l’entreprise. Est-ce une idée trop simpliste pour l’esprit subtil des décideurs ?

Attaquons le chantier de la réorganisation du cycle de vie. Organisons une nouvelle articulation des études, de l’insertion dans l’entreprise, du travail, de la formation continue, de la cessation progressive d’activité, d’une retraite assouplie. Initions ce droit nouveau du congé-études. La revendication pour demain, c’est 32 ans payés 40 !

En d’autres termes, gérons l’avenir sinon l’urgence et la nécessité feront resurgir les solutions du passé.

 

Libération - 28 janvier 1997

Libération : La révolte couve-t-elle chez les cols blancs ?

Marc Vilbenoît : Je n’aime pas les mots de « révolte » ou de « malaise » des cadres. Je crois qu’il y a un ras-le-bol, une grande lassitude. Ils sont excédés, parfois furieux. Ce n’est d’ailleurs pas un phénomène nouveau. J’avais tiré le signal d’alarme à l’automne, et nous avons même fait, en décembre, une campagne d’affichage sur ce thème. Depuis, la colère n’a fait que croître et s’amplifier.

Libération : Qu’est-ce qui explique ce ras-le-bol ?

Marc Vilbenoît : On demande aux cadres d’adhérer à des projets d’entreprise auxquels ils ne sont pas associés et qui se soldent toujours par des redimensionnements, des restructurations et des plans sociaux. On ne s’intéresse qu’aux résultats financiers. En même temps, les conditions et la durée du travail se dégradent. On taille dans les lignes hiérarchiques au nom de la réactivité, et du coup, la charge de travail augmente, tandis que les hausses de salaire et les promotions se font de plus en plus-rares. Mais le vrai problème de fond, c’est qu’il y a une cassure dans la crédibilité des dirigeants d’entreprises.

Libération : Justement, on a vu ^pour la première fois, au Crédit foncier, des cadres participer à la séquestration d’un dirigeant. Vous adoptez des méthodes musclées ?

Marc Vilbenoît : La séquestration n’est pas notre tasse de thé. Le problème au foncier était de ne pas rompre l’unité de l’intersyndicale. Et puis, il ne s’agissait pas vraiment d’une prise d’otage. Autant les occupations ne me choquent pas, autant il faut éviter les séquestrations.

Libération : Est-ce qu’on doit s’attendre à des actions semblables ailleurs ?

Marc Vilbenoît : Dans cette affaire, Jean Arthuis, le ministre de l’économie, a joué les pyromanes en disant : « La banque est morte » après l’avoir tuée en supprimant son fonds de commerce : les prêts d’accession à la propriété (PAP). Il a pris les problèmes à l’envers. La bonne démarche aurait été de se demander d’abord ce que peut devenir cette entreprise compte tenu de son savoir-faire. Les cadres ont l’habitude de s’impliquer. Maintenant, ils s’impliquent dans la survie de leurs entreprises. Je crois que le conflit du Crédit foncier est exemplaire, voire précurseur.

Libération : Les cadres ne se réveillent-ils pas un peu tard, après avoir accepté sans mot dire les plans sociaux dans les années 80 ?

Marc Vilbenoît : Ce n’est pas tout à fait faux. Mais, en réalité, ça fait maintenant un bon moment qu’ils sont touchés. Simplement, ils ont mis un peu de temps à en prendre conscience. Je vous rappelle que, pour la première fois, en 1993, l’emploi total des cadres a diminué, de 0,8 %, dans le secteur concurrentiel. Sur la période 1992-1996, leur taux de chômage a triplé.

 

RMC - Vendredi 31 janvier 1997

RMC : On croyait que les cadres étaient calmes, réservés et voilà qu’ils occupent les locaux du Crédit foncier de France et qu’ils séquestrent le gouverneur !

M. Vilbenoît : Ce n’est pas nouveau que les cadres s’engagent dans une action quand la survie de leur entreprise est en cause. Séquestration, c’est un bien grand mot ! J’ai, moi-même, rencontré le gouverneur. Disons qu’il était retenu dans un cadre intersyndical. Mais je ne crois pas que ce soit des méthodes à généraliser. Par contre, on demande tous les jours à l’encadrement de s’impliquer à fond dans la gestion des entreprises, dans le service aux clients, dans la mise en œuvre des nouvelles technologies. La pression est forte sur la disponibilité et puis d’un seul coup, des décisions extérieures incompréhensibles viendraient mettre fin à toute l’activité d’une entreprise. Eh bien, je crois que l’ensemble du personnel, l’encadrement aussi, est fortement impliqué, car ils ont dit qu’ils n’étaient pas du tout acceptable qu’arbitrairement, des technocrates de Bercy ou d’ailleurs, voir même un ministre, viennent décider de la mort de notre entreprise.

RMC : Donc la suite, c’est quoi ?

M. Vilbenoît : Écoutez, vous l’avez vu. Il n’y a plus de plan Arthuis. Il paraît même qu’il n’y en a jamais eu ! Nos élus syndicaux discutent avec le médiateur. Ils ont des dossiers solides. Ils les ont défendus à Bruxelles. Ils montrent chaque jour que l’entreprise est viable qu’elle a su survivre à la suppression du monopole de distribution des PAP, qu’elle a pris sa part de marché dans le nouveau système Périssol, qu’elle fait des bénéfices. Eh bien, ils demandent qu’on leur donne le droit de vivre.

RMC : On vous a entendu, il y a quelques mois, dire « halte au casse-cou, les cadres vont très mal. » Quelle est la situation actuelle pour les cadres en France ? Est-ce que cela va mieux comme tout le monde le dit actuellement ?

M. Vilbenoît : Dans le domaine économique, on ne peut pas juger comme cela sur une variation d’indice d’un mois sur l’autre. On fait « cocorico », on se réjouit quand il y a un indice favorable pour l’emploi alors qu’il a été suivi de trois mois défavorables et précédé de six mois où le chômage s’est accru, eh bien, il faut garder les nerfs un peu solides ! Aujourd’hui, on nous dit que l’économie va aller mieux, notamment grâce à la montée du dollar. La remontée du dollar est un côté positif et tout le débat sur l’euro nous intéresse, bien sûr, mais attention, le vrai problème pour nous, c’est de savoir ce que l’on va faire de cette amélioration économique. Et notamment, je suis inquiet quand l’INSEE me dit que, quelle que soit la croissance d’ici l’an 2000 ou 2002, le chômage ne va pratiquement pas varier dans ce pays. C’est cela la question.

RMC : Actuellement, sentez-vous les choses bouger ?

M. Vilbenoît : L’effet d’accumulation et de ras-le-bol des plans sociaux à répétition amènent un effet de refus. C’est clair et cela vient de partout. Encore une fois, on me dit que la situation économique s’améliore, les entreprises, les chefs d’entreprises, certaines branches disent que cela s’améliore. Je l’espère comme tout un à chacun, mais ce qu’il faut ouvrir derrière, c’est le débat sur ce que l’on va faire ?

RMC : Quel est le jugement que vous portez de façon générale sur la direction qu’a prise le Gouvernement ces dernières semaines. Je veux parler de la flexibilité, de l’épargne retraite, de la loi Robien. Cela va-t-il dans la bonne direction ou non ?

M. Vilbenoît : Pour ce qui est d’un jugement global sur l’action du gouvernement, je laisserais plutôt cela à un parti politique. Mais de manière générale, je trouve que l’on ne va pas assez vite dans la lutte contre le chômage et la restauration de l’emploi. Je note un certain nombre d’incohérences. Par exemple, l’affaire de la loi Robien. On vote, il y a six ou sept mois, dans l’enthousiasme parlementaire, une loi qui est le seul outil aujourd’hui – puisque les négociations par branche sur l’aménagement et la réduction du temps de travail n’ont rien donné – pour essayer, soit de manière défensive dans le cas de plans sociaux, soit de manière positive, d’aller vers une autre organisation du temps de travail, de la vie au travail. Et puis brutalement, on découvre qu’elle coûte trop cher et se lance tout un débat dans lequel on voit un ministre qui dit que, dans le fond, quand il y a aménagement du temps de travail, il ne faudrait plus y mettre les cadres. Autrement dit pour les cadres, c’est : travaillez plus, toujours plus mais vous serez les seuls perdants ! Alors que ce sont eux qui mettent en œuvre toutes les nouvelles organisations du travail. La loi Robien était une loi intéressante selon nous, mais attention de ne pas la tuer avant qu’elle ait commencé à être mise en œuvre.

RMC : Pour le moment, vous qui rencontrez le ministre régulièrement, quelle est la situation actuelle, est-ce qu’elle s’applique aux cadres ou non ?

M. Vilbenoît : C’est très clair. Il y a eu un mot que je juge malheureux de J. Barrot qui, dans une interview, a dit que dans le fond, on pourrait ne pas l’appliquer aux cadres. Moi, j’ai parlé de ségrégation absolument intolérable parce que je ne vois pas au nom de quoi, ceux qui vont être porteur de cette organisation du travail en seraient exclus. Alors, il est revenu sur ces propos sur une antenne périphérique et nous en sommes là. Actuellement, la loi Robien s’applique par le biais d’accords d’entreprise et nous veillons à ce qu’elle s’applique à toutes les catégories sociales.

RMC : Mais si elle est trop chère ?

M. Vilbenoît : Je ne peux pas penser que les parlementaires votent des lois, que le Gouvernement les laisse voter sans qu’on en ait mesuré la portée ! Cela coûte très cher mais que coûte le chômage ? Combien coûte le chômage ? Nous sommes partisans de l’activation des dépenses de chômage. On l’a montré encore dans les négociations de l’année dernière. Oui, on peut utiliser l’argent pour un contrat de génération, pour l’ARP. Nous proposons de laisser partir dans les PME des salariés de 55 ans, non pas en retraite, mais avec un système qui permette l’embauche des jeunes. 200 000 postes ! Voilà de l’argent utilisé utilement, car 200 000 chômeurs de moins, c’est toujours bon pour la société, surtout quand ce sont des jeunes.

RMC : On a mal compris que vous soyez mis aux côtés de la CGT ou de la CFDT contre les incitations sur l’épargne retraite ?

M. Vilbenoît : Il y a un vrai danger. Nous ne sommes pas idéologiquement contre toute idée de fonds de pension dès lors que l’on respecte les taux des régimes obligatoires. Mais le système tel qu’il a été fait est insidieux. Il y a une possibilité d’évasion de l’assiette de cotisations de l’ordre de 20 milliards entre le régime général, l’AGIR et l’ARCO. 20 milliards, cela représente quelques milliards de ressource. L’idée de fonds pension a pénétré, bien sûr, et je n’ai pas dit que je n’en voulais pas mais j’ai dit que je n’en voulais pas si c’était pour substituer, en définitive, la capitalisation à la répartition. Si la somme des deux n’est pas un progrès pour les salariés, je ne vois pas au nom de quoi, on ferait baisser les retraites des régimes généraux pour remettre de l’argent dans la capitalisation sinon pour faire plaisir au circuit économique, voire aux assureurs ou aux banquiers. Je peux le comprendre, mais je ne peux pas être d’accord. Donc, pour moi, pas d’hostilité totale aux fonds de pension, mais il faut éviter que cela devienne une mesure dangereuse et insidieuse de perte de recettes pour nos régimes.