Texte intégral
RMC - 15 janvier 1997
Philippe Lapousterle : Votre syndicat, dans ses effectifs, a augmenté. Vous avez défini votre politique. Vous avez dit que vous étiez responsable mais pas béni-oui-oui et vous avez réaffirmé votre choix du refus de l’agressivité. Lorsque l’on est non agressif et lorsque l’on est un syndicaliste responsable mais en même temps revendicatif, est-ce que l’on a en face de soi un Gouvernement qui va dans la bonne direction et est-ce que l’on a un patronat avec qui on a le sentiment que l’on peut avancer ?
Alain Deleu : Je dirais que nous avons tous des progrès à faire. Le gouvernement par exemple nous a montré, fin 1995 et en 1996, des méthodes de travail qui n’étaient pas acceptables et notamment sur la réforme de la protection sociale. En revanche, à l’appel du président de la République du 1er janvier, l’accent va être mis sur l’aide sociale et la négociation. Voilà un point positif et que nous approuvons. Nous en avons un bon exemple aujourd’hui avec les fonds de pension. On va voir si le dialogue porte ses fruits, c’est-à-dire entraîne des résultats.
Philippe Lapousterle : Et le patronat ?
Alain Deleu : je crois qu’il y a eu, avec J. Gandois, un véritable objectif social qui a été affiché. Des discussions ont été engagées sur le temps de travail, mais elles ne suivent pas dans les branches. Il y a donc un écart entre l’objectif que nous fixons ensemble au niveau parisien et ce qui se passe dans la réalité. On a vu, sur l’UNEDIC, que l’on pouvait se mettre d’accord. Et c’est important. En revanche, on voit à nouveau partir une fusée sur les jeunes qui n’est pas discutée auparavant. Et donc là aussi, il y a, je crois, à se caler vraiment sur des négociations.
Philippe Lapousterle : Quand vous aviez dit avec un brin d’amertume que le calme et la mesure n’était pas payés de retour, est-ce toujours le cas ?
Alain Deleu : C’est vrai que dans ce pays il faut bloquer les routes pour que ça avance ! C’est idiot ! À la CFTC nous pensons qu’il arrivera un jour où le social sera traité dans un pays moderne et pas arriéré.
Philippe Lapousterle : Ce n’est pas demain !
Alain Deleu : Oui, mais c’est un problème pour tout le monde.
Philippe Lapousterle : Il y a trois débats en ce moment. On va commencer par le premier, à savoir la retraite à 55 ans. Le président de la République, Alain Deleu : Barre, E. Balladur, F. Léotard et même N. Notat, hier, ont dit non. Selon vous, si les Français le souhaitent, doit-on ou pourrait-on avoir la retraite à 55 ans dans ce pays.
Alain Deleu : Je dirais que, sur ce point-là comme sur les autres, il faut dire la vérité aux gens. La vérité, c’est qu’il est impossible de financer la retraite à 55 ans pour tout le monde. C’est impossible ! L’autre vérité, c’est que cela se fait. Cela se fait parce que les employeurs licencient de préférence les salariés âgés parce que l’on ne va pas licencier les jeunes, qui sont l’avenir, ni les gens père ou mère de famille qui ont charge d’enfants. On licencie donc les plus âgés. Cela veut dire qu’en pratique, beaucoup de salariés partent en retraite à 55 ans. Ils sont chômeurs et cela se fait mal. Il est nécessaire de mettre ce dispositif de plans sociaux au service de l’emploi. Au travers de l’accord que nous avons signé et reconduit récemment, nous poussons vers l’aide à l’emploi d’un jeune à chaque départ en retraite anticipé d’un plus âgé.
Philippe Lapousterle : Mais si les Français le voulaient, et qu’on embauchait un jeune à la place, pourquoi ne pas le faire ?
Alain Deleu : Le problème est qu’on n’a pas les moyens de le faire pour tous et en réalité, tous ne veulent pas partir à 55 ans. Quand un salarié a un travail intéressant et bien rémunéré, il reste, et s’il a un travail inintéressant et mal payé, il part.
Philippe Lapousterle : Donc, c’est à la carte ?
Alain Deleu : C’est à la carte et cela répond aux besoins. Je ne crois pas qu’il faille généraliser cela mais aller aux besoins de gens. Je suis sûr qu’il y a des gens qui veulent continuer à travailler et d’autres qui sont fatigués et qui veulent arrêter. De tout cela, on peut en tirer quelque chose, surtout si les jeunes trouvent un emploi.
Philippe Lapousterle : Les fonds de retraite sont actuellement en discussion au Parlement, depuis hier. Le Gouvernement affirme que le nouveau système ne nuira pas à l’ancien. Est-ce que vous êtes toujours opposé de manière irréductible à ces fonds de retraite ? Pourquoi ? Et que ferez-vous si cela passe au Parlement ?
Alain Deleu : Là aussi, il y a une réalité qui est que les salariés qui ont la chance de pouvoir épargner le font et vont sur le marché privé pour le faire. Nous ne sommes pas totalement fermés à l’idée que les partenaires sociaux mettent au point ensemble un système d’épargne plus solidaire. Cela s’est fait dans la fonction publique et depuis trente ans, il y a un système d’épargne géré par les syndicats qui fait cela.
Philippe Lapousterle : Ce sont des compléments ?
Alain Deleu : Oui, mais c’est au-delà d’un dispositif de retraite qui est garanti. Tout le problème qui est posé ici, c’est que, dans le projet qui a été finalement voté à l’Assemblée et puis au Sénat et qui revient devant l’Assemblée, il y a une exonération des charges sur ce que l’employeur apporte en plus à l’épargne des salariés. Et c’est là que nous ne sommes pas d’accord car on change tout le système. On pervertit le dispositif. On dit à l’employeur que plutôt que d’accepter un effort sur les salaires, il peut, sans charges sociales, apporter un abondement supplémentaire aux salariés. Cela fera un attrait financier important pour les salariés mais on ne le fera que pour ceux qui épargnent. Autrement dit, pour se résumer, pour les pères de famille qui ont des enfants à charge qui font des études et qui ne peuvent pas épargner, ils n’auront pas d’épargne et en plus, ils n’auront pas l’abondement patronal qui sera prélevé sur le résultat commun du travail de l’entreprise et qui sera affecté seulement à ceux qui veulent épargner. Donc, c’est un système injuste qui, au bout du compte, va aboutir à ce que l’on transférera l’effort de l’entreprise du régime solidaire vers des régimes individuels.
Philippe Lapousterle : Que ferez-vous si les députés le votent ?
Alain Deleu : je pense que vous avez vu que l’ensemble des syndicats sont d’accord pour trouver cela pas acceptable. C’est un changement de société qui se met en place sur dix, quinze ans. Ce n’est pas demain qu’on en verra les effets. Donc, on aura évidemment à travailler de façon concertée et ensemble à voir comment, dans les branches et les entreprises, on se battra. Je voudrais que le Gouvernement applique ce qu’a dit le président de la République, à savoir le dialogue social. Dialogue ! J. Arthuis a mis cela en route, or ce sont nos retraites ! Cela concerne le budget nos retraites ! Ce n’est pas à M. Barrot de s’en occuper ? Qu’on en discute. On a envie de discuter, discutons !
Philippe Lapousterle : 700 000 jeunes sont au chômage, pourquoi pas des stages diplômants ?
Alain Deleu : Il en faut. Nous ne tirerons pas avec tous ceux qui veulent creuser un fossé infranchissable entre entreprise et école. Bien sûr, il ne faut pas laisser la formation des jeunes à l’entreprise car, évidemment, elle serait assez souvent mercantile. Mais il est clair qu’éduquer un jeune, c’est le préparer à la vie adulte et le monde du travail est un élément essentiel de la vie adulte. Donc, il faut que, dans la formation scolaire et universitaire, le temps de rencontre et d’expérience en entreprise soit organisé. Cela ne fait aucun doute ! Ce que nous ne voulons pas c’est qu’au nom de cela les jeunes diplômés se voient offrir une prolongation parce que l’on estime que l’on n’a pas envie de les payer ! Alors, on dit que c’est un stage diplômant. On est diplômé déjà mais on a droit à un ticket en plus. Ce n’est pas sérieux !
Philippe Lapousterle : La flexibilité. On dit la refuser mais elle se met en place tous les jours, alors ?
Alain Deleu : Les artisans et les employeurs ont souvent raison de demander plus de simplicité dans les textes et mesures administratives. La complication des textes est destinée à permettre la flexibilité. On fait des textes embrouillés pour que chacun fasse ce qu’il veut ! Voilà la situation. Donc, on peut simplifier mais si on veut plus de flexibilité, c’est surtout dans la manière de gérer l’entreprise. Si les employeurs avaient un peu plus d’initiative, d’ambition de développement et moins de rigidité dans le fonctionnement de l’entreprise, cela irait mieux. Si un patron a 50000 francs de salaire alors qu’il a deux apprentis et un CIE – j’ai vu ce cas hier – alors je crois que l’on peut trouver autre chose comme flexibilité.
Philippe Lapousterle : C’est l’argument du dialogue social ?
La Lettre confédérale CFTC _ 20 janvier 1997
Conférence de presse
La CFTC demande la modification de la loi sur les « Plans d’épargne retraite »
L’actuel projet de mise en place des fonds de pension, rebaptisés Plans d’épargne retraites (PER), dispositif à finalité plus économique que sociale, comporte des dispositions inacceptables pour la CFTC :
Les mesures d’exonération de cotisation sociale prévues par le projet de loi en discussion au Parlement sont une atteinte directe à l’équilibre et à l’efficacité de la CNAV, de l’ARRCO et de l’AGIRC. La CFTC n’accepte pas cette opération de transfert d’avantages sociaux collectifs légaux et conventionnels vers un système facultatif et individualisé.
Aucune procédure de négociation entre organisations syndicales et patronat n’est prévue pour la mise en place de tels systèmes du plan d’épargne retraite. La CFTC demande qu’un tel PER ne puisse être mis en place qu’après consultations et négociations entre partenaires sociaux.
Enfin, la CFTC demande que le fait familial soit pris en compte dans le texte actuel.
Rappelons que la CFTC préconise (notamment par une résolution de son 44e congrès tenu à Lille en 1990) que tout salarié ayant accompli une carrière pleine bénéficie à sa retraite d’un revenu de post-activité (pension vieillesse plus retraites complémentaires ARRCO-AGIRC) égal à 70% de son revenu moyen d’activité. Actuellement cet objectif paraît être atteint par une majorité de salariés, principalement ceux ayant un salaire ne dépassant pas le plafond de la Sécurité sociale (13760 F par mois depuis le 1er janvier 1997).
On sait que les différentes adaptations intervenues depuis 1993, tant dans le régime général que dans les régimes complémentaires – mesures rendues nécessaires et acceptées par le plus grand nombre pour sauvegarder ces systèmes exemplaires de solidarité –, rendent cet objectif plus incertain dans le contexte économique, démographique et du marché de l’emploi d’aujourd’hui.
On ne dira jamais assez que démographie, économie et emploi sont les triplés inséparables de la santé des régimes de retraite qu’ils soient basés sur la répartition ou la capitalisation.
Ceci étant acté, la CFTC n’est pas opposée à un avantage «sur-complémentaire» de retraite fonctionnant en capitalisation, c’est-à-dire ayant un caractère plus personnalisé et, si cela est compatible, favorisant l’épargne en direction d’investissements susceptibles de relancer l’économie nationale, sous réserve qu’un tel supplément n’empiète et ne dévalorise pas les éléments principaux de l’architecture existante à savoir régime de base complété par l’ARRCO et l’AGIRC dans les conditions de rendement arrêtées par les partenaires sociaux en avril 1996.
Paris, le 13 janvier 1997
La Lettre confédérale
Divorce à la française
Le paradoxe social se révèle à nouveau en ce début d’année. Le président de la République vient de lancer un appel au dialogue social auquel nous avons répondu favorablement sans hésiter. Mais l’Assemblée adopte la loi sur les fonds de pension sans prendre en compte la demande pressante de l’ensemble des confédérations sur les charges sociales.
Le CNPF vient de signer avec quatre confédérations un bon accord sur l’assurance-chômage, mais il s’aventure sur le terrain très sensible de l’emploi des jeunes en discutant avec le gouvernement un projet de stage diplômant sans prendre la peine de nous consulter au préalable. Cela permet toutes les supputations et, au bout du compte, la contestation trouve un « boulevard » devant elle.
Un sondage vient de montrer que 61% des Français souhaitaient la retraite à 55 ans. Autrement dit, alors que les employeurs ou leurs représentants demandent à pouvoir se débarrasser plus facilement de leurs salariés, ceux-ci le leur rendent bien en souhaitant partir de leur entreprise pour la retraite le plus tôt possible. Quel gâchis que ce divorce social à la française ! Est-ce comme cela que l’on va relancer la croissance et l’emploi ? À l’évidence non !
Le congrès de Nantes a été clair sur le droit de partir à la retraite après une carrière complète quel que soit l’âge. Il l’a été tout autant sur la nécessité d’intéresser les salariés à leur travail. On en est parfois loin.
le 16 janvier 1997