Texte intégral
Une négociation importante et serrée est engagée à Seattle où 135 Etats sont appelés à recenser les priorités et les règles du commerce mondial. Cette négociation va durer plusieurs années : l'accord final reflétera la conception que la communauté internationale se fait de la mondialisation économique.
Pouvons-nous élargir les perspectives du commerce international en fixant parallèlement des règles sociales éthiques ? Cette question est cruciale aux yeux de tous ceux qui ont pris conscience que la mondialisation n'était pas la fin de l'Histoire mais un phénomène économique nouveau qui devait être régulé pour être mis au service de la croissance mais aussi du sort de la condition humaine. D'une certaine façon, la politique doit réinvestir l'économie afin qu'elle ne s'apparente pas à une jungle sauvage.
De nombreux États, dont les USA, ne partagent pas cette conception maîtrisée de l'économie mondiale. Le rapport de force est donc inévitable.
Pour gagner ce rapport de force, il faut avancer avec des idées simples et directes. Certains, en France, estiment que nous devrions refuser d'engager un nouveau cycle de négociations. Ils souhaitent que la communauté internationale fasse une pause dans la course à la mondialisation. Cette option est illusoire. Elle néglige, en outre, le fait que la France est elle-même une puissance exportatrice. Cette option doit être écartée. Il faut donc négocier, et j'ajouterai, négocier, durement. Ne nous leurrons pas, la globalisation économique est actuellement l'oeuvre principale de la puissance américaine. Ne pas négocier, c'est accepter cet état de fait.
L'Europe – c'est un atout ! – se présente à Seattle de façon unie. Je souhaite que le mandat qui a été fixé au commissaire européen soit respecté à la lettre et contrôlé par les États de l'Union européenne. Pour ne pas rééditer l'erreur de 1993 sur le dossier du Gatt, cette négociation doit être abordée comme une affaire politique et non technique.
* Tout mettre sur la table
Cette négociation ne peut être, par ailleurs, qu'une négociation large intégrant l'ensemble des aspects du commerce international. Les États-Unis, implicitement appuyés par certains pays en voie de développement, veulent confiner la négociation à l'agriculture mais aussi aux services et à la culture. Ceci ne doit pas être accepté. Non seulement parce que nous n'avons pas de raisons objectives à nous plier en ces domaines aux exigences des USA mais également parce que ce serait remettre à plus tard les questions de fond que pose l'organisation du capitalisme mondialisé.
Nous ne réglerons pas tout à Seattle mais du moins tout doit être mis sur la table. L'Europe doit faire partager une conception équilibrée de la liberté économique qui prend en compte la notion de régulation qui intègre les normes sociales, sanitaires, culturelles et environnementales. Certains pays en voie de développement estiment que cette conception équilibrée est trop exigeante. On ne peut, en effet, imposer aux pays les plus pauvres qu'ils adoptent instantanément nos normes occidentales. C'est pourquoi il faut, ici avancer de façon pragmatique, en fixant des étapes commerciales liées aux efforts progressifs réalisés sur le plan social. Depuis les accords de Marrakech, en 1994, les pays les plus déshérités n'ont que modestement bénéficié de l'ouverture des marchés. Il convient donc d'élaborer une stratégie de développement coordonnée au plan international.
Au-delà même de Seattle, d'autres questions se posent. Comment repenser l'architecture confuse des institutions internationales (OMC, FMI, Banque mondiale, G8, OIT), comment maîtriser les flux financiers et lutter contre les paradis fiscaux, comment gérer les conséquences de l'entrée de la Chine dans l'OMC avec ses un milliard de consommateurs et les inévitables problèmes d'environnement que son décollement économique posera ? Voilà les grandes questions de l'avenir sur lesquelles nous devons anticiper.
Voilà pourquoi nous devons négocier, voilà ce que nous avons à défendre et à dire à l'OMC. Toute négociation est un rapport de force. L'Europe a les moyens de faire entendre sa voix et, je l'espère, respecter ses choix.