Interview de M. Christian Poncelet, président du Sénat, dans "Le Figaro" du 23 novembre 1999, sur le débat concernant la responsabilité des élus locaux et des collectivités locales notamment à la suite des catastrophes naturelles.

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Texte intégral

Q - À la suite des inondations dans le Sud de la France, la responsabilité des élus locaux a été mise en cause. Qu'en pensez-vous ?

- « La catastrophe qui s'est abattue sur les quatre départements du Sud de la France, pour lesquels le Sénat a d'ailleurs décidé de débloquer une aide d'urgence, ne doit pas engendrer de nouvelles polémiques. J'ai regretté certaines déclarations faites au cours de ce funeste week-end, notamment celle du ministre de l'Environnement et de l'Aménagement du territoire, Dominique Voynet. Elle a mis en cause la politique d'urbanisation incontrôlée des élus locaux qui, à ses yeux, expliquerait l'ampleur des dégâts. Or, le Conseil des ministres a reconnu qu'il s'agissait bien d'une catastrophe naturelle. Mme Voynet, se rendant compte que ses propos avaient été excessifs, est ensuite revenue sur ses déclarations. Cette accusation n'était effectivement pas sérieuse.
La polémique a ensuite rebondi lorsqu'on a dit qu'il y avait, dans cette région, une nette insuffisance des plans de prévention des risques créés par la loi de 1995. Il a été dit que beaucoup avaient été prescrits et peu avaient été réalisés. C'est tout à fait exact. Mais la faute à qui ? Pas aux élus ! La preuve, le 15 juillet dernier, un de mes collègues sénateurs, Serge Matthieu, a interrogé Mme Voynet sur le retard que prenait la réalisation concrète, dans certains départements, des PPR. Or, le ministre a répondu que son ministère ne disposait pas des moyens suffisants pour procéder à l'approbation des 5 000 plans de prévention des risques prévus d'ici à 2005. C'est donc bien la reconnaissance que l'État a la responsabilité à la fois de la détermination des zones qui doivent bénéficier de ces plans et de la mise en oeuvre. L'État doit en la matière assumer ses obligations, et non les élus territoriaux, qu'on a eu tendance à accuser un peu rapidement, ce qui devient d'ailleurs une habitude. »

Q - Vous trouvez qu'on fait, d'une manière générale, un mauvais procès aux élus locaux en mettant en cause leurs responsabilités ?

- « On a manifestement tendance, dès qu'il y a un problème quelque part, à en rendre responsable l'élu local, et en particulier le maire. Bientôt, le maire sera responsable de tout ! J'y vois la conséquence de ce que j'appelle la « société de garantisme » dans laquelle, inconsciemment ou non, nous sommes en train de nous engager, c'est-à-dire une société à risque zéro. Dès qu'il y a une épreuve, on cherche tout de suite un responsable : « Ce n'est pas moi, c'est l'autre ! » Les chiffres sont éloquents : selon le ministère de l'intérieur, il y a plus de huit cents élus locaux actuellement mis en examen. »

Q - Huit cents sur 36 000 communes : la proportion reste faible… Les maires ne sont-ils pas plus traumatisés par la crainte de poursuites que par la réalité des mises en examen ?

- « Ces mises en examen ont un caractère infamant pour un élu. Tous sont inquiets, voire découragés. Selon un sondage Ipsos réalisé à la fin de l'année dernière, 51 % des maires ne veulent pas se représenter. Lors des états généraux des élus locaux que j'ai organisés dans le Nord-Pas-de-Calais, nous avons fait un sondage qui indiquait que 25 % seulement des maires de cette région envisageaient de solliciter un nouveau mandat. Savez-vous que 1 700 maires ont démissionné en cours de mandat depuis 1995 ! »

Q - Quelle réforme propose le Sénat ?

- « Nous explorons plusieurs voies. Mon collègue Pierre Fauchon vient de déposer une proposition de loi pour mieux encadrer la responsabilité pénale dans le cas des infractions involontaires. Cette proposition répond aux cas les plus graves : les blessures et les homicides involontaires. Si la faute est la cause directe de l'homicide ou de la blessure, il propose que le système actuel continue d'être appliqué : la faute simple suffit. En revanche, lorsque la faute est la cause indirecte, et cela vise souvent les cas les plus injustes pour les élus, il faudra prouver qu'il y a eu faute caractérisée. Enfin, comme je l'ai proposé à Lille en septembre dernier, cette proposition étend la responsabilité pénale des collectivités territoriales à tous les domaines d'activités. Cela incitera peut-être les victimes à agir prioritairement contre la collectivité. Je demanderai que cette proposition de loi soit inscrite à l'ordre du jour du Sénat le 27 janvier prochain. Elle pourra bien sûr être amendée et complétée. »

Q - Ne craignez-vous pas que l'opinion publique vous reproche d'exonérer les élus de leurs responsabilités ?

- « Je ne le crois pas, car les solutions que nous proposons sont de caractère général : elles intéressent tout le monde et pas seulement les élus. En outre, elles ne concernent en aucun cas les infractions volontaires, les cas de malversation ou de corruption pour lesquels il faut être d'une sévérité exemplaire. Il en va de l'intérêt de notre démocratie. »

Q - Le Gouvernement a de son côté créé une commission, pilotée par le conseiller d'État Jean Massot, pour faire des propositions sur ce sujet. Pensez-vous qu'il puisse y avoir un consensus droite-gauche ?

- « Je voudrais dire tout d'abord que le Sénat travaille depuis des mois sur le délicat dossier de la responsabilité pénale des élus locaux. J'ai multiplié les initiatives en ce sens : états généraux des élus locaux pour faire remonter leurs attentes, mission d'information pluraliste sur la décentralisation, etc.
Lorsque nous avons organisé, en avril dernier, un débat sur la responsabilité pénale des maires, Élisabeth Guigou a reconnu qu'il y avait manifestement un problème et décidé de créer ce groupe de travail. Mais les propos tenus par le Premier ministre lors des assises des petites villes de France, le mois dernier à Léognan, dans lesquels il indiquait que le problème de la responsabilité pénale des élus ne se posait pas, ne m'ont pas paru très encourageants. J'ai été déçu. S'il a évolué depuis sur le sujet, je m'en réjouis. Le Sénat va en tout cas sans cesse rappeler au Gouvernement qu'il faut régler cette question et je lui donne rendez-vous le 27 janvier prochain. Il y a urgence. L'échéance de 2001 approche et il faut à tout prix enrayer le tarissement des vocations. »