Déclaration de Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État aux transports, sur la politique des transports et la protection de l'environnement, notamment le développement équilibré des territoires, Paris le 18 mars 1997.

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Circonstance : Inauguration du 14ème SITL (salon international du transport et de la logistique) à Paris le 18 mars 1997

Texte intégral

Messieurs les présidents,
Mesdames, Messieurs,

Après les brillantes interventions que nous venons d’entendre, je souhaite vous dire, à mon tour, à quel point le thème d’ouverture de ce 14e SITL me paraît important et porteur de sens et d’avenir, pour les industriels et les transporteurs bien sûr, pour ceux d’entre nous qui exercent des responsabilités particulières de la puissance publique, mais également pour tous les citoyens.Concilier la politique des transports et celle de l’environnement est, pour moi, un objectif majeur. Il y va de la qualité et de la faisabilité même, dans certains cas, de l’action dont j’ai la responsabilité gouvernementale en matière de transports.

Cette volonté est fondée sur une double inspiration, de dimension européenne, à savoir, d’une part, l’idéal démocratique de liberté et au premier rang duquel se trouve la liberté d’aller et de venir et, d’autre part, la conscience des Européens du patrimoine commun qu’ils ont à transmettre aux générations futures.

Ces deux principes ne peuvent être sacrifiés l’un à l’autre, il s’agit bien de concilier. Il s’agit aussi de ne pas se tromper de priorités, ni sur les moyens les plus pertinents pour progresser.

I. – Quels sont, en premier lieu, les enjeux de toute politique des transports ?

Les transports se situent, que l’on parle d’infrastructures ou de services, au carrefour de dynamiques très diverses et au centre d’enjeux complémentaires et parfois contradictoires, j’en citerai trois principaux :

D’abord et peut-être surtout répondre à une demande croissante de déplacements de voyageurs comme de marchandises. Cette demande résulte à la fois des libertés individuelles de déplacements, expression du progrès social, et de l’organisation des activités économiques, élément de la compétitivité internationale.

Puisque notre discussion se place, à bon escient, dans une perspective européenne, disons tout simplement que plus d’Europe, c’est plus de transport, puisque c’est plus d’échanges économiques et humains. Je voudrais affirmer clairement que, pour moi, il est exclu d’opérer par des méthodes malthusiennes la conciliation transport-environnement dont nous parlons.

Une telle approche restrictive serait d’autant moins acceptable que les transports, activités de services sont une activité riche en emplois.

Deuxième objectif important, notamment pour nous en France, assurer le développement équilibré des territoires. Les réseaux de transport structurent le territoire. Ils orientent la localisation des activités et le développement urbain. Ils peuvent accentuer les effets de polarisation ou d’exclusion. Or, certains modes de transport, en clair des transports routiers et, de manière plus spécifique, le transport aérien, apparaissent les plus performants au regard de ce type d’objectif, tandis que le transport ferroviaire est mieux adapté aux zones denses pour le voyageur, aux grandes distances pour le fret.

Face à de tels enjeux d’emplois, de croissance, d’aménagement du territoire, je suis quelquefois un peu étonnée de voir certaines analyses réduire la production des transports, en quelque sorte à la production de nuisances !

Enfin des enjeux d’environnement, j’en vois pour ma part trois :

Celui d’un style de conduite des affaires publiques, qui doit être plus ouvert à la discussion, à la concertation, mais qui – cela va de pair – soit également fondé sur de vraies données : je ne crois pas qu’il soit bon pour la cause de l’environnement de laisser croire que la France mène une politique du « tout camion », alors que les dotations du budget de l’État aux infrastructures ferroviaires sont le double de celles consacrées à la route.

Celui de l’intégration des luttes contre les diverses nuisances, à chacune des décisions ou des actions en matière de transport, notamment sur le plan des techniques et des choix d’infrastructures.

Celui de la préservation du long terme, du développement durable, des garanties à prendre pour l’avenir.

J’en fais des enjeux de politique des transports.

Le politique en général doit assurer la conciliation de toutes ces exigences diverses, parfois momentanément contradictoires.

II. – Quel bilan peut-on titrer des actions menées et quelles sont les orientations à approfondir ?

La politique européenne des transports conduite depuis une dizaine d’années s’est appuyée essentiellement sur deux instruments : l’ouverture des marchés à la concurrence et l’édiction de règles techniques.

L’ouverture à la concurrence de marchés nationaux, qui étaient jusqu’alors protégés par des règles d’accès nationales et locales ou par des monopoles publics, a constitué l’axe principal de la politique européenne des transports dans les dix dernières années. La libéralisation du transport routier a été réalisée en 1986, celle du transport aérien s’achèvera cette année.

Le gouvernement français s’inscrit clairement, sauf pour le transport ferroviaire, dans cette logique de libéralisation qui est bénéfique pour le consommateur, donc créatrice d’activités d’emplois et de progrès économique.

Pour être totalement bénéfique cependant, la libéralisation doit rester progressive et surtout maîtrisée dans ses divers volets, notamment le volet essentiel de l’harmonisation sociale si importante pour le transport routier.

Quant à l’édiction de règles techniques de normes de sécurité et de santé, ou relatives à la protection de l’environnement, elles ont joué un rôle majeur.

De nombreux progrès ont été accomplis grâce à l’édiction de normes progressives de plus en plus contraignantes, que ce soit en matière de lutte contre la pollution automobile ou contre les nuisances sonores.

C’est là l’action de fond la plus structurelle et la plus efficace. Je regrette parfois qu’elle soit sous-estimée. Vous avez raison, M. Berthod, de le rappeler.

Dans le domaine aérien, dont M. Berthod a moins directement parlé, dans le cadre fixé par l’Organisation internationale de l’aviation civile et par la Conférence européenne de l’aviation civile qui associe 33 pays, l’Union européenne recherche une harmonisation des règles correspondant à l’importance que nos pays européens attachent aux questions d’environnement.

C’est l’objet de quatre directives notamment, relatives au bruit et au retrait progressif des avions bruyants, dits « du chapitre 2 » d’ici à 2002. Les États de l’Union envisagent d’ores et déjà d’aller plus loin.

En matière d’émissions gazeuses, des progrès considérables ont aussi été accomplis depuis 20 ans par une combinaison de progrès technologiques et une augmentation régulière de la sévérité des normes OACI, incitant les constructeurs à poursuivre les améliorations.

Au niveau national, d’importantes mesures ont été prises ou le seront pour limiter l’impact sonore des transports aériens, à savoir : le renforcement de la modulation acoustique des redevances d’atterrissage, l’augmentation de la taxe bruit et l’amélioration du financement des programmes d’isolation acoustique des logements, ainsi que la maîtrise de l’urbanisation autour des aéroports. C’est l’un des objets de la loi transports que j’ai présentée en Conseil des ministres la semaine dernière.

C’est dans cet esprit que nous avons totalement renouvelé l’approche de l’avenir de la desserte aéroportuaire de la région capitale, en conciliant croissance et environnement.

Aussi vais-je tenir à ce que soient publiés ensemble dans les prochaines semaines, à la fois le décret de déclaration d’utilité publique pour l’aménagement de l’aéroport Charles-de-Gaulle et celui créant une institution indépendante chargée d’assurer le suivi de l’application d’un contrat de maîtrise des nuisances sonores.

Le concept en est très intéressant : en combinant progrès technique, réglementation adaptée, transparence et volontarisme, on peut garantir que le surcroît de trafic aérien attendu dans les prochaines années se fera sans augmentation de niveau de bruit global.

Cet exemple montre bien que c’est une combinaison de moyens d’action qu’il faut rechercher, sans se focaliser sur tel ou tel, et notamment sur les seuls leviers fiscaux.

Il faut notamment nuancer les raisonnements fondés sur l’élasticité des prix des modes de transport les uns par rapport aux autres. Augmenter le prix du transport routier ne conduirait pas directement à un transfert d’activité au profit du rail ou de la voie d’eau.

On sait bien en effet qu’aujourd’hui, c’est moins le prix que le service, la qualité de service, qui détermine les choix des chargeurs entre notamment le rail et la route. Comme M. Kinnock souligne que les trains de fret circulent à 16 km/h, donc dans une médiocre situation de compétitivité par rapport à la route, ce n’est pas la libéralisation du fer, ni l’alourdissement de la fiscalité sur la route qui vont changer cet état de fait. Le problème est ailleurs.

III. – Il est nécessaire, par ailleurs, d’approfondir l’action menée par les pouvoirs publics au niveau européen et national dans cinq directions.

Au plan européen, il convient de garder une approche équilibrée, simple et cohérente de ces questions.

L’équilibre veut dire la conciliation des activités humaines avec la protection de l’environnement.

Je ne suis pas persuadée par exemple que, dans le domaine maritime et portuaire, les directives applicables au plan de l’environnement pour assurer la protection des oiseaux conduisent à cet équilibre en regard de l’intérêt économique et de l’emploi.

La simplicité signifie l’adaptation claire et non technocratique d’un certain nombre de règles aux utilisateurs. À titre d’exemple, je suis réservée sur une tarification de l’eurovignette en fonction du respect des normes euro par les véhicules, si cela devait être une source de complication inutile pour les transporteurs.

Enfin, il est nécessaire d’avoir une approche cohérente des questions aussi importantes que la taxation d’usage des infrastructures issue du Livre vert de la Commission.

J’ai pour ma part trouvé peu cohérent qu’au moment même où on commençait la discussion de ce Livre vert, il ait été envisagé de relever le tonnage autorisé des camions, outil pourtant moins sophistiqué s’il s’agit de maîtriser le transport routier. La cohérence c’est aussi la poursuite de la modernisation des professions de transporteurs, et notamment du mode dominant qu’est le transport routier : le respect des règles sociales et de sécurité font d’abord partie d’une conception peut-être un peu large, mais qui à mon sens correspond bien à l’état de l’opinion, de l’environnement et du cadre de vie. De manière plus technique, on sait bien que la qualité de performance des meilleures entreprises va de pair avec une gestion efficace et économe des parcs de camions, avec un souci d’image, avec une conception saine de la productivité.

Cela est bon pour l’environnement, de même, par exemple, que la régulation de l’accès à la profession qui doit faire l’objet d’une discussion communautaire prochainement, comme le chronotachygraphe.

La proposition d’internalisation des coûts externes des transports, tels que le bruit, la pollution, l’effet de serre dans les systèmes de tarification et de taxation implique que la tarification d’usage des infrastructures soit en cohérence avec l’ensemble des autres moyens de régulation des marchés des transports, je pense notamment aux moyens réglementaires.

Il faut aussi les articuler avec les choix de politique générale des transports qui varient d’un État à l’autre. Pour la France, j’ai cité l’aménagement du territoire.

En outre, sur le plan technique, les instruments de tarification ne sont pas toujours clairement perçus, ni bien adaptés à l’imputation des différents coûts. À titre d’exemple, faut-il considérer la fiscalité sur l’automobile comme un impôt général, ou comme une redevance d’usage des réseaux routiers ?

Je constate d’ailleurs que, depuis le Livre vert, on est passé de discussions théoriques à des propositions beaucoup plus pragmatiques et acceptables.

Au plan national, nous devons poursuivre et amplifier notre action dans trois directions.

L’intégration de la protection de l’environnement le plus en amont possible des projets d’infrastructure

À titre d’exemple, nous sommes réduits aujourd’hui à une politique de construction de murs anti-bruit le long des autoroutes urbaines parce que l’on n’a pas suffisamment anticipé par le passé, la préoccupation relative à l’environnement, notamment en ne déclarant pas inconstructibles les terrains à proximité de ce type d’équipement.

Cela est également valable pour les aéroports : pour valoriser de façon durable les plates-formes dont nous disposons, la protection de l’environnement est une nécessité. Il n’y a plus de développement possible des aéroports, sans une prise en compte des interactions entre leur exploitation et les communautés riveraines.

La priorité donnée à l’intermodalité

Le tout routier aujourd’hui n’est plus durable et la complémentarité entre les modes de transport s’impose, notamment pour les longues distances. Le schéma national d’aménagement et de développement du territoire, en cours d’élaboration, mettra l’accent sur la nécessaire intermodalité.

Dans cette perspective, l’organisation de services performants de transport combiné rail-route doit être encouragée et c’est la raison pour laquelle j’ai récemment annoncé la reconduction des aides de l’État à ce mode de transport en expansion.

L’opinion publique qui rêve de voir les camions sur les trains ne sait pas que le ferroutage est le mode de transport qui se développe le plus aujourd’hui, à plus de 10 % par an.

De la même manière, pour des projets de grande envergure tels que le TGV Lyon-Turin, dans les zones géographiques sensibles, la question de l’environnement et du transfert de la route vers le rail des marchandises doit être intégrée dans des investissements de capacité ferroviaire fret.

Enfin, le développement de l’activité fret sur les grands aéroports doit également être amplifié.

La poursuite des actions de recherche

Les actions de recherche sur les véhicules propres et économes sont entreprises dans le cadre du programme de recherche et de développement pour l’innovation dans les transports terrestres, le PREDIT.

Le nouveau programme PREDIT, entré en vigueur début 1996, met encore davantage l’accent sur la lutte antipollution. Il prévoit, sur la période 1996-2000 :
    - des expérimentations en vraie grandeur de véhicules peu polluants pour un usage de la vie quotidienne, et notamment des stations de véhicules électriques en libre-service ;
    - la réalisation de prototypes industriels, susceptibles de déboucher d’ici 5 ans sur des programmes de véhicules électriques urbains présentant une plus large autonomie.

Voilà, Mesdames et Messieurs, les quelques points que je voulais développer devant vous, en souhaitant que ce 14e SITL, qui accueille transporteurs et exposants français et étrangers, soit un grand succès.