Texte intégral
RTL - Lundi 3 mars 1997
O. Mazerolle : Après la naissance de Dolly, fabriquée par des chercheurs écossais à partir d’une cellule prélevée sur une brebis adulte, le Président de la République a saisi le comité d’éthique. Quelles sont vos craintes ?
F. d’Aubert : Comme toujours dans une découverte scientifique, il y a le pour et le contre. C’est un petit peu comme Janus, le dieu de la guerre et de la paix. Les craintes naturellement – c’est plus qu’une crainte : il faut, là, être sur l’interdiction totale – c’est le clonage humain parce que cela peut aboutir à toutes les dérives possibles et imaginables et cela met en cause vraiment la dignité de l’homme. C’est l’idée d’une reproduction à l’infini alors que, par définition, la personne humaine est unique. Donc, c’est un problème philosophique et il faut le trancher rapidement. Interdiction absolue de clonage humain.
O. Mazerolle : Cela vous fait peur quand vous lisez dans un journal anglais que, finalement, il peut très bien ne pas avoir d’objection de principe au clonage humain ?
F. d’Aubert : Oui, je trouve cela honteux d’écrire cela. Mais là, il faut être très clair : éthiquement je dirais, dans les textes, dans la loi, il faut interdire absolument le clonage humain, à condition qu’il soit interdit partout.
O. Mazerolle : Il faut une loi ?
F. d’Aubert : Il y a déjà une loi sur la bioéthique aujourd’hui. Le Président de la République a eu raison de saisir le comité d’éthique qui est présidé par un grand scientifique, J.-P. Changeux, pour demander si effectivement la loi n’a pas besoin d’être précisée car la loi, actuellement, interdit toute atteinte à la dignité humaine, elle condamne toute transformation des caractères génétiques dans le but de modifier – je cite – la descendance. Donc, vraiment, les grands principes sont là. Alors, est-ce qu’il faut entrer plus dans le détail ? Parce que là, ce sont des techniques de clonage.
O. Mazerolle : Est-ce que vous souhaitez un débat au Parlement sur ce sujet ?
F. d’Aubert : Cela me paraît absolument nécessaire. Alors quand ? Je n’en sais rien, il faut voir ce que le comité d’éthique va répondre. Mais c’est vrai que c’est parmi les grands sujets dont un Parlement moderne d’une démocratie moderne, qui veut être à l’écoute de la société et en même temps avoir une sorte de vision sur la civilisation – parce que c’est un vrai problème de civilisation – a à débattre. Le débat doit d’abord se passer au Parlement, ou aussi au Parlement. Parce que cela doit également avoir lieu dans les médias, je crois.
O. Mazerolle : Cela doit se faire également au niveau européen et puis, vous le disiez tout à l’heure, au niveau mondial ?
F. d’Aubert : Je crois que c’est un problème de prise de conscience, d’abord des politiques, et des communautés scientifiques parce qu’elles ne sont pas toutes touchées au même degré et il y a des problèmes qui se posent par exemple pour la recherche fondamentale : l’embryologie, qui est au cœur de ces sujets, a besoin elle-même de continuer de progresser. On en a besoin, finalement. Donc, le problème c’est de tracer les barrières entre ce qui est permis et ce qui est interdit, et d’avoir effectivement – je crois que c’est impossible malheureusement d’avoir une éthique mondiale sur le sujet parce qu’il y a des gens qui ne penseront jamais comme les Européens, les Français, etc. – un certain nombre de règles de principe à faire accepter par le plus grand nombre de nations.
O. Mazerolle : Certains disent qu’il faudrait poser le problème au niveau de l’ONU.
F. d’Aubert : Il faut sûrement avoir des initiatives sur le plan international. Il y en a déjà eu une du conseil de l’Europe, l’Unesco aussi s’y est intéressé. C’est un sujet qui peut être débattu dans de multiples instances internationales. Mais je suis choqué, c’est vrai, quand je vois qu’au Canada par exemple, et aux États-Unis, il n’y a pas d’interdiction. Et je suis choqué aussi quand je vois qu’en Angleterre, il y a des gens qui sont prêts à foncer et à transformer la loi plutôt dans l’autre sens.
O. Mazerolle : Précisément, j’allais vous citer le professeur Edwards qui a été le père du premier bébé éprouvette, qui disait à l’époque : « moi, je rêve d’un embryon qui serait le double de moi-même et sur lequel on pourrait prélever des cellules neuves lorsque les cellules de mon corps sont malades.
F. d’Aubert : Oui, alors ceux-là ce ne sont plus des scientifiques, ce sont des science-fictionnistes, ce sont des apprentis sorciers et ce sont ceux-là qui sont dangereux. Ce n’est pas heureusement toute la communauté scientifique, ce sont quelques éléments isolés de la communauté scientifique qui sont soit mus par des idées complètement folles soit – cela existe aussi, il faut faire attention – par une financiarisation trop forte de la science. Parce que si vous avez sur le dos des investisseurs qui disent que l’on peut gagner énormément d’argent avec ce genre de chose, à ce moment-là il y a des chercheurs qui peuvent perdre les pédales.
O. Mazerolle : La Bourse de Londres a immédiatement fait monter le cours des actions de cette firme de biotechnologie.
F. d’Aubert : Les biotechnologies, dans leur ensemble, sont une bonne chose, cela permet de faire des progrès sur le plan scientifique et c’est par le biais des biotechnologies, du génie génétique que l’on arrive aujourd’hui à faire des médicaments qui permettent de diminuer le facteur de risque qui était lié avant, à chaque médicament. Aujourd’hui par exemple, on peut fabriquer des produits pour les plaquettes du sang par le biais du génie génétique, c’est-à-dire ni par la chimie, ni par un prélèvement naturel mais par des bactéries dont on fait sortir des gènes qui ont certaines caractéristiques thérapeutiques. Cela c’est bon. On ne peut pas condamner dans leur ensemble les applications.
O. Mazerolle : Quelle est la limite tout de même, quand on voit que l’on est en train d’essayer de fabriquer – parce qu’il n’y a pas d’autres termes – des animaux qui pourraient être porteurs d’organes susceptibles d’être greffés sur des êtres humains. Vous êtes pour ou vous êtes contre ?
F. d’Aubert : Difficile d’être pour ou contre. Pour les xénogreffes – c’est ce qu’on appelle les xénogreffes – aujourd’hui, il y des recherches qui sont faites. Il n’y aurait pas eu Dolly, je suis convaincu que les xénogreffes s’acclimateraient assez rapidement. C’est cela la question qu’il faut poser. Parce que là, cela a un tel retentissement, cette affaire de clonage à partir de mammifères adultes – c’est-à-dire qui permet de donner les caractéristiques biologiques existantes d’un adulte à un embryon – que d’autres problèmes à mon avis ne seraient pas apparus et on les aurait eus finalement en douceur. Parce qu’il faut se mettre à la place des malades qui ont besoin d’une transplantation. Les transplantations d’homme à homme sont extrêmement difficiles aujourd’hui.
O. Mazerolle : L’animal, mammifère, être vivant transformé en usine, cela vous choque ou pas ?
F. d’Aubert : Oui, cela me choque, au fond de moi-même cela me choque, mais je suis bien conscient non pas des pressions mais de ce que l’on peut appeler presque la demande sociale. Alors, il n’empêche qu’il faut de toute façon un contrôle extraordinairement rigoureux sur tous ces procédés du génie génétique.
O. Mazerolle : Un autre problème qui concerne les êtres humains, c’est la naissance artificielle. En quoi le clonage pourrait-il être interdit pour un couple stérile qui désirerait avoir un enfant alors que, déjà, des méthodes actuelles sont très proches de cette méthodologie ?
F. d’Aubert : Le clonage élimine l’idée de fécondation. Ce qui est déjà, sur le plan philosophique, tout à fait – à mon sens personnel – condamnable. Cela, c’est la première chose et puis pour le clonage, on prend sur des adultes, je le répète, des caractéristiques biologiques alors qu’actuellement, dans les fécondations in vitro en particulier, on part de l’origine, on reste avec des spermatozoïdes. Donc, c’est tout à fait différent. On ne peut pas imaginer quels vont être les caractères biologiques de l’enfant qui sera né de cette manière.
Le Figaro - 20 mars 1997
Le Figaro : Craignez-vous que la nouvelle technique du clonage soit utilisée à partir d’un adulte sélectionné pour ses caractéristiques biologiques ?
François d’Aubert : Cela peut devenir une possibilité, car le procédé de clonage utilisé pour créer la brebis Dolly – à partir de cellules adultes et non d’embryons – est tout à fait nouveau. Il est donc d’autant plus urgent et nécessaire de s’assurer de l’interdiction absolue et la plus universelle possible du clonage humain. Pour autant, il ne faut pas oublier que cette avancée scientifique aura des effets positifs sur la recherche médicale. En particulier, les techniques de clonage animal permettront d’obtenir rapidement et de manière plus précise des « modèles animaux » de maladies humaines telle que l’artériosclérose, ou de réduire le nombre d’animaux nécessaires pour étudier les effets d’un nouveau médicament. Mais, je le répète, s’agissant de l’homme, l’interdiction doit être systématique, car il s’agit bien de protéger la dignité de la personne, la première de nos valeurs.
Le Figaro : Quand vous étiez député, vous avez livré bataille contre la corruption. Faut-il modifier le régime de prescription de la corruption, et celle du délit d’abus de biens sociaux ?
François d’Aubert : Malgré la multiplication des affaires de corruption, ce délit est très difficile à démontrer, un pacte de corruption étant par nature secret. Le vrai problème n’est pas la prescription mais l’établissement des preuves. Selon moi, la réflexion devrait donc s’orienter vers la définition du concept d’organisation criminelle. La problématique de l’ABS est différente, même si le secret est aussi une de ses caractéristiques. Son existence ne peut être établie, le plus souvent, que par l’examen postérieur des documents comptables et financiers. C’est pourquoi le délai de prescription ne commence à courir que le jour de la découverte de l’infraction. Toute mesure visant à modifier le point de départ de ce délai serait assimilable à une amnistie déguisée des affaires en cours, ce qui serait insupportable politiquement et moralement.
Le Figaro : Êtes-vous optimiste pour 1998 ?
François d’Aubert : Je suis convaincu que nous allons gagner. Car jamais un gouvernement n’a autant réformé en profondeur, ni autant préparé l’avenir de la France. Alain Juppé a fait le choix courageux de la réforme, et il est très entraînant.
Côté socialiste, c’est le grand retour au dogmatisme, et cette alliance invraisemblable avec le PC le plus réactionnaire au monde. Quant à la énième mouture de leur pseudo-programme économique, plus « petit alchimiste » que jamais, il tente de faire croire aux Français que l’on peut transformer du plomb en or. La relance inflationniste par la consommation, cela relève du clonage pur et simple des idées fausses du programme commun. Bref, le PS nous refait le matin des magiciens…
Le Figaro : Faut-il envisager des nouveaux « fronts républicains » contre le Front national ?
François d’Aubert : Je suis très réservé à l’égard du front républicain anti-FN, purement lactique, qui ne se traduirait que par une succession de petites combines locales. Le FN utilise la souffrance, l’inquiétude, la peur, pour distiller sournoisement le racisme, la xénophobie et l’antisémitisme, ce qui est insupportable. Il a aussi le don de capter les mécontents, qui se réfugiaient hier au PC ou dans les mouvements poujadistes. Mais faire du « spectacle anti-FN » est aussi une erreur, et l’échec du mouvement pour la désobéissance civique a bien montré les limites de cette « stratégie show-biz ». C’est parce que notre pays accepte, par tradition républicaine, de laisser s’exprimer les ennemis de la liberté et de la démocratie qu’il ne faut pas censurer le FN mais le démystifier, le combattre par les idées, la dialectique. Il faut aussi restaurer une vraie honnêteté de la classe politique, la corruption dans certaines régions offrant au FN autant d’arguments de propagande que l’immigration clandestine. Nous devons fournir aux Français de vrais repères, mettre en avant les valeurs d’initiative, de responsabilité, de citoyenneté, bref ne pas se contenter de simples « recettes ».