Interviews de M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, à France 3 le 20 mars 1997, France inter le 20, "Libération" le 21, "Le Journal du dimanche" le 23, RTL le 26, "Ouest-France" le 27, Europe 1 et France 2 le 28, sur la grève des internes des hôpitaux et la maîtrise médicalisée des dépenses de santé.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Grève des internes des hôpitaux depuis le 11 mars 1997 en province et depuis le 14 mars à Paris

Média : Emission Forum RMC Libération - Emission L'Invité de RTL - Europe 1 - France 2 - France 3 - Le Journal du Dimanche - Libération - Ouest France - Presse régionale - RTL - Télévision

Texte intégral

France 3 – jeudi 20 mars 1997

France 3 : Allez-vous, comme on l’a plus ou moins dit aujourd’hui, rencontrer les représentants des internes, ce soir ? Êtes-vous prêt à discuter ou à négocier avec eux ?

Jacques Barrot : Ça ne sera pas la première fois, car la semaine dernière, nous avons reçu déjà les internes. Nous avons fait droit à leurs demandes des sept années pendant lesquelles ils s’installent et où, effectivement, s’il doit y avoir un jour un mécanisme de reversement, il s’applique à eux. Ils ont obtenu satisfaction.

France 3 : Dans le cadre de ce conflit qui se développe depuis quelques jours, allez-vous les voir ?

Jacques Barrot : Maintenant, nous allons continuer ce dialogue et, ce soir, je vais en effet en voir certains. Demain, je vais aller en province en voir d’autres. Ma porte est ouverte et j’ai très envie de parler avec eux.

France 3 : Vous êtes prêt au dialogue ou vous êtes prêt à la négociation ? Parce que ce qu’ils vous demandent, c’est la renégociation de la convention médicale. Est-ce que ça se négocie ou non ?

Jacques Barrot : Non, il ne s’agit pas de la convention mais de la réforme. La réforme a été conçue pour préserver la médecine à la française, pour préserver la liberté d’installation : préserver la liberté de prescription et permettre à toute cette jeune génération de pouvoir s’installer convenablement d’autant plus que nous incitons, par ailleurs, des médecins qui ont déjà une longue activité derrière eux à partir plus tôt, à cesser leur activité. Tout cela est préparé pour que, demain, nous gardions la médecine à la française. Cette idée de reversement, c’est le parapet du pont. C’est tout ! C’est-à-dire qu’au cas où la crise de la Sécurité sociale s’affirmerait, eh bien il serait sollicité un reversement éventuel qui ne serait que très limité.

France 3 : Il y a une chose qui les révolte particulièrement, c’est la sanction collective. Est-ce que ça veut dire que si un ou plusieurs médecins dépassent des quotas, est-ce que tous vont devoir payer ?

Jacques Barrot : Il n’est pas question de quotas. C’est une erreur de lecture de la réforme. Il y a simplement pour l’ensemble du corps médical, au cas où – et ce n’est fait là que pour dissuader – il y aurait, pour l’assurance-maladie, une année très difficile, un déficit important, peut-être l’obligation de solliciter les cotisants ; de demander un peu au corps médical, d’une manière globale, de se solidariser un peu avec l’assurance-maladie. Ç’est tout !

France 3 : Si on vous écoute bien, cela veut dire qu’il y a une incompréhension entre vous et les internes ? Pourquoi, alors, il n’y a pas eu d’explications avant ? Ça aurait évité ce chahut.

Jacques Barrot : Mais de ces événements, nous allons tirer la leçon. Ça veut dire que, désormais, il faut, certes, que les conventions soient signées entre les syndicats médicaux et puis la caisse d’assurance maladie ; mais nous nous rendons compte que cette génération, qui va demain exercer la médecine, a besoin de comprendre, d’expliquer, de communiquer ses aspirations. Ç’est bien ça qu’on va faire. Il faut toujours que dans un moment de difficultés on rebondisse et qu’on trouve d’autres voies de dialogue. Cela étant, la réforme, on l’a tout de même votée au Parlement.

France 3 : Vous ne la changerez pas ?

Jacques Barrot : Je ne vois pas comment je la changerai parce que moi, personnellement, je suis convaincu que c’est dans cette réforme que les jeunes générations trouveront les moyens d’exercer demain une vraie médecine de qualité.


France Inter : jeudi 20 mars 1997
(Extrait d’un dialogue en direct sur France Inter, 13 heures, entre le ministre et le nouveau représentant des internes, O. Glehen)

O. Glehen : Nous avons des points positifs à dégager dans cette convention, mais nous voulons nous battre…

J. Barrot : Contre quoi, O. Glehen ?

O. Glehen : C’est un problème qui est très important. Ma responsabilité en tant que représentant n’est pas de le dire ici et de l’expliquer en 6 minutes à France Inter, mais je pense, sans vouloir vous donner de conseil non plus, que ce n’est pas votre responsabilité également.

J. Barrot : Vous en avez dit trop ou pas assez là.

O. Glehen : Moi je suis mandaté et les membres de l’ISNI m’ont demandé avant de venir, de demander officiellement, puisque vous ne me connaissiez pas, de nous rencontrer ce soir.

Alors, monsieur le ministre ?

J. Barrot : J’ai toujours dit que j’étais prêt. Évidemment j’ai quelques petites obligations ici et là mais on trouvera toujours un moment. Il n’y a pas de problème, si on doit le faire en soirée, on le fera en soirée. Je suis disponible.


Libération : 21 mars 1997

Libération : Devant ce conflit, vous parlez de malentendu. Pourquoi votre discours auprès des internes et des chefs de clinique passe-t-il aussi mal ?

Jacques Barrot : Ils ont découvert un peu tardivement la réforme, c’est clair. Et ils ont eu une lecture, parfois systématiquement guidée. Ou plutôt une lecture assistée par une certaine partie de la technostructure syndicale, qui a trouvé là une occasion de rallier au camp des opposants à la réforme la jeune génération. Ceux-là leur ont soufflé des informations fausses. J’ai vu ainsi réapparaître le fantasme des quotas d’actes médicaux. C’est rigoureusement faux. J’ai vu réapparaître la caricature qui laisse croire qu’il y aura un passage obligé des patients chez un généraliste avant de consulter un spécialiste. C’est encore faux, même si nous souhaitons des expériences volontaires qui valoriseraient l’expérience des généralistes. Nous avons vu encore fleurir des gloses, selon lesquelles on toucherait à la liberté d’installation. Faux encore.

Libération : Bref, ils ont été manipulés ?

Jacques Barrot : Pas systématiquement. Mais parfois, il suffit de quelques slogans qui fusent…

Cela étant, ce mouvement rejoint aussi une inquiétude sociétale, qui anime la jeune génération devant un monde qui change. Et la très grande majorité d’entre eux est de bonne foi. Aujourd’hui, il faut une grande explication. Nous saurons à l’avenir que dans un grand pays, lorsque l’on provoque des changements, même en s’appuyant sur des représentants syndicaux, il faut sans doute entendre, et informer mieux, ceux dont on engage l’avenir. Il faut reconnaître que c’est une préoccupation que l’on a un peu délaissée. Il aurait fallu plus systématiquement se tourner vers les médecins en formation, pour leur expliquer la réforme.

Libération : En d’autres termes, vous dites aux internes qu’aujourd’hui vous n’avez aucune mesure concrète à leur proposer, mais que désormais vous serez plus prévoyant et plus pédagogue…

Jacques Barrot : S’agissant de la réforme en elle-même, nous avons la conviction qu’elle prépare la médecine de demain. Elle engage une politique de qualité, elle donne à la maîtrise des dépenses un cadre médicalisé. Cette réforme, c’est la modernité avec la formation continue, avec l’utilisation généralisée de l’informatique.

Il faut que la jeune génération découvre tous ces volets, mais assurément nous devons l’associer plus étroitement à la mise en place de la réforme. Si cette crise le permet, elle aura été utile.

Mais il y a un danger : en se prolongeant sans objectif précis, la situation actuelle apporterait beaucoup d’eau au moulin des plus réactionnaires, à ceux qui sont partisans de l’immobilisme, inconscients des risques du déficit chronique, etc. Et là, on irait vers une médecine à deux vitesses, dans laquelle les jeunes médecins ne seraient pas tous conventionnés.

Libération : Les revendications tournent autour de la question des sanction financières, des reversements. Mais sont-ils toujours nécessaires ? Depuis quelques mois, les dépenses d’assurance maladie se sont stabilisées. Pourquoi maintenir ces sanctions ?

Jacques Barrot : C’est un élément qui a un rôle pédagogique, comme le parapet sur une route pour éviter de tomber dans le précipice. Évidemment, le paradoxe, aujourd’hui, est l’obsession du parapet. Cette obsession fait oublier la route, et où elle conduit.

Il faut ajouter qu’en plus de sa valeur pédagogique, c’est un mécanisme de régulation qui, dans les temps difficiles, est utile, indispensable. On l’oublie, mais ces reversements n’interviennent que lorsque l’on a trop dépensé, lorsqu’il y a eu des excès. Qui plus est, ces reversements éventuels sont très encadrés, ils ne peuvent dépasser un certain plafond des revenus de l’ensemble des médecins. Tout cela est de l’ordre du raisonnable, et conçu, d’une certaine manière, pour ne pas servir. J’ajoute que dans tous les systèmes de santé au monde, il existe une forme de régulation.

Libération : Allez-vous agréer la convention très rapidement ?

Jacques Barrot : Oui, dans quelques jours, mais c’est un acte purement administratif, maintenant. Après les derniers avenants qui ont été signés, samedi dernier, c’est une affaire de quelques jours. Et en tout état de cause, elle ne va plus changer. Le tournant de cette réforme ne doit pas être retardé.

Libération : Au bout d’un an de mise en place de la réforme, n’avez-vous pas l’impression de beaucoup de gâchis ?

Jacques Barrot : Non. Cette adaptation se fait de façon dure et rapide, j’en conviens. La rigueur budgétaire, j’aurais préféré m’en passer. Mais globalement, il y a une adhésion à cette réforme pour permettre de donner à l’hôpital public un élan de qualité. Et puis, très sincèrement, qu’il y ait aujourd’hui des opposants de certaines parties de la technostructure syndicale, d’une certaine façon, c’était inévitable. Mais là, je suis peiné que la jeune génération doute. Car cette réforme est pour elle. Et aujourd’hui, je vais donner tout mon temps avec Hervé Gaymard (secrétaire d’État à la santé) pour sortir de ces malentendus.


Le Journal du Dimanche : 23 mars 1997

Le JDD : Le Premier ministre a parlé mais la grève continue. Qu’allez-vous faire ?

Jacques Barrot : Dans un mouvement comme celui-là, il faut laisser le temps au dialogue et aux explications. On ne peut pas dissiper les malentendus d’un coup de baguette magique. Il faut bien comprendre ce que sont les craintes des internes. Comprendre sur quels points ils veulent des assurances. Car il y a des différences d’appréciations d’un CHU à l’autre. Sur le terrain nous avons enregistré plusieurs points positifs. Les internes sont tout à fait convaincus du bien-fondé de la maîtrise médicalisée et de la régulation des dépenses à partir du juste soin, de la bonne pratique médicale. Dispositif qui est au cœur de la réforme et qui est sincèrement accepté. Nous sommes décidés de les associer à la mise en place de la réforme notamment sur l’informatisation. On peut envisager l’organisation d’ateliers où certains d’entre eux pourront faire connaître leurs avis.

Le JDD : Les associer davantage aux décisions est-ce suffisant pour désamorcer le conflit qui porte d’abord sur le reversement d’honoraires en cas de dépassement ?

Jacques Barrot : Plein de choses fausses ont été dites, notamment quand on parle de quotas. En fait le reversement éventuel n’est qu’une sorte de cotisation de solidarité qui jouera exceptionnellement. Elle sera modulée de manière individuelle : un médecin qui a une bonne pratique et qui ne cherche pas à multiplier les actes ne cotiserait qu’au plancher.

Les jeunes qui s’installent seront exonérés pendant 7 ans. C’est un moyen pour ne pas prendre le risque d’un nouveau déficit de la Sécu pendant que la mise en place de la maîtrise médicalisée monte en régime. D’ailleurs ce mécanisme de reversement exceptionnel ne devrait plus jouer lorsque ces jeunes s’installeront si, comme on le souhaite, la maîtrise médicalisée a réussi.

Le JDD : Alors si ce reversement tellement décrié aujourd’hui ne doit jouer qu’« exceptionnellement » un rôle, pourquoi ne pas le supprimer tout de suite ?

Jacques Barrot : Ce mécanisme reste nécessaire aujourd’hui. De plus si l’on démembre la réforme, si l’on lâche ici où là, tel ou tel de ces dispositifs, les vrais opposants à la réforme seraient enclins à la voir disparaître tout entière.

Le JDD : La crise ne risque-t-elle pas de toucher par contagion tout l’hôpital ?

Jacques Barrot : La communauté hospitalière sent bien que les internes ne se battent pas aujourd’hui pour l’hôpital mais pour leur avenir en ville. De ce fait, les hospitaliers ne devraient pas rejoindre le mouvement. Nous suivons de près ce mouvement qui ne doit pas mettre en cause la continuité et la qualité des soins. Il est vrai qu’en écoutant la CGT se porter à la défense de la médecine libérale, on peut craindre une contamination de nature politique.

Le JDD : Les internes d’une part, les profs, les étudiants et les lycées d’autre part sont dans la rue aujourd’hui. Va-t-on vers un retour du social par les jeunes ?

Jacques Barrot : Le printemps est toujours un moment pour les étudiants et les lycéens qui ont deux grands trimestres dernière-eux pour jeter un regard vers l’état et l’avenir. Mais le Gouvernement ne se moque pas de leurs mouvements et de leurs préoccupations.

Mieux que manifester, les enseignants doivent comprendre le monde de demain. C’est à lui qu’ils doivent préparer leurs élèves. Nous avons une forte démographie, plus que tous nos voisins, 160 000 jeunes supplémentaires arrivent chaque année sur le marché du travail. Il faut former ces jeunes en synergie avec les entreprises, pour leur éviter de tâtonner pendant de longs mois avant de trouver un emploi.

Le JDD : Ces jeunes manifestants se sentent la « génération sacrifiée ».

Jacques Barrot : Ce serait la génération sacrifiée si nous ne réformions pas ce pays en créant, par exemple, le semestre d’expérience en entreprise, ou en ne nous donnant pas les moyens d’une maîtrise médicalisée. Elle sera sacrifiée si les hommes politiques n’ont pas le courage de préparer l’avenir et se contentent du statu quo. On anticipe ou on subit l’avenir, voilà le vrai débat. La France adore les réformes sur le papier mais au moment de les mettre en œuvre, on compte ceux qui les défendent…

Le JDD : Récemment le chef de l’État s’adressait aux jeunes ; certains d’entre eux sont aujourd’hui dans la rue. Y a-t-il encore une Génération Chirac » ?

Jacques Barrot : Le président répond à l’attente des jeunes. Il veut une France plus dynamique où les jeunes trouveront leur place. Il demande des efforts à la génération « installée » plutôt qu’aux jeunes. Il faut mettre en garde ces derniers contre le risque d’être utilisés par les défenseurs de certains privilèges acquis qui les poussent devant eux. Le président veut voir bouger la société en faveur des jeunes. Si on ne le comprenait pas, ce serait à désespérer du peuple français.


RTL : mercredi 26 mars 1997

O. Mazerolle : 37 parlementaires ont été reçus, hier, par le Premier ministre, et ils sont chargés d’aller sur le terrain expliquer aux internes la réforme pendant trois mois. Cela va encore durer trois mois ?

Jacques Barrot : Non, mais il y a un malentendu : il s’agit d’expliquer la réforme aux médecins, aux assurés sociaux et surtout, en effet, à ceux qui doivent faire vivre la convention par la maîtrise médicalisée, la bonne pratique médicale. Évidemment, nous allons rendre visite aux internes. Moi, je vais à Amiens tout à l’heure mais, ceci étant dit, ce qui nous importe, maintenant, c’est de réussir la réforme parce qu’il n’y a pas d’alternative.

O. Mazerolle : Précisément, vous parlez de malentendu mais tout de même, les internes ont au minimum des bacs + 6 et ils savent lire et écrire. Est-ce que vous ne croyez pas que c’est tout simplement parce qu’ils ne sont pas d’accord plutôt qu’un malentendu ?

Jacques Barrot : Ce n’est pas des internes qu’il s’agit, c’est d’un certain nombre de milieux médicaux qui ont lancé des slogans à un certain moment. Les internes et chefs de clinique qui lisent de près les textes se rendent bien compte que la réforme est quand même fondamentalement faite pour l’exercice de la médecine dans l’avenir et que c’est vraiment le souci de garder une qualité de la médecine qui est en cause. J’insiste, il n’y a pas d’alternative. Si nous ne réussissons pas cette réforme, que se passera-t-il ? Soit nous augmenterons les cotisations, soit nous réduirons les remboursements, soit encore – et il faut bien que les médecins y soient attentifs –, comme dans certains pays, l’assurance maladie ne pourra pas conventionner tous les médecins. C’est cela les alternatives. Il ne faut pas que la jeune génération médicale oublie l’environnement économique. Ceci étant dit, c’est une réforme pour la qualité du soin.

O. Mazerolle : Vous dites : « Il faut faire cette réforme, il faut agréer les conventions qui ont été signées par la Caisse nationale d’assurance maladie avec deux syndicats de médecins. » Vous allez le faire quand ? On a l’impression que vous retardez de jour en jour ?

Jacques Barrot : Pas du tout, mais il y a une procédure qui fait que le Gouvernement se doit de vérifier la conformité de la convention avec les ordonnances et les textes réglementaires. Ce travail de vérification est en train de s’effectuer et dans quelques jours, très rapidement, nous ferons ce que la loi nous oblige.

O. Mazerolle : C’est dépendant du conflit avec les internes ?

Jacques Barrot : Bien sûr. Il faut que nous agréions ce qui a été le fruit d’une négociation entre partenaires sociaux et puis des médecins représentatifs. Que voulez-vous ? C’est comme cela la loi, on ne va pas la contourner, on l’applique.

O. Mazerolle : Ces conventions prévoient notamment un reversement par les médecins qui se trouvent dans des régions où les objectifs de dépense auraient été dépassés de manière excessive, et M. Lamassoure, porte-parole du Gouvernement, a dit : « Ces conventions sont au cœur de la réforme. » Alors, en même temps, vous dites : « Sans doute n’aura-t-on pas à appliquer ces reversements. » En quoi quelque chose qui ne sera peut-être pas appliqué ou qui n’aura sans doute pas à être appliqué se trouve au cœur de la réforme ? Est-ce qu’il n’y a pas une contradiction ?

Jacques Barrot : Non, ce qu’a dit A. Lamassoure, c’est que le dispositif conventionnel est loin de comporter que des sanctions. Les sanctions, ce ne sont pas des sanctions. Ce sont, tout simplement, au cas où il y a débordement des dépenses à partir d’un objectif qui est fixé chaque année, un système de sécurité. Voulez-vous que nous resituions bien les choses ? C’est un dispositif de sécurité. Il ne sert que lorsqu’il y a dépassement important, même très important puisque l’on déduit en plus des dépenses toute une série de dépenses qui ont été induites par des décisions des pouvoirs publics.

Deuxièmement, il faut que les dépassements soient importants. Troisièmement, s’ils ont lieu, rien ne se passe pour les médecins qui sont dans une région où il n’y a pas de dépassements. Enfin, même si vous êtes dans une région où il y a des dépassements, il va y avoir des majorations et des minorations. Je vais être très clair, ce matin : si vous vous êtes très bien comporté, si vous n’êtes pas allé revoir vos clients dix fois alors qu’il suffisait de les voir deux ou trois fois, si vos prescriptions ont été raisonnables, si votre progression d’une année à l’autre a été raisonnable, eh bien, vous bénéficiez de très fortes minorations. Alors on va parler chiffres.

O. Mazerolle : Cela veut dire quoi minoration ?

Jacques Barrot : Minoration, cela veut dire que l’on diminue cette obligation de reversement. On la diminue fortement. Cela veut dire que si vous avez une pratique qui a été totalement exemplaire, vous allez aller au plancher, c’est-à-dire que l’on va vous demandez un reversement, par exemple, qui pourra aller de 2 000 francs par an à 14 400 francs pour le dépassement le plus important.

O. Mazerolle : 14 400, c’est le pire des cas ?

Jacques Barrot : Attendez ! Et puis, c’est déductible des impôts ! Cela, personne ne l’a suffisamment expliqué. Et j’ai dit 2 000 francs mais en fait, c’est 1 600 francs la cotisation plancher dans les simulations que nous avons. De toute façon, à quoi bon se crisper là-dessus. C’est un mécanisme qui est un mécanisme qui accompagne la réforme comme un parapet dans une période où l’on traverse la rivière.

O. Mazerolle : Il y a des médecins qui disent que c’est tout de même anormal ! Ils disent qu’ils se sont contentés de donner les prescriptions qu’il fallait donner à leurs malades – les comités médicaux qui sont là pour surveiller ce que font les médecins l’attesteront – et malgré cela, ils auront quand même à payer 1 600 francs. Ce n’est pas grand-chose mais quand même !

Jacques Barrot : Mais dites-moi, O. Mazerolle, quand, à l’inverse, l’objectif aura été tenu, vous savez qu’il y a des provisions pour augmentation d’honoraires et voulez-vous me dire si l’on trie les médecins quand on augmente le prix de la consultation ? C’est le même pour tous ! Il y a une sorte de solidarité quand même. Pour répondre aux internes, on peut, en effet, leur rappeler que ce système sera éventuellement revu clans quatre ans puisqu’on va renégocier la convention dans quatre ans. Et en attendant, on va se battre sur ce qui est le fond de la réforme et qui, d’ailleurs, passionne, autant que je l’ai vu, les internes et les chefs de clinique, c’est ce qu’on appelle la maîtrise médicalisée. Qu’est-ce que c’est que cela ? C’est le respect des bonnes pratiques médicales qui est sanctionné en cas d’infraction. Et c’est de ce mécanisme que dépend l’essentiel de la réforme. Et le renversement, à mon sens, deviendra de moins en moins utile dès lors que cette maîtrise médicalisée va progresser. Et elle progressera ! Et les parlementaires, qui vont aller en province, vont surtout expliquer comment on accélère cette maîtrise médicalisée individuelle car c’est le cœur de la réforme.

O. Mazerolle : Cela va durer encore longtemps, ce conflit ?

Jacques Barrot : Le conflit des internes ? Je veux surtout qu’ils comprennent que ce n’est pas la peine de chercher à nous faire remettre en cause une réforme nécessaire à la France. Ce n’est pas la réforme du Gouvernement, c’est la réforme de la France. Hier, toute une série d’organisations représentatives chez les salariés, chez les assurés sociaux, ont dit qu’elles avaient envie de cette réforme. Et moi, je sais que je commettrais une mauvaise action vis-à-vis des internes et des chefs de clinique, si, dans cette affaire, on leur laissait espérer je ne sais quelle remise en cause.

O. Mazerolle : Les parlementaires sur le terrain, c’est pour montrer que, cette fois, la majorité est aux côtés du Gouvernement ?

Jacques Barrot : Vous faites de l’humour à bon marché ! Je crois que les parlementaires qui étaient là, hier, ont vraiment montré leur enthousiasme pour cette réforme qui est la chance ultime de préserver une médecine à la française avec toutes les libertés que vous connaissez comme celle d’installation, de prescription. Il faut connaître tout le dossier, O. Mazerolle. Il faut savoir, par exemple, que vous allez avoir plusieurs milliers de médecins qui vont se retirer plus vite grâce aux mécanismes que nous mettons en place. Et tout cela va permettre à la jeune génération d’arriver dans un paysage beaucoup plus intéressant Un peu moins de médecins, c’est vrai, mais des médecins bien formés, et puis tous les outils nouveaux que l’on met à leur disposition comme l’informatisation, etc. Et j’ajoute enfin pour les internes : arrêtons-nous de nous battre sur des objectifs impossibles, voyons comment ensemble nous allons faire fonctionner la réforme ! Et tout est ouvert sur ce plan.


Ouest-France : jeudi 27 mars 1997

Ouest-France : Les soutiens à la grève des internes se multiplient. Ne craignez-vous pas un mouvement généralisé ?

Jacques Barrot : Je tiens à mettre en garde les forces syndicales et politiques qui seraient tentées de rejoindre le mouvement. La bataille que nous menons est celle de la qualité des soins. Il s’agit de prévenir aussi une augmentation des cotisations. S’il t a des gens qui veulent profiter de la crise d’inquiétude de la jeune génération de médecins pour défaire la réforme de la Sécu. Ils auront à rendre des comptes aux Français qui seraient appelés à payer plus si les dépenses n’étaient pas correctement régulées.

Ouest-France : La porte reste-elle fermée à toute reprise de la négociation sur la convention médicale ?

Jacques Barrot : La question ne se pose même pas. Par définition, les relations conventionnelles c’est vraiment l’affaire des partenaires sociaux et des syndicats de médecins. L’État est naturellement tenu de respecter leur volonté. Il n’a pas de pouvoir d’appel. Son agrément prochain est une simple vérification de la conformité de la convention médicale à la loi. L’État ne peut pas à la fois responsabiliser les acteurs du système social et les déjuger pour un oui, pour un non. J’ajoute que si nous déjugions les partenaires conventionnels, les médecins tomberaient dans un règlement conventionnel minimal, c’est-à-dire que la prise en charge de leurs cotisations sociales se ferait de manière beaucoup moins favorable.

Ouest-France : Il n’y a donc aucune marge de négociation ?

Jacques Barrot : Il y a une large marge de concertation et de décision encore ouverte sur beaucoup de chantiers concernant la mise en place de la réforme de l’assurance maladie. Il y a un travail prospectif à conduire sur les conditions d’installation des internes dans le secteur libéral et sur les places supplémentaires susceptibles de leur être offertes à l’hôpital. Cela passe par des postes et aussi, en fonction de la diminution à venir du nombre d’internes, par de nouveaux postes aujourd’hui vacants. L’actualisation de la nomenclature – c’est-à-dire la définition des actes médicaux et donc de leur rémunération – est un champ intéressant pour les internes et chefs de clinique, parfaitement au fait des dernières techniques et thérapeutique. Ils pourraient être associés à la réflexion de la commission qui y travaille. Le dossier de l’informatisation, celui des outils d’évaluation, etc., tout le sous-bassement de la réforme offre en fait de nombreuses possibilités pour un travail en commun approfondi. Mais cela suppose qu’il n’y ait pas de blocage sur une convention signée pour 4 ans.

Ouest-France : On ne touche plus au fameux reversement en cas d’excès de prescription ?

Jacques Barrot : En tout cas pas avant un premier bilan d’application. C’est un mécanisme nécessaire de régulation pour éviter de nous retrouver dans une situation de déficit et faire une fois encore appel à des cotisations supplémentaires. C’est un mécanisme ajusté qui permet une forte individualisation qui ne sera pénalisante que pour ceux commettant des excès. Ça n’a rien à voir avec la punition collective brandie par certains esprits corporatistes qui jouent l’immobilisme contre l’intérêt des jeunes générations.

Ouest-France : Vous pensez que certaines forces mandarinales s’activent ?

Jacques Barrot : Il y a une très grande majorité de médecins consciencieux mais il ne faut pas se cacher qu’une minorité du corps médical trouvera toujours des prétextes pour refuser la mise en œuvre d’une véritable maîtrise médicalisée en multipliant les manœuvres dilatoires. Il y a encore quelques médecins qui pensent qu’on peut fonctionner à guichet ouvert. Ils nous mèneraient dans le mur.

Ouest-France : C’est donc l’heure de vérité pour les professions de santé ?

Jacques Barrot : Oui, je crois que les difficultés des temps actuels sonnent avec retard mais de manière inéluctable l’heure de vérité. Voilà pourquoi nous devons être fermes tout en restant ouverts au dialogue. On ne peut pas constamment solliciter les assurés sociaux. Ou alors, il faudra un jour changer de système, renoncer à la médecine à l’acte pour imposer des pratiques, la capitation, l’inscription obligatoire de l’assuré chez un médecin. Je préfère de loin préserver un système fondé sur la liberté, d’installation, de prescription, de choix du patient. Mais les médecins doivent comprendre qu’ils ne peuvent pas rester à l’écart des efforts que nous demandons à chacun dans la chaîne du soin, aux infirmières, aux kinés, etc.

Ouest-France : Votre mission serait plus facile s’il y avait un syndicalisme vraiment représentatif ?

Jacques Barrot : L’affaissement et la division du syndicalisme sont préjudiciables à la négociation, au dialogue. Quand il existe, un syndicalisme professionnel plus organisé et moins divisé facilite la vie conventionnelle. Il doit permettre notamment aux caisses de signer une convention avec les dentistes dans les prochains jours, d’aborder les problèmes des pharmaciens d’officine. Avec eux aussi, il faut chercher les justes régulations pour garantir leur avenir. Mais je garde confiance dans la reprise d’une vie conventionnelle active avec les médecins. Il ne s’agit pas de leur faire subir la réforme, mais bien de cohérer avec eux sa mise en place.


Europe 1 : vendredi 28 mars 1997

J.-P. Elkabbach : Le chômage baisse un peu. Comment l’expliquez-vous ?

Jacques Barrot : Je crois qu’il y a tout de même une reprise de la confiance dans une société française qui a retrouvé un certain dynamisme. Je crois aussi que les efforts que nous demandons aux uns et aux autres pour mieux maîtriser les finances publiques et les finances sociales créent dans le pays le sentiment qu’on regarde vers l’avenir avec des perspectives.

J.-P. Elkabbach : Les chiffres qui vont être annoncés tout à l’heure sont-ils significatifs ou pas ?

Jacques Barrot : Ils sont une amélioration qui est un encouragement, mais qui ne saurait évidemment nous emmener sur un petit nuage. Ceci étant dit, le chômage des jeunes notamment marque un net recul.

J.-P. Elkabbach : Un recul substantiel ?

Jacques Barrot : Un recul significatif, mais qui doit être bien entendu poursuivi avec acharnement.

J.-P. Elkabbach : Est-ce le résultat de la conjoncture ou d’une politique ?

Jacques Barrot : Je crois qu’il y aussi le fait que l’appel qui a été lancé aux forces sociales, notamment aux employeurs, porte ses fruits. Il y a quand même dans ce pays des gens qui ont le sens de leurs responsabilités. Il y a des entreprises qui ouvrent aujourd’hui plus facilement leurs portes aux jeunes. L’appel du président de la République a quand même porté ses fruits.

J.-P. Elkabbach : Quelle est la tendance pour les semaines à venir, pour ne pas parler de l’année 1997 ?

Jacques Barrot : L’année 1997 devrait nous apporter des emplois nouveaux. Cela ne veut pas dire qu’il y aura un recul très significatif du chômage dans la mesure où pendant quelques années encore, 160 000 nouveaux arrivants en plus seront sur le marché du travail. Donc, ce qui importe d’abord, c’est de voir si nous créons des emplois en plus. Je crois que 1997 à cet égard va marquer un tournant : nous aurons des emplois en plus.

J.-P. Elkabbach : Dans 90 minutes, vous recevez les internes, avec H. Gaymard. Tant de conflit, tant de grèves pour en arriver là !
N’auriez-vous pas dû commencer par-là ?

Jacques Barrot : Nous avons commencé par là. Il y a un an, il était question de réduire le conventionnement dans certaines régions qui comportent trop de médecins. À l’époque, nous avons négocié avec leurs aînés et nous avons renoncé à cette disposition qui est en application dans certains pays. Mais il est vrai que nous n’avons pas encore dans le pays – ce n’est pas seulement vrai pour les pouvoirs publics ou la Caisse nationale, ça l’est également pour le syndicalisme médical – l’idée que quand on prépare l’avenir, il vaut mieux le préparer avec les jeunes générations.

J.-P. Elkabbach : Est-ce pour vous le moment de la fin du conflit ?

Jacques Barrot : Je crois que maintenant les choses se décantent. Il y a certaines peurs irraisonnées qui ont été quelquefois entretenues par la partie du syndicalisme médical la moins ouverte sur l’avenir et qui faisait douter les jeunes de l’opportunité de la réforme. On a conjuré pour l’essentiel cette peur irraisonnée. Deuxièmement, il y a une volonté dans les jeunes générations de construire la réforme dont je rappelle qu’elle ne se borne pas à un mécanisme qui est là comme un garde-fou tant que nous n’aurons pas bâti ce qu’on appelle le juste soin, la bonne pratique médicale. Mais pour la bonne pratique médicale, il faut avoir les outils – l’informatisation –, les bonnes références.

J.-P. Elkabbach : Vous le leur répétez, mais vous ne parvenez pas à les convaincre.

Jacques Barrot : Non.

J.-P. Elkabbach : Hier, dans leur manifestation qui a connu un certain succès, les internes, les chefs de clinique, leurs alliés, ont enterré symboliquement à la veille de Pâques au Père Lachaise la convention médicale.

Jacques Barrot : Je leur ai expliqué que la convention est un acte qui ne concerne que les quatre ans qui viennent, qu’en cours de route les parties conventionnelles peuvent au vu de l’évaluation de l’application de la convention modifier certaines choses et que ce qui compte, c’est la réforme qui a été votée par le Parlement et qui implique vraiment que tout soit centré sur le juste soin. Mais il faut apporter la preuve – c’est là que le corps médical doit jouer son rôle – que ce juste soin, ce n’est pas seulement une belle formule que l’on utilise tous les jours, mais que l’on répugne à mettre en application.

J.-P. Elkabbach : La convention négociée et signée par la CNAM avec deux syndicats de médecins est prête. Elle n’attend que l’agrément du Gouvernement. C’est pour quand ?

Jacques Barrot : Vraisemblablement demain.

J.-P. Elkabbach : Donc, vous ne renégociez plus ces conventions.

Jacques Barrot : Les conventions, c’est l’affaire des partenaires sociaux d’une part, et des syndicalistes qui ont bien voulu les signer, ce qui ne veut pas dire qu’elles soient fermées aux autres.

J.-P. Elkabbach : Une fois agréée, la convention médicale existe et s’impose pour quatre ans. Peut-il y avoir des évolutions ?

Jacques Barrot : Il peut y avoir en effet au fur et à mesure de l’évaluation de la marche de la mise en œuvre de cette convention des évolutions. Encore faut-il qu’une partie du corps médical ne reste pas comme la statue du commandeur pour dire « On ne change rien. »

J.-P. Elkabbach : Qui est cette partie du corps médical ?

Jacques Barrot : Vous le savez bien : il y a une tentation, dans un syndicalisme médical divisé, pour certains de penser que rien ne doit changer, que la médecine peut continuer exactement de la même manière dans une société qui évolue, qui souffre du chômage, qui a besoin que l’on ne demande pas périodiquement une augmentation de la CSG ou une augmentation des cotisations. Cette fraction du monde médical qui ne veut pas regarder la société dans laquelle elle est existe. Cela ne veut pas dire que les assurés sociaux, eux aussi, ne doivent pas adapter leur comportement en n’étant pas des consommateurs abusifs.

J.-P. Elkabbach : Les internes ont toujours dénoncé les pénalités financières, les reversements d’honoraires. Peuvent-ils être supprimés un jour ?

Jacques Barrot : Dans la mesure où la pratique du juste soin sanctionnée quand il le faut, quand un médecin n’exerce pas les bonnes pratiques, qu’il revoit son patient tous les jours alors qu’il suffit de le voir peut-être en début et en fin de semaine, quand tout cela sera remis en ordre, je ne vois pas pourquoi on aurait besoin de ce garde-fou. Encore faut-il apporter la preuve que cela marche.

J.-P. Elkabbach : Vous allez leur demander de reprendre le chemin du CHU ?

Jacques Barrot : Bien entendu, mais en même temps en leur disant, non pour les calmer au lendemain d’une grève, mais pour leur dire : « Maintenant, on vous prend au mot : la réforme, on la construit avec vous. » On donnera des procédures pratiques, des groupes de travail, des ateliers dans lesquels ils seront conviés s’ils veulent bien s’organiser pour participer cette fois-ci positivement à une réforme qui sera leur réforme.

J.-P. Elkabbach : Après Pâques, on sort du conflit ?

Jacques Barrot : Il faut en sortir.

J.-P. Elkabbach : Le peut-on ?

Jacques Barrot : Mais bien sûr qu’on pourra, parce que chez chacun d’entre eux, il y a une vocation de soigner les autres et qu’ils ne peuvent pas oublier que dans leurs hôpitaux, il y a aujourd’hui des malades qui les attendent.


France 2 : Vendredi 28 mars 1997

France 2 : Dans deux heures vous recevrez les représentants des internes qui ont manifesté hier dans Paris. Est-ce pour enterrer la convention médicale, comme ils l’ont fait symboliquement, hier, dans les manifestations ?

Jacques Barrot : On n’enterre pas ce qui est vivant puisque les partenaires sociaux et la Caisse nationale ont signé cette convention pour quatre ans, avec d’ailleurs la possibilité, en cours de route, d’évaluer ses effets. En réalité, sans toujours le savoir – quelquefois en le sachant – il y a un peu la tentation d’enterrer la réforme ; et ça ce n’est pas la convention, c’est l’ensemble de l’effort que nous demandons à tous. Un effort partagé qui nous permettra d’éviter d’augmenter la CSG pour le particulier et les cotisations qui pèsent sur les entreprises et sur le travail, au risque de faire monter le chômage.

France 2 : Donc vous ratifierez la convention, comme vous l’avez annoncé ?

Jacques Barrot : L’agrément est près. Car c’est un agrément. Nous ne faisons pas la convention à la place des partenaires sociaux el des syndicats médicaux, malgré eux.

France 2 : Qu’allez-vous dire, donc, aux internes que vous allez recevoir ? Vous allez encore aménager un peu le texte ? La réforme Juppé de la Sécurité sociale : vous y touchez ou pas ?

Jacques Barrot : En aucun cas. Et pas seulement parce c’est la loi et la démocratie : non seulement parce que c’est l’intérêt général du pays, mais parce c’est aussi par une conviction profonde. Nous allons faire d’une pierre deux coups si la réforme marche : d’une part, la progression des dépenses sera maîtrisée et la qualité sera améliorée.

France 2 : On entend certains dire que vous allez rationner les soins.

Jacques Barrot : 3,2 milliards de progression cette année ; au début 1996, des gens comme M. Cabrera m’ont dit : « Vous allez faire en sorte que nous serons obligés d’arrêter de soigner en novembre 1996 » : qui peut aujourd’hui dire que ces fameux pronostics ont été vérifiés ?

France 2 : Qu’allez-vous proposer aux internes que vous allez rencontrer ce matin ?

Jacques Barrot : Construire la réforme ensemble. On ne le sait pas toujours, mais il y a des ateliers ; l’un d’entre eux porte sur la démographie médicale : combien de médecins pour demain ? Où les installer ? Dans quelle spécialité ? Voilà un premier chantier. Un deuxième chantier, c’est de voir la définition des bonnes pratiques, des références. Tout cela est très intéressant parce qu’on essaie d’adapter peu à peu les bonnes thérapies et voir comment le médecin va faire du juste soin. Enfin, il y a l’informatique : c’est grâce à l’informatique que l’on pourra mieux évaluer la pratique du médecin et que l’on pourra suivre l’assuré social pour éviter qu’il aille d’un médecin à l’autre en faisant dépenser par des actes répétés qui ne sont pas nécessaires.

France 2 : Vous allez donc leur demander d’accepter ce qu’ils ont jusqu’ici refusé. Quel est l’argument clé ?

Jacques Barrot : Une fois que l’on a levé des peurs irraisonnées, nous leur dirons : « Voilà la réforme que nous pouvons construire ensemble. » J’ai fait des amphithéâtres, j’y ai passé beaucoup de temps, ainsi qu’H. Gaymard. Tous les deux, nous avons la conviction qu’une fois ces cauchemars levés – on leur a fait faire des cauchemars, je ne sais pas qui le leur a fait faire, mais on leur en a fait faire – ils pourront regarder avec un peu plus de sérénité l’avenir et le construire ensemble.

On va essayer une fois encore, avec H. Gaymard, de continuer ce dialogue qui essaie de distinguer ce qui est simplement la peur de l’avenir – que nous comprenons – pour dire aux internes et aux chefs de clinique : si c’est cette peur qui vous anime, on va ensemble construire cette réforme, et puis distinguer là où il y a un petit peu ce sentiment que tous les acquis, toute la situation d’une médecine d’avant les difficultés d’aujourd’hui pourraient être laissés à l’identique avec des gaspillages ici, des actes redondants, dont les médecins ne sont pas les seuls responsables. Les assurés sociaux que nous sommes oublions souvent le sens de nos responsabilités. Le carnet de santé et le futur dossier médicalisé de chaque patient, qui sera au point d’ici deux ans, sont faits aussi pour rappeler aux assurés sociaux que l’on ne peut pas non plus vis-à-vis de son médecin ne pas lui faire confiance et se considérer comme un assuré qui a tous les droits.

France 2 : En fait, c’est plus une réunion d’explication que vous allez avoir ? Est-ce qu’on ne va pas vous accuser de jouer le pourrissement ?

Jacques Barrot : Non, parce que nous allons essayer de leur dire – mais je ne veux pas tout dire parce qu’il faut d’abord discuter – : mais la réforme, ce n’est pas ce point sur lequel vous avez fait une fixation, sur lequel vous vous êtes un peu braqué, quelquefois aussi parce que derrière vous il y avait des aînés qui étaient bien contents de vous fixer uniquement sur ce problème de reversement de régulation, sur laquelle nous allons revenir. En fait, qu’est-ce que c’est la réforme ? C’est l’utilisation des médicaments génériques qui peut faire baisser le prix des prescriptions ; c’est le juste soin avec, bien sûr, des références, des règles de bonne pratique ; c’est aussi la possibilité de demander à des médecins qui ont une activité ancienne et qui ne sont pas tout à fait à l’âge de la retraite de cesser leur activité pour laisser plus facilement les jeunes s’installer. C’est tout ça la réforme. Alors ce sont des chantiers, tout comme l’informatisation. Cette génération est très passionnée par cette idée du juste soin.

France 2 : Il y a quand même un point qui pose problème : ils rejettent les sanctions collectives en cas de dépassement. Ils disent que c’est injuste que ça va les obliger, quelque part, à rationner les soins car quand l’enveloppe sera atteinte, il sera impossible de prescrire.

Jacques Barrot : D’abord vous me permettrez de dire qu’il n’y a pas de rationnement des soins pour 1997. On remet 3,2 milliards de plus. Je me rappelle en 96, au début de l’année, il y avait des syndicalistes un peu excessifs qui disaient : mais nous allons à la catastrophe. On a bien soigné en 1996 que je sache et, en même temps, on n’a pas dépassé l’objectif que l’on s’était donné. Cette année, il y a 3,2 milliards de plus. Si les médecins le respectent, il n’y a aucun problème et s’ils sont en dessous ils vont voir – et j’en viens à notre problème – le prix de leur acte revalorisé. C’est-à-dire que s’ils faisaient moins que cette progression de 3,2 milliards, ils pourraient voir leurs honoraires relevés, et leurs honoraires seraient relevés pour tout le monde. À l’inverse, s’il y avait un fort dépassement – ce qui est très improbable – ils auraient, en effet, une cotisation de solidarité. Ce n’est pas une sanction collective, c’est l’idée que l’assurance maladie est en difficulté. On ne peut pas se tourner que vers les assurés sociaux. Il faut aussi que les médecins partagent avec les malades.

France 2 : Mais les bons vont payer pour les mauvais dans ce cas-là, c’est ça le problème.

Jacques Barrot : Non ! Parce qu’il y aura des minorations. S’il y avait un tel dépassement il y a déjà des règles qui font que le bon médecin aura une cotisation plancher. Mais ce qui est vraiment stupéfiant c’est que nous avons pris un dispositif qui permet de regarder ça sur deux ans, donc il n’est pas question de reversements fin 97. Deuxièmement, les parties conventionnelles pourront, peu à peu, améliorer le système en le regardant, et puis ça, ce n’est fait que pour quatre ans. Pendant ce temps il faut accélérer le juste soin. Donc il faut que le juste soin fonctionne pour que l’on sanctionne individuellement les médecins qui ne font pas assez bien.

France 2 : Jacques Barrot, vous êtes également ministre de l’emploi. On attend dans quelques minutes la publication des chiffres. On dit qu’il y aurait une petite amélioration. Il y a un espoir ?

Jacques Barrot : Normalement, je ne dois pas trahir les secrets, mais c’est vrai qu’il y a une amélioration.

France 2 : Significative sur le long terme ?

Jacques Barrot : Je n’en dirais pas plus long.

France 2 : Pas sur les chiffres mais sur la tendance.

Jacques Barrot : C’est une amélioration, mais disons bien les choses comme il faut : c’est parce que, progressivement, les entreprises ont le sentiment que nous mettons un peu d’ordre dans cette France qui en a besoin. Non pas qu’on la prive des services – et je pense à la médecine – dont elle a besoin, et qu’elle doit absolument éviter de gaspiller pour pouvoir éviter des cotisations trop fortes. Tout ça aussi, c’est pour l’emploi.

France 2 : Le chômage baissera en 1997 ?

Jacques Barrot : L’emploi va progresser, mais n’oublions pas que nous avons 160 000 Français nouveaux qui arrivent, en plus de ceux qui partent à la retraite. Alors, ce n’est pas facile mais je suis absolument confiant : 97 va nous donner des emplois supplémentaires. Et si on a l’impression, à l’extérieur de la France, que la France fait tous ces efforts pour mettre de l’ordre dans ses finances publiques, de réguler ses finances sociales, nous ferons encore mieux.