Texte intégral
Certaines contraintes sont nationales, et nous devons y répondre en procédant à certaines réformes ; d’autres s’imposent à nous au niveau mondial. Dans ce contexte, l’Europe peut constituer une sécurité, une protection, qu’il s’agisse de l’emploi, de la sécurité de nos concitoyens, de l’environnement ou de ce qui fonde notre civilisation. Accuser Bruxelles et Maastricht n’est pas très courageux ; les Français ont d’ailleurs davantage de bon sens que certains hommes politiques ne le croient, notamment au sujet de la monnaie unique.
Cela étant dit, rien ne serait pire pour la construction européenne que le silence de l’indifférence. Si l’on veut éviter d’entretenir les peurs et d’encourager la démagogie, il convient que le débat soit permanent : pour ma part, je suis prêt à y participer autant que vous le voudrez.
S’agissant de l’Union économique et monétaire, sur laquelle beaucoup d’entre vous se sont exprimés, je ne vais pas répéter ce que le Premier ministre a clairement exprimé au début de ce débat, sans qu’il y ait contradiction avec l’objectif fixé par M. Giscard d’Estaing d’une monnaie unique qui soit à l’avantage de la France. La mise en place de l’euro en 1999 mettra fin aux tentations de dévaluations compétitives dont on sait combien elles sont destructrices d’emplois. Le Premier ministre a insisté sur la nécessité d’un contrepoids politique : les gouvernements doivent conserver la capacité d’exprimer un volontarisme économique et la France défend l’idée d’un conseil de stabilité.
Quant à la parité des monnaies, elle ne se décrète pas : elle résulte des éléments fondamentaux des économies. La parité entre le franc et le mark nous paraît donc la bonne. Et nous considérons que l’euro aura un effet très positif sur notre économie : déjà, la perspective de la monnaie unique a conduit à une baisse des taux historique.
Le Premier ministre a répondu par avance dans son propos introductif à l’idée d’une manipulation monétaire : toute dévaluation – puisque c’est de cela qu’il s’agit – entraîne un appauvrissement et donc, d’une certaine manière, un affaiblissement ; il n’est donc pas dans l’intention du gouvernement de s’engager dans cette voie. J’ajoute que nous ne pouvons accepter l’interprétation faite par l’ancien Président de la République de la solidarité entre la France et l’Allemagne ; le gouvernement continuera à chaque étape de la mise en œuvre de l’Union économique et monétaire, à se concerter avec le gouvernement allemand, en veillant au respect des intérêts de notre pays.
Jean-Bernard Raimond, Mme Ameline, Jacques Vernier, Jacques Blanc ont appelé de leurs vœux une vraie réforme de l’Union européenne. Le gouvernement, je le dis notamment à Robert Pandraud qui m’interroge souvent sur ce sujet, n’a pas l’intention d’accepter le plus petit dénominateur commun, de se contenter d’un filet d’eau tiède : il veut, lui aussi, une vraie réforme.
L’efficacité des institutions passe par une Commission resserrée et vraiment collégiale et, s’agissant des procédures de décision, par une extension de la majorité qualifiée, combinée avec une nouvelle pondération des voix.
La proposition franco-allemande de coopérations renforcées ne met nullement en cause le marché unique et l’esprit du Traité. Elle vise à permettre à ceux qui veulent aller plus vite de s’engager dans certaines actions. De telles coopérations, qui tendent à se multiplier en dehors de l’Union, pourraient ainsi se pratiquer à l’intérieur d’elle.
M. Giscard d’Estaing et Jacques Vernier ont évoqué le principe de subsidiarité : nous souhaitons qu’il soit réellement mis en pratique et qu’il trouve un fondement institutionnel dans une annexe au traité.
À Jacques Myard, je répondrai que nous attachons toujours la même importance au compromis de Luxembourg, qui doit demeurer.
M. Joly a souhaité un mode d’élection des députés européens plus proche des citoyens : le gouvernement n’a pas encore déterminé sa position, mais à titre personnel, je pense qu’il faudrait trouver un système avant 1999 ; on pourrait envisager de regrouper plusieurs régions à partir de données géographiques – la mienne et la région du sud, par exemple, qui forment le couloir rhodanien pour constituer de grandes circonscriptions au sein desquelles les députés rendraient compte à leurs concitoyens de leur mandat.
Nicole Catala a rappelé le souhait de la délégation que la constitutionnalité du droit dérivé puisse être vérifiée. Le Premier ministre nous a demandé d’y réfléchir ; je pense que nous devrions trouver une solution, sans s’engager dans un système qui compliquerait trop les choses. J’observe d’ailleurs qu’il n’y a jamais eu depuis 1957 de problème de constitutionnalité des actes dérivés.
Le deuxième grand chapitre concerne la politique étrangère et de sécurité commune sur laquelle je voudrais répondre aux interrogations de Jacques Boyon. L’intention du gouvernement français est de donner tout son rôle au Conseil européen, lieu d’impulsion. Un accord se dessine pour inclure dans le texte du Traité l’ensemble des fiches de Petersberg. Par ailleurs, nous proposons que des actions majeures définies par le Conseil européen puissent être mises en œuvre par le conseil des ministres des affaires étrangères, et sous son contrôle par une personnalité politique. Nous souhaitons qu’un haut représentant soit la voix, le visage de l’Europe sur certaines actions majeures, et qu’il anime des réflexions de diplomates qui analyseraient ensemble les situations. En outre, au-delà de l’agence d’armement qui réunit quatre pays, le gouvernement souhaite que la politique d’armement soit fermement définie à l’occasion de la CIG.
Il faut aussi rapprocher les citoyens de l’Union en parlant des sujets qui les touchent. Nous sommes déterminés à obtenir que le protocole social, qui est annexé au Traité y soit désormais intégré. Nous sommes également déterminés à obtenir à la conférence de l’OMC qui se réunit à Singapour en décembre que tous les pays luttent ensemble contre ce scandale que constitue le travail des enfants.
En Europe, les citoyens se préoccupent de l’emploi et de l’harmonisation sociale, de la sécurité, de la lutte contre les grands fléaux et de la maîtrise de l’immigration clandestine. Tous ces sujets tendent à la liberté de circulation et à la sécurité des personnes. Nous souhaitons proposer à nos partenaires de fixer des objectifs communs en ce qui concerne le droit d’asile, les visas, la lutte contre l’immigration clandestine, la drogue, le terrorisme, le grand banditisme et le blanchiment d’argent, pour déterminer un calendrier et des méthodes d’action. Nous mettons trois conditions à l’évolution de ce troisième pilier : que les parlements nationaux soient consultés ; que l’initiative soit partagée entre Conseil et Commission ; que la sécurité progresse en même temps que la liberté de circulation.
J’ajoute que nous voulons consolider le statut et la place des DOM et des TOM dans le Traité d’Union européenne. Sans l’inclure dans le Traité, Monsieur Blanc, il est effectivement utile de consulter le comité des régions d’Europe.
J’en viens au pacte de stabilité. La France en a accepté le principe. Il faut poursuivre dans la sagesse budgétaire. Il en sera encore débattu à Dublin. Il y a un débat avec l’Allemagne sur le caractère automatique et contraignant du pacte. La France veut préserver la souveraineté du Conseil qui décidera des marges acceptables.
Sur quel sujet risquerons-nous d’être en minorité avec l’extension de la majorité qualifiée, a demandé M. Chevènement. Le risque existe toujours ; mais lorsque nous avons confiance en nous nous savons convaincre, et les textes vont souvent dans notre sens même sur des sujets sensibles. Sur l’agriculture par exemple, à la majorité qualifiée, nous avons réussi depuis de nombreuses années à préserver nos intérêts. De toute façon nous n’accepterons pas d’extension de vote à la majorité qualifiée sans une pondération plus juste des voix. Par ailleurs, Monsieur Chevènement, vous présentez une vision bien frileuse de la France. Elle ne vous ressemble pas ; elle ne ressemble pas non plus à ce que fait le gouvernement. Notre pays vaut mieux et n’a pas à être sur la défensive.
MM. Hage et Lefort ont aussi caricature les relations franco-allemandes comme si nous étions forcément dominés par l’Allemagne.
Je participe à suffisamment de réunions pour vous dire qu’il s’agit d’une relation équilibrée et franche.
La monnaie unique a été approuvée par le peuple, nous n’y reviendrons pas même si nous sommes heureux de discuter les modalités avec le Parlement.
En ce qui concerne l’Europe sociale, nous avons fait une proposition sur le service public tendant à compléter l’article 90 sur les services économiques d’intérêt général en reprenant la jurisprudence de la Cour de justice et les conclusions du Conseil européen en ce sens en particulier sur l’égalité de traitement et la cohésion territoriale. Elle a été très bien accueillie par nos partenaires. La Commission a d’ailleurs évolué sur ce sujet, sans aller aussi loin que nous le souhaiterions. La présidence a aussi fait une proposition qui est insuffisante. Même si certains États s’opposent fermement à notre approche, ceux qui pensent comme nous sont de plus en plus nombreux.
S’agissant des postes et télécommunications, le Conseil se réunira demain. Nous espérons que le compromis auquel nous sommes parvenus avec l’Allemagne sera accepté.
Voilà qui prouve du reste qu’on ne peut critiquer l’Allemagne et vouloir se séparer d’elle. Monsieur Hage, puis dans d’autres circonstances être heureux de s’appuyer sur elle.
Le Premier ministre a rappelé avec foi le projet européen de la France. Réussir le grand élargissement pour réunir cette grande Europe qu’avait pressentie le général de Gaulle, créer la monnaie unique, reformer l’Alliance atlantique et faire émerger une identité européenne de défense, remettre aussi l’homme au cœur de cette Europe et faire de celle-ci non un supermarché mais un espace démocratique et humaniste. C’est ce qui, malgré les turbulences, guide l’action du gouvernement, et nous avons la conviction que l’unité de l’Europe fait aussi la force de la France.