Interview de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement, dans "L'Humanité" du 15 décembre 1999, sur l'accord de principe conclu au sein de l'Union européenne pour la création d'un réseau ferré de fret européen "quel que soit le mode d'exploitation".

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Média : L'Humanité

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Q - Le quotidien Les Échos affirmait dans son édition du 13 décembre qu'à l'échelle de l'Europe, les ministres des Transports sont parvenue « à un accord de principe sur un début d'ouverture à la concurrence du marché du fret ferroviaire au sein de l'Union ». Cela signifie-t-il que vous avez cédé sur la libéralisation ?

Jean-Claude Gayssot. Quelle est la réalité ? La France peut à bon droit estimer qu'elle a marqué un point. Justement pas dans le sens de la libéralisation que souhaitaient faire aboutir certains États, qui n'ont d'ailleurs pas jusqu'au bout ménagé leurs critiques du fait même que les principes définis ne correspondaient pas à leur objectif initial.

Q - Très concrètement, pouvez-vous nous faire le point sur votre projet défini et retenu lors du précédent Conseil européen des Transports de constituer un réseau européen de fret ferroviaire ?

Jean-Claude Gayssot. Très concrètement, on se souvient que nous souhaitions obtenir une garantie d'accès des entreprises ferroviaires détentrices d'une licence délivrée par les États à l'ensemble d'un réseau européen de fret, quel que soit le système en vigueur et le statut de l'exploitation. Autrement dit, ce n'est pas la libéralisation qui s'impose partout et à tous, mais la coopération de systèmes différents sur la base de la réciprocité. Ce qui nous conduira nécessairement à une approche plus ouverte concernant les demandes de trafic international.
Permettez-moi un détour pour mieux me faire comprendre. En juin dernier, nous avons réussi à isoler les propositions qui visaient à imposer, comme un préalable, la libéralisation. Nous avancions l'idée de laisser à chaque pays le choix du mode de gestion et d'exploitation qui lui convenait. Et c'est finalement cette option qui est retenue. Nous avions proposé un observatoire indépendant qui permettait de mesurer et de comparer les résultats de chaque pays en fonction de l'objectif commun, à savoir l'augmentation réelle du trafic fret européen. Il est acquis.
En octobre, j'avais proposé un réseau fret européen notamment pour le trafic fret international : il est acté.
Je rappelle à ce sujet le succès du corridor « coopératif » mis en place en février 1998 pour les réseaux belges, luxembourgeois et français qui vient de célébrer le passage de son 2000e train, là où, dans la même période, le corridor « libéralisé » de Rotterdam à Milan en passant par l'Allemagne et la Suisse n'a vu passer aucun train. Il y avait des velléités de sortir les questions de sécurité de la responsabilité des entreprises ferroviaires et des Etats. La France l'a refusé. C'est aussi un fait acquis, comme le label européen de haute sécurité ferroviaire.
Concernant la tarification, la France se bat pour « le coût marginal », les prix les plus attractifs possibles. L'idée d'une tarification favorisant le transport marchandises sur le rail progresse. J'en veux pour preuve que la France a réussi à faire acter aussi la possibilité de réduction des péages ferroviaires pour les lignes sous-utilisées qui peuvent être développées, par exemple celle de Béziers-Neussargues-Clermont.
Enfin, sans attendre, la définition exacte du réseau et la rédaction des directives sur base des principes que je viens d'évoquer, nous avons obtenu que des investissements européens de 1,2 milliard soient utilisés pour supprimer les « goulets d'étranglement » qui nuisent évidemment à la fluidité du trafic. Et je précise que cela ne se fera pas au détriment des autres projets, par exemple du TGV est-européen.
Honnêtement, le fait de reconnaître la possibilité du développement du trafic marchandise sur le rail en notant explicitement : « Quel que soit le mode d'exploitation » est une très bonne chose. Je suis satisfait que la position française ait permis le déblocage d'une situation qui dure depuis des années, tout en étant conscient que le débat n'est pas achevé et que les volontés de libéralisation restent très fortes.