Interview de M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, dans "Midi libre" le 17 mars 1997, sur le dialogue social, la flexibilité, l'instauration de comités de groupes européens face aux restructurations de grandes entreprises, le cas de Renault, le syndicalisme et la préparation des élections prud'homales.

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Média : Le Midi Libre - Midi libre - Presse régionale

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Midi Libre : Faut-il, pour expliquer le chômage, mettre en cause le manque de flexibilité ?

J. B. : La flexibilité est un terme galvaudé. Je préfère parler de souplesse horaire dans le travail et la mobilité professionnelle, d’annualisation du temps de travail. Il s’agit d’assurer une réactivité plus grande de l’entreprise ainsi qu’une réelle sécurité pour les employés. Il ne faut pas nourrir une nouvelle idéologie un peu simpliste qui consiste à opposer arbitrairement une extrême plasticité de la société anglo-saxonne à une rigidité excessive de notre société européenne continentale.

Mais, parmi les facteurs de croissance et de création d’emploi, je vois en premier lieu la réduction du coût du travail et, parallèlement, la formation des travailleurs et leur capacité à s’adapter à des techniques nouvelles. Et, seulement après, leur aptitude à la souplesse horaire et à la mobilité. J’aime la notion « d’encerclement du chômage » : pour le combattre, on n’a pas un levier, mais plusieurs.

Midi Libre : Pourquoi autant de réticences, en France, pour changer les choses ?

J. B. : Les Français sont intelligents : ils ont montré qu’ils étaient capables de changer. Mais pour changer sans peur, il faut un dialogue social soutenu. Le secteur public – un salarié sur cinq – ne doit pas projeter sur notre société un modèle d’emploi à vie dans la même entreprise, qui ne peut être la règle la règle pour tous.

Dans l’administration, où il n’est question de remettre en cause ni la stabilité de l’emploi, ni son mode de recrutement, il faudra encourager la nécessaire capacité à s’adapter à de nouvelles technologies. Le service public doit aller au-devant des usagers. Mais, ces difficultés ne sont pas insurmontables, grâce au dialogue social soutenu.

Midi Libre : Mais, où est ce dialogue social dans l’affaire Renault ?

J. B. : Cette affaire illustre que nous sommes à mi-chemin entre la configuration ancienne de l’Europe – des États nationaux aux stratégies industrielles et sociales totalement indépendantes, voire égoïstes – et une Europe intégrée où la stratégie industrielle devra être beaucoup plus concertée. C’est ce que préfigure la directive sur les comités de groupes européens, même si le dialogue est encore balbutiant. En novembre, j’ai fait voter une loi qui transcrit la directive imposant aux grandes entreprises d’instituer un comité de groupe européen qui doit être consulté préalablement à toute restructuration importante. Renault avait déjà une instance à l’échelon européen ; mais, l’accord Renault de 1991 n’allait pas aussi loin dans l’obligation de dialogue que la directive définit de façon plus précise et contraignante.

Midi Libre : Le Gouvernement doit-il intervenir ?

J. B. : Les dirigeants de Renault, entreprise dont le capital est majoritairement privé, doivent pouvoir gérer en toute responsabilité. Mais, chaque fois que de tels groupes se réorganisent, nous devons les accompagner.

Midi Libre : Pourquoi avoir refusé les mesures réclamées par PSA et Renault ?

J. B. : Elles étaient incompatibles avec les moyens financiers dont nous disposons. Elles auraient aussi donné un signal incompréhensible à la société française en retirant systématiquement de l’entreprise des salariés au-dessus de 55 ans. C’est vrai, nous aurions un peu rajeuni les entreprises concernées, mais à quel prix ?

Midi Libre : Ne faisons-nous pas un usage immodéré des préretraites ?

J. B. : Le nombre de préretraites a été diminué des deux tiers environ depuis 1992. Il y a des restructurations qui s’imposent, mais il vaut mieux exiger un aménagement et une réduction du temps de travail, comme chez Moulinex. Les préretraites en série, c’est la facilité ; il y a mieux à faire, même si elles sont parfois incontournables.

Midi Libre : La libéralisation de l’économie est-elle responsable du chômage ?

J. B. : Nous souffrons d’une Europe inachevée. Demain, les États membres devront élaborer ensemble des stratégies économiques qui ne passent pas uniquement par la monnaie unique, mais aussi par l’harmonisation et l’allègement des prélèvements qui pèsent sur l’emploi. Là, on trouvera un équilibre entre la compétitivité de la mondialisation et la cohésion sociale.

Midi Libre : La patronat de la métallurgie dénonce la « radicalité nouvelle » de certains conflits sociaux…

J. B. : Le syndicalisme français n’a pas toujours prise sur certaines situations extrêmes. Les élections prud’homales doivent être, pour le syndicalisme français et ses 5 grandes organisations représentatives, l’occasion de recueillir les suffrages des salariés en plus grand nombre possible : c’est un élément majeur pour amplifier et consolider le dialogue.

J’aimerais que cet appel soit entendu : les Français ont besoin d’un syndicalisme représentatif et responsable. Je leur dis, sans vouloir peser sur leur vote, qu’il ne faut pas égarer leurs voix dans des organisations qui sont dépourvues de toute représentativité et qui risquent de compromettre le dialogue social.

Midi Libre : Vous faites allusion aux organismes qui se réclament du Front national ?

J. B. : Notamment. Je ne comprendrais pas comment les élections prud’homales pourraient être l’occasion, pour des partis politiques, de pénétrer une institution qui est par essence, une institution judiciaire, émanation de la démocratie sociale.

Midi Libre : 1997 serait-il meilleur pour l’emploi ?

J. B. : Je suis un peu Cévenol et j’ai pris l’habitude de ne pas trop suivre les modes. J’espère, bien sûr, que nous allons faire une meilleure année 1997, mais il ne faut pas relâcher les efforts.